Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale
L'Exploration juridique de l'Algérie et de l'Afrique du Nord
(Les coutumes berbères )
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ici, le 12-1-2012

* Document n° 25 de la série : Culturelle - Paru le 20 septembre 1947 - Rubrique DROIT MUSULMAN

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L'Exploration juridique de l'Algérie et de l'Afrique du Nord
(Les coutumes berbères (1-2) )

Nous avons dit précédemment (voir notre " Exploration, Droit musulman ") (Les notions. bibliographiques que nous fournissons ici ne sont pas exhaustives et n'ont pas d'autre but que de donner une première orientation au lecteur). qu'au moins du point de vue administratif et judiciaire il fallait distinguer nettement entre les régions où le droit musulman est applicable et celles où les coutumes berbères subsistent officiellement. Encore que, dans la réalité sociologique, les distinctions soient beaucoup plus floues, celle-ci correspond tout de même en grande partie aux faits.

En Tunisie, il n'y a plus guère de Berbérophones (1 ou 2 % de la population) et le droit musulman leur est officiellement applicable. Nous ne reparlerons plus ici de ce pays.

A. - L'ALGÉRIE

En Algérie, les régions berbérophones sont plus nombreuses et, en Grande Kabylie, les coutumes sont encore en vigueur. Les recherches relatives au droit kabyle ont donc une importance pratique considérable.

Les autres régions berbérophones sont principalement l'ouest de la Petite Kabylie et le sud du département de Constantine (Aurès surtout).

Il nous faut citer ici en premier lieu, le chef- d oeuvre de Hanoteau et Letourneux, " La Kabylie et les Coutumes Kabyles ", publié en première édition en 1873 et en seconde, semblable à la première, en 1893. Il traite de la Grande Kabylie et cet ouvrage est, pratiquement, le premier qui nous ait donné une connaissance quelconque des institutions berbères, et il n'existe rien qui l'ait remplacé, ou qui lui soit comparable pour d'autres régions.

L'ouvrage a été élaboré au lendemain de la conquête (1858) et sa rédaction était déjà achevée en 1868.

Il est dû à la collaboration d'un militaire, 1 e général Hanoteau, et d'un juriste, le conseiller Letourneux ; de ces trois tomes, le premier contient la description de la Kabylie, et les deux suivants celle des institutions juridiques de ce pays (Bernard et L. Millot (Revue Etudes Islamiques 1935) ont donné des renseignements intéressants sur la Genèse de cette œuvre magistrale.).

Depuis lors, ces coutumes kabyles n'ont plus que très rarement fait l'objet de recherches ayant quelque valeur.

Il faut citer d'une part ici les travaux fort curieux relatifs aux qânoûns, c'est-à-dire aux décisions des Djemaâs de village. Malgré l'existence d'un droit pénal français, toutes sortes d'infractions ont continué à être sanctionnées en marge de notre loi, sur la base de ces décisions, lorsqu'elles font l'objet d'une rédaction, étaient jadis rédigées en arabe et tendent aujourd'hui à l'être en français ( Ils ne sont pas rédigés en langue berbère. Nous en avons bien un en kabyle (V. Saïd Boulifa dans " Recueil de Mémoires en l'honneur du 14' Congrès d'Orientalisme, Alger 1905) mais il a été simplement dicté en cette langue à l'éditeur.). C'est principalement à Louis Milliot que l'on doit des travaux relatifs à cette question (Voir entre autres sa contribution dans le Mémorial Henri Basset (1928) ; son article cité ci-dessus et surtout celui intitulé les " Institutions Kabyles " (Rev. Et. Is. 1932). L'existence de nouveaux qânoûns, illégaux aux yeux de la loi française, avait été signalée par un anonyme, dès 1922, dans la Revue Algérienne.). Ajoutons à ceci le chapitre intitulé : " Les qânoûns ", de la thèse H. Basset sur " La littérature des Berbères " (Alger 1920).

