ESSOR DE L'ALGÉRIE - 1947
Assistance dans les territoires du sud
11. Assistance dans les territoires du sud

Léon LEHURAUX.
Directeur des Territoires du Sud.
ici, mars 2016

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Biskra, une palmeraie
Biskra, une palmeraie


Le Sahara est un pays pauvre, d'une pauvreté extrême, invraisemblable, la patrie par excellence du paupérisme. Il fallait arracher ses malheureuses populations à leur misère endémique, aux fléaux qui les décimaient périodiquement. Il fallait aussi tenter de les sortir du cercle médiéval dans lequel elles stagnaient depuis des siècles et essayer de les élever, par étapes successives, jusqu'à notre niveau social. La lutte contre les maladies et les épidémies fut entreprise par nos admirables médecins militaires aidés, des Soeurs Blanches, incomparables infirmières au dévouement sans bornes. Dans tous les centres principaux l'on créa une infirmerie indigène, dont plusieurs sont devenues de véritables petits hôpitaux, avec salles d'opérations et laboratoires. Les petits centres ruraux furent pourvus d'une salle de consultations où un infirmier musulman, contrôlé par le médecin, donne des soins élémentaires. Partout ont été édifiés des " biout el aïnin ", ou maisons des yeux, où l'on soigne journellement le trachôme, cette redoutable et contagieuse affection qui fait tant de victimes dans les milieux indigènes.

La mère et l'enfant sont particulièrement surveillés par les praticiens et leurs infirmières religieuses. Des soins constants et vigilants leur sont donnés en même temps qu'une nourriture saine et abondante. L'enfant est suivi dans sa croissance avec attention grâce à une fiche médicale soigneusement tenue, qui enregistre les progrès du bébé jusqu'à l'âge de 18 mois. Cette œuvre de la " Mère et du Nourrisson " créée dans le Sahara par M. Maurice Viollette, lorsqu'il était Gouverneur général de l'Algérie, est une initiative admirable qui, avec l'Assistance médicale indigène, est bien digne du génie colonisateur de la France.

A signaler également, dans ce domaine médical, les tournées itinérantes en tribus des médecins au cours desquelles ils procèdent à
de nombreuses vaccinations et revaccinations antivarioliques. Grâce à ces mesures prophylactiques la variole a pratiquement disparu des
territoires du Sud et le typhus, cette autre terrible maladie, ne tardera pas à prendre le même chemin, lorsque les sahariens, toujours
peu méfiants et réfractaires par instinct aux innovations, auront compris les bienfaits de la vaccination préventive.

Il convenait, d'autre part, de donner aux enfants d'âge scolaire de cette population primitive, le sentiment de dignité humaine qui avait toujours été absent de cette société, non évoluée, demeurée figée dans des mœurs et traditions aussi vieilles que le monde et que l'Islam lui-même, superficiellement appliqué, n'avait point réussi à améliorer. Ouvrir l'esprit des jeunes sahariens n'était pas chose aisée dans ces pays lointains, fermés aux Européens

Néanmoins des écoles rustiques furent ouvertes dès les débuts de l'occupation; à défaut de maîtres diplômés les cours étaient assurés par des soldats français bien choisis, Puis, peu à peu, des instituteurs arrivèrent, des écoles plus spacieuses et plus confortables furent construites et le nombre des élèves augmenta rapidement d'année en année. Parallèlement à l'organisation scolaire académique, les Pères Blancs et les Soeurs Blanches ouvrirent de leur côté des écoles privées, partageant ainsi avec les instituteurs et les institutrices laïques, en parfaite harmonie, les enfants des villages en âge de fréquenter leurs établissements.

Dans ces écoles il ne s'agit point de former des bacheliers, des semi-évolués qui iront grossir les rangs des " chômeurs intellectuels "; l'objectif recherché est d'apprendre à ces enfants les rudiments du français, de leur inculquer une instruction très élémentaire, mais surtout d'apprendre aux garçons un métier manuel (travail du bois, du fer, du cuir, etc.) et, aux filles, à tenir convenablement un ménage, à soigner les enfants, à coudre et à tisser. Les résultats acquis sont des plus satisfaisants puisqu'en moins de trente ans le nombre des écoles a quadruplé.

La guerre a eu au Sahara, comme partout ailleurs, des répercussions considérables. Il sera rappelé brièvement, à ce propos, la belle attitude des populations sahariennes qui n'ont jamais cessé de témoigner une respectueuse confiance envers les représentants de la France. En 19421944, nos troupes sahariennes ont pris une paît glorieuse à la libération du sud-tunisien et c'est à elles que l'on doit la prise et l'occupation de l'oasis tripolitaine de Ghat, en liaison avec les troupes de la colonne Leclerc.

