L'arrivée
d'un maître européen à l'école d'Aïn-Tessa
C'est
au printemps 1961 que le village d'Aïn-Tessa recevait la visite
de l'armée et notamment d'officiers américains. Ce jour-là,
muni d'un Foca standard, j'ai immortalisé à jamais l'école
française d'Algérie.
Cinquante ans plus tard, ces photos aux couleurs délavées
par le temps, me donne le bonheur de me replonger dans le passé...
L' école d'Aïn-Tessa n'était pas une fiction. Elle
était là et bien là. Quand on arrivait par la route,
on ne voyait qu'elle. Elle flambait neuf sur fond d'azur intense, visiblement
surajoutée au douar-village d'Aïn-Tessa.
Ma première impression fut de contentement.
L'école préfabriquée avait été "
posée " au printemps, montée dirons-nous, de toutes
pièces : trois corps de bâtiments disposés sur trois
côtés, comme pour former une cour rectangulaire dont le
grand côté manquant se serait trouvé au sud. En
fait, ce côté sud était matérialisé
par un chemin d'exploitation bordé par des oliviers. Un petit
panneau planté dans l'angle sud-est de cette cour improvisée
portait sur fond bleu et en toute simplicité, cette inscription
" Place du Général De Gaulle ". Le plus grand
des bâtiments comprenait deux salles de classe et un préau
attenant; les deux autres, on l'aura deviné, étaient destinés
au logement des instituteurs.
À l'est, et à quelques mètres de ma " villa
", un mât avait été planté au sommet
duquel un drapeau disait bien qu'Aïn-Tessa était un village
de France.
Aïn-Tessa avait dû être avant la colonisation, un "
douar ", c'est-à- dire un ensemble de tentes abritant une
population semi-nomade qui, peu à peu, se sédentarisa
par la force des choses et les " réaménagements fonciers
" imposés par la' colonisation. Je ne pouvais m'empêcher
de voir en ces Arabes, les i descendants de ces tribus makhzen qui s'étaient
placées sous la protection de la France au moment de la conquête
ou, plus loin encore, de ces " Morozdepaz " ou de " guerra
" qui, selon leur humeur, avaient soutenu ou combattu l'Espagne
! Le douar prenait ses quartiers sur les retombées ouest de la
petite chaîne côtière du Murdjadjo, à une
trentaine de kilomètres d'Oran, dans une zone sommitale plane
dont les marges s'effrangeaient en ravins profonds et sauvages (Sidi
Bakhti) qui dévalaient vers le nord jusqu'à la Méditerranée
(Cap Blanc). Ce , paysage m'était familier pour l'avoir traversé,
il n'y avait pas si longtemps, à l'occasion d'entraînements
cyclistes. Mais alors, rien ne me forçait à m'y arrêter.
Tous ceux qui ont grimpé le sauvage Sidi Bakhti, puis dévalé
vers le sud les lacets de Bou-Tlélis (ou inversement), ont en
mémoire les mêmes images que moi.
Vers le sud justement, et depuis l'école, on pouvait apercevoir
l'horizon proche de la chaîne du Tessala et surtout le miroir,
aveuglant sous le soleil, du grand lac salé de la Sebkha; en
contrebas, mais non visible d'ici, le long de la nationale Oran-Tlemcen,
s'étirait le village de colonisation de Bou-Tlélis, cerné
de vignobles et d'orangeraies tirés au cordeau.
Voici pour l'environnement au sens large.
Une école flambant neuf, ai-je dit? Oui, mais sans eau ni électricité
! Cependant, l'appartement me permit de déposer quelques affaires
personnelles, des livres, du matériel pédagogique... J'y
abandonnerai un jour, entre autres choses, le très beau microscope
qui avait enchanté mon Noël de 1947!
Bien que ce fût une école à deux classes, cette
année scolaire 19591960, je la passai seul et bien seul! En attendant,
mon arrivée au douar n'était pas passée inaperçue.
En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, je fus entouré
d'enfants qui avaient atterri là comme une volée de moineaux
curieux, des garçons surtout et quelques fillettes, à
distance, qui, vu le moment de l'année avaient deviné
que j'allais être leur nouveau maître d'école. Quelques
adultes, prévenus je ne sais comment (le téléphone
arabe ?), m'observaient depuis le seuil des maisons. Un homme, la cinquantaine,
déboucha, s'avançant vers moi, sourire aux lèvres
et mains tendues : c'était le chef du douar. On ne pouvait souhaiter
accueil plus chaleureux ! J'appris de sa bouche que l'école avait
fonctionné jusque-là dans une ferme voisine, grâce
à la salle prêtée par un agriculteur européen,
voisin du douar. Ainsi Bou-Yacor n'était pas un exemple unique.
