sur site le 23/12/2001 à 0 h 22
-l'école d'application d'El Biar ( suite de école communale)
Texte de Alfred Coulon -- Extrait de la revue du GAMT n° 75
Texte transmis par Hervé Cuesta

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1er octobre 1918- 30 septembre 1933

Le 1e octobre 1918, lorsque Mr Coulon prend la succession dc M. Saura, l'école communale d'El Biar compte officiellement cinq classes. Mais en attendant l'accomplissement des formalités légales, une sixième est ouverte et elle est confiée à une jeune intérimaire.

En 1920, une septième classe est créée et elle est installée provisoi-rement dans un local loué par la commune. En 1921, l'école libre de St François dc Sales - 5 classes -n'ayant plus d'élèves ferme définitivement ses portes. M Coulon fait acheter pour 300 000 franc; les bâtiments scolaires, la maison mauresque et le terrain attenant. St François de Sales devient alors une annexe de l'école communale.

Après avis conforme du Conseil municipal d'El Biar, émis dans si séance du 15 juillet, et sur proposition de l'Inspecteur d'Académie, le Ministre de l'Instruction publique décrète par arrêté du 27 mars 1922 que l'école communale d'El Biar devient Ecole d'application à dater du 1e octobre 1922. Les élèves-maîtres de l'Ecole normale de Bouzaréah passent donc à
tour de rôle dans les classes.

Le le octobre 1923, le cours complémentaire fonctionnant à l'Ecole normale de Bouzaréah est transféré à l'Ecole d'application d'El Biar. Il ne comprend d'abord qu'une classe, avec le concours d'un de ses collaborateur particulièrement consciencieux et dévoué, M. Serrette. Le Directeur assure la charge de ce cours complémentaire concurremment avec celle du cours supérieur, classe du Certificat d'études. L'année suivante, 1924, le cours complémentaire est dédoublé et ses deux classes sont confiées à deux professeurs, messieurs Fébrer et Lagarde.

Le 30 septembre 1933, lorsque M. Coulon est admis à la retraite, l'école a 10 classes fonctionnant à plein rendement et deux classes nouvelles, dont la construction est activement poussée, qui pourront être ouvertes au début de 1934. Enfin, pour éviter aux élèves venant de Ben Aknoun les fatigues et les dangers d'un long trajet, M. Coulon a obtenu, d'accord avec le Maire, monsieur Luciani, d'abord l'ouverture d'une classe installée à titre provisoire dans un local prêté par le lycée, puis d'une école indépendante à Ben Aknoun.

Sous son impulsion et avec sa collaboration, d'autres écoles ou classes ont été successivement ouvertes à Hydra, au Frais Vallon, au quartier Laperlier, à Fontaine Fraîche et au Beau Fraisier dépendant alors de la commune d'El Biar.

ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES PERI-SCOLAIRES


Cantine scolaire

Au 1e octobre 1918, une ébauche de cantine scolaire fonctionne à l'école des filles et à l'école des garçons. Les fonds servant à l'entretien sont fournis par les cotisations des membres d'un Comité républicain, créé pendant la guerre. La soupe est préparée par la femme de charge de l'école des filles, mais les garçons ne l'apprécient guère et trop souvent les assiettes sont vidées dans les lavabos. Madame Coulon, femme du Directeur, met de l'ordre à cela ; elle donne des instructions précises et sévères à la femme de charge. Elle goûte chaque jour la soupe et elle fait elle-même la distribution, s'assurant que les élèves avalent jusqu'à la dernière bouchée cette bonne soupe chaude. En principe, les enfants doivent verser 0,10 F pour chaque repas, mais trop souvent des enfants, qui sont ou qui se disent indigents, oublient d'apporter leurs deux sous et la recette journalière est mince. La guerre finie, le Comité républicain est dissout et, comme la commune ne verse aucune subvention, la cantine cesse de fonctionner.

Le Directeur continue cependant à assurer seul et sous sa seule responsabilité la surveillance de l l h à 13h des élèves venant des quartiers éloignés. Sa femme chauffe, sur son fourneau, les gamelles apportées par les enfants.

Cours d'adultes
Le Directeur entreprend d'ouvrir, après souper, un cours gratuit pour les illettrés. Malheureusement, par faux orgueil et sans doute pour ne pas avouer tacitement leur ignorance, les Européens s'abstiennent. Seuls fréquentent les cours quelques arabes et kabyles qui en retirent un profit certain.

