Mission des Chotts du Sahara de Constantine
par Pierre Richez

extraits du numéro 133, mars 2011 , de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"

La mission des Chotts est organisée en novembre 1874 par le ministère de la Guerre et le Gouvernement général de l'Algérie.

Son objet principal est de connaître les cotes des Chotts du Sud constantinois dans la perspective de créer une mer intérieure en les remplissant par l'eau de la Méditerranée prise dans le golfe de Gabès. Celle-ci serait amenée par un canal traversant les chotts tunisiens et le seuil qui semble les séparer des chotts algériens. En connaissant les cotes de ceux-ci, on pourra alors déterminer l'extension du futur bassin et sa profondeur. Les dimensions approximatives de celui-ci seraient de 120 km (E-0) sur 90 km (N-S) et concernent les chotts Melrir (le plus étendu), Mouïa Tafelat, Bou Ksiba, Asloudj et quelques autres plus modestes (cf. carte)


mise sur site : avril 2015

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Mission des Chotts du Sahara de Constantine
par Pierre Richez


La mission des Chotts est organisée en novembre 1874 par le ministère de la Guerre et le Gouvernement général de l'Algérie.
Son objet principal est de connaître les cotes des Chotts du Sud constantinois dans la perspective de créer une mer intérieure en les remplissant par l'eau de la Méditerranée prise dans le golfe de Gabès. Celle-ci serait amenée par un canal traversant les chotts tunisiens et le seuil qui semble les séparer des chotts algériens. En connaissant les cotes de ceux-ci, on pourra alors déterminer l'extension du futur bassin et sa profondeur. Les dimensions approximatives de celui-ci seraient de 120 km (E-0) sur 90 km (N-S) et concernent les chotts Melrir (le plus étendu), Mouïa Tafelat, Bou Ksiba, Asloudj et quelques autres plus modestes (cf. carte).

carte générale
carte générale

Le nivellement partira du signal géodésique de Chegga qui s'élève sur le bord occidental du chott Melrir. Situé à 60 km au sud-est de Biskra, ce signal est à la cote + 24 du nivellement général de l'Algérie.

Le chef de mission est le capitaine d'état-major E. Roudaire, assisté de deux capitaines et un lieutenant d'EM, un médecin-major, un délégué de la Société de géographie de Paris, un délégué du ministère des Travaux Publics, trente hommes du bataillon d'Afrique sous les ordres d'un capitaine, vingt soldats du Train et quelques spahis.

Outre le matériel de campement et le ravitaillement, la mission dispose des instruments topographiques nécessaires : lunettes, niveaux, mires, théodolites, sextants, chronomètres, baromètres, ainsi que différents instruments permettant d'élargir le champ des investigations vers la
climatologie, la géologie et l'hydrologie.

A - L'expédition

Pour suivre le déroulement de cette expédition et ses résultats, nous nous reporterons, en l'abrégeant, à la communication faite le 7 juillet 1875 à la Société de géographie de Paris par le capitaine Roudaire, chef de la mission, qui est essentiellement consacrée à la reconnaissance du niveau des chotts.

Venant de Biskra le 2 décembre 1874, la mission arrive le surlendemain au puits de Chegga. Après nivellement préparatoire, essais des instruments et instruction des porte-mires, les opérations définitives débutent le 7 décembre.

La mission se dirige directement vers le nord-est, traversant une zone basse, marécageuse appelée Farfaria. Le nivellement se fait par portées de 120 à 150 m mesurées à la stadia ou chaînées lorsque cela est possible. Deux officiers-opérateurs font chacun deux lectures sur la même mire et les inscrivent sur des registres séparés. Les cotes sont données par la moyenne des quatre lectures. Le cheminement est levé à la boussole par un autre officier-opérateur.

Le premier campement se situe à Djenien (cote -22) où coulent de nombreuses sources entourées de roseaux de grande taille. Le nivellement se dirige vers Mehaimel, puis El Feidh (-2) d'où des relevés partiels permettent de fixer le point de passage de la courbe zéro.

