-À la recherche de Hammam-Bou-Hadjar
Georges-Emile Paul
Textes, illustrations de l'auteur.
extraits du numéro 99 , septembre 2002 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"

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Source chaude du Rocher
Centenaire 1930
Source chaude du Rocher

À la recherche de Hammam-Bou-Hadjar*

L'histoire de l'Algérie ne s'identifie pas à la conquête des provinces maurétaniennes par les légions de l'empereur Hadrien, ni même, avant celles-ci, par les envahisseurs captiens.

Sans unité ni frontières, sans âme ni langue commune, ces provinces pauvres, à peine peuplées - et qui, de la côte méditerranéenne s'enfonçaient dans le désert saharien - ont connu d'innombrables " occupations ".

La plupart de celles-ci prirent fin dans de sanglantes mêlées humaines dont l'initiative revenait généralement aux Berbères, tribus relativement nomades mais aux instincts guerriers et qui trouvaient dans ces féroces combats un exutoire à leur tempérament indocile et, cela va de soi, une conquête et un butin intéressant.

Les Romains eurent, bien sûr, à les combattre et les nommèrent " Barbari ", et le nom de Berbères leur demeurera tout au long de l'histoire, englobant d'ailleurs tout un ensemble d'ethnies.

D'autres populations, pratiquement toujours regroupées dans la partie septentrionale du pays, se sont identifiées à ces immenses territoires et ce, de l'ère captienne - la mieux connue - jusqu'à l'imprégnation turque au xvie siècle. Sur les trois millions, environ, de kilomètres carrés que représentaient ces provinces encore mal identifiées, divers peuples (ou peuplades) se sont amalgamés et fondus : Libyens, Numides et Maures en particulier.

Que fut donc, avant ces périodes approximativement étudiées et connues, et dans ces immenses territoires en grande partie désertiques, oui, que fut donc " la nuit des temps "?

Vraisemblablement la nuit tout court, profonde et lente, comme elle peut l'être à l'infini du désert, là où la nature se fait inhospitalière, là où nulle humanité ne cherchait même sa voie.

Il y a seulement quelques siècles, ces provinces africaines vivaient ce que fut notre préhistoire.

On ne se hasardera donc pas à écrire une Histoire ancienne de Hammam-BouHadjar. Endormie dans son paysage aride, la région ne recelait rien qui attire les envahisseurs. Des siècles et des siècles après que ceux-ci eussent édifié çà et là villes et fortifications, ouvert quelques routes et creusé quelques puits, Hammam-Bou-Hadjar s'était de nouveau endormie après quelque deux cents ans de romanisation, encore celle-ci fut-elle vraisemblablement limitée à une exploitation sommaire des thermes.

Nulle part ne fut trouvée la moindre trace d'une occupation massive des lieux par les Romains qui étaient, on le sait, d'habiles architectes et de grands constructeurs. Ad Dracones (Hammam-Bou-Hadjar) ne fut, en fait, qu'un poste - peut-être important au plan militaire - dont le premier intérêt était le contrôle et la sécurité des convois romains sur le grand axe Portus-MagnusAlbulat. À cet égard, le relevé effectué par Demaeght montre le caractère crucial de ces grandes voies qui furent essentielles à la pénétration du pays et, sans doute aussi, à sa colonisation. Il faut rappeler aussi, qu'avant la conquête romaine, seuls les Phéniciens, qui s'étaient fortement implantés sur la région béni-safienne, avaient amorcé une percée économique vers le Témouchentois, afin de commercer avec les tribus berbères qui campaient sur l'Oued Sénane et, plus à l'est, sur le Salsum Flumen.

On est bien sans certitude sur une éventuelle mise en valeur de la région bouhadjarienne par les armées et les populations romaines. Il est fortement probable, cependant, que celles-ci s'attachèrent, durant les deux à trois siècles où leur colonisation fut poursuivie, à cultiver le blé et peut-être la vigne ainsi qu'à développer l'olivier sur le pays. L'essentiel des grands marchés romains portait en effet sur ces trois denrées: blé, vin et huile.

Les appétits de l'administration impériale et la fertilité évidente de certaines zones bien contrôlées, n'ont pu qu'amener les gens de Rome à vivre de mieux en mieux sur le pays, voire à en exploiter au maximum, pour l'époque, toutes les ressources connues. Dans le même temps on le sait, les procurateurs s'attachèrent à promouvoir une élite berbère indispensable à une administration plus sereine de ces vastes provinces. Le latin devint pratiquement l'unique langue " officielle " et les indigènes ralliés l'assimilèrent fort bien, tout comme ils assimilèrent, quinze siècles plus tard, l'espagnol, puis le français !