Cours de perfectionnement
Il essaie, le jeudi matin, d'ouvrir des causeries-conférences sur les sujets d'actualité, sur les questions sociales, à l'ordre du jour, sur les techniques nouvelles appliquées dans l'industrie. Mais ces séances, qui exigent une préparation sérieuse, n'attirent pas les jeunes gens qui ne paraissent guère avides de compléter leurs connaissances. Un cours d'arabe pratique n'a pas plus de succès et il faut abandonner les projets.
Quelques années plus tard, s'étant assuré la collaboration d'un de ses collègues d'Alger - mari de la Directrice de l'école des filles -, il essaie d'instituer des cours gratuits de français, de comptabilité, de sténographie et de dactylographie.

 

Ces cours destinés aux garçons et aux filles n'obtiennent aucun succès et il faut rendre les machines à écrire, obligeamment prêtées. Une jeune fille donne ingénument l'explication de cette carence. Puisque ce sont les parents qui paient, ses compagnes préfèrent descendre à Alger. Cela fait une sortie et cela autorise des assauts de coquetterie. Cela permet de bavarder, de voir les magasins et d'engager avec les garçons des flirts amusants. Le retard se justifie facilement en le mettant sur le compte de T.M.S. de fâcheuse mémoire.

Projections lumineuses, cinéma

Le Directeur obtient plus de succès avec ses séances de projections lumineuses. II dispose d'une bonne lanterne et d'une riche collection d'images et de clichés. Pour remplacer la toile tendue ou le papier transparent, il a fait peindre sur le mur faisant face aux élèves un écran blanc bordé de noir. Il a confectionné lui? même, avec du papier noir collé sur des cadres mobiles en bois, des caches qui lui permettent de transformer en quelques minutes la salle de classe en chambre obscure. Il met à contribution la Société de Géographie, le service photographique du Gouvernement général, le Musée pédagogique de Paris qui lui fournissent de magnifiques clichés. II peut ainsi traiter à loisir et au moment voulu tous les sujets, mais il a soin, afin d'apporter une détente en procurant une saine gaieté, d'alterner les projections instructives avec des scènes comiques et amusantes.
Plus tard, il réussira à doter l'école d'un véritable cinéma permettant de faire passer les films de tout format. Les séances de projections deviennent ainsi plus intéressantes et plus instructives.

Promenades scolaires

Pour compléter cet enseignement par l'aspect, il organise des promenades scolaires comportant chaque fois une visite intéressante, visite de la brasserie "la Gauloise", de l'Institut Pasteur, de l'Insectarium du parc zoologique... Mais, afin de ne rien prendre sur les heures de classe, de laisser toute liberté aux élèves, comme aussi pour éviter toute insinuation malveillante de quelques parents grincheux, ces sorties sont toujours organisées un jeudi. Elles obtiennent un grand succès et peu d'élèves s'abstiennent d'y prendre part.

Bibliothèque scolaire et populaire
II existe une bibliothèque paroissiale tenue avec infiniment de zèle et de dévouement par Mademoiselle de Franc-lieu. Mais le Directeur pense qu'à côté de cette bibliothèque à caractère quelque peu confessionnel, il y a place pour une bibliothèque scolaire et populaire. Il s'ouvre de son projet au Maire, M. Luciani, qui l'approuve d'enthousiasme et lui promet son appui.

Il adresse une lettre collective aux conseillers municipaux mais la plupart sont réticents. La séance est orageuse, le Maire qui soutient vigoureusement son projet de subvention n'est pas suivi ; on lui objecte, comme toujours, qu'il y a des dépenses plus urgentes à voter. Surpris et peiné de rencontrer une obstruction à laquelle il ne s'attendait pas, le Maire se fâche et brise son lorgnon dans le feu de la discussion. Il fait de cette question une affaire personnelle et il finit par obtenir le vote d'une subvention de 500 francs.

Cette somme est à peine suffisante pour acheter les planches nécessaires à la construction des étagères. Mais peu importe au Directeur qui se met aussitôt à l'œuvre. Il lance un appel à la population et aux amis de l'école. II demande non de l'argent, mais des livres. Il reçoit des offres nombreuses, et chaque soir après la classe, chaque jeudi, chaque dimanche, il part faire ses tournées et il rapporte chaque fois une abondante provision de livres et de brochures. Ceux qui n'ont pas de livres intéressants à lui donner demandent quels ouvrages ils pourraient acheter et il les commandent à son intention. Il procède au tri nécessaire pour éliminer les non-valeurs. Il relie lui- même les brochures en mettant à contribution, pour le coupage des tranches l'adjudicataire des fournitures scolaires. La bibliothèque prend corps et il établit les catalogues sur fiches. Le Recteur accorde des subventions et le Directeur de la Bibliothèque du Gouvernement général, puisant libéralement dans les crédits mis à sa disposition par la colonie, fait don, à plusieurs reprises à la bibliothèque d'El Biar, de belles collections de livres savants. La bibliothèque compte bientôt environ 3000 ouvrages dont plusieurs de grande valeur (la collection complète -édition et reliure de grand luxe - de l'histoire du Consulat et de l'Empire, de Thiers, de l'Histoire de France et de la Révolution française de Michelet, les monographies des Provinces françaises, les chefs-d'œuvre des grands maîtres de la musique et des peintres célèbres, les Images de la guerre, une documentation précieuse et rare sur l'Algérie). Elle contient en outre, à côté des dictionnaires et des ouvrages de vulgarisation scientifique, une abondante collection de romans et de pièces de théâtre.

