Alger, Algérie : documents algériens
Série politique
Education civique des Djemaâs*
mise sur site le 18-11-2010
* Document n" 8 de la série: Politique - Paru- le 10 juillet 1946 - Rubrique : DJEMAAS.

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Education civique des Djemaâs

Une des principales réformes entreprises par le Gouvernement provisoire de la République Française au profit des populations algériennes est celle qui intéresse l'organisation communale. Tandis qu'un premier décret du 29 août 1945 assouplit les règles de fonctionnement des Centres municipaux, un second texte étend, le même jour, les attributions des Djemaâs de douar dans les communes de plein exercice et dans les communes mixtes, et donne une activité réelle à des assemblées qui constituent la base de toute l'éducation civique et politique des populations musulmanes.

C'est ce regain de vie de la Djemaâ du douar, avec toutes les promesses d'évolution qu'il comporte, que nous allons étudier, à l'aide des derniers rapports sur les réunions tenues par ces assemblées depuis le mois d'août 1945.

NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT DE LA DJEMAA (Voir : " Documents Algériens - Série Politique. N° 2, du 15 sept. 1945. - Réforme des Djemaâs)

1830. - La Djemaâ a existé en Algérie avant 1830. Elle avait quelquefois alors, en plus de ses attributions municipales, des pouvoirs politiques et judiciaires ; mais sa mission variait d'une région à. une autre.

1863. - Après l'installation de l'Administration française, la Djemaâ, en perdant ses attributions politiques et judiciaires et bien qu'elle fût considérée par le législateur impérial comme " le germe de la commune arabe ", n'existe plus en fait.

1895. - Une Djemaâ nommée :
Un arrêté du Gouverneur Général du 11 septembre 1895 reconstitue les djemaâs pour les territoires érigés en douars-communes, par application du Sénatus-Consulte du 22 avril 1863.

Il s'agit encore ici d'assemblées dont les membres sont " désignés " par l'autorité administrative et présidées par un agent de l'Etat, le Caïd.

Cet arrêté est encore en vigueur dans certaines régions des Territoires du Sud où les conditions de vie créées par le nomadisme et l'immensité des Territoires se prêtent difficilement à une vie communale normale.

1919. - Une Djemaâ élue :
La loi du 4 février 1919 marque, par contre, dans les Territoires du Nord, où les populations musulmanes sont en contact étroit avec notre civilisation, une première étape dans l'exercice de quelques libertés. On donne au douar sa véritable personnalité et les Djemaâs sont consultées pour toutes les questions locales.

La Djemaâ se compose de 6 à 16 ou 20 membres, selon qu'elle se trouve en commune de plein exercice ou en commune mixte. Elle est élue pour six ans. Elle élit son président et son secrétaire. Ce président est membre de droit de la commission municipale de la commune mixte, mais n'a pas d'attributions administratives. Les Caïds, représentants de l'Administration, doivent être présents à toutes
ràr les délibérations. L'Administrateur (ou le Maire, en commune de plein exercice) peut assister à toutes les réunions des djemaâs de sa commune. La djemaâ a tout pouvoir pour gérer et exploiter ses biens, contracter des emprunts, entretenir et classer les chemins vicinaux, etc... Mais toutes ses délibérations doivent être soumises à l'examen de la commission municipale, dont fait partie d'ailleurs le président de chaque djemaâ. Dans les communes de plein exercice, les habitants sont représentés au conseil municipal et dans les djemaâs.

Malgré les craintes que n'a pas manqué de susciter dans certains esprits cette réforme, jugée trop hardie, ces assemblées n'ont jamais démenti l'espoir que le Gouvernement avait mis en elles.

L'EVOLUTION POLITIQUE DE L'ALGERIE.

L'Algérie est un pays à population disparate que tendent à unifier, malgré les différences de vie, de langues, de religions et de coutumes, plusieurs facteurs.

L'école française estompe peu à peu ces différences et, répandant sous toutes ses formes et à tous les degrés un enseignement commun, crée déjà les liens les plus solides.

Le développement économique, matérialisé par les grands travaux hydrauliques, les méthodes d'agriculture, l'organisation du paysanat et de la coopération, ajoute à ces liens de l'esprit la matière qui, en assemblant les efforts, cimente les intérêts.

L'armée, en atteignant la majeure partie des éléments du pays, aide enfin au brassage des populations.

Durant les deux guerres mondiales, on a pu " vérifier ", à travers les ruines et les souffrances du peuple, sa vitalité et sa loyauté. Chaque période de guerre et d'après-guerre a resserré les liens, rapproché les divers éléments de la population en les soumettant progressivement au même droit.

