Fort-de-l'Eau... Un nom que peu de gens connaissent,
d'autant plus que depuis trente ans, il a cédé la place
à Bord el Kiffan... C'est là, pourtant, qu'aboutit le principal
câble sous marin reliant la France à l'Algérie.
-------En
1962, à la veille de l'indépendance de ce territoire qui
fut français pendant cent trente deux ans, près de quatorze
mille personnes vivaient à Fort de l'Eau, dont environ sept mille
Européens. Dans leur quasi totalité, ceux-ci ont dû
tout quitter pour être "rapatriés" en France métropolitaine.
-------C'est
à ces Aquafortains qu'est dédié cet article : à
tous ceux, hommes, femmes et enfants qui disaient, en parlant de Fort
de l'Eau, "mon village", qu'ils soient du Lido ou de Verte Rive,
de la Station ou du Retour de la Chasse, ou (comme moi) du "centre
ville".
-------Depuis
bien des années, je souhaite écrire un livre sur Fort de
l'Eau. Mais je ne voulais pas qu'il se réduise à une étude
historique et géographique, bien que le métier que j'exerce
depuis un quart de siècle m'y porte naturellement.
-------C'est
pourquoi j'ai décidé, en écrivant ces pages que vous
avez entre les mains, de "poser la première pierre" d'un
projet plus ambitieux : permettre à ceux d'entre vous, anciens
Aquafortains, qui n'ont jamais osé coucher par écrit certains
souvenirs, de raviver leurs mémoires et de faire passer leurs émotions.
Seul, en famille ou entre amis, rédigez donc quelques lignes (entre
une demi page et quelques pages) et racontez votre meilleur souvenir de
Fort de l'Eau, quel qu'il soit : un bal du 15 août, une farce avec
des copains, la description d'un personnage typique
L'essentiel, c'est qu'en vous lisant, on puisse dire sans amertume - ce
qui n'exclut pas la nostalgie -: "Ah oui, il faisait bon vivre à
Fort de l'Eau".
Un peu de géographie humaine
-------Fort
de l'Eau était situé sur la baie d'Alger, à 17 kilomètres
à l'est/sud-est de la capitale, entre l'embouchure de l'oued Harrach
et le cap Matifou.
-------La
commune, après diverses modifications, couvrait 25 km2, soit un
peu moins du quart de Paris intra muros. Sa densité, au début
des années 1960, était donc d'environ 560 habitants/km2.
-------Elle
comportait, dans sa partie nord, une façade de plusieurs kilomètres
en bordure de la mer Méditerranée. A peu près au
milieu de cette zone littorale se trouvait un vieux fort turc : situé
sur un terre-plein qui dominait d'une quinzaine de mètres, vers
l'ouest, la plage de la Sirène, délimité par un fossé
d'enceinte, il jouxtait un puits avec abreuvoir. On comprend ainsi le
nom donné à la commune.
-------Du
fort, si l'on regardait vers l'intérieur des terres, on avait pu,
pendant des décennies, constater qu'il y avait tout autour quelques
dizaines d'hectares ensemencés puis, jusqu'à l'horizon,
des broussailles, des lentisques et quelques oliviers sauvages. Mais à
l'époque où j'ai vécu à Fort de l'Eau (entre
1945 et 1962), l'urbanisation avait bouleversé les paysages naturels.
Le village moderne, aux grandes rues bien tracées et orthogonales,
présentait des caractères communs aux autres centres de
colonisation algériens. La Station balnéaire, au-delà
du Casino, était séparée du rivage par un boulevard
front de mer que l'on se plaisait à arpenter le dimanche après-midi.
-------Plus
loin, on arrivait au Lido, où se trouvait un camp militaire. Quelques
centaines de mètres à l'intérieur des terres, on
trouvait le Stade Municipal qui retentissait aux exploits de l'USFE, l'équipe
de football de l'Union Sportive de Fort de l'Eau, au maillot rouge et
vert.
-------Quand
on quittait le village vers le nord-est, on rejoignait le quartier de
la Verte Rive, près duquel se trouvait le cimetière. Celui-ci,
où reposaient en paix plusieurs générations de nos
ancêtres (trois ou quatre pour certaines familles), a hélas
été, à plusieurs reprises, profané depuis
l'indépendance, et ce n'est pas sans
émotion que nous avons pu voir des photos de ces intolérables
saccages dans certaines revues comme "Pieds-Noirs Magazine".
