les feuillets d'El-Djezaïr
Henri Klein

Évocation d'art arabe
L'École de broderie Ben Aben


sur site le 25 -6-2009

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Évocation d'art arabe
L'École de broderie Ben Aben (
Visite du comité du vieil Alger (1909) - Relation donnée dans le livre 1 des Feuillets d'El-Djezaïr.)

....Que de merveilles en ce sanctuaire d'art que dirige Mme Ben Aben, en la rue Marengo !

Évocation d'art arabe



Un blanc velum, suspendu au-dessus de la cour mauresque, tamise la lumière qui baigne délicatement les fines broderies murales encadrées d'émail bleu, et répand sur toutes choses, un jour laiteux, d'une infinie douceur.

Sur les sièges d'Orient, les coffrets de nacre, les coffres enluminés, les sofas soyeux, sont étendus des écharpes diaphanes, des portières d'étamine, des rideaux légers, des mouchoirs enguirlandés de strophes. Tout cela, d'un coloris vraiment symphonique. Ici, les teintes sont adorablement atténuées; là, les tons ont plus d'intensité; c'est devenu une brillante harmonie de couleurs qui fait, on ne peut mieux, valoir la mélodie du dessin.

A terre, sont assises de jeunes ouvrières penchées sur leur métier. L'une brode des fleurs stylisées, l'autre un entrelac, une troisième fait courir ses doigts agiles sur une inscription dont les caractères, vieil or, disent : "Que la protection de Dieu soit sur celui qui nous gouverne."

Nous visitons les autres salons. C'est, dans chacun, un émerveillement nouveau. Voici des voiles fleuris d'argent, des tulles pailletés d'or, des moires agrémentées d'arabesques, des mousselines constellées selon le goût constantinois. Voici des broderies de Bulgarie, de Perse, du Maroc.
Ailleurs, ce sont des satins ennoblis de textes sacrés : l'un d'eux proclame :
- "L'eau éteint le feu comme le bien éteint le mal"
- "Fais donc le bien tant que tu pourras."

Le bien ! mais n'est-ce pas ce que, par tradition de famille, Mime Ben Aben réalise depuis tant d'années, en même temps que le beau !

On sait, en effet, l'oeuvre de continuelle charité qu'exerce dans le monde indigène - où elle est adorée - la directrice de l'ouvroir.

Nous admirons sous la coûpole ajourée du salon, un groupe de tissus précieux où semblent s'être promenés des doigts de fée. Il y a là des "points" différents. Cela se nomme le maalka (sans revers), le menezel (passé, sans bourrage), le meterha (point matelassé), le zelileyh (point carré) que l'on enlève à jour sur des étoffes violettes; le point turc. Et ce sont d'autres points encore.

....On visite longuement les chefs-d'oeuvre dont est enrichie cette académie de broderies. Captivé par tant de merveilles, on perd tout à fait la notion du temps. Cependant, l'heure est venue de se retirer. C'est un véritable regret pour tous. On se décide à prendre congé de Mme Ben Aben à qui l'on redit sa vive admiration et sa profonde reconnaissance, et l'on s'en va .... non sans jeter encore un regard sur cet intérieur d'art qu'un goût délicat créa, et qu'une amabilité exquise permit d'admirer en des conditions telles, que le souvenir en demeurera longtemps au coeur des Sociétaires du "Vieil Alger".

Avec ces oeuvres du présent, combien d'oeuvres d'un autrefois oublié recélait cette résidence de Mme Ben Aben, tels ces voiles de si lointaine époque, brodés à la soie et au fil d'or, et dont les teintes joliment passées, communiquent un charme infini au dessin subtil qui s'y joue. C'étaient encore, ces pièces documentaires que possède aujourd'hui le Musée de Antiquités, ces reproductions d'anciennes broderies " enveloppant la vie du Musulman, du berceau au tombeau" : le voile du nouveau-né avec la main protectrice de Fathma; le voile dont s'emmaillotte la main de l'enfant après l'application du henné; le voile qui recouvre, à son dépôt au logis, le turban de l'époux; le voile de la chevelure utilisé au sortir du bain; le voile "pareil à une muraille", qui au foyer, protège la retraite du maître; le voile qui accompagne dans l'éternité le corps du défunt...

Pour les oeuvres du présent, bien d'autres citations eussent été à faire, non seulement pour leur finesse d'exécution, mais aussi pour l'originalité de leurs textes. Mentionnons le suivant, présenté par une broderie, vieil or, qui figura à l'exposition de Londres :
"Lorsque vous avez dit oui, pour une chose, accomplissez-là, ou bien dites non, et mettez-vous en paix, vous et les autres, par cette déclaration."

Mme Ben Aben décéda en 1915. Un élégant tombeau de marbre lui fut érigé à Saint-Eugène (allée centrale). L'oeuvre fut ciselée d'épigraphie arabe, et des fleurs d'Islam qu'elle avait reproduites si souvent. Le marbre, selon la coutume indigène rappelée précédemment, fut creusé de coupes destinées à désaltérer l'oiseau qui passe "dont le chant, a-t-il été dit, est une prière pour ceux qui ne sont plus". Des stèles furent ajoutées, auxquelles parfois, la main d'une brodeuse reconnaissante vient pieusement accrocher un chapelet de jasmin ou de fleurs d'oranger...