C'est ainsi qu'est née, après la guerre de 1914-1918, la loi de 1919. C'est ainsi qu'au moment où Alger était provisoirement la capitale de la France, la prise de conscience de l'idée d'Union Française a donné le jour à d'ordonnance du 7 mars 1944 qui proclame l'égalité des droits et des devoirs et l'abrogation de toute mesure d'exception pour tous les habitants de ce pays. La modeste djemaâ de douar ne fut pas oubliée : première cellule de l'organisme communal, elle devait, le 29 août 1945, sous l'impulsion de M. le Ministre de l'Intérieur et de M. le Gouverneur Général Chataigneau, avoir des attributions plus étendues. o

LES DECRETS DU 29 AOUT 1945.

Le décret-que nous étudions aujourd'hui :
- fait partie de tout un ensemble de réformes visant à l'émancipation politique des Musulmans d'Algérie ;
- donne aux djemaâs une existence effective en les obligeant à se réunir régulièrement, en plaçant leur activité sous la tutelle bienveillante de l'Administration qui les guide et les conseille, en organisant matériellement leurs délibérations ;
- étend leurs attributions, en se rapprochant de la loi de 1884 qui régit les communes de plein exercice ;
- leur octroie plus de liberté et de pouvoir, en soustrayant bon nombre de leurs délibérations à l'homologation des conseils municipaux et des commissions municipales ;
- contient enfin le véritable germe d'évolution, puisqu'il prépare la djemaâ à se transformer en centre municipal ou en commune rurale.

Il a été, en effet, créé, en 1937, quelques Centres municipaux (décret du 25 août 1937). Ce sont des communes autonomes dont les décisions ne sont, cependant, exécutoires qu'après approbation du Préfet au début, puis de l'Administrateur qui continue à détenir les pouvoirs de police municipale.

Ce premier essai a été repris en 1945 sur un rythme accéléré : 62 centres fonctionnant actuellement, une centaine d'autres vont incessamment voir le jour.

Ces centres sont dirigés par un président, assistéd'une djemaâ communale.

Un projet est à l'étude, tendant pour un très proche avenir à transformer ces centres en véritables petites communes rurales qui seront directement placées sous la tutelle du Sous-Préfet et seront administrées par un Maire assisté d'un Conseil municipal.

On voit, par là, le caractère essentiellement évolutif de la réforme des djemaâs et l'on comprend qu'on la considéère comme une étape nécessaire pour inculquer aux habitants des douars, dans un cadre déjà important, les principes qu'ils auront à appliquer quand leur douar sera transformé en commune.

Les Administrateurs ont, dès lors, une grave mission à remplir : en même temps qu'ils faciliteront l'éducation civique des habitants des douars, ils les préparent à soutenir les responsabilités inhérentes à toute fonction publique.

C'est ce qu'exprime une circulaire de M. le Gouverneur Général, adressée aux Maires et Administrateurs, qui souligne l'importance que le Gouvernement attache à cette réforme.

" Il m'a été donné de constater que les djemaâs de douars étaient parfpis ignorantes de leurs attributions réelles. Certaines ne se sont pas réunies régulièrement ; d'autres délibèrent sans que l'on prête une suffisante attention à leurs .travaux ; d'autres enfin, se désintéressent des affaires du douar ou bien outrepassent leurs attributions...

" ...Point n'est besoin d'insister sur le rôle capital que doivent jouer les djemaâs dans l'évolution politique et sociale des habitants des campagnes. Elles constituent de véritables écoles de formation civique où le Français Musulman, dans un cadre qu'il connaît parfaitement, apporte à l'étude des problèmes locaux le sens pratique que donne le contact des réalités.

" Je suis persuadé que, quelles que soient les difficultés, vous aurez à coeur de mettre tout en œuvre pour une application attentive de ce décret du 29 août 1945 qui doit aider efficacement à l'évolution française et à l'éducation politique et sociale de ce pays... "

Les communes ont répondu à cet appel, les Administrateurs se sont mis à l'oeuvre pour créer cette ambiance nouvelle dont le pays ne tardera pas à récolter les fruits. Les chefs de communes ont compris leur mission et les membres des djemaâs manifestent, dans leur grande majorité, le désir de participer d'une façon sérieuse à la vie du douar. Leur éducation civique se poursuit et les premiers résultats obtenus permettent d'espérer que la réforme sera profitable à tous.

FONCTIONNEMENT DES DJEMAAS.