-------Fort
del'Eau connaissait un climat méditerranéen, doux et agréable.
La température moyenne annuelle était du 17°5, celle
du mois le plus chaud (août) 25°, et celle du mois le plus froid
janvier) 1 1 °.
-------Mais
je me souviens personnellement de certaines journées torrides,
en été, au cours desquelles le thermomètre dépassait
40°. Le sirocco, vent très chaud et sec venu du désert,
soufflait parfois, rarement plus de quelques heures, exceptionnellement
un jour entier. II faisait si bon, alors, s'étaler de tout son
long sur le carrelage, en short et chemisette, les volets presque clos
: et l'on se laissait aller à une douce torpeur.
Par contre, aussi loin que je puisse fouiller dans ma mémoire,
je ne me rappelle pas avoir vu de la neige à Fort de l'Eau, si
ce n'est quelques minuscules flocons aussitôt volatilisés
dès qu'ils touchaient terre : ce devait être au cours de
l'hiver 1956. Mais de plus anciens que moi ont peut-être gardé
le souvenir d'un blanc manteau couvrant nos rues et nos toits en terrasses...
-------Les
précipitations s'élevaient à 650 mm/an en moyenne,
avec une assez grande irrégularité interannuelle. En été,
le ciel restait souvent bleu pendant plusieurs semaines d'affilée
: pas un seul nuage pour empêcher le soleil de briller. Les stations
météorologiques de Maison Carrée et du Cap Malifou
relevaient rarement plus de I à 5 mm au cours des mois de juillet
et d'août. Décembre était le mois le plus arrosé,
avec un peu plus de 100 mm, répartis sur une douzaine de jours.
En règle générale, le nombre de jours de pluie n'excédait
pas quatre-ving-dix : autrement dit, il faisait à Fort de l'Eau
un temps superbe, doux et ensoleillé, pendant les trois quarts
de l'année.
-------Les
orages violents n'étaient pas rares, surtout en Mai et en Septembre.
Ils étaient parfois accompagnés de chutes de grêle,
essentiellement le matin, mais celles-ci survenaient aussi en hiver, de
décembre à février.
-------Les
petites collines qui délimitaient Fort de l'Eau vers le sud ne
constituaient pas un écran montagneux suffisant pour empêcher
notre commune d'être très ventilée. Soufflant assez
régulièrement, le vent avait incité à la construction
d'éoliennes,
mais nécessitait aussi des brisevents découpant les champs
cultivables en petites cases protégées. Soufflant le plus
souvent du sud-ouest le matin, il tournait au nord en milieu de journée
pour s'atténuer ensuite et revenir au sud le lendemain matin :
phénomène bien connu de la brise de terre et de la brise
de mer, selon que la Méditerranée -jouant le rôle
d'une "volant thermique" - apparaissait plus chaude ou plus
froide que le continent africain.
-------II
n'est pas question ici de mener une élude géologique et
pédologique détaillée. Il suffit de rappeler que
la plaine côtière, d'Hussein Dey à la Réghaïa,
est une plage quaternaire récemment exondée. Des grès
durs de dunes anciennes dessinaient une mince ride séparant les
sables de la côte des limons argileux de la Mitidja : désagrégés
en sable par l'érosion, ils donnaient à Fort de l'Eau des
sols chauds, légers, renfermant d'abondantes nappes aquifères,
donc très propices à la culture des primeurs.
-------Contrairement
à d'autres communes du littoral algérois, Fort de l'Eau
se présentait comme une entité économique particulière
malgré l'urbanisation, et parallèlement à celle-ci,
la vie rurale n'avait pas perdu tous ses droits. Et nombreuses étaient
encore. dans les derniers temps de l'Algérie française,
les fermes et les exploitations maraîchères qui vivaient
en symbiose avec les citadins du village.
-------Fort
de l'Eau n'a été érigée, sous ce nom, en commune
de plein exercice, que le 2 juin 1881. En fait, sa création remonte
trente ans en arrière, lorsque fut créée, le 22 Août
1851, la Commune de la Rassauta, qui débordait alors sur les localités
voisines de Maison Carrée (= Harrach) et de Maison Blanche (=Dar
el Beïda).