 

 

 

 

 


Cette bibliothèque est divisée en deux lots, l'un qui constitue la bibliothèque scolaire confiée à la direction d'un professeur du cours complémentaire, et l'autre, la bibliothèque populaire ouverte régulièrement le dimanche matin au public. En principe, le prêt des livres est gratuit. Cependant, pour ménager l'amour-propre de quelques lecteurs fervents et assidus, une légère redevance est acceptée et elle est utilisée pour remplacer, dans une faible mesure, les livres détériorés ou égarés par des emprunteurs par trop insouciants et peu soigneux.

Mutualité scolaire et caisse d'épargne
Enfin, il réorganise sur de nouvelles bases la Mutualité scolaire à laquelle s'inscrivent de très nombreux élèves. Fâché de voir combien les enfants gaspillent leur argent pour l'achat de bonbons et friandises de mauvaise qualité, il collecte tous les petits sous. Il ouvre, sur un grand livre, les comptes particuliers et chaque fois que le total des versements d'un élève atteint un franc, il fait établir à son compte un carnet de caisse d'épargne. Cette initiative donne un surcroît de travail à l'employée des P.T. chargée de la caisse d'épargne mais, comme il se charge lui- même de la majeure partie de la besogne matérielle, on apprécie son action généreuse. Les parents, surpris et enchantés, ajoutent généralement une somme rondelette au premier versement de 1 franc et les élèves sont fiers d'avoir un livret à leur nom. Maintenant ils ne sont plus tentés de gaspiller leurs petits sous en achats inutiles et ils se font une joie de les apporter au Directeur, leur caissier bénévole.

ACTIVITES EXTRA-SCOLAIRES


Gymnastique et sports :
Par suite de la guerre, les anciens groupements sportifs sont en léthargie. Dès que les soucis de la rentrée lui en laissent le loisir, le nouveau Directeur essaie de recruter les éléments nécessaires pour constituer une société de gymnastique et de sports qui grouperait tous les jeunes gens, sans distinction de race, de religion ou d'opinion politique. II entreprend donc les démarches nécessaires et il s'abouche même avec Monsieur le Curé qui avait constitué une section sportive paroissiale. Il reçoit de tous le meilleur accueil et même on le complimente, mais il sent qu'on ne veut pas sérieusement, sincèrement, de l'union telle qu'il la conçoit, telle qu'il voudrait la réaliser. Chacun prêche pour sa petite chapelle et ne veut rien abandonner de ses préjugés. Il renonce donc à son projet et cela l'attriste profondément. A quelques temps de là, les anciens du Sporting? club ayant réussi à reconstituer leur société, il accepte alors de faire partie du Bureau en qualité de secrétaire adjoint. Bien que n'étant lui même pas du tout sportif, il apporte loyalement tout son concours pour l'organisation des diverses manifestations gymniques et sportives. Cela lui vaut d'ailleurs, en décembre 1923, une lettre de félicitations du Ministre de la Guerre.

Mais la bonne harmonie ne dure pas longtemps. Pour des questions d'intérêts particuliers et plus encore pour des préoccupations politiques un nouveau groupement sportif se fonde : l'U.S.E.B. et comme il bénéficie de la générosité et de l'appui de puissantes notabilités, dont le Maire lui? même, il voit ses effectifs s'enfler très rapidement. Dès lors, il y a dans la commune deux groupes rivaux, farouchement ennemis. Or le Directeur compte d'excellents amis dans les deux camps et il lui déplaît d'autant plus de prendre parti pour l'un ou pour l'autre qu'il a toujours professé ouvertement que la politique, la malfaisante politique de clocher n'avait rien à voir avec la pratique de la musique ou des sports. Il se retire donc du Sporting- club, mais malgré des sollicitations pressantes, il ne consent pas à donner son adhésion à l'U.S.E.B. Désormais, il restera à l'écart des querelles qui s'enveniment de plus en plus, essayant seulement, quand une occasion lui en est offerte, d'offrir ses bons offices pour calmer les plus excités, les plus intransigeants, les plus fanatiques.

Alfred COULON


Ce texte a été transmis par M.Georges Coulon, fils du narrateur, au père de notre adhérent M.alain Fabre. Nous l'avons retranscrit intégralement.