Le 30 décembre la mission arrive au puits de Baadja (-24). Un nivellement partiel dans le chott Sellem montre que celui-ci a une très légère pente vers le sud-ouest (2 m sur une distance de 12 km). Au-delà de Baadja, le signal de Chegga ainsi que celui de Tahir Rassou plus au nord n'étant plus visibles, il faut renoncer aux observations géodésiques et recourir aux observations astronomiques par emploi de théodolites.

Chotts du sahara de Constantine
Chotts du sahara de Constantine

Le campement est installé à Bir Smea le 6 janvier 1875 alors que le nivellement après avoir traversé un oued sec (cote-18) constate un relèvement sensible puisque 12 km avant Bir Smea, la courbe zéro est atteinte. La mission se dirige en conséquence vers le sud-est et arrive à Bir El Achana le 16 janvier après avoir rencontré quatre fois la courbe zéro. Les opérations se poursuivent dans le chott Mouïa Tafelat (- 9), puis Bir Zeninim (+ 12) est atteint le 18 janvier. Une dépression existe entre chott Tafelat et chott Rharsa à la frontière tunisienne mais le chef de mission veut s'assurer qu'une dépression plus marquée n'existe pas plus au sud. Le nivellement partant du chott Asloudj (0) se dirige jusqu'à Bir El Araf (+33) le 18 février et constate un relèvement progressif. Il n'y a donc pas de dépression méridionale mais pour confirmer ce fait, les travaux se poursuivent jusqu'à El Oued (+ 81) à travers les oasis du Souf.

Conclusion: il faut remonter vers le nord pour étudier avec soin la dépression du chott Asloudj. Mais comme il faut achever le périple des chotts, un détachement est chargé de poursuivre le nivellement côté sud jusqu'à l'oued Rhir et remonter ensuite au puits de Chegga point de départ de la mission. Le gros de celle-ci remonte jusqu'à Zeninim (+12) le 7 mars. Reprise en détail du nivellement du chott Asloudj, puis réalisation d'un relevé jusqu'à l'extrémité ouest du chott Rharsa (-15) permettant ainsi d'obtenir un profil en long du seuil séparant les deux chotts.

Les opérations se poursuivent vers le nord jusqu'aux ruines de Besseriani (+ 181) près de Negrine où campe la mission le 23 mars. Celle-ci en repart le 29 mars pour regagner directement Chegga en passant par Zeribet El Oued et Aïn Naga, des inondations ayant rendu impraticable la zone des Farfaria. Arrivée à Chegga le 10 avril, le nivellement reprend vers le sud à la rencontre du détachement arrivant par l'oued Rhir. La rencontre a lieu le 12 avril 1875 à Mguebra. Les opérations sont terminées.

B - Conditions de travail

Du 7 décembre 1874 au 12 avril 1875 une ligne développée de 650 km est nivelée par portées de 120 à 150 m. La modicité du budget accordé à la mission ne lui permet pas d'avoir un équipage chargé de l'approvisionner en eau douce. Aussi le campement est installé près de puits à l'eau souvent saumâtre et se déplace au strict minimum pour économiser les frais de transport. Le lieu de travail est souvent loin de la base et les opérateurs font 15 à 20 km le matin, et autant le soir, ce qui représente un très gros effort physique. Cette obligation de ne pas s'éloigner d'un puits dérange le programme initial qui souhaitait se tenir le plus près possible du niveau zéro. C'est elle, en particulier, qui oblige le détachement sud à renoncer au chemin longeant le littoral sud du chott Melrir pour passer par les puits El Foulea et Bir Touil, ce qui contraint les hommes à des trajets épuisants pour aller rechercher le niveau zéro.

