ESSOR DE L'ALGÉRIE - 1947
Evolution de la femme musulmane
8. Evolution de la femme musulmane

Halima BENABEB.
ici, mars 2016

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Hôpital de Sétif - Ecole d'infirmières musulmanes
Hôpital de
Sétif - Ecole d'infirmières musulmanes


Pour
l'observateur qui juge les choses de l'extérieur, la situation de la femme musulmane algérienne lui paraîtra bien précaire comparée à celle de l'européenne qu'elle côtoie ou à celle de la femme turque, égyptienne, syrienne, persanne, hindoue qu'il est convenu d'appeler « émancipée ».

Il y a seulement moins de dix ans un article sur l'évolution de la femme algérienne ne pouvait se concevoir sinon dans un sens à peu près négatif, car si l'on acceptait quelques éléments sporadiques dont la majorité n'avait pu recevoir l'instruction et vivre à la mode occidentale qu'à la faveur d'un séjour hors de l'Algérie, on pouvait dire que la musulmane algérienne continuait au xxe siècle à vivre comme aux siècles obscurs de l'ignorance, victime des préjugés familiaux et sociaux.

Est-ce à dire que nous pouvons parler aujourd'hui de l'évolution de l'algérienne comme un fait accompli ou en voie d'accomplissement ? Sans faire preuve d'un optimisme exagéré, en tenant compte des résultats acquis depuis seulement quatre ou cinq ans et en formulant l'espoir que la marche vers le progrès se poursuivra sur le même rythme, nous pouvons dire que l'essentiel est acquis puisque le désir et la volonté de s'instruire et de se libérer de préjugés séculaires sont nés dans toutes les classes de la société musulmane.

Certes, un très petit nombre de femmes peuvent à l'heure actuelle revendiquer le titre d'intellectuelle en Algérie, en donnant à ce terme toute la valeur que l'occident lui accorde. Une vingtaine d'institutrices, autant de sage-femmes, deux ou trois professeurs, une doctoresse en médecine, quelques étudiantes en Faculté et quelques lycéennes forment un ensemble à peine digne de retenir l'attention, même si nous voulons le grossir du nombre de celles qui avec quelques rudiments de français passent pour très évoluées du fait qu'elles ont adopté le costume et la coiffure de la femme européenne et dont l'évolution mal comprise a discrédité le mou
vement d'émancipation de la femme algérienne au lieu de le servir. Ce n'est pas bien sûr, en s'appuyant sur ce nombre de femmes instruites, ni sur l'existence de conseillères municipales, de déléguées dans les syndicats que nous pouvons bien augurer de l'avenir de la musulmane algérienne, mais sur l'esprit qui se répand désormais partout dans les villes et qui enseigne la marche vers le savoir et le progrès.

Les Algériens ont fini par comprendre que leur évolution ne saurait être parfaite que si l'on instruit la fille comme on instruit le garçon, car l'expérience leur a montré quel danger il y avait à négliger cette grande partie de la population constituée par l'élément féminin, sans le concours de laquelle nulle révolution ne peut s'accomplir sainement.

Les jeunes gens en face du problème du mariage se sont trouvés obligés de choisir entre ces trois alternatives : épouser une jeune fille ignorante, recourir au mariage mixte, ou se réfugier dans le célibat. Il est inutile d'insister sur les conséquences néfastes de ces trois solutions également imparfaites. Désormais, il ne suffit plus d'être jolie et bonne ménagère pour se marier; la première condition requise est l'instruction; c'est l'argument irréfragable qui a fini par persuader à tous les parents de la nécessité d'instruire leurs filles.

Pour cette raison et pour d'autres encore dont la plus profonde est certainement cette loi naturelle de l'évolution qui n'excepte rien de ce qui vit sur la terre, le branle semble être donné. On veut donc instruire les filles; mais
il n'y a pas de place pour tout le monde dans les écoles françaises. L'école libre où l'enseignement est donné en arabe est le tremplin tout désigné pour cette génération dont l'engouement pour la langue des ancêtres frise le délire. Pour cette génération qui monte la moisson promet d'être belle, car malgré les moyens rudimentaires le désir de s'instruire est tellement vif et le zèle des maîtres tellement grand que le nombre est sans cesse grandissant.

Et devant l'ardeur de leurs petites filles, les mères frustrées de la joie de s'instruire soupirent : Ah s'il y avait des écoles pour les femmes Mais si elles n'ont plus la chance de fréquenter l'école comme leurs filles, elles assistent souvent à des fêtes et des réunions pour les admirer quand elles récitent des monologues ou des saynètes, et apportent généreusement leur tribut pour aider les étudiantes nécessiteuses ou fonder de nouvelles écoles.

Il est une question que l'on ne peut esquiver quand on parle de l'instruction de la femme arabe : c'est la question du voile. Peu de femmes en Algérie ont abandonné le voile bien qu'elles soient déjà très nombreuses à porter le costume occidental avec parfois beaucoup de recherches et d'élégance.Il y a même plusieurs étudiantes qui n'ont obtenu de leur famille de continuer leurs études qu'à condition de sortir voilées. Il semble, dans un grand nombre de cas, que seul le respect quasi religieux que l'on voue aux parents, oblige encore les jeunes femmes à garder le
voile malgré le désir violent de s'en libérer, et l'on sent leurs doigts bien prêts à le laisser choir. Sans être prophète, on peut affirmer que la mode souveraine sur l'esprit de la femme aura plus de force que toutes les traditions, tous les préjugés, tous les symboles, pour triompher de cette partie du costume.. Pour les jeunes retardataires qui voudront continuer à frustrer la femme de privilèges que ni la religion ni la saine raison ne lui refusent, ils finiront bien par se rendre à l'évidence, la, femme elle-même se chargera de les mettre devant le fait accompli; car ce que femme veut, Dieu le veut !...

Halima BENABEB.