Alger, El-Biar
LA SCALA, MÉMOIRE D'UN QUARTIER D'EL BIAR - 2
Voir article 1

--------Le quartier tient son nom de l'industriel Constantin Scala (1843-1904) qui y possédait une propriété avec son épouse Henriette. Les époux Scala ayant une petite nièce devenue aveugle à l'âge de 6 ans, leurs héritiers cèdent la villa Scala à prix préférentiel à l' "Association nord-africaine pour les aveugles", fondée en 1920, filiale de l'Institut National des Jeunes Aveugles créé par Valentin Haüy. Elle devient une école ouverte aux enfants aveugles. En 1907, Henriette Scala avait également mis 3 000 m2 de jardins à disposition de l'oeuvre des Jardins Ouvriers 1. On comprend que ces bienfaiteurs aient laissé leur nom au quartier.


Article adressé par l'auteur : Pierre Prat
Cet
article est paru dans le numéro 51 de décembre 2012 des Echos d'El Biar.

sur site : mars 2013

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- LA SCALA, MÉMOIRE D'UN QUARTIER D'EL BIAR

LA SCALA, MÉMOIRE D'UN QUARTIER D'EL BIAR (suite) Le Café de Casablanca

Il était en quelque sorte le centre névralgique du quartier. Après mon grand-père Cabot, il connut plusieurs gérants successifs, sur lesquels je manque de précisions.
Pendant la dernière guerre, la cave du café servait d'abri lors des bombardements, comme celle des Dalmas.

A la mort du grand-père, mes parents, ne se sentant sans doute pas d'aptitudes pour le commerce, mettent le café en gérance. Il est pendant quelque temps installé au sous-sol de la maison, du côté rue Voltaire. Le gérant d'alors serait M.Lafaille, décrit par André Ségui comme "un Marseillais au tempérament exubérant, tonitruant même, qui faisait merveille parmi les clients et joueurs de boules". Son successeur serait Alphonse Pérez, qui ouvrira par la suite un salon de coiffure, place de la République.

D'octobre 1952 à 1959, Sauveur et Marie Sorabella, anciens agriculteurs d'origine italienne, reprennent le café. Ils ont trois fi lles et deux garçons. Les deux derniers cafetiers avant l'Indépendance seront M. Caprani, puis M. Leserre.

La famille Sorabella m'a communiqué de nombreuses informations et photos de la vie du café à l'époque de leurs parents. Du fait de sa situation centrale, on y trouvait une clientèle très diversifiée, représentative de la société d'alors. Pieds-noirs et Algériens s'y côtoyaient, tant des milieux populaires que des classes moyennes, voire supérieures. C'est ainsi que le Directeur de la prison de Barberousse y avait, par exemple, ses habitudes. Tout ce petit monde cohabitait dans une joyeuse convivialité où l'anisette, la kémia et le jeu de boules tenaient une place de choix !

Témoins de cet état d'esprit, deux associations avaient été créées. D'abord, la fameuse T.P.L.G. (Tout pour la gueule) (Il existait des "TPLG" en d'autres lieux, comme à Kouba. À St-Eugène, plage de l'Olivier, TPLG était le nom de la petite cabane, toujours existante, qui surplombait la mer), la bien nommée. Symbole d'un art de vivre "à la pied-noire", elle avait surtout pour but, comme son nom l'indique, de se retrouver autour de repas festifs, type méchoui ou paëlla, partagés dans la cour.

La deuxième, à vocation sportive, était l'ABSEB (Amicale Bouliste et Sportive d'El Biar) qui connaissait un franc succès. Les boulistes se livraient régulièrement à des parties de pétanque disputées dans la cour du café, mais se déplaçaient aussi pour rencontrer d'autres clubs. L'équipe "fanion" était celle de Raymond Nobili, Jean-Pierre et Paul Sorabella. Les frères Thibers avec Sauveur Sorabella n'étaient pas en reste.

Note du Déjanté, auteur du site: Vient ensuite une Galerie de portraits
A voir dans le PDF
- Le groupe des boulistes de l'ABSEB, lors d'un déplacement aux 7 Merveilles
- Partie de pétanque sous le cagnard
- Kémia sur la terrasse, vers 1953/1955 . On reçoit ce jour là Manuel LIMINANA
- etc...