C - Observations

C-1 - La différence entre les chiffres relevés par la mission au nord et le détachement du sud lors de leur rencontre à Mguebra est de 74 cm.
Il représente la somme algébrique des erreurs commises dans le nivellement. Cet écart est le résultat d'erreurs qui se produisent toujours dans le même sens. Le tassement du sable sous la mire pendant l'intervalle entre le moment où elle est visée comme mire d'avant, puis comme mire d'arrière est sans doute la principale cause des erreurs. Aussi l'erreur totale est-elle répartie sur l'altitude de chaque point, proportionnellement au nombre de portées faites avant d'y arriver.

C-2 - Maintenant la superficie du bassin algérien peut être estimée à 6 000 km2, ayant 120 km dans sa plus grande longueur ouest-est et 90 km dans sa plus grande largeur nord-sud. La superficie du bassin tunisien serait de l'ordre de 10 000 km2 et la longueur réunie des deux bassins est d'environ 400 km.

La profondeur du bassin algérien varie de 20 à 27 m dans sa partie centrale. Son bord occidental limité par des mouvements de terrain accentués pourrait permettre l'approche de navires à fort tirant d'eau.

Le seuil qui sépare les deux bassins inondables est occupé par le chott Asloudj dont le lit est à une altitude de + 3,20, encadré par deux cordons dunaires à + 7 m. Ce seuil au très faible relief est composé de sables et d'alluvions. Il serait facilement terrassé par une tranchée raccordant les chotts Rharsa et Melrir.

C-3 - Certains craignent que la création d'une mer intérieure salée donne lieu à des infiltrations dans les puits qui irriguent les oasis du Souf, ou alimentent les terres du parcours. La mission s'intéresse à ce problème et note que tous les puits de la région exploitent l'eau d'une nappe plus élevée que le niveau de la mer. De même les puits artésiens de l'oued Rhir ne sont pas concernés, traversant plusieurs couches d'argile imperméable avant d'atteindre la couche aquifère. Les craintes exprimées sont donc sans objet.

D - Résultats

La mission des Chotts montre la possibilité de créer une mer intérieure dans le Sud constantinois. Sa réalisation en territoire algérien ne pose aucune difficulté sérieuse d'exécution. Il faudrait cependant déterminer s'il en serait de même en Tunisie et étudier l'isthme de Gabès sur toute son étendue pour trouver le passage le plus favorable.

Profil en long.
Profil en long.

Un nivellement régulier des chotts tunisiens répondrait à cette question et aurait l'avantage de vérifier les opérations faites dans le bassin du chott Melrir puisqu'il partirait du niveau de la mer à Gabès. En effet le nivellement géodésique est d'une manière générale, moins précis que le nivellement géométrique et les résultats obtenus en France par les deux méthodes montrent que les altitudes géodésiques sont généralement trop fortes. Si celles utilisées en Algérie par la mission des Chotts étaient dans le même cas, il suffirait alors, dans l'état actuel d'une différence d'un mètre pour que les deux bassins fussent en communication à marée haute.

Un officier cherche un repère, in L'Algérie des souvenirs, Frédéric Musso,
Un officier cherche un repère, in L'Algérie des souvenirs, Frédéric Musso,
éd. La Table Ronde.

Avant de terminer sa communication, le capitaine Roudaire, chef de la mission, rend un témoignage admiratif à son équipe: officiers, soldats, collaborateurs qui ont supporté avec énergie, intelligence et dévouement les péripéties de ce difficile travail, finalement mené à bien sans incident particulier.

Réflexion personnelle

S'il suffit d'une erreur d'un mètre pour envisager une communication entre les deux bassins algérien et tunisien lors d'une marée haute, hypothèse émise en 1875, qu'en sera-t-il au milieu du xxie siècle ? Avec le relèvement général du niveau des mers annoncé pour les prochaines décennies, la Méditerranée se chargera peut-être elle-même d'établir cette communication dont on parlait déjà au me siècle.

Alors de nouvelles plages ensoleillées s'offriront aux vacanciers et aux promoteurs, tandis qu'un peu plus loin, des pétroliers rempliront leurs cuves... s'il reste encore des hydrocarbures à exploiter!