Francis Garnier
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DES ANNEES DE
JOIE... A PROFUSION ! Bien que le village ait été baptisé,
lors de sa création, en 1916, 'Francis Garnier'', nous avions gardé
l'habitude, en famille, de dire : "Beni Haoua," - les fils d'Eve
- nom du Douar près duquel devait être construit le village
lors de l'arrivée des premiers pionniers, dont mes grand'parents...Et,
dès notre plus tendre enfance, c'était un bonheur infini
dès qu'il s'agissait d' aller "à Beni Haoua",
pour les vacances, les fêtes, ou autres évènements
importants.
Souvent, nous partions d'Alger en fin de journée, et, si nous dormions durant le trajet, les parents nous réveillaient toujours à l'approche des deux tunnels qui annonçaient la fin du voyage. C'est qu'il y avait là une tradition immuable, un rite incontournable créé un jour par mon grand'père, qui possédait un don fabuleux du rire, du chahut, de la farce, de la plaisanterie. Là, il s'agissait de "Faire le Tunnel". A l'entrée de chacun des deux tunnels, mon père klaxonnait sans interruption, tandis que nous criions à pleins poumons un "AH....." monocorde, assourdisssant, et ce, jusqu'à la sortie. Et la plupart du temps, "LE" porc-épic était là, au milieu de la route, soudain éclairé par les phares, étonné peut-être, mais peu effarouché, et gagnant tranquillement le bas-côté afin d'éviter ces fous bruyants venus inopinément troubler sa promenade nocturne... Evoquer ces années d'enfance et d'adolescence vécues à Beni Haoua, c'est dérouler le film d'une période de vie de grand bonheur, mais aussi traduire la trame de notre être profond marqué en nous à jamais par notre pays natal. Reviennent, en premier plan, les paysages et les couleurs
d'une côte merveilleuse, ceux des deux oueds qui délimitaient
le lieu, la montagne, Imma Binett, le Pain de Sucre et la Baie de l'Ancre...
Et, avec ces images, reviennent également les senteurs, les fragrances,
et les odeurs de toutes sortes. Celle de l'origan sauvage qui bordait
le chemin du jardin, celle de la feuille de figuier que l'on aimait écraser
au creux de nos mains, celle des jujubiers et des acacias en fleurs à
la sortie du village, ou l'odeur, moins poétique mais si réaliste,
des crottins d'ânes et de chevaux, les jours de marché... C'était l'espace, infini, sans limites...
A ma naissance, mon grand-père avait planté,
selon la coutume, un palmier, tout en bas du jardin, à gauche,
près des bananiers, en allant au " Vieux Jardin ". C'était
"mon" palmier. En témoigne une photo prise lors de nos
15 ans réciproques.... Portant un immense chapeau de paille pour se protéger du soleil, vêtue des longues jupes de l'époque, ma grand'mère, forte d'une science horticole certaine, veillait sur son jardin avec un soin méticuleux. Et tout particulièrement sur sa très chère roseraie aux innombrables espèces. C'était sa passion... Roses de toutes couleurs, majestueuses, éclatantes, superbes ... Et dans les périodes où elle était à Alger, elle se faisait livrer chaque jour un immense bouquet, cueilli du matin, arrivé en ville le soir...On imagine sans peine le bonheur en plénitude de cette femme, ornant son appartement de ses propres fleurs...
Et ces casse-croûtes, dans la cour toute ensoleillée,
tôt le matin, d'oursins et de sardines... C'était autour
de 9 h : tous, les enfants comme les grands, étions levés
depuis 6 h, ayant déjà largement profité d'un beau
début de matinée, bien rempli de mille tâches pour
chacun, et, souvent, pour nous, de promenades en mer, ou au jardin, ou
à la montagne ... Dans la grande volière ronde, située
près de la tonnelle, roucoulaient les tourterelles, que côtoyaient
les perruches aux couleurs vert-émeraude... En face de la maison, l'écurie nous réservait
toutes sortes de surprises.
