l'enseignement, les écoles - Algérie, Alger
La première école " arabe-française "
par Henri Klein

extraits du numéro 126 , juin 2009 , de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site : septembre 2013

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La première école " arabe-française "
par Henri Klein

C'est du fondateur de la première école arabe-française qu'il s'agit aujourd'hui, école de la rue Porte-Neuve dont, parmi les indigènes, est demeuré intense le souvenir.

Ainsi que pour la réalisation de tant de choses, un animateur, pour l'organisation de l'enseignement à donner à la jeune génération musulmane était nécessaire à Alger. Les prescriptions administratives ne pouvaient, en l'occurrence, suffire.

L'homme qu'il fallait arriva, ici en 1834. Il avait nom Depeille, et était âgé de 23 ans. Bachelier ès lettres et ès sciences, il professait les mathématiques au collège de Toulon. Une place de maître suppléant lui échut d'abord au petit collège français, créé rue des Trois-Couleurs en 1835.

Porté à l'étude des choses de l'Islam, il s'assimila bien vite la langue du pays en laquelle il perfectionna littérairement.
Le collège arabe-français sera inauguré en 1857 place d'Isly, dans un bâtiment qui deviendra par la suite le quartier général de la division du 19e Corps.

Le collège arabe-français sera inauguré en 1857 place d'Isly, dans un bâtiment qui deviendra par la suite le quartier général de la division du 19e Corps.
Le collège arabe-français sera inauguré en 1857 place d'Isly, dans un bâtiment qui deviendra par la suite le quartier général de la division du 19e Corps.

Par lui furent organisés des cours de français en des écoles mauresques. Il organisa, de même, un cours d'arabe. En 1851, s'ouvre son école indigène au n° 34 de la rue Porte-Neuve, en une maison de trois étages avec appartement sur terrasse qu'il fait lui-même construire et pour le loyer de laquelle lui est annuellement remis, par la Ville, la somme de 1 500 F.

L'entreprise réussit grâce à son habile tolérance de laisser enseigner le Coran, de 7 à 8 heures du matin. L'école compte, en 1854, deux cent dix mahométans et douze Français. Grâce à Depeille, à partir de 1852, des bourses d'apprentissage auprès de patrons européens sont fondées qu'apprécient fort les familles. En présence du gouverneur, ont lieu, à Djama-Kébir, les distributions des prix. Mais en 1857, le 14 mars, un décret paraît, annonçant la création d'un collège arabe-français lequel, sur la fin de l'année, s'inaugure en un bâtiment de la place d'Isly qui deviendra, dans la suite, quartier général de la division du 19' Corps. Le directeur est M. Perron, venu du Caire, où ses connaissances en arabe l'avaient, pour l'administration fait placer à la tête de l'École de médecine (Desprez). Un arrêté du 18 décembre nomme sous-directeur du collège M. Depeille, à qui succéderont, en la maison de la rue Porte-Neuve, MM. Destrées et Colomba. Bientôt est appelé à la direction du collège l'orientaliste Cherbonneau qui, avec Depeille, imprime à l'institution une féconde activité.

Parmi la clientèle de l'établissement, se comptent nombre de fils de caïds, d'aghas, gages en réalité, destinés à répondre de la fidélité de leurs pères. Le costume adopté comporte une culotte bleue, une veste amarante écussonnée de deux croissants d'or et une chéchia à longue cloche.

Comme Cherbonneau, Depeille professe. Suivirent ainsi ses leçons: Houdas devenu inspecteur général; Machuel, Scheer nouvel apôtre de l'enseignement indigène sous le recteur Jeanmaire; Fatah; Ben Sedira; Omar Brimath futur professeur de la Médersa; Ahmed Brimath futur interprète militaire; Mohammed et Brahim (interprètes judiciaires), tous fils de Hassen Brimath premier directeur de ladite Médersa et aêul de l'actuel directeur Alata, arrivé dans l'armée au grade d'interprète principal; l'avoué Le maréchal Jacques Louis César Dupuy; le préfet Pétrelle ; Folco, Lavanchy. Alexandre Randon.

Le collège est l'objet d'une particulière sollicitude de la part du gouvernement. Le 4 mars 1858, viennent le visiter le maréchal et la maréchale Randon.

Le 4 mars 1859, le général Yusuf y accompagne les grands chefs indigènes qui, étonnés, constatent la vie toute fraternelle qu'y mènent les jeunes musulmans avec leurs condisciples européens.

Le 29 mai 1860, le sous-gouverneur, vicomte de Martimprey, reçoit les collégiens en sa campagne, où leur est servi un lunch, dont la vicomtesse fait elle- même les honneurs. Sont présents Yusuf et le recteur Delacroix.