Les difficultés matérielles allèrent croissant. En 194o-1941, il restait encore un nombre assez important de véhicules automobiles pour le trafic saharien; mais on eut la malencontreuse idée de se lancer dans une entreprise utopique de liaisons intensives avec l'Afrique-Occidentale Française et les quelques malheureux essais exécutés mirent à tel point à mal les camions spéciaux du désert qu'ils devinrent pour la plupart inutilisables en très peu de temps. Il fallut déployer des prodiges d'ingéniosité, de dévouement et d'énergie pour vaincre tous les obstacles et parvenir à ravitailler les populations sahariennes ainsi que les troupes d'occupation. La période 1943-1946 fut vraiment tragique pour lés gens du désert et angoissante pour ceux qui avaient la charge de les administrer. Aujourd'hui, heureusement, tout danger paraît écarté; les parcs automobiles se reconstituent, le carburant devient plus abondant, les pneumatiques eux-mêmes, si impatiemment attendus, semblent devoir être distribués avec moins de parcimonie. Tout donc, de ce côté, permet d'envisager l'avenir avec optimisme.

Ces difficultés, jointes à la quasi impossibilité de se procurer les matériaux les plus élémentaires, n'ont cependant pas complètement arrêté l'essor. Il apparaît, au contraire, que les obstacles rencontrés stimulèrent les volontés et que chacun dans sa sphère, eût l'orgueil de prouver que, suivant la belle tradition saharienne, on pouvait réaliser des projets avec peu de choses et même avec peu d'argent. On se mit à la besogne avec courage et même acharnement. On ne citera ici que les principaux travaux qui furent exécutés depuis 1942, en rappelant, pour mémoire, laissant à d'autres le soin de donner des détails, que les prodigieuses cités ouvrières de Kenadza et de Colomb-Béchar, dans le sud-oranais, sont sorties de terre en quelques années seulement, comme sous le coup d'une baguette magique : les Américains n'auraient pas fait mieux.

Pendant ces cinq dernières années les travaux publics ne chaumèrent point en utilisant la main-d'œuvre locale et presque exclusivement les matériaux du pays. Citons parmi les plus essentiels : la construction d'une infirmerie-hôpital moderne à Colomb-Béchard, à Adrar, dans le Touat, et à Ouargla, ces deux dernières non encore entièrement terminées.

- L'extension des infirmeries indigènes de Djelfa, Laghouat, El-Oued, Géryville.

- La création de 29 salles de consultations y compris les " biout el Aïnin " (maisons des yeux) dans les centres ruraux.

- La construction de plusieurs " maisons du soldat musulman " (dar el askri) et des villas pour les administrateurs civils et militaires.

- L'installation de l'électricité à Colomb-Béchar et à El-Oued et perfectionnement de,, celles qui existaient déjà dans d'autres centres.

L'enseignement des indigènes sahariens n'a pas été oublié. Les enfants du Sud aiment fréquenter l'école où ils trouvent des maîtres et maîtresses compréhensifs, dévoués et bienveillants, et où ils reçoivent, grâce aux cantines scolaires qui fonctionnent dans de parfaites conditions, la nourriture qui leur est nécessaire. Des classes nouvelles, au nombre de 38, ont été édifiées depuis cinq ans et le programme en voie de réalisation prévoit la construction de' groupes scolaires pour garçons et filles, avec écoles d'apprentissage ou ménagères correspondantes, dans les centres suivants : Djelfa, Laghouat, Ghardaïa, Tolga, Sidi Khaled.

Jusque dans le pays touareg le français est enseigné : à Tamanrasset (Hoggar), à Djanet, et à Temassinni (Ajjer) où les iforas. ont demandé instamment l'ouverture d'une classe. A. Ghat, à Ghadamès et dans les principales oasis du Fezzan les écoles françaises fonctionnent et rien n'est plus émouvant que d'entendre les voix enfantines chanter la Marseillaise dans ces pays naguère ennemis et aujourd'hui si franchement ralliés à la France.

On terminera ce bref exposé sur une note d'espérance. Les territoires du Sud ont largement répondu à la pensée du législateur. Le Sahara a été pacifié et occupé à peu de frai Les populations qui y résident ont accepté l'administration française, avec résignation d'abord et reconnaissance par la suite. Nos soldats sahariens ont fait disparaître les rezzous et nos officiers des Affaires indigènes, tour à tour ingénieurs, architectes, hydrauliciens, médecins, juges et conseillers, ont su faire apprécier par les habitants les bienfaits de la civilisation française. La France n'a pas terminé sa mission dans ces immenses contrées que les cataclysme déciment périodiquement. Elle doit poursuivre l'oeuvre si brillamment commencée depuis moins d'un demi-siècle, en apportant à ces misérables créatures, trop longtemps abandonnée dans la médiocrité matérielle et morale, les éléments d'une évolution sociale progressive et prudente, sans heurter des sentiments respectables en soi, afin de les délivrer à tout jamais de la misère cette gangue douloureuse qui les étreint encore et dont nous avons pris l'engagement moral de les délivrer.

Léon LEHURAUX.
Directeur des Territoires du Sud.