-------------C
'EST au bout de cette rue ! m'ont dit les gamins de Coléa qui
suivaient en se bousculant, une section de parachutistes bigarrés
et chantant. Au bout de la rue, il y a un grand porche et des bâtiments
sévères qui sont l'Ecole militaire préparatoire
nord-africaine de Coléa.Une caserne, mon Dieu ! n'est jamais
réjouissante, et celle-ci me paraît bien vieille, mais
indestructible comme tous les bâtiments édifiés
jadis par le génie. -------------Alors
n'y cherchons ni grâce ni poésie, et suivons l'homme du
poste qui me conduit chez le colonel Fredet, commandant l'école.
-------------Couloirs
aux planchers usés, raides escaliers, portes fermées.
C'est froid, et je suis triste.
-------------LE colonel
Fredet est un homme qui a la foi ; ça se sent, ça se respire
du premier coup. Il a une mission très noble à remplir.
II ne commande pas un régiment, , mais il a la charge de 312
enfants, des petits de dix ans, onze ans, des grands qui ont déjà
quinze ans, très fiers d'une ombre sur la lèvre. Il en
fera des hommes...
-------------Il est accompagné
de M. Spanin, directeur des études, détaché par
le ministère de l'Education nationale. M. Spanin a le geste rare
et la parole brève, mais il a le mot juste et clair.
-------------UNE
Ecole militaire, même préparatoire, ne sort pas de terre
comme ça, sur un coup de baguette. Alors, un peu d'histoire.
-------------En 1942,
les enfants de troupe, tous Français de souche, qui se trouvaient
en vacances en Algérie, furent coupés de la métropole.
On les recueillit à Hammam-Righa.
Ils étaient peu nombreux.
-------------En 1945,
le commandant Marchi, qui mourut à la tâche, organisa la
première Ecole militaire préparatoire nord-africaine,
à Miliana. Le recrutement, exclusivement musulman, y amena 50
enfants environ, de huit à dix ans, qui n'avaient que des bases
scolaires bien fragiles.
-------------En 1951,
l'école de Miliana,
trop éloignée d'Alger, donc du gouvernement général,
du rectorat, du corps d'Armée, fut transférée à
Coléa. La place n'y était pas mesurée, et le climat
était moins rude.
-------------Mais
il convenait, il était essentiel d'apporter au recrutement de
profondes modifications.
-------------En 1955,
eut lieu le premier recrutement par concours, au niveau de la sixième
des lycées. Trente enfants de confession musulmane furent admis.
C'était encore peu.
-------------En 1957,
l'Ecole prit sa forme actuelle, que l'on peut croire définitive,
au moins dans ses principes.
Les classes du premier degré furent supprimées. Les élèves
furent recrutés au concours ouvert aux Français de souche
et de confession musulmane. L'enseigne-ment y est donné de la
sixième à la troisième moderne, avec l'introduction
d'une section technique au niveau de la quatrième.
-------------L'école
est devenue un collège.
-------------Ce fut
un succès et, en octobre 1957, cent vingt-cinq nouveaux élèves
revêtirent l'uniforme bleu et coiffèrent le large béret.
-------------L'effectif
de l'école est actuellement de 312 enfants, dont soixante-quatorze
Français de souche.
Les perspectives pour l'année scolaire 1958-1959 sont très
belles.
-------------L'ENSEIGNEMENT
scolaire, nous l'avons dit, est dirigé par un fonctionnaire civil
détaché par le ministère de l'Education nationale.
En proviennent aussi les professeurs. Les répétiteurs
et les surveillants sont des sous-officiers et des hommes du contingent
qui ont reçu une formation technique, éducative, indispensable
à l'accomplissement de leur mission. L'encadre-ment militaire,
car les enfants sont groupés par compagnies, est fourni par des
officiers, capitaines ou lieutenants, spécialement choisis pour
leurs qualités morales et la connaissance des problèmes
de l'enfance.
-------------Tous
forment une équipe extrêmement homogène et font
en sorte que leurs élèves soient, avant d'être des
hommes, des enfants aussi " complets " que possible, d'une
belle tenue physique et morale.
-------------LA journée
d'un élève de l'école est celle d'un potache, formée
d'heures studieuses et de récréations. Mais, outre le
jeudi consacré à des manifestations sportives, un après-midi
de plein air est accordé aux élèves qui, sous la
conduite de leurs éducateurs visitent des usines, des coopératives,
les ports...
-------------Et ces
jeunes adolescents, qui ouvrent leurs yeux et leurs oreilleses, publient
ensuite dans leur journal : " Message de l'E.M.P.N.A", des
reportages, des relations, et même des vers qui ne sont pas médiocres.
