Biskra, une palmeraie
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Le Sahara est un pays pauvre, d'une pauvreté extrême, invraisemblable,
la patrie par excellence du paupérisme. Il fallait arracher ses
malheureuses populations à leur misère endémique,
aux fléaux qui les décimaient périodiquement. Il
fallait aussi tenter de les sortir du cercle médiéval dans
lequel elles stagnaient depuis des siècles et essayer de les élever,
par étapes successives, jusqu'à notre niveau social. La
lutte contre les maladies et les épidémies fut entreprise
par nos admirables médecins militaires aidés, des Soeurs
Blanches, incomparables infirmières au dévouement sans bornes.
Dans tous les centres principaux l'on créa une infirmerie indigène,
dont plusieurs sont devenues de véritables petits hôpitaux,
avec salles d'opérations et laboratoires. Les petits centres ruraux
furent pourvus d'une salle de consultations où un infirmier musulman,
contrôlé par le médecin, donne des soins élémentaires.
Partout ont été édifiés des " biout el
aïnin ", ou maisons des yeux, où l'on soigne journellement
le trachôme, cette redoutable et contagieuse affection qui fait
tant de victimes dans les milieux indigènes.
La mère et l'enfant sont particulièrement surveillés
par les praticiens et leurs infirmières religieuses. Des soins
constants et vigilants leur sont donnés en même temps qu'une
nourriture saine et abondante. L'enfant est suivi dans sa croissance avec
attention grâce à une fiche médicale soigneusement
tenue, qui enregistre les progrès du bébé jusqu'à
l'âge de 18 mois. Cette uvre de la " Mère et du
Nourrisson " créée dans le Sahara par M. Maurice Viollette,
lorsqu'il était Gouverneur général de l'Algérie,
est une initiative admirable qui, avec l'Assistance médicale indigène,
est bien digne du génie colonisateur de la France.
A signaler également, dans ce domaine médical, les tournées
itinérantes en tribus des médecins au cours desquelles ils
procèdent à
de nombreuses vaccinations et revaccinations antivarioliques. Grâce
à ces mesures prophylactiques la variole a pratiquement disparu
des
territoires du Sud et le typhus, cette autre terrible maladie, ne tardera
pas à prendre le même chemin, lorsque les sahariens, toujours
peu méfiants et réfractaires par instinct aux innovations,
auront compris les bienfaits de la vaccination préventive.
Il convenait, d'autre part, de donner aux enfants d'âge scolaire
de cette population primitive, le sentiment de dignité humaine
qui avait toujours été absent de cette société,
non évoluée, demeurée figée dans des murs
et traditions aussi vieilles que le monde et que l'Islam lui-même,
superficiellement appliqué, n'avait point réussi à
améliorer. Ouvrir l'esprit des jeunes sahariens n'était
pas chose aisée dans ces pays lointains, fermés aux Européens
Néanmoins des écoles rustiques furent ouvertes dès
les débuts de l'occupation; à défaut de maîtres
diplômés les cours étaient assurés par des
soldats français bien choisis, Puis, peu à peu, des instituteurs
arrivèrent, des écoles plus spacieuses et plus confortables
furent construites et le nombre des élèves augmenta rapidement
d'année en année. Parallèlement à l'organisation
scolaire académique, les Pères Blancs et les Soeurs Blanches
ouvrirent de leur côté des écoles privées,
partageant ainsi avec les instituteurs et les institutrices laïques,
en parfaite harmonie, les enfants des villages en âge de fréquenter
leurs établissements.
Dans ces écoles il ne s'agit point de former des bacheliers, des
semi-évolués qui iront grossir les rangs des " chômeurs
intellectuels "; l'objectif recherché est d'apprendre à
ces enfants les rudiments du français, de leur inculquer une instruction
très élémentaire, mais surtout d'apprendre aux garçons
un métier manuel (travail du bois, du fer, du cuir, etc.) et, aux
filles, à tenir convenablement un ménage, à soigner
les enfants, à coudre et à tisser. Les résultats
acquis sont des plus satisfaisants puisqu'en moins de trente ans le nombre
des écoles a quadruplé.
La guerre a eu au Sahara, comme partout ailleurs, des répercussions
considérables. Il sera rappelé brièvement, à
ce propos, la belle attitude des populations sahariennes qui n'ont jamais
cessé de témoigner une respectueuse confiance envers les
représentants de la France. En 19421944, nos troupes sahariennes
ont pris une paît glorieuse à la libération du sud-tunisien
et c'est à elles que l'on doit la prise et l'occupation de l'oasis
tripolitaine de Ghat, en liaison avec les troupes de la colonne Leclerc.