Une partie du matériel pédagogique et surtout du mobilier
lourd se trouvait encore dans l'ancienne école. Il allait donc
falloir le transporter dans la nouvelle; le lendemain, le responsable
de l'exploitation, M. Morel, mit une camionnette à ma disposition
et quelques bras secourables. Bien sûr je pris ma part de travail.
En fin de journée, je fis la connaissance de M. Prat et de son
épouse qui résidaient habituellement à Oran. Leurs
racines étaient ariégeoises. Ils me proposèrent
de loger dans une partie non occupée de leur appartement, trop
heureux, me dirent-ils franchement, qu'un Européen de plus résidât
dans la ferme qui était vaste; jusque-là, la région
était restée calme : j'acceptai. J'allais très
vite apprécier la gentillesse et la générosité
de M. Morel, resté veuf quelques années plus tôt
et qui, désormais, partageait son appartement à la ferme
avec sa soeur aînée. Très vite, ils me considérèrent
un peu comme le fils de la maison. Souvent le soir, ils m'invitaient
à leur table. En retour, j'eus l'occasion de leur rendre quelques
menus services. Vivait aussi sur les lieux un couple âgé
de retraités d'origine espagnole : lui, petit vieux sec et encore
vigoureux, avait travaillé toute sa vie au service des Prat;
elle, femme à tout faire, corpulente et toujours souriante, avait
veillé notamment à l'entretien des locaux et appartements
inoccupés.
Enfin, un jeune couple de patronyme espagnol, travaillait encore sur
la ferme. Lui s'occupait, je crois, de la vinification. Leur fils fréquentera
mon école; ce sera mon seul élève européen.
La suite des événements, le chaos final feront hélas
! que je partirai sans avoir pu dire adieu à tous ces braves
gens.
Une partie de mes élèves : debout,
les mains sur le ventre, c'est Amarouch Ben Allel, d'origine
marocaine, féru de jardinage, plein d'humour et la dent
dure à l'encontre de ses petits copains algériens
! À son côté, souriant, Hamdoun Ali, intelligent
et doux... Tout à fait à droite et assis, son
petit frère Mohammed, mêmes qualités...
La petite fille, c'est la gentille et mignonne Sein que j'appelais
affectueusement Settica " (petite Seth). Tous ces enfants
ont aujourd'hui presque 50 ans ! (coll. auteur).
|
Ma classe ! Garçons et filles mélangés
!
Remarquez dans la file de gauche, le dernier élève,
c'est un Européen, le seul, fils du contre-maître
de l'exploitation Prat, exploitation distante de 2 km qui n'apparaît
pas dans les photos. La voiture 4 CV Renault, tournée
vers le sud, c'est la mienne. En arrière-plan, un chemin
d'exploitation bordé d'oliviers.(coll. auteur)
|
La rentrée se fit sans problème. L'école était
correctement équipée de mobilier neuf. Seul manquait un
bureau pour le maître. Une table d'écolier fit l'affaire.
Je m'étais fabriqué un matériel pédagogique
de base les années précédentes. Très vite,
nous pûmes nous mettre au travail. L'école était
bien conçue: une porte donnait sur la place- cour du Général-De-Gaulle;
une seconde donnait accès directement à un préau
fermé sur trois côtés.
Par mauvais temps (rare) et jour de froidure (exceptionnel), il se révéla
très confortable. L'effectif initial devait approcher la quarantaine
d'enfants et on m'expliqua que la seconde classe ne resterait pas longtemps
vide car certaines familles qui vivaient dans les environs étaient
en cours de regroupement. On verra que, peu à peu, un nouveau
village " octogonal " en dur allait effacer progressivement
le semis serré et quelque peu désordonné des mechtas
et gourbis traditionnels. Après les vacances de Noël, début
janvier 1960, je vis, avec le plus grand des plaisirs, arriver un collègue.
Il avait mon âge. Il était accompagné de sa jeune
épouse qui ne travaillait pas. Comme moi il était d'Oran.
Bien sûr, les Prat leur trouvèrent vite de quoi loger sur
place. La seconde classe commença avec un effectif relativement
réduit qui, très vite, s'étoffa. Nous pûmes
nous organiser, travailler ensemble. Je crois que nous fîmes globalement
une bonne équipe.
o
|