En ce qui concerne maintenant les institutions kabyles qui sont sanctionnées par nos tribunaux, il nous suffira de reproduire l'opinion formulée à, leur sujet par Laure Lefèvre :

" Outre que ces travaux sont relativement peu nombreux, ils sont, selon nous, parfois empreints d'un formalisme juridique beaucoup trop grand. A cet égard, nous ne pourrons guère citer que pour le critiquer l'ouvrage de M. Luc ( Le Droit Kabyle, thèse, Toulouse 1911.) dont on peut se demander si l'auteur a jamais vula Kabylie ou un Kabyle.

" On remarque d autre part, quand on consul te l'ouvrage, d'ailleurs fort utile, de M. Hacoun Campredon ( Etude sur l'évolution des coutumes kabyles, thèse, Alger 1921.), combien peu cet auteur, malgré de longues années de pratique judiciaire, a cru devoir s'intéresser aux faits concrets qu'il n'a étudié qu'à travers les décisions de la jurisprudence française.

" Pareil reproche ne saurait être adressé à. la thèse de M. Vigier ( La Femme kabyle, sa succession légitime.) qui, bien que portant sur l'étude d'un texte législatif, révèle chez son auteur un sens beaucoup plus vif de la réalité sociale ".

Cette citation est empruntée à la thèse de l'auteur (Alger 1939) intitulée La Femme kabyle (la coutume et œuvre française). Ce très remarquable travail a le grave défaut d'être trop bref ; sous cette réserve, il vient (longo sed proximo intervallo) immédiatement en importance après le chef-d'oeuvre d'Hanoteau et Letourneux. Mais il n'envisage qu'un aspect de la question, c'est-à-dire que nous n'avons pas, à 1 heure actuelle, ni du point de v ue scientifique, ni du point de vue pratique, un seul ouvrage complet et satisfaisant sur le sujet.

En dehors de la Grande Kabylie, les coutumes subsistent souvent, comme c'est le cas en Aurès, ainsi que le doyen Morand l'a établi dans l'une de ses Etudes de Droit Musulman Algérien. Pour la condition de la femme en Aurès. voir aussi la très belle thèse (Alger 1929) de Mathea Gaudry, La Femme chaouia de l'Aurès.

Les populations nomades, bien peu nombreuses mais si curieuses, que sont les Touaregs, où le régime du matriarcat subsiste en grande partie, ont fait l'objet de plusieurs travaux dont aucun n'est encore définitif. Maurice Ben Hazera, Six mois chez les Touaregs, 1908, et deux articles, l'un de F. Nicolas dans Ibla, 1946, n" 4, et l'autre, surtout comparatif de G. Marey, Revue Africaine, 1941, n° 388 ( Nous rappelons l'existence du classique DUVEYRIER : LES TOUAREGS DU NORD, 1864.).

B. - MAROC

Au Maroc, les Berbérophones sont beaucoup plus nombreux qu'en Algérie : ils forment presque la moitié de la population totale du pays.

On distingue, du Nord au Sud, trois groupes de ces berbérophones : l'un, le groupe riffain, intéresse le Maroc espagnol. Sur les coutumes de ceux- ci, voir en particulier : La ley Rifena, los Canones rifenos comentados, por Don Emilio Blanco Izaga, Tetouan 1939 (Centro de Estudios Marroquiès).
Les deux autres, beaucoup plus importants, sont formés l'un par les Brabers du Moyen Atlas, l'autre par les Chleuhs du Haut Atlas et du Sous.
Il y a d'ailleurs de nombreuses tribus dans chacun de ces groupes, avec leurs coutumes propres et des particularités dialectales.

Des études monographiques assez nombreuses leur ont été consacrées, d'abord dans les Archives Marocaines et les Archives Berbères puis, dans les premières années surtout de la publication qui les a remplacées, Hesperis, et enfin, dans l'excellente Revue Marocaine de Législation et Jurisprudence, malheureusement trop tôt disparue. Il serait trop long de les énumérer toutes ( Pour la bibliographie jusqu'en 1920, nous renvoyons à, celle établie par H. Bruno, dans la Revue Algérienne, Tunisienne et Marocaine de Législation, 1920, 1,e partie, page 94. Ce même auteur doit publier dans Hesperis, une étude sur les pactes d'alliance et de protection. Voir également son étude parue dans la Revue Algérienne, 1922.) et nous nous contentons de citer les plus importants des travaux concernant ces coutumes.