Lorsque j'étais petite fille, mon grand'père m'avait offert un adorable petit bourricot que j'avais appelé " TOTITE ". J'adorais ce TOTITE .. J'avais une belle selle en cuir rouge, des pompons, et des grelots...... Un jour TOTITE est mort, et personne n'osait me le dire... Et je me souviens de ce chagrin qui était proche du désespoir... Puis, adolescente, mon grand'père, sans doute pour
me faire oublier ce chagrin, m'avait confié une jument : je partais,
seule, dans les terres, remontant l'Oued Mentrach, après le pont
du Caïd, Imma Binett sur la colline, à ma droite, au milieu
des lauriers roses en fleurs... Je revenais par les figuiers...L'insécurité
n'était pas encore de mise, mais cela n'a pas duré longtemps,
hélas, et, un jour, il y a eu l'interdiction de partir ainsi... Il y avait nos jeux d'enfants..., et, justement à l'Ecurie, ces parties dans les foins, que nous faisions en cachette, car nous n'avions pas tellement le droit d'y aller - à cause des piqûres d' insectes, et pour ne pas abîmer les foins - mais mon grand-père, notre meilleur avocat, nous défendait toujours lorsqu'arrivaient les représailles maternelles... Et la vieille Vermorel, à droite, sous les eucalyptus, à l'entrée du chemin qui descendait au jardin ! Nous y jouions très souvent, , c'était un lieu de prédilection... Mon grand-père avait décidé qu'elle devait y mourir là, de sa belle mort... Heureuse époque où il n'y avait pas de "casse" ni de décharge"... Que de voyages imaginaires, que d'heures à y jouer sans perdre haleine ... C'était l'époque où les plus beaux jouets étaient les noyaux d'abricots très prisés par les garçons, et où nous, les petites filles, nous jouions à la marchande avec, pour trésors, les cosses des eucalyptus, et les caroubes, que nous sucions en nous régalant La monnaie était représentée par des petits cailloux Nous nous installions dans le petit bois d'eucalyptus, non loin de la dite Vermorel. Notre voisine, Madame Camp, faisait sécher ses pâtes de coings au soleil sur le muret de sa maison... Quelle tentation, lorsque nous passions devant ! Nous allions gentiment lui dire bonjour - politesse intéressée - et elle nous en donnait, bien sûr. Je garde, aussi, un souvenir très précis
de l'épidémie de typhus. C'était en 1942. Les médecins
de colonisation avaient du mal à persuader les populations de la
nécessité absolue de la vaccination. Mon grand'père
parvint tout de même, dans ce but, à rassembler les gens
des douars environnants. Je revois les longues files des indigènes
attendant leur tour, sous les eucalyptus qui étaient en face de
l'entrée de la ferme - où, plus tard, a été
construite l'usine Karmoucette... Et je me souviens du silence peureux
qui régnait dans l'atmosphère. Le village n'a été électrifié qu'en 1954. Auparavant, nous étions les seuls à avoir l'électricité . . . Chaque soir à la nuit tombante, Khada allait remettre en route le groupe électrogène créé par mon grand-père... J'entends encore les teuf-teufs hésitants du moteur, au démarrage, et, un peu inquiets, nous attendions que celui-ci ait pris son rythme normal, et, alors, nous étions rassurés... Mais il y avait des pannes...plus ou moins longues, donc, toujours, les bougies à portée de la main... ou les lampes à pétrole... Je détestais cette dernière odeur... Mais le moteur redémarrait assez vite toutefois, et le rythme des soirées se poursuivait, paisible. C'est grâce à cette installation que des spectacles divers purent être donnés régulièrement dans la cave de la Ferme, tout d'abord, puis, lorsqu'il fut construit, au Foyer Rural. Et je revois tous les villageois, le soir, traverser la rue principale du village, leur siège sous le bras, pour venir partager ces divertissements. Scènes hautes en couleurs dans la "tchatche" et le folklore local... Durant ces vacances, nous vivions au rythme de la ferme, dans des contacts avec un monde rural que les gens des villes ignoraient. Il y avait particulièrement les temps forts des vendanges, et aussi la cueillette des figues. Après la construction de l'usine Karmoucette, mon grand'père avait embauché toute notre bande de jeunes en vacances, pour y travailler, à la chaîne, avec les ouvriers. Nous avions même une petite rémunération : j'ai eu là ma première "paye", reçue avec quelle fierté !!! Et, bien sûr, par dessus tout, omniprésente, intégrante partie de notre être, de notre quotidien, il y avait LA MER ! La mer et ses plaisirs, dont il est question ailleurs, au chapitre "La mer, la pêche, les plaisirs de l'eau". (voir ce chapitre)
Le " Petit-Fils", le "pointu" de mon
grand'père, était pour moi un merveilleux compagnon, un
refuge, un frère jumeau. Que de découvertes par lui, grâce
à Popaul notre pêcheur, qui m'emmenait souvent poser et relever
les filets. J'attendais toujours, dans une grande impatience , la remonte
du tramail avec les rougets bien frétillants, mais prisonniers.
... Promenades le long de la côte, petites anses secrètes,
bains en plein large, extraordinaires parties de plaisir... "Nous cherchons désespérément où nous irons retrouver comme un reflet des paysages d'Afrique qui ont bercé les premiers émerveillements de notre enfance". Geneviève Bortolotti-Troncy |