Bien avant le ve siècle, l'invasion vandale mit fin à la domination romaine et un pillage organisé anéantit pratiquement les grands territoires agricoles édifiés par les légions de Rome en terre africaine. Si donc Dracones connut, ce qui est vraisemblable, une première colonisation liée à la découverte de ses terres fertiles tant au blé qu'à la vigne, les hostilités entre Romains et Vandales, puis entre Vandales et Maures au vie siècle, achevèrent de détruire ce pays naissant jusqu'à lui rendre, au fil des siècles, son caractère quasi préhistorique.

* *

Avant l'ère romaine, les Maghrébins fixés sur la région, habitaient de préférence les grottes assez nombreuses sur cette contrée.

On a retrouvé, en divers lieux du Témouchentois, le passage de ces populations semi-sauvages que les ethnologues ont baptisées " metcha ". La région d'Hammam-Bou-Hadjar compte de la sorte de très nombreuses grottes, d'ailleurs souvent ignorées des colons, mais que la rébellion sut parfaitement redécouvrir et utiliser soit en base de repos, soit en simple abri et quelquefois en véritable infirmerie comme celle que dut faire sauter l'armée pour la détruire dans la région du Kéroulis et qui concernait toutes les opérations rebelles sur notre région.

Au sujet de ces grottes, on lira avec intérêt la relation anecdotique mais authentique d'une chasse au porc-épic qui conduisit l'auteur et trois de ses amis dans une véritable cathédrale souterraine, bien autrement " confortable " que l'étroite galerie en lisière du terrain Amat, route de Laferrière, où le ministre de la Guerre de Ben Bella séjourna aux premiers mois de 1962 !

On ne peut évoquer sur la région l'occupation romaine, puis la reconquête de ces mêmes territoires par les Vandales, puis par les Maures, sans faire mention d'une première pénétration du christianisme vers la même époque, c'est- à-dire du milieu du rve siècle au milieu du vie siècle.

Nous emprunterons à l'ouvrage de notre vieil ami Antoine Carillo, qui fut maire adjoint d'Aïn-Témouchent, un passage qui souligne l'existence de véritables communautés chrétiennes en Oranie : " En dépit de la persécution vandale, des querelles du donatisme et des révoltes berbères qui troublèrent à l'époque les Maurétanies, c'est au cours du ve siècle que la chrétienté d'Albulx (Aïn-Témouchent) a dû atteindre son plus grand développement, et non loin des temples païens, se dressa la construction harmonieuse de l'évêché. Il est difficile de dire à quel point les princes berbères ont été influencés par le christianisme, mais ils apparaissent bienveillants pour les églises disséminées à travers leurs états. En 484, Hunéric le vandale, en dépit de cette bienveillance, fit entendre aux évêques rassemblés, la condamnation du catholicisme. Le jour vint donc où la communauté chrétienne fut abandonnée à elle-même et condamnée, comme tant d'autres en Afrique, à une lente et irrémédiable agonie " ( CARILLO Antoine, Aïn-Témouchent à travers l'histoire, Plazza, 1954.).
Voilà donc déjà, à peine amorcée, la fin d'une tentative de civilisation qui, après l'effort romain et la sensibilisation berbère à une administration et une économie étrangère, pouvait amener une évolution radicale des moeurs et des mentalités.

Seize siècles après cet " essai " qui n'a pas été totalement nul puisque les indigènes demeurèrent assidus des sources dont les Romains leur avaient vanté les vertus, Hammam-Bou-Hadjar a été redécouverte par les Français et mise en valeur par une poignée d'entre eux.

* *

Cheminons maintenant sur l'ancienne voie romaine endormie sous des siècles d'oubli, jusqu'à retrouver l'ère, véritablement unique à ce jour, de prospérité et qui ouvrit la région à son fantastique essor au monde moderne.
A ce point de notre relation dans l'histoire ancienne de Ad Dracones (la cité des dragons, ainsi nommée en raison des sources sulfureuses qui semblaient y cracher la lave et le feu), il semble bon d'ouvrir une parenthèse qui mentionne bien la volonté romaine d'une " colonisation religieuse ", au moins aussi déterminée que l'occupation militaire !