-------La
population, qui n'était que de "cinquante feux" ? soit
environ deux cents habitants en 1852 augmenta rapidement sous le Second
Empire pour atteindre I 800 habitants en 1884, dont 963 Européens.
Ceux-ci restèrent plus nombreux que les Musulmans jusqu'en 1931,
date à laquelle la population atteignait 4 765 habitants. Au cours
des douze années suivantes, malgré la crise économique
et la guerre, on assista à un véritable boom démographique
: les Européens passèrent de 2 518 à 4 197 habitants
(augmentation des deux tiers), et les Musulmans de 2 247 à 6 529
(quasi triplement), soit, au total, 10 726 habitants en 1944. La progression
se poursuivit après la guerre, les Musulmans dépassant le
cap des 8 000 personnes et les Européens celui des 5 000. Mais
les deux communautés vivaient séparées.
-------La
plupart des Musulmans vivaient sur le territoire de la commune de Fort
de l'Eau généralement dans des gourbis et autres habitations
précaires situées sur le versant méridional de la
colline qui séparait le "village" européen de
l'arrière-pays.
-------I1
s'agissait souvent d'indigènes installés dans la région
depuis plusieurs générations, voire plusieurs siècles
: l'absence d'état civil à ces époques lointaines
ne permet pas d'être plus précis.
-------Mais
Fort de l'Eau connut aussi une assez forte immigration arabe en certaines
périodes (entre 1940 et 1949 par exemple). Des Kabyles vinrent
également s'établir, ainsi que des Mosabites qui, généralement,
s'installaient comme commerçants dans le village où nous
les désignions sous le nom de "Moutchous".
-------Quant
à la population européenne, à côté de
Français d'origine métropolitaine et de quelques familles
juives, la plupart de ses ressortissants étaient originaires des
îles Baléares : tant de Majorque et d'Ibiza que de Minorque,
ce qui ne les empêchait pas d'être souvent regroupés
sous l'appellation "Mahonnais".
-------Fort
de l'Eau fut même qualifié, dans un article paru vers le
milieu des années 1959, de "principauté mahonnaise
aux portes d'Alger".
Tout débute avec un Fort
-------Le
Fort de l'eau, qui contrôlait la baie d'Alger, contre toute attaque,
avait été conçu en 1556 par le pacha turc Mohammed
Kurdogli, et fut terminé en 1581 par un autre fonctionnaire Djfar
Pacha.
-------Dès
1832-33, le fort fut occupé par un détachement de cinquante
légionnaires, appartenant au bataillon de Maison Carrée,
afin d'assurer la défense de faucheurs et le transport de fourrage
par voie de mer de la plage de Fort de l'Eau à destination d'Alger.
-------En
1835, un territoire de plus de 3 000 hectares, connu sous la dénomination
de La Rassauta fut attribué au prince de Sviatopolk Rast de Mir
Mirsky, issu d'une vieille famille noble de Lituanie, qui avait été
chassé de son pays par la révolution polonaise. Obligé
d'emprunter plus de 130 000 francs aux maisons Sachet et fils d'Alger
et de Toulon, le prince de Mir dut rétrocéder sa concession
dès 1843. Plusieurs créanciers se présentèrent
alors. C'est un comte espagnol, Manuel de Azzonis Antes Melgazzo del Valle
San Juan, qui put, à son tour, acquérir le domaine. Pourtant,
dès le 19 septembre 1846, l'Administration fut amenée à
reprendre possession de la "ferme de la Rassauta", après
avoir partiellement indemnisé les créanciers.
-------Parallèlement
à ces essais infructueux de colonisation par grandes concessions
privées, l'Etat affecta en pleine propriété-à
l'initiative du général Bugeaud (dont la casquette fit,
en partie, la célébrité) -des terres plus ou moins
marécageuses à une tribu indigène, les Aribs. Ceux-ci
s'étaient révélés de fidèles et précieux
auxiliaires pour les troupes françaises. Mais le caractère
nomade des tribus empêcha la réalisation d'un centre indigène.
-------Dès
les premières années qui suivirent l'expédition française
de juillet 1830, de nombreux Espagnols s'expatrièrent vers l'Algérie
: ils constituèrent rapidement entre le quart et le tiers de la
population européenne installée dans les régions
d'Alger et d'Oran.
