-----«Guyotville
a été un exemple démonstratif des tâtonnements,
des échecs et des réussites qui ont caractérisés
des centaines de centres de population nés en Algérie pendant
un siècle, aboutissant à des créations à la
fois analogues et originales...
Je ne connais pas d'étude plus complète en sa concision,
plus éloquente en sa sobriété, un document plus probant
pour ceux qui, un jour, peut-être, entreprendraient de rétablirla
vérité sur une histoire systématiquement dénaturée»
---------------------Professeur Pierre Goinard
1980
-----Lorsque sous
les ordres du Maréchal de Bourmont, ministre de la guerre du Roi
Charles X, les troupes françaises débarquent à Sidi-Ferruch,
le 14 juin 1830, le village n'existe pas. II sera construit de toute pièce
dans le sang et la sueur, le travail acharné, les fièvres,
le désespoir des colons implantés, contre toute apparente
logique, sur un site des plus ingrats.
-----Aucune population n'habite ce plateau
aride, apparemment infertile, couvert de brousailles, de lentisques, chênes-kermès,
arbousiers et palmiers nains.
-----Ce que l'on ne sait pas à l'époque
de la conquête, c'est que l'allure désertique de la région
n'est qu'apparence : les recherches archéologiques démontreront
que l'endroit fut connu et habité depuis des temps immémoriaux
(plusieurs dizaines de dolmens seront relevés).
Eugène Guyot
-----Le Maréchal
Soult, vainqueur d'Austerlitz aurait souhaité construire deux villages
de pêcheurs et ouvrir une route littorale d'Alger à Sidi-Ferruch
afin de briser le monopole que s'était octroyé les pêcheurs
italiens et maltais en plusieurs points de la côte.
-----Rédigeant son rapport, le Comte
Guyot est très défavorable à de tels projets.
-----Soult persévère et demande
à Guyot de continuer ses investigations. Deux sources sont découvertes
dans la région d'Aïn-Bénian c'est-à-dire "source
des constructions" (romaines anciennes).
-----Guyot, tenant compte de l'échec
des colonies militaires établies par Bugeaud, conçoit la
création de colonies civiles confiées à des entrepreneurs
auxquels l'Etat accorde une grande concession et des avantages financiers.
M. Gour est choisi pour Sidi?Ferruch, M. Tardis pose sa candidature pour
AïnBénian. La création du village d'Aïn-Bénian
est signée par le Maréchal Bugeaud le 19 avril 1845.
-----200 hectares sont alloués au
sieur Tardis, ce dernier s'engageant à construire 20 maisons en
maçonnerie, un débarcadaire en bois pour hisser les bateaux
à terre, un parc à huîtres, un atelier de préparation
des sardines, une sècherie à poissons...
-----Plusieurs mois s'écoulent mais
l'orientation défavorable de la côte, sans crique valable,
la concurrence des barques étrangères, la mauvaise situation
sanitaire, la mauvaise foi du concessionnaire enfin, ruinent la tentative.
-----Devant le rapport catastrophique de
deux inspecteurs de la colonisation, Soult exprime son mécontentement
et demande l'éviction rapide de M. Tardis. Il prend alors l'importante
décision de modifier les conditions d'existence des colons en implantant
dans Aïn-Bénian des familles agricoles. De son côté,
M. Goin a parfaitement réussi à Sidi-Ferruch.
-----L'Administration récupèrera
les terrains et maisonnettes et substituera au village de pêcheurs,
un village d'agriculteurs. Vingt familles sont installées, six
hectares distribués par colon.
-----Cependant Guyotville va végéter
pendant cinq années par manque d'eau. C'est un préfet, M.
Lautour-Mézeray qui, en 1852, sauvera le village par d'importantes
mesures concernant l'eau, les voies de communication, la création
d'une réserve forestière qui deviendra la forêt de
Baïnem. Dès 1853, M. Lautour-Mézeray écrit
au Ministre "que les efforts de l'administration ont donné
du pain à toutes ces familles et reprendre l'énergie qui
les avait abandonnés ; je n'ai vu nulle part de gens plus contents,
plus travailleurs et surtout plus reconnaissants".