Il convient, indiscutablement, de citer au premier plan, la remarquable thèse (Lettres, Paris 1930) de Robert Montagne Les Berbères et le Maghzen dans le Sud du Maroc, résultat de longs séjours sur place. Si la clarté de cette étude égalait sa science et sa documentation, il conviendrait de la placer au même rang que le chef-d'œuvre de Hanoteau et Letourneux. Ce même auteur a publié encore diverses monographies, ainsi qu'un travail de caractère plus général, intitulé : Vie Sociale et Politique des Berbères, publié par le Comité de l'Afrique Française, 1931.

Un officier, M. Turbet, a étudié plus spéciale ment la coutume des Beni-Ouaraïn (Revue Algérienne, 1931 à 1933 ; voir aussi la Revue Marocaine, 1935).
Un autre officier, M. Aspinion, a porté son attention sur les Zayanes : sa Contribution à l'Etude du Droit Coutumier Berbère, a été publiée en 2e éditions en 1946.

Une perte absolument irréparable pour les études de sociologie berbère a été celle de Georges Marey (1905-1946) à la fois linguiste, juriste et ethnographe, dont l'attention s'est portée sur les aspects les plus divers de cette science, mais sans qu'il ait pu donner la synthèse de ses travaux. On peut pourtant, avoir un premier aperçu dans un article d'importance fondamentale à tous égards, publié par lui dans la France Méditerranéenne et Africaine, 1939, n' 1,. sous le titre : " Le problème de droit coutumier berbère ". Cette revue a également disparu.

En ce qui nous concerne ici, il faut citer ses étu des sur les Zemmours (Revue Algérienne, 1930 à 1932) et l'Afrique Française (supplément août 1935):
Dans la Revue Africaine, 1941, on trouvera de lui, de pénétrantes recherches sur les vestiges de la parenté maternelle chez les Berbères (voir ci- dessus).
G. Surdon a publié en 1928 d'intéressantes Esquisses de Droit Coutumier Berbère. (Voir aussi Revue Marocaine, 1936) et F. Guay, diverses Etudes parues dans la Revue Algérienne en 1930 et 1931. La même année paraissaient les Etudes de Droit Musulman, et de Droit Coutumier Berbère du doyen M. Morand, qui traitent pour une faible partie du Maroc.

Il semble que, depuis quelques années, le nom bre de travaux portant sur les coutumes berbères ne soit plus très considérable.

C. - CONCLUSIONS

En conclusion, l'exploration juridique des coutumes berbères a fait, certes, de grands progrès, mais il reste beaucoup à faire, d'autant que, du point de vue ethnographique, il y a lieu de se hâter, car un certain nombre d'entre elles sont vouées à une transformation et à une disparition rapides.

Il y aurait lieu de rechercher, tout d'abord d ans les usages juridiques des tribus arabisées, les restes, peut-être très vivaces, d'institutions juridiques préislamiques et ceci depuis la Tunisie jusqu'au Maroc.

En même temps, il faut continuer la recherche des coutumes dans les tribus berbères proprement dites, d'autant que, le temps s'écoulant, elles sont très probablement en voie d'évolution.

Pour ce qui concerne plus spécialement l'Algé rie, il est à espérer que la question d'un intérêt pratique si immédiat des coutumes kabyles soit reprise entièrement, car il n'est plus possible de se contenter, à cet égard, d'Hanoteau et Letourneux. La tâche d'ailleurs ne requiert pas la connaissance de la langue berbère puisque notre idiome est très répandu en Kabylie.

Il convient enfin de songer à la synthèSe générale qu'il faudra bien un jour édifier sur la base de toutes ces études particulières. Signalons com me constituant une pierre d'attente dans cet ordre d'idées : les Institutions et Coutumes des Berbères du Maghreb, de G. Surdon (2e édit , Tanger 1938).

G.-H. BOUSQUET.
Professeur à la Faculté de Droit d'Alger.