Donc, malgré la réforme de 1919, les djemaâs ne se réunissaient pas toujours régulièrement, et quelquefois même, pas du tout. Aujourd'hui, on a au contraire l'impression que les djemaâs ont pris conscience de leurs devoirs et de leurs droits et qu'elles se sont mises un peu partout au travail.

Ainsi qu'en font foi les procès-verbaux des délibérations, les séances ordinaires (une fois par trimestre) se tiennent régulièrement sur l'initiative du Président. Parfois, la djemaâ n'a pas jugé opportun de se réunir, soit parce que le décret du 29 août 1945 avait été insuffisamment compris, soit parce que des travaux agricoles absorbaient toute la population et les élus en particulier. Les Administrateurs sont alors intervenus et ont donné l'impulsion nécessaire, en expliquant à chacun la nécessité de ces réunions. Ils ont été compris et les délibérations ont souvent maintenant une forme digne d'une assemblée municipale. Le registre des délibérations est tenu correctement. L'Administrateur doit d'ailleurs le contrôler et parapher les procès-verbaux rédigés par le secrétaire. La langue employée est le Français ou les langues arabe et française. D'ailleurs, pour que ces habitudes entrent dans les moeurs municipales, l'article 2 du décret du 29 août précise bien que le registre des délibérations est présenté aux Inspecteurs généraux de l'Administration, au Préfet et au Sous-Préfet, à chacune de leurs tournées dans la commune. Ils y apposent leur visa. Ils rendent compte à l'autorité supérieure de leurs observations et suggestions à cet égard. Ainsi, ces nouvelles assemblées seront-elles suivies de très près et pourrons- nous connaître d'une façon très précise leur évolution.

Parfois, la pratique, l'expérience, font défaut. L'Administrateur est là pour apprendre au Président et aux membres de la djemaâ à ordonner les débats, à lier les questions mises à l'étude, à établir les procès-verbaux, à dater les sessions, à respecter :es délais fixés pour l'exécution, etc...

Il s'agit là d'ailleurs, comme le remarquent la plupart des Chefs de Communes, d'erreurs de pure forme qu'il suffit te signaler pour qu'elles soient ensuite évitées.

ROLE DES DJEMAAS.

L'originalité du décret du 29 août 1945 est que les décisions touchant immédiatement le douar ne- sont plus soumises à l'homologation des commissions municipales ou des conseils municipaux. Ce sont :
- le mode de jouissance et la répartition des pâturages et fruits, ainsi que les conditions à imposer aux parties prenantes,
- le parcours et la vaine pâture, les questions relatives à la réglementation des droits d'usage exercées par la section et l'établissement de liste des usagers,
- la désignation des membres des commissions scolaires,
- les souscriptions ou cotisations volontaires pour travaux d'utilité publique,
- le mode de répartitin des céréales, denrées contingentées, tissus attribués à la population de la section,
- les opérations de paysanat.

Sur toutes ces questions, la djemaâ conserve l'initiative et la décision. Mais elle délibère encore sur bien d'autres sujets.

FINANCES.

La question de l'établissement du budget est l'une des plus importantes que peut traiter la djemaâ. Elle contribue à développer chez ses membres le sens des possibilités et des responsabilités et nécessite plus que partout ailleurs l'aide et les conseils éclairés de l'Administrateur.
Ecoutons plutôt ce que nous dit cet Administrateur du département de Constantine :

" J'ai en particulier assisté dans tous les douars à la séance au cours de laquelle les djemaâs ont voté le budget du douar. Je leur ai fait comprendre, en termes simples, ce qu'était un budget avec ses recettes et ses dépenses, leur indiquant les sources de revenus encore inexploitées. Les délibérations qui m'ont été par la suite transmises m'ont démontré que j'avais été compris. "

TRAVAUX.

Les douars, bien que constituant une unité administrative, bien qu'ils possèdent un patrimoine et une personnalité civile, ne forment guère d'agglomérations importantes et, le plus souvent, se composent de fermes isolées et de petits hameaux de quelques maisons. C'est pourquoi la plupart d'entre eux demandent à l'Administration d'étendre les travaux d'hydraulique (aménagement de barrages, réfection et captage de sources, etc...) et de développer leur réseau routier.

Cet appel a été entendu et les Administrateurs associent les djemaâs à l'oeuvre administrative en plaçant sous leur surveillance les chantiers de solidarité utilisés à cet effet. Il est intéressant de noter l'optimisme des rapports parvenus.

" Je tiens à signaler que dans les douars où la djemaâ a surveillé les travaux, les résultats ont été excellents, tant en ce qui concerne le rendement des ouvriers que l'exécution des travaux (département d'Alger) ".

