ESSOR DE L'ALGÉRIE - 1947

Rivet, façade nord du sanatorium
10. Assistance hospitalière

D. MOLINES
Directeur de la santé Publique au Gouvernement général de l'Algérie.

ici, mars 2016

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Alger. Clinique indigène. Doctoresses au milieu de leurs malades.
Alger. Clinique indigène. Doctoresses au milieu de leurs malades.

Pour mesurer l'importance de l'oeuvre d'assistance et de protection sanitaire réalisée par la France en Algérie, il faut rappeler la situation lamentable, en 183o, des populations de ce pays décimées par la faim et les maladies, " vêtues de haillons desséchés et poudreux, effrangés par le vent, cardés par la misère ". A s'en rapporter aux lettres des Consuls, il n'existait nulle formation propre à recevoir les malades et cependant, nulle part ailleurs de telles institutions n'auraient été plus utiles. Les marécages et des oueds boueux favorisaient le développement du paludisme : les maladies épidémiques et contagieuses s'y répandaient grâce à la promiscuité où vivaient, les familles et tribus. Ophtalmies, syphilis, typhus, variole se propageaient et constituaient de véritables fléaux. Il était évidemment difficile à la France, aux prises avec les difficultés de l'occupation, de remédier immédiatement à cet état de choses.

Pendant les vingt premières années, ce fut l'Autorité militaire qui pourvut à peu près exclusivement aux besoins de l'Assistance, grâce à ses infirmeries, à ses ambulances, à ses hôpitaux volants et provisoires. D'abord réservés aux troupes, ces organismes ne tardèrent pas à être mis à la disposition des populations indigènes. Un arrêté du Ministère de la Guerre de 1845 consacre officiellement l'autorisation d'admission des malades civils dans ces formations.

Mais peu à peu, les villes se peuplèrent, les fermes se groupèrent en villages. Les médecins militaires, ne pouvant plus suffire à leur tâche, il fallut se préoccuper d'organiser les services de l'Assistance. Tout était créer, il fallait suppléer d'un seul coup à l'absence totale de formations ou d'établissements que le lent travail des siècles avait doté dans la Métropole pour lutter contre la maladie. L'Administration française avait un devoir immense à remplir : elle ne se rebuta pas et elle entreprit, aux prix de grands et patients efforts, la réalisation d'une œuvre considérable et magnifique.

Le premier hôpital civil créé fut celui d'Alger (1833) par transformation de l'hôpital militaire monté en 1832. Transféré à Mustapha et agrandi en 1853, il peut rivaliser aujourd'hui avec les grands centres hospitaliers d'Europe. Tour à tour, prirent naissance les hôpitaux de Douéra (1849), de Bône (185o), de Constantine (1863) par transformation de l'infirmerie municipale, d'Aïn-Témouchent (1861), etc...

En même temps, le souci d'assurer des secours médicaux aux populations rurales trop clairsemées pour permettre l'établissement au milieu d'elles de médecins libres, amenait la création, en 1853, du corps des médecins de colonisation ayant pour mission de soigner gratuitement les indigents, de faire des tournées périodiques dans les douars et centres compris dans leur circonscription, de répandre la pratique de la vaccination antivariolique, de constater les décès, en un mot de veiller au maintien de l'hygiène, à la protection de la Santé Publique et de renseigner l'Administration à cet égard.

On peut situer vers les années 1868, 1870 les débuts d'une ère de progrès pour l'assistance publique en Algérie. A cette époque, la vitalité et la prospérité de la Colonie se sont défini
tivement affirmées et les premiers colons voient leur nombre s'enrichir d'un nouveau flot d'immigrants. En présence des besoins croissants des populations, l'Administration crée de nouveaux hôpitaux civils, organise ou perfectionne des orphelinats et des hospices pour vieillards et infirmes. Ces établissements prennent une importance de plus en plus grande et, chaque année, des crédits considérables sont consacrés à l'amélioration des établissements, à la création de services nouveaux, à l'agrandissement des locaux et à la modernisation de l'outillage.

Mais il apparaît vite que les hôpitaux civils et mixtes répartis sur le territoire de l'Algérie, a de grandes distances les uns des autres, étaient en nombre insuffisant eu égard à l'importance de la population musulmane. D'autre part, la situation de ces établissements dans les grands centres, les rendait difficilement accessibles aux indigènes habitant les douars. De plus, le régime auquel étaient soumis les malades était très différent des habitudes et des conditions d'existence des musulmans. Ceux-ci redoutaient leur isolement au milieu des malades européens dont la langue et les mœurs ne leur étaient pas familières; ils hésitaient à se soumettre à un régime alimentaire différent du leur. Beaucoup se privaient des soins médicaux pour se livrer aux pratiques dangereuses des empiriques.

Graphiques
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Désirant répondre aux sentiments de générosité que le Parlement français avait manifestés, l'Administration prouvait à nouveau la place que les populations indigènes tenaient dans les préoccupations de la France et la sympathie dont elles étaient l'objet. Elle s'attacha dès lors à créer :
      - des hôpitaux réservés aux indigènes,
      - des infirmeries spéciales aux indigènes sur tous les points où le besoin s'en faisait sentir,
      - des cliniques réservées aux femmes et enfants musulmans dans les principales villes, placées sous la direction de doctoresses chargées en même temps d'un service de consultations gratuites,
      - des services de consultations gratuites tant dans les villes que dans les douars avec distribution de médicaments à titre également gratuit.