En étudiant cette époque au plus près, on est frappé de voir l'existence de très nombreux " évêchés " - plus d'une trentaine pour l'Oranie seulement - et l'on comprend mieux la fonction multiple des titulaires qui avaient, à l'époque, leur mot à dire sur la plupart des grands problèmes, car ils avaient en charge, parfois, l'administration et la sécurité de leur région. Albulœ (AïnTémouchent), Ad Crispœ (Bou-Tlélis), Ad Frates (Nemours), Fluvio Assaris (Pont de l'Isser), Port-us Sigensis (Béni-Saf), furent autant d'évêchés autour de Ad Dracones (Hammam-Bou-Hadjar), à témoigner d'une administration civile et religieuse apparemment bien " adaptée ".

D'un évêché à l'autre, les moyens de communication demeuraient entretenus et ces voies mineures rejoignaient le grand axe du littoral maurétanien, lui même prolongé de Carthage jusqu'à Tanger.

Antonin le Pieux, qui succéda à Hadrien, nous a laissé l'itinéraire d'accès à ces places religieuses romaines. Ainsi trouve-t-on, dans ses instructions, la position de Ad Dracones qui y fut relevée jusqu'au vie siècle. Deux au moins de ses évêques nous sont connus : Auxilius et Maddanius. L'un et l'autre ont participé, à Carthage, à ces congrès-conciles mi-religieux mi-politiques, car il ne s'agissait rien moins que contenir la pression des évêques ariens, tous féaux des bandes vandales du roi Hunéric ! On le voit, on était alors bien loin encore d'Hammam-Bou-Hadjar et il est regrettable que nul n'ait pu trouver sur la région de marques bien visibles de cette occupation romaine qui fut sans doute le " premier âge " intéressant du pays !

Le VIIIe siècle a été marqué, sur le Témouchentois, par un événement sans doute mal connu, mais qui n'a pas été sans avoir un prolongement jusqu'à Hammam-Bou-Hadjar.

C'est ce terrible séisme qui a secoué toute la région et, entre autre, englouti Albulœ, distante seulement de 25 km.

En 1842, soit une dizaine d'années après la pacification française sur la zone d'Oran, un poste militaire fut créé à Aïn-Témouchent. Protégés par les soldats du capitaine Safrane, les premiers Européens, commerçants et agriculteurs, s'installèrent au voisinage de ce poste et, comme partout ailleurs, se mirent au travail. Ce sont eux qui, dans leurs travaux ou leurs constructions, retrouvèrent les premiers, le passage du séisme dévastateur. Mais à cette époque, les hommes avaient d'autres urgences et d'autres ambitions que ces fouilles systématiques qui n'amenaient pas de bien riches découvertes. Peu à peu, ces amas de pierres sont entièrement réutilisés à la construction de bâtiments publics ou privés. Dalles et colonnes brisées sont déplacées et réduites, au point que lorsqu'il est demandé aux spécialistes du génie de dresser un plan des vieilles ruines, il est fort malaisé aux géomètres de reconnaître la totalité des gisements tant le paysage, déjà, a été modifié. En regard de ce tremblement de terre, qui fut sans doute fatal à une bonne partie de la population, sur la ville et peut-être au-delà, et même en tenant compte du " mektoub " fataliste de l'indigène, on peut assurément penser que cet événement et les vastes destructions qu'il engendra, ne furent pas sans conséquences pour des populations subitement privées de leur plus fort point de vie. S'il n'y a, hélas ! aucun écrit de l'époque, le savant Fey - qui participa aux fouilles à AïnTémouchent - a laissé une évocation de l'ampleur du séisme et de la fin tragique d'Albulœ.

Aujourd'hui où l'homme a une meilleure connaissance de l'accident sismal, il semble, a priori, difficile de ne pas envisager le prolongement de cette catastrophe jusqu'aux points voisins de peuplement, notamment ceux d'Hammam-Bou-Hadjar, zone marquée, on le sait, de failles volcaniques profondes et de vastes échancrures terrestres comme le fameux " fer à cheval ", voisin de la ville, qui constitue l'affaissement tellurique le plus marqué de la région. Il est bien évident que ces bouleversements-là ne sont pas supposés être du vine siècle! Ils remontent vraisemblablement à quelques millénaires préalables, au temps, peut-être où le Salsum Flumen avait son vrai lit en ces lieux, quand il charriait encore un impétueux torrent où se délectaient volontiers crocodiles et hippopotames ! En ces temps reculés, l'homme était-il déjà sur la région et si oui, quel type d'homme?