-------------QUATRE
ans d'études de discipline... Et voici le premier examen, le
brevet d'enseignement du premier cycle.
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--------------Ceux
qui réussissent sont envoyés en France pour entamer le deuxième
cycle qui conduit aubaccalauréat , et préparent ensuite
les grandes écoles militaires : Saint Cyr, Navale, Polytechnique...
-------------Les autres,
les malchanceux, s'engagent pour cinq ans et ne sont pas abandonnés.
Ils seront sous officiers, officiers aussi, s'ils se perfectionnent.
-------------Cet engagement
pour cinq ans est la contrepartie d'un enseignement gratuit, d'un internat
gratuit totalement, assorti même d'un prêt de vingt francs
par jour.
-------------AH ! m'a
dit le colonel Fredet, vous n'avez pas de chance ! Vous ne verrez pas
mes enfants en plein travail. Tous partent ce soir ou demain matin en
vacances. Mais allons les voir quand même.
-------------La sévérité
de la caserne m'émeut encore. C'est un cadre trop rigide pour ces
gamins.
-------------Le colonel
sourit. " Bien sûr, bien sûr, dit-il. Pensez que c'est
la plus vieille caserne d'Algérie. C'est la doyenne ! Elle fut
créée en 1834, par Lamoricière, qui y installa le
1er Zouaves. Mais venez.."
-------------Nous traversons
le quartier qui autrefois, il y a cent ans, commandait la route de Blida
à Alger.
Et toute ma tristesse s'envole !...
-------------L'école
possède de vastes terrains plantés d'arbres et la vue s'étend
sur l'Atlas blidéen. C'est très beau.
-------------Et là,
tout près, s'élèvent les nouveaux bâtiments
scolaires, les réfectoires, les cuisines, le foyer, tous de construction
moderne, lumineux et gais à l'oeil.
Les salles de classe sont parfaitement équipées et les murs
sont teintés de couleurs différentes. Les réfectoires
ornés de plantes vertes, garnis de tables hexagonales et de chaises,
sont vastes et rien n'y est étriqué. Les cuisines sont éblouissantes
de propreté, les fourneaux, les tables, les larges frigidaires,
les divers instruments culinaires ma-niés par des hommes vêtus
de blanc, sont à la pointe du progrès.
-------------Nous visitons,
nous passons d'un bâtiment à l'autre. Les élèves
que nous rencontrons saluent, et le colonel, qui, bien entendu, les connaît
tous, les interpelle.
-------------L'un d'eux,
qui n'a pas eu des notes très brillantes, a droit à une
semonce qu'il écoute en baissant le nez, et à une tape d'encouragement
sur l'épaule, qui le ragaillardit.
-------------Dans une
grande cour, des camions militaires qui, demain, les emmèneront
à la gare d'Alger, sont entourés d'enfants déjà
ravis.
-------------Nous entrons
au foyer, grande salle joliment décorée. Le barman, qui
ne secoue pas de shaker, mais sert des sirops et des limonades, est navré
parce que le distributeur de bonbons est vide.
-------------Allons
encore... Tous les jours, pendant la grande récréation de
16 à 18 heures, les élèves se livrent à des
activités extra-scolaires qu'ils choisissent selon leurs goûts
Ils se groupent et forment des clubs de musique, de sports, de photographie,
de reliure d'art d'expression... M. Spanin me dit : "
Cela leur permet de sortir de leur coquille d'interne et d'élève.
Les résultats sont très bons. "
-------------Chaque
club a son atelier et dispose d'un matériel. Les reliures sont
correctes, les photos prises, développées et tirées,
sont belles. Les appareils de T.S.F. montés par les élèves,
qui emploient des pièces de récupération, ne grésillent
pas trop...
-------------OUI, tout
ce que je vois, tour ce que je sens, est harmonieux parce que rien n'esr
laissé au hasard, parce que tout est " réfléchi
" par des hommes qui ont de l'imagination, qui con naissent l'âme,
le coeur et les réflexes d'un enfant, qui ne font pas un métier,
mais qui se consacrer-à leur métier.
-------------Une question
pourtant me brûle les lèvres depuis un moment. Je la pose
: Cette coexistence des éleves chrétiens et musulmans...
-------------M. Spanin
m'interrompt. Il me montre un groupe de jeunes garçons, très
animés : " Il n'y a pas de coexistence, me dit-il. Il y a
une existence commune. "
-------------Le colonel
Fredet, très grave, tout à coup, me dit aussi : " Connaissez-vous
la devise de notre école ? Elle est belle, elle est fière
Elle est comprise par tous ces enfants qui seront un jour des cadres de
l'armée. C'est : " UN SEUL CUR,
UN SEUL DRAPEAU !»
Jean ROMAN.
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