Après une période d'assez grande activité, les infirmeries indigènes rentrèrent dans une période de décadence. L'insuffisance des locaux et l'absence de dotations susceptibles d'assurer
leur fonctionnement régulier leur faisait d'autant plus perdre leur clientèle que les musulmans éprouvaient peu à peu moins de répugnance à se faire admettre dans les grands hôpitaux où ils désiraient trouver un régime alimentaire convenable et tous les soins nécessaires.

C'est dans ces conditions qu'en 1926, M. le Gouverneur Général Violette décida de transformer complètement le régime de ces établissements qui devinrent désormais des hôpitaux auxiliaires, destinés à assurer les soins médicaux et chirurgicaux à tous les malades qui pouvaient être soignés sur place.

En même temps, des ordres furent donnés pour y installer des maternités.

Ces établissements, aujourd'hui au nombre de 91, constituent actuellement les formations de base dans le système des hospitalisations. Ils sont également devenus le centre principal des consultations pour toutes les maladies sociales et notamment pour les maladies vénériennes, les affections ophtalmologiques et l'assistance aux mères et aux nourrissons.

Mais les hospitalisations de malades musulmans ne sont pas exclusivement limitées aux hôpitaux auxiliaires. En cas de besoin, les malades sont dirigés sut les hôpitaux régionaux secondaires et, s'il le faut, sur l'hôpital principal du Chef-lieu du département. Ce dernier établissement est, en effet, équipé de la manière la plus complète dans toutes les spécialités. Outre les hospitalisations ordinaires de la population domiciliée dans la Commune ou la circonscription hospitalière correspondante, il reçoit les cas compliqués de tout le département qui sortent du cadre des hôpitaux d'arrondissement. Les hôpitaux d'arrondissement représentent les centres hospitaliers de chaque circonscription hospitalière. Ils reçoivent les malades locaux et sont, d'autre part, en liaison étroite avec les formations de l'arrondissement (hôpitaux régionaux, hôpitaux auxiliaires et infirmeries) et admettent les cas graves qui ne peuvent être traités dans ces établissements. Ils sont de même en liaison avec l'hôpital du chef- lieu du département sur lequel ils dirigent les cas dépassant leurs moyens. Enfin, un service de liaison automobile assure o les évacuations et réalise l'interdépendance des différentes catégories d'hôpitaux.

A l'heure actuelle, l'Algérie dispose d'un ensemble d'établissements hospitaliers qui témoigne de l'importance que le Gouvernement n'a cessé d'attacher aux questions d'assistance puisqu'il totalise près de 18.000 lits. Ces établissements disséminés à travers le territoire, à peu près proportionnellement à la densité de la population, ont été judicieusement placés. Ils se répartissent ainsi qu'il suit :

      I - Hôpitaux coloniaux. -
Département d'Alger : hôpital de Facultés et ses 2 annexes; 6 hôpitaux d'arrondissement; 5 hôpitaux-hospices.
Département d'Oran. -1 hôpital chef-lieu;2 hôpitaux d'arrondissement; 3 hôpitaux- hospices, 3 hospices.
Département de Constantine. - 1 hôpital chef-lieu; 5 hôpitaux d'arrondissement; 3 hôpitaux-hospices, 1 hospice.

      II - Hôpitaux militaires recevant des malades civils
Département d'Alger : 7
Département d'Oran : 7
Département de Constantine : 3
Total : 17

      III. - Hôpitaux auxiliaires
Département d'Alger : 29
Département d'Oran : 27
Département de Constantine : 34
total : 90

Il convient d'ajouter à cette énumération : Département d'Alger : 1 hôpital psychiatrique, 1 sanatorium. Département de Constantine : 1 préventorium marin.

Le développement de l'Assistance hospitalière en Algérie est attesté par la progression continue du mouvement des hospitalisations. En 1851, les établissements hospitaliers existant avaient soigné 24.814 malades représentant 441.000 journées d'hospitalisation. En 1945, les hôpitaux ont reçu 158.720 malades représentant 5.433.650 journées.

En l'absence de statistiques, il n'est malheureusement pas possible de suivre, depuis l'origine, l'accroissement de ce mouvement des hospitalisations. Mais les renseignements recueillis depuis 1910 -- reproduits dans les graphiques publiés ci-dessus - permettent de
suivre l'augmentation annuelle du nombre des malades hospitalisés et des journées d'hospitalisation.

Leur lecture est édifiante. Ils prouvent que l'Administration Algérienne a fait son devoir pour protéger et assister la population musulmane et pour adoucir ses misères.

Et l'on peut affirmer que les réalisations d'assistance consacrées aux populations de l'Algérie constitueront l'un des plus beaux chapitres de l'histoire de l'installation de la France dans ce pays et contribueront à la grandeur de son œuvre indestructible.

D. MOLINES
Directeur de la santé Publique au Gouvernement général de l'Algérie.