Au fur et à mesure que la colonisation a gagné sur le bled et occupé les terrains, de nombreux colons ont assuré avoir retrouvé, en particulier dans les grottes et les failles rocheuses qu'ils exploraient sur la contrée de leurs nouvelles terres, divers ossements qui furent dispersés comme les restes d'animaux sauvages ou domestiques, morts en ces lieux.

Bien présomptueux celui qui soutiendrait aujourd'hui une telle affirmation sans la moindre expertise scientifique car, comme nous l'avons déjà dit, l'homme a, pendant fort longtemps, usé de ces grottes, très nombreuses dans la région. Abris robustes et naturels, ces " trous " demeurèrent, des siècles durant, l'habitat d'un peuple certainement semi-sauvage, avant d'être celui du maghrébin originel. Mais, comme en bien d'autres lieux de par le monde, le préhomien ou anthropoïde qui vécut là, fut bien le plus vieil ancêtre de l'homme! On peut regretter qu'aucune fouille systématique de la région n'ait été entreprise là où se signalaient tant de chaos suspects. Mais, et nous l'avons bien souligné, Hammam-Bou-Hadjar s'était depuis bien longtemps rendormie après sa " période romaine ", et même si quelque séisme y détruisit un jour les rares points de peuplement édifiés par ces étranges " metcha ", nulle trace particulière n'en fut jamais relevée ici ou là. La tradition orale elle-même n'a fait aucun cas de ces événements qui, d'ordinaire, s'impriment très fort dans le vieil Islam; preuve sans doute que la survivance en ces lieux fut pratiquement nulle ou bien que les siècles eurent finalement raison des souvenirs

Au fur et à mesure de son lent peuplement - et le caractère pastoral qui était alors le sien ne pouvait guère l'accélérer - la région d'Hammam-Bou-Hadjar a finalement précisé sa forme au moyen des différentes " frontières " qui s'élaborèrent autour d'elle : la forêt du Kéroulis, le chemin menant à AïnTémouchent, le Chabat Messeguem jusqu'au lieu-dit Haad-Ben-Dhou, le second chemin menant d'Aïn-Témouchent à Aïn-El-Arba par la source d'AMBeïda, le douar commune de l'oued Berkech, le Rio-Salado, l'oued Sidi Abdallah, et bien sûr, ces " melk " dont le bornage ne fut jamais bien défini car ils étaient par excellence le territoire des éleveurs et de leurs irascibles bergers qui ne voyaient, eux, de frontières nulle part.

Un certain nombre de familles musulmanes assuraient la " représentativité " de ce vaste douar. Il y avait, entre autres, tous les descendants de la tribu des Hadjaria, qui formaient le plus vieux groupe d'autorité et de propriété; les Mazari; Ben Dhou; Ben Mouffok; Megan; Ben Mechida ; Chaffa; les Medjadji, bien d'autres encore, de moindre importance, mais au nombre d'une bonne centaine, tous respectés dans leurs divers clans.

L'installation des plus anciens est antérieure au )(ville siècle, lorsque s'établit enfin sur l'Ouest algérien, grâce à la médiation des grands chefs religieux, une paix relative qui mit fin en particulier aux exactions des grandes bandes qui avaient leur zone de repli au Maroc.

Il y avait aussi sur la région d'Hammam-Bou-Hadjar, une fraction de la puissante tribu des Beni-Ameur, capable de lever sur ses territoires innombrables, une véritable aimée. Les Turcs, puis les Espagnols eurent à négocier avec elle, ce qui d'ailleurs n'empêcha nullement les conflits.

C'est en 1805 que les Turcs, bien implantés à Oran, s'engagent à réduire cette trop puissante tribu qu'ils acculent sur le Témouchentois. Leur chef, Mélakèche, jette dans la bataille, toute sa force de cavaliers et de fantassins. La bataille est longue et féroce, mais les Beni-Ameur sont finalement vaincus à la sortie d'Hammam-Bou-Hadjar, alors qu'ils refluaient vers le Tessalah.

Cette victoire fut, finalement, plutôt néfaste à la puissance turque qui aurait dû s'allier aux Beni-Ameur plutôt que de les combattre, car le ressentiment des Musulmans fut profond sur toute la province d'Oranie.
Moins de vingt-cinq ans plus tard, les forces françaises amenaient une paix décisive sur la région, après la reddition de l'émir Abd el-Kader en 1847. La colonisation accélérée du pays ouvrait, elle, une ère de prospérité.

Georges-Émile Paul

* (Extrait de Hammam-Bou-Hadjar, petite chronique de mon village algérien,
Éditions Transcomp, Montpellier, 1988).