La Place Massinissa
Dès la prise d'Alger, comme nous l'avons dit précédemment,
afin de dégager en leur zone intérieure les abords de la
Porte Bab-Azoun, on songea à ouvrir un espace auquel fut donné
le nom de Place Massinissa. Celle-ci, toute en longueur, et très
exiguë, s'étendait sur l'emplacement où s'élèvent
actuellement les immeubles formant la bordure Nord de la Place de la République,
entre le Cercle Militaire et l'entrée de la rue Bab-Azoun.
L'ingéniosité de l'Administration fit s'installer là
un nombre étonnant de services.
L' "Akhbar" du 26 juin 1845 nous renseigne, d'ailleurs, abondamment
à ce sujet :
"La Place Massinissa, dit-il, située entre les deux portes
Bab-Azoun, acquiert une importance qui fait ressortir son insuffisance
sous le rapport de l'étendue du terrain. En effet, dans cet espace
bien circonscrit se trouve l'Administration des fontaines, les magasins
des travaux civils, une caserne d'artillerie, un quartier de cavalerie,
un corps de garde, le logement du portier-consigne, un édifice
religieux consacré i. Sidi-Mansour, les boutiques des maréchaux-ferrants
indigènes, celles de fabricants maures de tabac à fumer
et surtout à priser, qui sont en possession de fournir les gens
du dehors.
"Non seulement les bâtiments qui entourent cette petite place
sont remplis plus que le local ne le comporte, mais le sol même
de la place est envahi par des industries qui s'exercent en plein vent."
"Devant le marabout de Sidi-Mansour, siègent les Kabyles des
Monts Ammal, et autres, qui viennent vendre à Alger le savon fabriqué
dans leurs montagnes."
"A côté et en face d'eux, sont groupés, en nombre
assez considérable, des cordonniers indigènes qui confectionnent
des borherous, sorte de sandales grossières, unique chaussure du
prolétaire arabe ou berbère."
"Ces petits métiers occupent si bien la voie publique, de
concert avec les chevaux, les mulets et les ânes qu'on y amène
incessamment pour faire renouveler leur ferrure, que la circulation est
très difficile. Le bruit y est en rapport avec la foule, et les
disputes y sont fréquentes, Arabes et Kabyles étant toujours
disposés à chicaner à propos de la plus petite somme,
et les gens d'Alger étant non moins disposés, de leur côté,
à injurier et même à frapper la pratique, pour peu
qu'elle se montre récalcitrante à l'endroit du paiement."
"Au-dessus de ces industries, entre le beau platane de Sidi-Mansour
et le marabout de ce saint personnage, sont d'immenses tuyaux en fonte
entassés les uns sur les autres, et sur lesquels s'échelonnent
les Kabyles sans travail, qui y font leurs repas, leur toilette.., et
quelques recherches de propreté..."
Après une vingtaine d'année d'existence, la petite place
Massinissa disparut, suivant de près dans le néant, les
portes et le rempart Bab-Azoun. Et comme il en fut pour tant d'autres
choses, son souvenir ne tarda pas à s'évanouir en l'esprit
de la population algéroise.
Le Tombeau de Sidi-Mansour
Ce tombeau, détruit en 1846, portait, sur la place
Massinissa, le N° 31.
Le saint de ce nom est mort, dit-on, en 1645. Ses restes furent transférés
au Marabout Sidi-Abd-er-Rahman, par les soins des autorités françaises
et avec le concours de l'armée.
Un détachement de zouaves escorta en effet, jusqu'au dit marabout,
le convoi que précédaient de nombreux étendards.
Nous donnerons ici la description que Bavoux fit, en 1841, de ce tombeau
( Ce tombeau, transformé en chapelle,
n'était autre que la boutique même qu'avait habitée
Sidi-Mansour.).
"Il est, dit-il, dans une petite chambre au rez-de-chaussée,
que l'on voit de la rue à travers les barreaux de fer qui garnissent
la fenêtre. C'est un petit monument funéraire comme tous
ceux de ce genre, avec deux pierres aux deux extrémités
taillées en forme de bonnet d'évêque. Des drapeaux
ou plutôt des morceaux d'étoffes s'élèvent
au-dessus, offrandes pieuses au célèbre pirate (
Erreur de Bavoux. Sidi-Mansour ne fut autre chose qu'un homme de prière.
A la suite d'une injuste condamnation, dit la légende, il aurait
subi le supplice de la corde, à la porte d'Azoun. Le soir de son
exécution, le crieur public ayant annoncé à l'heure
habituelle, la fermeture de la porte, Sidi Mansour que l'on croyait mort
dit soudain: "Il ne restera dehors que Mansour qui est pendu au rempart!"
Cette manifestation inattendue le fit tenir pour un saint.)."
"D'autres tombes existent dans les pièces voisines qui formaient
autrefois les dépendances d'une mosquée".
