Alger. Clinique indigène. Doctoresses au
milieu de leurs malades.
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Pour mesurer l'importance de l'oeuvre d'assistance et
de protection sanitaire réalisée par la France en Algérie,
il faut rappeler la situation lamentable, en 183o, des populations de
ce pays décimées par la faim et les maladies, " vêtues
de haillons desséchés et poudreux, effrangés par
le vent, cardés par la misère ". A s'en rapporter aux
lettres des Consuls, il n'existait nulle formation propre à recevoir
les malades et cependant, nulle part ailleurs de telles institutions n'auraient
été plus utiles. Les marécages et des oueds boueux
favorisaient le développement du paludisme : les maladies épidémiques
et contagieuses s'y répandaient grâce à la promiscuité
où vivaient, les familles et tribus. Ophtalmies, syphilis, typhus,
variole se propageaient et constituaient de véritables fléaux.
Il était évidemment difficile à la France, aux prises
avec les difficultés de l'occupation, de remédier immédiatement
à cet état de choses.
Pendant les vingt premières années, ce fut l'Autorité
militaire qui pourvut à peu près exclusivement aux besoins
de l'Assistance, grâce à ses infirmeries, à ses ambulances,
à ses hôpitaux volants et provisoires. D'abord réservés
aux troupes, ces organismes ne tardèrent pas à être
mis à la disposition des populations indigènes. Un arrêté
du Ministère de la Guerre de 1845 consacre officiellement l'autorisation
d'admission des malades civils dans ces formations.
Mais peu à peu, les villes se peuplèrent, les fermes se
groupèrent en villages. Les médecins militaires, ne pouvant
plus suffire à leur tâche, il fallut se préoccuper
d'organiser les services de l'Assistance. Tout était créer,
il fallait suppléer d'un seul coup à l'absence totale de
formations ou d'établissements que le lent travail des siècles
avait doté dans la Métropole pour lutter contre la maladie.
L'Administration française avait un devoir immense à remplir
: elle ne se rebuta pas et elle entreprit, aux prix de grands et patients
efforts, la réalisation d'une uvre considérable et
magnifique.
Le premier hôpital civil créé fut celui d'Alger (1833)
par transformation de l'hôpital
militaire monté en 1832. Transféré à
Mustapha et agrandi en 1853, il peut rivaliser aujourd'hui
avec les grands centres hospitaliers d'Europe. Tour à tour, prirent
naissance les hôpitaux de Douéra
(1849), de Bône
(185o), de Constantine
(1863) par transformation de l'infirmerie municipale, d'Aïn-Témouchent
(1861), etc...
En même temps, le souci d'assurer des secours médicaux aux
populations rurales trop clairsemées pour permettre l'établissement
au milieu d'elles de médecins libres, amenait la création,
en 1853, du corps des médecins de colonisation ayant pour mission
de soigner gratuitement les indigents, de faire des tournées périodiques
dans les douars et centres compris dans leur circonscription, de répandre
la pratique de la vaccination antivariolique, de constater les décès,
en un mot de veiller au maintien de l'hygiène, à la protection
de la Santé Publique et de renseigner l'Administration à
cet égard.
On peut situer vers les années 1868, 1870 les débuts d'une
ère de progrès pour l'assistance publique en Algérie.
A cette époque, la vitalité et la prospérité
de la Colonie se sont définitivement affirmées
et les premiers colons voient leur nombre s'enrichir d'un nouveau flot
d'immigrants. En présence des besoins croissants des populations,
l'Administration crée de nouveaux hôpitaux civils, organise
ou perfectionne des orphelinats et des hospices pour vieillards et infirmes.
Ces établissements prennent une importance de plus en plus grande
et, chaque année, des crédits considérables sont
consacrés à l'amélioration des établissements,
à la création de services nouveaux, à l'agrandissement
des locaux et à la modernisation de l'outillage.
Mais il apparaît vite que les hôpitaux civils et mixtes répartis
sur le territoire de l'Algérie, a de grandes distances les uns
des autres, étaient en nombre insuffisant eu égard à
l'importance de la population musulmane. D'autre part, la situation de
ces établissements dans les grands centres, les rendait difficilement
accessibles aux indigènes habitant les douars. De plus, le régime
auquel étaient soumis les malades était très différent
des habitudes et des conditions d'existence des musulmans. Ceux-ci redoutaient
leur isolement au milieu des malades européens dont la langue et
les murs ne leur étaient pas familières; ils hésitaient
à se soumettre à un régime alimentaire différent
du leur. Beaucoup se privaient des soins médicaux pour se livrer
aux pratiques dangereuses des empiriques.
Graphiques
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Désirant répondre aux sentiments de générosité
que le Parlement français avait manifestés, l'Administration
prouvait à nouveau la place que les populations indigènes
tenaient dans les préoccupations de la France et la sympathie dont
elles étaient l'objet. Elle s'attacha dès lors à
créer :
- des hôpitaux réservés
aux indigènes,
- des infirmeries spéciales
aux indigènes sur tous les points où le besoin s'en faisait
sentir,
- des cliniques réservées
aux femmes et enfants musulmans dans les principales villes, placées
sous la direction de doctoresses chargées en même temps d'un
service de consultations gratuites,
- des services de consultations gratuites
tant dans les villes que dans les douars avec distribution de médicaments
à titre également gratuit.