Le 9 mai 1865, c'est la venue de l'Empereur.

Le 7 février 1865, jour d'une fête de bienfaisance donnée au Palais, le maréchal de Mac-Mahon vient en personne inviter les élèves, qu'à leur arrivée, comble de gâteries la duchesse de Magenta, les mettant ainsi, sans s'en douter, en état de péché (c'était le ramadan), ce dont, indulgent, consentit à les absoudre leur iman auprès duquel, au retour, chacun était accouru se confesser.

En grande solennité, il était procédé à la distribution des récompenses, telle celle du 28 juin 1860 qui eut pour cadre la Halle aux Grains, 6 rue Joinville (maison du G.B.M.), décorée en la circonstance par l'Amirauté.

Le collège en 1871 cessa d'exister. Un décret du 21 octobre l'avait supprimé.

Le 6 novembre, réunis en carré, les lycéens reçurent les collégiens indigènes, dont la vie désormais fut confondue à la leur.

Mais déjà Depeille était revenu à son école de la rue Porte-Neuve à laquelle, plus spécialement, devait s'attacher sa mémoire.

Dès 1858, l'Illustration avait vulgarisé ses traits, le représentant avec son collaborateur Montis, au milieu de ses élèves.

À sa sortie du collège arabe, l'académie, à titre de dédommagement, lui confia la direction de l'enseignement du français à la Médersa. Celle-ci, rappelons-le, fondée en 1850 et aujourd'hui insev rb; tallée rue Marengo, avait été successivement au 21 rue Porte-Neuve; 9 rue du Rempart-Médée; rue d'Anfreville ; et jusqu'en 1909 place Duquesne. Maints jeunes gens, formés là par Depeille, se distinguèrent comme professeurs, médecins, interprètes, officiers. À ceux qu'il dirigeait vers l'enseignement, il se plaisait à répéter cette parole du Prophète : " Le plus méritant d'entre vous, ô Musulmans, est celui qui, ayant acquis la science, la transmet à ses semblables ".

Secondé par Bonvoisin, le maître dirigea plusieurs années son école. Il la quitta en 1882 remplacé sur sa demande par Fatah qui exerçait auprès de lui depuis 1878 et devait magnifiquement, de même, poursuivre l'oeuvre entreprise en une foi si ardente.

Retiré à Birmandreïs où il devint l'adjoint du maire Le Genissel, il résida en une campagne surplombant la montée de Colonne-Voirol et acquise, en 1900, par le consul de Hollande, Van Den Howen. Ce fut là, qu'âgé de 78 ans, il mourut le 17 septembre 1890.

Particulièrement touchant fut le spectacle de ses obsèques par la manifestation de ses anciens élèves musulmans qui tinrent absolument à le porter eux-mêmes au champ de repos. Ses restes furent transférés à Saint-Eugène et déposés dans le deuxième caveau de droite de l'allée centrale. Sa fille, Mme Allemand, son fils autrefois répartiteur des contributions, et Mme Depeille, habitent Alger, perpétuant par leur présence en la nouvelle génération, un noble souvenir du passé que, d'autre part, rappela naguère la médaille militaire posthume du petit-fils tombé sur la terre d'Alsace. Cependant, pour la consécration officielle de ce souvenir, souvenir en liaison si étroite avec l'histoire locale, quelque chose a-t- il été fait en cette cité grandie?
Hélas! rien, rien jusqu'à présent.

Se pourrait-il donc qu'en un tel néant s'évanouisse la reconnaissance publique témoignée jadis, si vive, à la disparition de ce bienfaiteur du pays! Non la postérité du Centenaire qui se prépare à célébrer tant de dévouements ne peut vraiment, sur ce point, se montrer si oublieuse.

Le marbre, à juste titre, va, par un texte, commémorer Fatah. Que soit donc à la fois pareillement, commémoré Depeille en une école indigène.

(La Dépêche quotidienne, 10 juin 1928)

À la retraite du premier directeur, M. Depeille, la municipalité d'Alger supprima la subvention qui rétribuait " sous-maîtres et moniteurs ". Brahim Fatah restait donc là, privé de ressources. Ferdinand Buisson, inspecteur général de l'instruction publique, écrivit dans un rapport: " Ils n'eurent pas le courage de s'en aller, de laisser là les quelques centaines de petits enfants qui s'obstinaient à venir en classe... Il y avait dix mois que durait ce tour de force, quand l'État intervint et, prenant à sa charge les frais de cette pauvre école, en empêcha la suppression " (Bulletin Universitaire de l'Académie d'Alger, juillet 1887).