D'autre part, plusieurs procès-verbaux réclament l'électrification des douars et l'installation de réseaux téléphoniques. Leurs doléances sont du plus grand intérêt pour l'Administration Centrale qui envisage d'électrifier les douars qui s'y prêtent le mieux. -

PAYSANNAT.

Nous avons vu que les djemaâs décident de la location ou de la répartition des terres collectives. A ce titre, elles se sont très souvent intéressées à des travaux de paysanat, soit en secondant les efforts de l'Administration, soit de leur propre initiative. Dans la région de Djidjelli, l'exploitation du liège, en Kabylie, la fabrication de l'huile, sont des questions qui intéressent les élus .et leur permettent d'aboutir à de belles réalisations.

On doit enfin signaler la coopération étroite de certaines Djemaâs avec les Sociétés indigènes de prévoyance, en vue de l'acquisition, par ces dernières, de terres de recasement et de paysanat. C'est notamment le but qu'auront à poursuivre et à étendre les Secteurs d'améliorations rurales en cours de création.

RAVITAILLEMENT.


Le ravitaillement reste la plus urgente des opérations à réaliser. La Djemaâ, par l'application du n° 19 de l'article 3 du décret du 29 août 1945, établit les listes de répartition et surveille les distributions. Certains chefs de communes déplorent que des présidents ou des membres de djemaâs, craignant les
réactions intéressées de leurs administrés, n'aient pas su atteindre à l'objectivité désirable dans l'exercice de leurs fonctions. Mais, dans l'ensemble, les membres de djemaâs ont fait preuve de désintéressement et d'application scrupuleuse, essayant surtout se trouver les moyens les plus propres à multiplier les centres de distribution, afin d'éviter aux populations, des parcours parfois considérables pour ton- cher leurs rations mensuelles.

INSTRUCTION PUBLIQUE.

-" Je suis persuadé, écrit un Administrateur, que, malgré l'ignorance au point de vue instruction, de la majorité des membres qui composent ces asssemblées, un progrès assez rapide sera constaté bientôt dans l'application de leurs attributions ".
Il est encourageant de retrouver partout cet optimisme et c'est un heureux présage de constater ce souci presque unanime d'avoir une école dans chaque douar. La plupart des comptes rendus de séances contiennent, en effet, des demandes de créations d'écoles ou de classes supplémentaires. Dans certaines communes, les habitants offrent eux-mêmes les locaux ou se déclarent prêts à participer aux travaux de construction.

PLAN D'ACTION COMMUNAL ET AVENIR DES POPULATIONS RURALES.

Ainsi donc, les douars, malgré les nombreuses difficultés qui viennent de leur dispersion, de la pauvreté de leurs ressources, du faible niveau de leur instruction, prennent conscience des moyens propres à améliorer leur existence.

Ils rejoignent en cela les buts de l'Administration Centrale, qui, en vue de coordonner ces efforts et ces réalisations, entreprend un plan d'action communal qui résoudra ces questions progressivement, en y faisant participer toutes les forces vives du pays ( Voir " Documents Algériens ". - Série Econornique, N. 12, - Plan d'Action communal 1946.).

Bon nombre de douars, à la suite des propositions des Administrateurs et des Maires, se sont érigés en communes rurales. Ils obtiendront donc une complète autonomie administrative.

Toutes les questions relatives à l'état-civil, au budget du douar, à l'exécution des travaux d'intérêt communal, seront alors réglées par les nouvelles assemblées.

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Les difficultés de tout ordre, certes, ne manqueront pas de surgir. Il ne faut pas les méconnaître et afficher un optimisme aveugle, mais, au contraire, les bien comprendre pour mieux les résoudre.

Qu'il s'agisse d'équipement agricole ou industriel, de grands travaux, d'instruction publique, d'évolution politique, les chefs de communes, sûrs d'eux-mêmes et de la bonne foi de leurs administrés, sont confiants en l'avenir. Les mots de compréhension mutuelle, progrès, franche collaboration, dignité, conscience de l'intérêt général, sens des responsabilités, efficacité des coopérations, qui se trouvent dans tous les rapports, sont garants des possibilités d'évolution des populations rurales du pays.

Ainsi que l'écrit un chef de commune, dans un rapport sur le fonctionnement des djemaâs pendant le premier semestre 1946, " les djemaâs, convenablement guidées par l'Admiinstrateur, parviennent à une juste compréhension de leur rôle et tendent à une émancipation progressive de la classe rurale, dans le cadre des lois municipales et sociales françaises. "