-----En 1856, Aïn-Bénian prendra
officiellement le nom de Guyotville et 321 hectares sont ensemencés,
dont 120 de blé tendre, 9 d'orge, 6 de maïs, 96 de légumes,
25 de pommes de terre. On essaye la culture du tabac, l'élevage
et, de bonne heure, on plante de la vigne à vin, qui réussit
fort bien.
-----En 1859, Guyotville est érigé
en paroisse et placé sous le patronage de Saint-Roch.
-----Ce n'est qu'en 1874 qu'un décret
du Général Chanzy érigera en commune de plein exercice,
indépendante de
Chéragas, le village de Guyotville.
L'essor du village
-----A son origine,
le village était représenté par les vingt demeures
construites en 1846, les maisons se groupant autour et en contrebas de
l'église à partir de 1855. Le centre du village fut initialement
la zone englobant l'église construite grâce à l'inépuisable
charité (les Pères Trappistes de Staouéli, la place,
la mairie, l'ancienne poste, le lavoir (futur marché), l'abreuvoir
(Monument aux Morts), les écoles. La rue la plus ancienne est la
rue Marceau.
-----Mais, très vite, Guyotville s'étale
tout en longueur, le long de la future ligne de chemin fer, de part et
d'autre de l'avenue Malakoff, ligne droite d'un km (qui deviendra les
rues de Chanzy et Poincaré).
-----Un caractère propre à
Guyotville est la dispersion d'une partie importante de la population
communale en dehors du village. On découvre partout fermes et villas
éparpillées ou groupées en hameaux, au Cap-Caxine,
au Phare, à Saint-Cloud, à l'Ilôt, à la Madrague,
sur la route de Staouéli ; en grimpant sur le plateau, on en découvre
de part et d'autre des deux voies d'accès, fermes spacieuses entourées
de jardins et de vignobles, qui ne disparaissent qu'à l'approche
du ravin de Beni Messous.
-----Cette dissémination, rare en
Algérie, a deux causes :
- historique, car le Préfet Lautour-Mézeray obligea les
concessionnaires à bâtir sur leur lot rural.
- social, le territoire de Guyotville, protégé par les villages
du Sahel et de la
Mitidja n'ayant jamais eu à redouter
les indigènes qui ont longtemps fait régner l'insécurité
ailleurs. Ainsi, en 1901, on dénombre 1525 âmes dans le village
et 1 296 habitants éparpillés
Le chasselas et les
primeurs
-----En
1876, le village est peuplé de 595 habitants, dont 249 Français
et 337 Espagnols, population laborieuse, à la vie rude.
-----En 1901, vingt-cinq ans plus tard, Guyotville
atteindra, nous venons de le voir, 2 821 âmes : le petit hameau
d'apparence chétive, pauvre en habitants est devenu une riche bourgade,
coquette, heureuse, populeuse. Quel miracle est intervenu entre-temps?
-----L'introduction du chasselas de Fontainebleau
sur le sahel ouest d'Alger est une innovation capitale pour l'essor du
village.
-----Un vigneron d'origine provençale,
Charles Pons, en rapporte quelques milliers de boutures en 1853 pour les
planter à la Trappe de Staouéli toute proche. Le succès
de ce plantation dépasse les limites du domaine en 1857, M. Louis
Patry-Gallaud, originaire de l'Hérault, en apporte des quantités
massives ; il semble que MM. Berthier et Bernard aient aussi largement
contribué à ces plantations.
-----Le succès est grand en raison
de la précocité du chasselas, mûr dès le 25
juin à Guyotville et négociable avec Alger à des
prix intéressants.
-----En 1875, les vignobles s'étendent
du Cap-Caxine à Zéralda, mais, grâce à de minutieuses
sélections et au climat exceptionnel, le chasselas de Guyotville
conquiert la première place.