Les difficultés matérielles allèrent croissant. En
194o-1941, il restait encore un nombre assez important de véhicules
automobiles pour le trafic saharien; mais on eut la malencontreuse idée
de se lancer dans une entreprise utopique de liaisons intensives avec
l'Afrique-Occidentale Française et les quelques malheureux essais
exécutés mirent à tel point à mal les camions
spéciaux du désert qu'ils devinrent pour la plupart inutilisables
en très peu de temps. Il fallut déployer des prodiges d'ingéniosité,
de dévouement et d'énergie pour vaincre tous les obstacles
et parvenir à ravitailler les populations sahariennes ainsi que
les troupes d'occupation. La période 1943-1946 fut vraiment tragique
pour lés gens du désert et angoissante pour ceux qui avaient
la charge de les administrer. Aujourd'hui, heureusement, tout danger paraît
écarté; les parcs automobiles se reconstituent, le carburant
devient plus abondant, les pneumatiques eux-mêmes, si impatiemment
attendus, semblent devoir être distribués avec moins de parcimonie.
Tout donc, de ce côté, permet d'envisager l'avenir avec optimisme.
Ces difficultés, jointes à la quasi impossibilité
de se procurer les matériaux les plus élémentaires,
n'ont cependant pas complètement arrêté l'essor. Il
apparaît, au contraire, que les obstacles rencontrés stimulèrent
les volontés et que chacun dans sa sphère, eût l'orgueil
de prouver que, suivant la belle tradition saharienne, on pouvait réaliser
des projets avec peu de choses et même avec peu d'argent. On se
mit à la besogne avec courage et même acharnement. On ne
citera ici que les principaux travaux qui furent exécutés
depuis 1942, en rappelant, pour mémoire, laissant à d'autres
le soin de donner des détails, que les prodigieuses cités
ouvrières de Kenadza
et de Colomb-Béchar, dans le sud-oranais, sont sorties de terre
en quelques années seulement, comme sous le coup d'une baguette
magique : les Américains n'auraient pas fait mieux.
Pendant ces cinq dernières années les travaux publics ne
chaumèrent point en utilisant la main-d'uvre locale et presque
exclusivement les matériaux du pays. Citons parmi les plus essentiels
: la construction d'une infirmerie-hôpital moderne à Colomb-Béchard,
à Adrar, dans le Touat, et à Ouargla, ces deux dernières
non encore entièrement terminées.
- L'extension des infirmeries indigènes de Djelfa,
Laghouat, El-Oued, Géryville.
- La création de 29 salles de consultations y compris les "
biout el Aïnin " (maisons des yeux) dans les centres ruraux.
- La construction de plusieurs " maisons du soldat musulman "
(dar el askri) et des villas pour les administrateurs civils et militaires.
- L'installation de l'électricité à Colomb-Béchar
et à El-Oued et perfectionnement de,, celles qui existaient déjà
dans d'autres centres.
L'enseignement des indigènes sahariens n'a pas été
oublié. Les enfants du Sud aiment fréquenter l'école
où ils trouvent des maîtres et maîtresses compréhensifs,
dévoués et bienveillants, et où ils reçoivent,
grâce aux cantines scolaires qui fonctionnent dans de parfaites
conditions, la nourriture qui leur est nécessaire. Des classes
nouvelles, au nombre de 38, ont été édifiées
depuis cinq ans et le programme en voie de réalisation prévoit
la construction de' groupes scolaires pour garçons et filles, avec
écoles d'apprentissage ou ménagères correspondantes,
dans les centres suivants : Djelfa, Laghouat, Ghardaïa, Tolga, Sidi
Khaled.
Jusque dans le pays touareg le français est enseigné : à
Tamanrasset
(Hoggar), à Djanet, et à Temassinni (Ajjer) où les
iforas. ont demandé instamment l'ouverture d'une classe. A. Ghat,
à Ghadamès et dans les principales oasis du Fezzan les écoles
françaises fonctionnent et rien n'est plus émouvant que
d'entendre les voix enfantines chanter la Marseillaise dans ces
pays naguère ennemis et aujourd'hui si franchement ralliés
à la France.
On terminera ce bref exposé sur une note d'espérance.
Les territoires du Sud ont largement répondu à la pensée
du législateur. Le Sahara a été pacifié et
occupé à peu de frai Les populations qui y résident
ont accepté l'administration française, avec résignation
d'abord et reconnaissance par la suite. Nos soldats sahariens ont fait
disparaître les rezzous et nos officiers des Affaires indigènes,
tour à tour ingénieurs, architectes, hydrauliciens, médecins,
juges et conseillers, ont su faire apprécier par les habitants
les bienfaits de la civilisation française. La France n'a pas terminé
sa mission dans ces immenses contrées que les cataclysme déciment
périodiquement. Elle doit poursuivre l'oeuvre si brillamment commencée
depuis moins d'un demi-siècle, en apportant à ces misérables
créatures, trop longtemps abandonnée dans la médiocrité
matérielle et morale, les éléments d'une évolution
sociale progressive et prudente, sans heurter des sentiments respectables
en soi, afin de les délivrer à tout jamais de la misère
cette gangue douloureuse qui les étreint encore et dont nous avons
pris l'engagement moral de les délivrer.
Léon LEHURAUX.
Directeur des Territoires du Sud.
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