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-------Très
vite, une distinction fut opérée entre les "péninsulaires"
(originaires essentiellement des provinces de Valence, d'Alicante et de
Murcie) et les "Mahonnais" (c'est-à-dire les Minorquins).
Ceux-ci vivaient sur une petite île au passé brillant mais
au sol pauvre : aussi étaient-ils naturellement enclins à
émigrer. Plusieurs dizaines d'entre eux le firent spontanément
ce fut le cas de mon trisaïeul Michel Villa, grand-père paternel
de mon grand-père maternel, qui s'installa dans l'Algérois
dès 1832 et y eut son fils aîné (mon arrière-grand-père)
en 1836.
-------Mais
l'émigration mahonnaise vers l'Algérois fut essentiellement
l'oeuvre d'un homme : le baron Augustin de Vialar, dont Fort de l'Eau
conservait le souvenir (son buste trônait sur la place du village,
et l'une des principales artères du centre ville, parallèle
à la rue de France, portait son nom).
-------Le
baron de Vialar était un aristocrate français, légitimiste
c'est à dire partisan de la branche aînée des Bourbons,
celle qui, en la personne de Charles X, fut chassée du pouvoir
par la Révolution de 1830 ("Les trois Glorieuses"). Ayant
démissionné de son poste de procureur du roi à Epernay,
il débarqua à Alger en 1832 et y acquit, en trois ans, seul
ou avec son ami Max de Tonnac, des terres dans l'Algérois sur lesquelles
il se promettait de taire venir des gens de chez lui, de Gaillac dans
le Tarn. Membre influent de la Société Coloniale, il fut
dépêché par celle-ci à Paris en 1835 pour défendre
la colonisation libre. Au retour de ce voyage, des vents contraires l'obligèrent
à débarquer à Mahon, où il retrouva l'un de
ses amis, Don Costa, secrétaire à la police du gouverneur
de l'ile. Vialar et Costa organisèrent un véritable réseau
migratoire. En quelques années, plusieurs centaines de familles
mahonnaises débarquèrent à Alger et trouvèrent
rapidement du travail dans la ville et dans les propriétés
alentour. Le baron de Vialar en accueillit plusieurs, comme métayers,
sur son domaine de Kouba.
-------Ces
mahonnais bénéficièrent rapidement d'une réputation
d'honnêteté, de sobriété et de travail, qui
les fit apprécier par les autorités coloniales françaises.
Leur succès attira de nombreux compatriotes.
-------A la
fin de 1845, plusieurs Mahonnais, parcourant la région de La Rassauta,
furent frappés par les possibilités de ces terres. Ils demandèrent,
par l'intermédiaire du maire d'Hussein Dey, la concession de parcelles
qu'ils s'engageaient à mettre en culture dans un délai de
trois ans, à condition que l'on octroie à chaque famille
800 Francs et la possibilité de construire une petite maison. Le
baron de Vialar intervint à nouveau ; il écrivit le ler
Mars 1847 au ministre de la Guerre en attirant son attention sur l'avantage
d'installer ces familles mahonnaises sur la Rassauta
"...La population agricole des environs
d'Alger se compose principalement de Mahonnais. Ils ont quitté
en grand nombre leur île avec leurs femmes, leurs enfants et ont
peuplé et cultivé presque tout le massif d'Alger... Plus
acclimatés, plus sobres et plus habiles dans la petite culture,
les Mahonnais ont trouvé le moyen de vivre dans l'aisance sur les
propriétés des autres Européens et de leur payer
des fermages assez élevés... Environ cinquante chefs de
famille habitant depuis plusieurs années en Algérie, tous
cultivateurs acclimatés, tous fermiers gênés par le
prix très élevé des terres qui leur sont louées,
demandent une concession à l'Administration. Ils sollicitent d'être
placés aux mêmes conditions que les concessionnaires des
autres villages, au Fort de l'Eau, près de la Maison Carrée,
sur l'ancienne ferme de La Rassauta...
Ce serait la première fois, peut-être, qu'un village agricole
serait fondé en Algérie dans des conditions assurées
de succès...".