-----En 1948, le village comptera 640 hectares
de chasselas.
Simultanément, la culture maraîchère de primeurs se
développe, couvrant 400 hectares : le produit en sera aussi largement
exporté vers la métropole. A la culture printanière
pratiquée par habitude, comme en métropole, les colons,
sous l'impulsion des Espagnols, ont substitué la culture automnale,
dès les premières pluies de septembre, et la culture d'hiver,
possible en l'absence de gelées.
-----Souvent, ces légumes sont plantés entre les
rangées de vigne et la terre, constamment retournée et fumée,
ne s'épuise pas ; elle fournit ainsi jusqu'à trois récoltes
par an.
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-----La culture
fruitière prend aussi quelque expansion : 50 hectares plantés
en orangers, mandariniers, citronniers, néfliers, amandiers et
figuiers.
-----Le développement de ces cultures
est à l'origine d'un phénomène social important,
l'afflux des indigènes travaillant aux champs, fixant ces ouvriers
à la terre ou les faisant descendre périodiquement des montagnes
de Kabylie vers le Sahel.
La vie heureuse
-----Faire revivre
Guyotville, tel que nous l'avons connu, n'est pas chose facile. C'est
surtout susciter l'évocation de souvenirs par l'énumération
des noms, la localisation des habitants dans leurs occupations. C'est
rappeler la vie des sociétés de fait, paroissiale, scolaire
ou administrative, ou constituées, la Lyre, le Patriote, le Stade,
le Cercle Saint-Roch. C'est essayer de faire apparaître l'âme
du village dans ses fêtes et ses cérémonies, les délassements
sur le bord de mer ou à la Madrague, à la forêt de
Baïnem ou au Plateau...
-----La longue rue principale, actuelles
rues Chanzy et Poincaré, groupe la plus grande partie des cafés,
des commerces, des personnalités. Elle conservera longtemps un
alignement de mûriers sur chaque trottoir, plus longtemps encore
un pavage très bosselé et les rails du petit train, au milieu
de la chaussée, redoutables pour les bicyclettes.
-----C'est là que se trouvaient les
deux cabinets médicaux, du Dr Le Rochais qui succéda au
Dr Bertin, et du Dr Clément. Plus tard s'installèrent les
Dr Sendra et Cherqui. Dans cette rue aussi, les deux pharmacies, Long
de Paquit et Richard, le notaire Maître Chatnpval puis Maître
Cuq...
-----La poste, à l'angle de la rue
Carnot et les banques (sauf le Crédit Lyonnais, rue Victor Hugo),
les deux cinémas, Comedia et Splendid, complétaient la rue.
-----Seule, la gendarmerie était éloignée
du centre.
-----Complétant ce cour du village,
le Monument aux Morts édifié après la grande guerre
fut l'oeuvre d'Émile Gaudissart, architecte et peintre né
à Alger. Chaque année, pour l'anniveraire de l'armistice
de 1918 comme pour la Toussaint et tous les évènements nationaux,
le Monument sera le lieu de rendez-vous privilégié de toute
une population recueillie, fidèle à son passé, consciente
du sentiment national qui l'anime.
-----II ne faut pas oublier le marché
construit après 1900 sur l'emplacement du lavoir communal où,
face à l'abreuvoir, les lavandières venaient taire leur
lessive : aux dires des anciens, c'était le lieu des "cancans"
et des "crépages de chignon".
-----Au centre de cet ensemble, la place,
avec son beau kiosque à l'élégant dôme de béton
soutenu par huit colonnes, est entouré d'une pergola en maçonnerie
blanche et bordée de palmiers.
-----Fréquentée toute l'année
par les enfants, terrain de foot et piste pour vélos, la place
trouve sa pleine justification pour les fêtes de village, renommées
dans tout le Sahel.
-----Le 14 juillet inaugure les festivités
: mais la grande fête se tient le 15 août, pendant plusieurs
jours avec une importante fête foraine.
