-Fort de l'Eau
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UNE PRINCIPAUTÉ MAHONAISE AUX PORTES D'ALGER. Fernand LLURENS, Extrait de la Dépêche Quotidienne (Samedi 23 janvier 1960) -----Georges Bousquet
prétend qu'au lieu de débarquer "comme tout le monde"
à Sidi-Ferruch. le 14 juin 1830, les Mahonais ont débarqué
à Fort-de-l'Eau en l'an de grâce 1845. -----Le Baron de Vialar, qui ne voyageait pas en "caravelle", ayant entrepris un jour de se rendre d'Alger à Paris, fut contrait par le mauvais temps de faire escale à Mahon, dans l'île de Minorque. La France en était alors aux premiers essais de mise en valeur du littoral algérois et de la Mitidja, et le général Clauzel avait noté qu'Alger manquait de ces denrées précieuses que l'on appelle aujourd'hui les primeurs et que l'on appelait alors plus simplement les légumes. -----Au cours de son escale forcée aux Baléares, le Baron de Vialar fut, dit-on, frappé par les rudes vertus paysannes de Mahonais et par leur habileté à arracher à un sol manifestement pauvre, de riches récoltes de légumes. Il leur parla de l'Afrique, facilita le voyage et l'installation des audacieux tentés par l'aventure qui, moyennant deux piastres pour la traversée, reçurent une part des terres en friche qui bordaient la mer à l'est d'Alger, autour d'un fort turc, que les Mahonais, peu soucieux de perpétuer le souvenir du Sultan de Constantinople, baptisèrent Fort-de-l'Eau. -----Ainsi naquit sous le signe de la tomate, du poivron, de la carotte et de l'oignon, la capitale de la "Principauté mahonaise" d'Alger. -----Elle eut tout de suite
fort bonne réputation. Si Douéra, par exemple, passe pour
avoir eu une jeunesse tumultueuse, Fort-de-l'Eau fut "l'enfant sage"
de la colonisation, et M. le -----Quelques mauvaises langues prétendent que depuis, les temps ont changé. Mais ces mauvaises langues ne sont pas de Fort-de-l'Eau. Car, aujourd'hui, la frontière franco-mahonaise a subi l'assaut d'un peuple particulièrement agressif : les estivants. Il est vrai qu'elle a été un moment tentée de les appeler : M. Guerrouard avait fait construire un boulevard qui voulait être une nouvelle Promenade des Anglais, et un audacieux avait bâti un casino au bord du boulevard. Aujourd'hui, le casino est un PC. militaire, et les "étrangers" ont été parqués dans un quartier où ils s'entassent comme d'étranges échantillons de toutes les professions nomades pilotes, hôtesse, techniciens. etc. -----La frontière est fermée. -----Et ceux qui se hasardent à la franchir s'exposent au feu roulant des quolibets qui partent de derrière les comptoirs, installés comme parapets de tranchée de chaque côté de la grand -rue.
-----Il y a un moyen radical de reconnaître 'les étrangers" des Mahonais. Les premiers portent un "vrai nom", les seconds ne répondent qu'à des sobriquets. -----Il ne pouvait pas en
être autrement. car tout le monde à Fort-de-l'Eau s'appelle
Ramon ou Llurens, ou Ségui, Pons, Mascaro, Garda, Mercadal, Marquez
ou Sintès. Il est donc devenu indispensable de mettre de l'ordre
dans cette confusion et l'imagination, l'espièglerie et la fantaisie
latine aidant, il s'est établi un nouvel état-civil entériné
par la coutume. -----Pour les cafés,
M. le Baron Guyot se félicitait qu'il y en eût peu, mais
aujourd'hui vous avez le choix. Il y a celui où il n'y a pas de
kémia parce que "ça fait dégoûtant"...
celui où il y a une barmaid du tonnerre... celui où il n'y
a pas de barmaid mais beaucoup de kémia bien propre dans des soucoupes
de couleur, etc.. .etc... Et, dans ces cafés, où l'on sacrifie
à midi et le soir au rite biquotidien de l'anisette ; les Mahonais
de grande race secouent entre eux "'le sac d'embrouilles" de
Fort-de-l'Eau. -----Ici, on aborde un sujet terriblement délicat, car Fort-de-l'Eau est partagé en deux clans, et chacun des deux clans affrontés se reconnaît en la personne de son maire". Ainsi, il ne sert à rien que l'un soit installé à la mairie et que l'autre n'y soit pas, Si VOUS demandez "après" M. le Maire, on vous rétorque : " Lequel " -----Cette histoire de maire, c'est le cauchemar, l'obsession de Fort-de-l'Eau, cité bénie sous le soleil, qui est secrètement fière d'avoir deux Peppone et deux Don Camillo, et qui, pour se livrer aux passions politiques qui l'embrasent serait capable d'oublier à la fois les primeurs et la charcuterie.., les tomates et les soubressades. -----Car Fort-de-l'Eau est
aussi la capitale de la charcuterie et. par voie de conséquence
à peine logique, celle des brochettes que les étrangers
dégustent l'été le long de la grand-rue. autour des
~~super-kanouns" qui ressemblent à des hauts-fourneaux. -----Courageux Mahonais
qui ont su transformer des terres hostiles couvertes de maquis épineux
en jardins soignés comme des bijoux et parfumés comme...
et qui, justement fiers de cet exploit, s'abandonnent aujourd'hui. aux
heures de détente, aux vertiges mêlés que dispensent
l'anisette, les brochettes... et... la politique. Fernand LLURENS
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