-------Et
le baron de Vialar termine son plaidoyer par une remarque quasi prophétique
: "Vous avez deux moyens, Monsieur le
Ministre, d'établir une population française en Algérie
: c'est d'y faire venir des Français ; c'est d'y rendre Français
des Européens qui y sont déjà ou y arriveraient.
Ce dernier moyen ne réussira qu'en traitant ceux-ci avec la même
bienveillance que les Français de naissance et en ne distinguant
les hommes que par leur degré d'utilité et de moralité".
-------Et
il terminait : "Sous ce point de vue
et sous celui du progrès agricole, la demande des Mahonnais est
une bonne fortune. Je la soumets avec confiance et respect à votre
sollicitude éclairée".
-------Le
ministre répondit favorablement à cette demande et, le 19
mars 1847, il donna au Gouverneur Général Bugeaud l'ordre
de concéder des terrains à ces hommes.
-------Mais
Bugeaud crut de son devoir de mettre en lumière certaines difficultés
qui ne manqueraient pas de surgir rapidement si l'on accordait à
des citoyens étrangers les mêmes avantages qu'à des
familles françaises. Aussi, la décision ministérielle
se résuma-t-elle finalement à ce dilemme : "Les
familles mahonnaises seront installées sans subvention, ou on leur
refusera la concession".
-------L'affaire
traîna plusieurs mois. Une commission d'enquête fut mise en
place. Puis la Révolution de février 1848 à Paris
entraîna la chute de la Monarchie de juillet et l'instauration de
la Seconde République. Celle-ci redéfinit la colonisation
en Algérie, préconisant la création de "villages
départementaux", dont les habitants étaient presque
tous originaires du même département métropolitain
: par exemple Vesoul-Benian, dont les colons venaient de la Haute-Saône.
Enfin, les années 1848-1850 furent pour l'Algérie une période
difficile, avec une crise financière et des épidémies
qui firent de nombreux morts.
-------Néanmoins,
la ténacité des Mahonnais fut récompensée.
En juin 1849, ils furent mis en possession de leurs lots. Chaque attributaire
reçut en moyenne un lot à bâtir de 6 ares, un lot
de jardin de 20 ares et 2 lots de culture respectivement de 2 et 6 hectares.
La concession se complétait de 45 hectares comme terrain communal
et pour le cimetière. Le 1 1 janvier 1850, Louis-Napoléon
Bonaparte, président de la République, et son ministre de
la Guerre, d'Hautpoul, signèrent le décret créant
le Centre de Fort de l'Eau, comprenant 50 feux et un territoire agricole
de 500 hectares. Le 22 Août 1851, le gouvernement érigea
La Rassauta en commune de plein exercice. Mais celle-ci avait un territoire
mal délimité ; elle fut donc, ultérieurement, amputée
de plusieurs centres : Maison Carrée, Maison Blanche, La Réghaïa.
Ce n'est que trente ans plus tard, le 2 juin 1881, qu'un décret
érigea Fort de l'Eau en commune de plein exercice.
Anecdoctes
-------Le
succès des maraîchers mahonnais à Fort à l'Eau
entraîna l'Administration à leur octroyer d'autres concessions
à Aîn Taya, La Réghaïa, Rouiba, Alma, Rivet...
près de trois cents au total.
-------La
bonne réputation dont jouissaient les Mahonnais dès les
premiers temps de leur installation ne se démentit pas. Les archives
nationales d'outre-mer précisent que "l'élément
espagnol qui entre pour plus de 30% dans la population européenne
de l'Algérie ne figure pas pour 5% dans les journées d'hôpitaux".
-------L'endogamie
- c'est à dire la propension à se marier entre eux - restait
très forte. Entre 1863 et 1870, sur douze mariages, un seul fut
mixte. Sur les 133 naissances recensées à la même
époque, le quart fut assuré par les Pons et les Sintès,
et un autre quart par les Alzina, les Mascaro, les Cardona, les Tuduri,
les Camps, les Mercadal. Je crois savoir que mon arrière-grand
père maternel, déjà évoqué, avait dix
frères et soeurs. Et comme il était fréquent, à
l'époque, d'appeler les filles Marie et les garçons Michel,
on en était réduit à marler de "Michel de tonton
Pierre" ou de "Michel de tonton Jean". Ou, plus communément
encore, d'affubler chacun d'un surnom plus ou moins apprécié.