Le Platane de Sidi-Mansour
Ce platane dont il a été question, plus
haut, fut détruit, le 11 octobre 1853. Voici ce qu'en dit l'"Akhbar"
à cette époque :
"Ce géant, trois fois séculaire, avait vu passer quatre-vingt-quinze
pachas, plus de vingt-cinq gouverneurs généraux titulaires
ou intérimaires. Il avait assisté à d'éclatantes
victoires, à de grands revers, depuis l'expédition de Charles-Quint
jusqu'à celle de 1830. Il couvrait, de son ombre immense, le sanctuaire
de Sidi-Mansour, les marchands de savon noir du Mont Ammal, l'ancien poste
de la Porte Bab-Azoun et les fabricants de cothurnes kabyles. Son feuillage
s'était plus d'une fois ensanglanté lorsque la brise inclinait
ses branches sur les créneaux ornés de têtes fraîchement
coupées ou sur les changa chargés de victimes".
L'arbre, qu'une maladie mystérieuse avait frappé,
dépérissait de façon inquiétante. Il se dépouilla
bientôt complètement. Une commission agronomique, réunie
à son sujet, le déclara solennellement mort et le condamna
à la destruction.
Pourtant, à ce moment, de nouvelles feuilles reparurent à
ses branches. Mais l'arrêt demeura sans appel : la cognée
l'abattit. On chercha la cause de son mal; on crut la trouver dans la
présence d'un fourneau qui fut découvert dans un creux du
tronc - et dans l'enchevêtrement de ses racines parmi des substructions
de brique et de ciment par lesquelles aurait été suspendue
l'alimentation. Deux canons dont l'orifice était bouché
par un boulet, furent retrouvés enfouis auprès de l'arbre.
Nullement convaincus par la déclaration des savants, les Arabes
attribuèrent sa mort au chagrin qu'ils supposèrent lui avoir
été causé par le déplacement du tombeau de
SidiMansour. Fromentin, dans la revue l'Artiste, consacra à cet
arbre des lignes intéressantes.
Ce fut à tort que l'on dénomma quelquefois cet arbre : Platane
de Barberousse, supposant qu'il avait ombragé le tombeau de
l'un des frères de ce nom. L'aîné des Barberousse,
en effet, périt dans une déroute des Turcs sur les bords
de l'Oued Senou, entre Oran et Tlemcen. Suivant une autre version, ce
serait sur la route de Fez, au pied des montagnes des Beni-Snassen (Revue
Africaine).
Sa tête fut portée triomphalement en Espagne. Son corps fut
dévoré par les chacals et par les oiseaux de proie. Son
vêtement de brocart, converti en chape d'église, fit longtemps
partie du trésor du monastère Saint-Jérôme
de Cordoue (de Grammont). Quant à l'autre Barberousse, Kheir-ed-Din,
on l'enterra à Brousse, ville où devait se retirer plus
tard Abd-el-Kader.
Hors de la Porte d'Azoun
De la porte d'Azoun partait la route de Blidah
qui, en la banlieue, porta les noms de rue et de route de Constantine.
Au bas de l'actuelle rue des Chevaliers-de-Malte, commençait un
ravin que traversa, jusqu'en 1850, le pont des Fours (Cantarat-el-Afran).
Là, en 1541, périt Savignac près de qui combattaient
nombre de chevaliers français, parmi lesquels étaient :
Nicolas de Villegaignon
et Villars, du Prieuré d'Auvergne.
Cet événement est rappelé également par une
table de marbre que le Comité du Vieil Alger a fait placer en cet
endroit. Il y est dit :
En ce lieu
Dénommé après l'attaque de
Charles - Quint
Contre Alger :
Tombeau des Chevaliers,
S'illustrèrent avec
De nombreux compagnons d'armes,
Le 25 octobre 1541
Les chevaliers français,
Savignac
Mort en héros,
Et Durand de Villegaignon.
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Au delà, se trouvait un marché, très
fréquenté des musulmans, qui avait nom : Marché Bab-Azoun.
C'était un coin bien intéressant que ce marché arabe
à la place duquel existe maintenant, un des plus élégants
quartiers d'Alger. L'animation y était grande et le coup d'il
fort curieux. Dans le voisinage, se trouvaient des fondouks envahis d'indigènes
et de chameaux. De là émergeaient de hauts palmiers que,
successivement sans nécessité absolue, on détruisit
à la tristesse des amis du pittoresque. Lorsqu'en 1845, celui du
Fondouk de l'Huile fut menacé de disparaître, l' "Akhbar"
proposa sa transplantation, ainsi que celle de plusieurs autres du même
faubourg, auprès de la statue du duc d'Orléans. Aucune suite
ne fut donnée à ce voeu. Seul le palmier de la rampe Bugeaud
(remplacé plus tard), marqua en ce quartier, le souvenir de ces
arbres gracieux.
Le Fondouk de l'Huile, rappelons-le,
était, en 1842, installé sur la place Bresson, dans la chapelle
de Sidi-Beteka, dont l'emplacement est aujourd'hui occupé par la
maison du Café Glacier. (Auprès était le tombeau
de Sidi Hamma, saint guérisseur de la fièvre dont une rue
voisine évoque le souvenir par son nom).
Dans le même sanctuaire fut ensuite installée, jusqu'en 1852,
la Halle aux Blés.
A cette dernière date, la Halle aux Huiles et celle aux Blés
furent transférées en un nouvel immeuble, construit exprès,
à l'angle droit de la rue d'Isly et de la rue Joinville inférieure.
L'abbé Pavy en fit l'inauguration le 8 juin 1852.
Avant 1830, le Fondouk de l'Huile se trouvait dans la primitive rue Bosa,
sur l'emplacement de laquelle s'élève depuis 1831, la maison
Duchassaing.
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