Les années sombres

Aux années de bonheur et de joie de vivre, vont succéder les années sombres dont le quartier, comme tant d'autres, sera le témoin. Le propos n'est pas de se livrer ici à un historique des attentats nombreux qui ont suivi les années 1956/1957 jusqu'en 1962, perpétrés par les combattants de tous bords, notamment à El Biar. Je voulais cependant rappeler ceux qui ont frappé notre maison et le Café de Casablanca, dans la mesure où ils peuvent être symboliques, à l'échelle d'un quartier, d'une fracture défi nitive entre deux communautés qui jusque là vivaient en harmonie. Ils correspondent également à des actions à replacer dans un contexte historique plus général et à une nette aggravation du confl it.

En voici la chronologie, qui reste à confi rmer :
      o Entre Noël et jour de l'An 1955 (?) : dans la cour du café, l'amicale des boulistes est en plein "Concours de la plume", appellation due aux lots en volailles remis aux vainqueurs. Un homme surgi d'une ruelle voisine tire plusieurs coups de revolver vers les boulistes. Un client a la casquette percée. 1
      o Eté 1956, un samedi après-midi : une fois encore, la cour est occupée par les joueurs de boule. Une 203 passe à vitesse réduite une première fois. Au deuxième passage, une rafale de pistolet mitrailleur est tirée vers le café. Un client, Tonio, voit passer une balle au-dessus de sa tête. Plus de peur que de mal. Il semblerait que le tireur ait été gêné par le dévers du virage et que la rafale soit partie en l'air. J'étais dans la maison ce jour-là et me souviens du bruit saccadé de la rafale.
      o Novembre 1956 : un dimanche après-midi, un homme entre dans la cour et jette une grenade. Elle rebondit sur le chambranle de la porte d'entrée du café et explose dans la cour, vide fort heureusement. Le café était bondé, comme toujours le dimanche. Il s'en est fallu d'un cheveu pour qu'on assiste à une hécatombe.
      J'ai encore dans l'oreille le son mat et puissant de la grenade, alors que mon frère répétait son violon. Il s'est arrêté net et un long silence a suivi. Après tant d'années, nous avons pu évoquer récemment cette journée avec les frères Sorabella, alors que nous n'étions qu'à quelques mètres les uns des autres.

Leur père se plaisait à expliquer pourquoi ces attentats n'avaient pas fait de victimes. La maison aurait été construite sur un "marabout" (lieu saint, tombeau...), ce qui aurait épargné les populations visées. La construction d'une mosquée après 1962, juste à côté de la maison, pourrait en tout cas confi rmer l'hypothèse d'un lieu saint musulman et historique, à défaut d'une protection divine.
Après le départ des Sorabella, deux nouveaux attentats, dont un à la grenade, auraient été dirigés contre le café, faisant cette fois-ci des blessés.

Vers la même époque, un poste de la "territoriale" est installé dans le garage de la maison (2). Une dizaine de réservistes y montent la garde, se relayant tous les quinze jours. Sylvain Garcia-Herrra (3), cousin de ma mère, en faisait partie. Je me souviens de certains de ces réservistes venus partager le repas familial. Leur uniforme et leur revolver P38 m'impressionnaient.

Cette première vague d'attentats va entraîner le départ des clients algériens. Ils vont désormais se cloîtrer dans leurs maisons du bas du quartier, de crainte principalement d'être accusés de "collaboration". Certains s'engageront aux côtés du FLN. Au café, on garde une arme sous le comptoir au cas où... précaution sans doute plus rassurante qu'efficace. Beaucoup de Pieds-noirs seront armés vers la fin du conflit. Paul Sorabella, chargé quelquefois de tenir le bar avec son frère Jean-Pierre, m'a confié qu'il n'aurait sans doute pas osé s'en servir.

Comme partout dans le pays, la fraternisation des populations avait vécu. Une page de l'histoire de l'Algérie était définitivement tournée. Le 16 janvier 1958, ma mère et moi quittions pour toujours notre maison de La Scala.

Pierre PRAT

Voir article 1
Remerciements à :
Famille SORABELLA - André SÉGUI - Claude et Guy VAN DEN BROECK - Alain TRIBOT - Paul VENYS - Monique MOTH ES-J UAN EDA - Michèle JOUBERT-JUANEDA - André OLIVIÉRI - Michèle RI POLL - Francis RAMBERT - Sylvain GARCIA-HERRA - Bernard VENIS - Isabelle LACHEREF .
Merci de me communiquer vos remarques et autres souvenirs, suite à cet article : pierrkiroul@wanadoo.fr
1. Je ne me souvenais pas personnellement de cet attentat.
2. Sur les Unités Territoriales, lire :
http://alger-roi.fr/Alger/territoriale/textes/1_territoriale_historia62.htm
3. Ses parents tenaient une boucherie-charcuterie au 71 avenue Clémenceau.