Ainsi, mon grand-père paternel, mort en 1936 à l'âge
de 67 ans au cours d'une partie de cartes, et qui se prénommait
Antoine, avait pour sobriquer Tony Sires, pour évoquer, paraît-il,
sa compétence "majestueuse". Sa femme, ma grand-mère
paternelle, qui mourut presque centenaire en 1976, se prénommait
Magdeleine et était surnommée Nene Brou (prononcer "Nêne
Brow"), c'est à dire celle qui fait du bon brouet, du bon
potage. Mon grand-père maternel, Michel Villa, né le 13
février 1878, qui était mandataire aux Halles, était
Michel Boy, c'est à dire non pas le garçon mais la boule,
car il mesurait 1,66 mètre et était plutôt trapu.
quand à "mémé Villa", Rosalie Gener de
son nom de jeune fille, c'était une spécialiste de l'astiquage
de sa maison qui était toujours propre comme un sou neuf : d'où
son surnom de Zalie Lluente, Rosalie la brillante.
-------Les
traditions mahonnais semblent avoir perduré à Fort de l'Eau
pendant plusieurs générations. Dans les années 1920
encore, certains auteurs les distinguent de leurs compatriotes espagnols
d'origine péninsulaire par leur habitat ("maisonnettes
d'apparence et de réalité proprettes, passées chaque
année au lait de chaux"), par leurs habits ("on
remarque les Mahonnais dans la rue avec leurs chapeaux pointus ornés
de rubans de
velours et d'aiguillctes ou de pompons". Ils ne portent
jamais d'espadrilles mais de petits souliers"), par leur nourriture
(les mounas, les mantecaos et les ensaimadas), par leur code moral (endogamie,
conception de la famille, attachement quasi immodéré à
la terre, sens aigu de l'honnêteté- ("la parole d'un
Mahonnais vaut largement un écrit") - qui s'accompagne parfois
d'une certaine avarice...).
-------Surtout
célèbre par ses cultures maraîchères, Fort
de l'Eau compta aussi des plants de vigne : 75 hectares en 1885, 375 en
1902. Mais si l'on évoque, encore aujourd'hui, Fort de l'Eau, non
seulement auprès de ses anciens habitants, mais aussi devant des
personnes qui ne firent qu'y passer (par exemple certains métropolitains
qui y accomplirent tout ou partie de leur service militaire à l'époque
des "évènements" entre 1954 et 1962), tous parleront
avec nostalgie des brochettes et des merguez qu'ils venaient déguster
à la terrasse des différents cafés, en soirée
dans la semaine ou le dimanche après-midi en rentrant des plages
au nom de corsaires (La Perouse, Surcouf, Jean Bart), petites stations
ravissantes, installées dans des criques très déchiquetées,
pleines de jardins d'ombre et dont les fêtes chaque année,
drainaient tous les estivants du rivage, de la côte est à
la Côte ouest. A For de l'Eau, les grillades qui se mariaient si
bien avec le rosé bien frappé, se dégustaient avec
le pain mahonnais dont l'aspect et le goût sont dans toute les mémoires.
-------Fort
de l'Eau était à la charcuterie et aux brochettes (ah !
la charcuterie Caturla) ce que Montélimar est au nougat !
-------C'est
sur cette bonne odeur de viande grillée que je voudrais conclure
ces quelques pages, en espérant qu'elles auront donné envie
à tous les Aquafortains qui les auront lues de prendre à
leur tour la plume et de rédiger ne serait-ce que quelques lignes
pour raconter leur(s) meilleur(s) souvenir(s) de là-bas. Afin que
nous puissions publier, d'ici quelques mois, un véritable livre
sur Fort de l'Eau, notre village.
-------Car,
comme disait John Dos Passos, "Vous pouvez
arracher l'homme au pays, mais vous ne pouvez pas arracher le pays du
coeur de l'homme".
Jean-Jacques Tur, avec l'aide précieuse
de la Princesse Amilakvari (née Marguerite Maye) et Nadine Barbet
Notre adresse : Amicale Aquafortaine du Souvenir
c/o Gilbert Caturla
Clos St Michel
H72 Av. Napoléon Bonaparte
84800 Isle sur la Sorgue
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