Après une période d'assez grande activité, les infirmeries
indigènes rentrèrent dans une période de décadence.
L'insuffisance des locaux et l'absence de dotations susceptibles d'assurer
leur fonctionnement régulier
leur faisait d'autant plus perdre leur clientèle que les musulmans
éprouvaient peu à peu moins de répugnance à
se faire admettre dans les grands hôpitaux où ils désiraient
trouver un régime alimentaire convenable et tous les soins nécessaires.
C'est dans ces conditions qu'en 1926, M. le Gouverneur Général
Violette décida de transformer complètement le régime
de ces établissements qui devinrent désormais des hôpitaux
auxiliaires, destinés à assurer les soins médicaux
et chirurgicaux à tous les malades qui pouvaient être soignés
sur place.
En même temps, des ordres furent donnés pour y installer
des maternités.
Ces établissements, aujourd'hui au nombre de 91, constituent actuellement
les formations de base dans le système des hospitalisations. Ils
sont également devenus le centre principal des consultations pour
toutes les maladies sociales et notamment pour les maladies vénériennes,
les affections ophtalmologiques et l'assistance aux mères et aux
nourrissons.
Mais les hospitalisations de malades musulmans ne sont pas exclusivement
limitées aux hôpitaux auxiliaires. En cas de besoin, les
malades sont dirigés sut les hôpitaux régionaux secondaires
et, s'il le faut, sur l'hôpital principal du Chef-lieu du département.
Ce dernier établissement est, en effet, équipé de
la manière la plus complète dans toutes les spécialités.
Outre les hospitalisations ordinaires de la population domiciliée
dans la Commune ou la circonscription hospitalière correspondante,
il reçoit les cas compliqués de tout le département
qui sortent du cadre des hôpitaux d'arrondissement. Les hôpitaux
d'arrondissement représentent les centres hospitaliers de chaque
circonscription hospitalière. Ils reçoivent les malades
locaux et sont, d'autre part, en liaison étroite avec les formations
de l'arrondissement (hôpitaux régionaux, hôpitaux auxiliaires
et infirmeries) et admettent les cas graves qui ne peuvent être
traités dans ces établissements. Ils sont de même
en liaison avec l'hôpital du chef- lieu du département sur
lequel ils dirigent les cas dépassant leurs moyens. Enfin, un service
de liaison automobile assure o les évacuations et réalise
l'interdépendance des différentes catégories d'hôpitaux.
A l'heure actuelle, l'Algérie dispose d'un ensemble d'établissements
hospitaliers qui témoigne de l'importance que le Gouvernement n'a
cessé d'attacher aux questions d'assistance puisqu'il totalise
près de 18.000 lits. Ces établissements disséminés
à travers le territoire, à peu près proportionnellement
à la densité de la population, ont été judicieusement
placés. Ils se répartissent ainsi qu'il suit :
I - Hôpitaux coloniaux.
-
Département d'Alger : hôpital de Facultés et ses 2
annexes; 6 hôpitaux d'arrondissement; 5 hôpitaux-hospices.
Département d'Oran. -1 hôpital chef-lieu;2 hôpitaux
d'arrondissement; 3 hôpitaux- hospices, 3 hospices.
Département de Constantine. - 1 hôpital chef-lieu; 5 hôpitaux
d'arrondissement; 3 hôpitaux-hospices, 1 hospice.
II - Hôpitaux militaires
recevant des malades civils
Département d'Alger : 7
Département d'Oran : 7
Département de Constantine : 3
Total : 17
III. - Hôpitaux auxiliaires
Département d'Alger : 29
Département d'Oran : 27
Département de Constantine : 34
total : 90
Il convient d'ajouter à cette énumération : Département
d'Alger : 1 hôpital psychiatrique, 1 sanatorium. Département
de Constantine : 1 préventorium marin.
Le développement de l'Assistance hospitalière en Algérie
est attesté par la progression continue du mouvement des hospitalisations.
En 1851, les établissements hospitaliers existant avaient soigné
24.814 malades représentant 441.000 journées d'hospitalisation.
En 1945, les hôpitaux ont reçu 158.720 malades représentant
5.433.650 journées.
En l'absence de statistiques, il n'est malheureusement pas possible de
suivre, depuis l'origine, l'accroissement de ce mouvement des hospitalisations.
Mais les renseignements recueillis depuis 1910 -- reproduits dans les
graphiques publiés ci-dessus - permettent de
suivre l'augmentation annuelle du nombre des malades hospitalisés
et des journées d'hospitalisation.
Leur lecture est édifiante. Ils prouvent que l'Administration Algérienne
a fait son devoir pour protéger et assister la population musulmane
et pour adoucir ses misères.
Et l'on peut affirmer que les réalisations d'assistance consacrées
aux populations de l'Algérie constitueront l'un des plus beaux
chapitres de l'histoire de l'installation de la France dans ce pays et
contribueront à la grandeur de son uvre indestructible.
D. MOLINES
Directeur de la santé Publique au Gouvernement général
de l'Algérie.
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