-----La Patriote (Société de
Gymnastique avec, sa propre clique musicale) défile clique en tête
dans la rue principale, suivie des gymnastes en tenue, dans un ordre impeccable
qui, dans l'après-midi, font une démonstration sur place,
le clou étant la pyramide, au sommet de laquelle Joseph Delteil
maintient le petit François Caldamone.
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le
clou étant la pyramide, au sommet de laquelle Joseph Delteil
maintient le petit François Caldamone.
envoi
de José Caldamone - 22-05-2005
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"le petit François Caldamone." aux barres parallèles,
lors d'une démonstration à Zéralda.
envoi de José Caldamone - 22-05-2005
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-----Puis la Lyre (société
musicale la plus ancienne puisque créée en 1888) dirigée
pat M. Adomo va animer la sauterie gratuite de l'après-midi, prélude
aux grandes festivités du soir.
-----La nuit tombe sur la place décorée
d'une multitude de guirlandes, drapeaux et ampoules multicolores. Toute
la population y converge, jeunes et vieux au milieu de la fête foraine
et les senteurs de beignets italiens et rte nougat.
-----Dès que la Lyre, installée
sur le kiosque, ouvre le bal, c'est la joie de tout un village dansant
en rond, tandis que les vieux, demeurés sur les chaises autour
de la piste, la tête pleine des souvenirs, revivent leur jeunesse.
-----Au début de septembre, succédant
à la grande fête du 15 août, c'est la traditionnelle
"Fête des vendanges" ou "Fête du Centre"
car située sur la grande Place Marguerite, en plein centre du village,
près du bord de mer. Le reste du temps, la place sert de boulodrome.
Le Stade Guyotvillois.
-----C'est en 1922
que l'abbé Salles crée le Cercle Saint-Roch pour occuper
les enfant du village. Ce Cercle a une triple activité culturelle
(cinéma, théâtre), religieuse e sportive, animé
par Jean Villanti.
-----La section football est créée
par M.Villanti en 1925, en 1926, la section basket. Il y aura aussi une
section cycliste, volley, natation et athlétisme.
-----En 1935, les sections sportives se dissolvent
pour donner naissance au Stade Guyotvillois La section de football du
S.G. en 3è division à son début, accèda en
première division de 1945-46. Elle a bénéficié
de l'apport des premiers joueurs de Guyotville qui ont fait leurs armes
au Gallia où le recruteur est Guyotvillois : Joseph Garrigos.
-----Le S.G. champion de première
division en 1947-48, brûla les étapes et accèda en
division d'honneur en 1948-49 battant le G.S Orléansville au cours
d'un match mémorable Couard était alors entraîneur
: il a été précédé dans sa tâche
par Charles Vidal, Pierre Izzo et Dominique Zattara ; il sera suivi de
Tempowski, puis Vitiello. Un jeune footballeur, Robert Buigues, pupille
au S.G. en 1962, fera une brillante carrière professionnelle.
-----Après des semaines d'angoisse,
nous avons perdu ce paradis, notre patrimoine et nos racines, le dernier
jour de juin 1962. Errant en métropole, nous avons réalisé
au bout de quelques semaines seulement l'étendue de ce désastre,
son caractère irrémédiable.
Un peuple heureux n'a pas d'histoire ; nous en avons hélas maintenant
une.
-----Mais personne ne peut nous voler notre
âme et nos souvenirs. Courageux et digne dans l'épreuve,
fidèle à son passé, Guyotville, assoiffé de
retrouvailles, se prépare à celles qui ne finiront pas.
Docteur Georges Pélissier
-----Une
amicale existe éditant une nouvelle brochure
. Son adresse : Amicale des Guyotvillois chez Dr Pélissier
5 Rés le Club Saint-Tronc
13010 Marseille.
Tél : 04.91.26.38.18
Monographie éditée en 1980 par le Dr G. Pélissier
pour l'Amicale des Guyotvillois.
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