la cité de Diar-el-Mahçoul, de "la promesse tenue", Alger,
Souvenirs de Christian Ripoll
mise sur site le 6-10-2005
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le batiment E
Christian Ripoll : «...Bat E, Diar El Mahçoul, 3éme étage sans ascenseur.»
À droite, sens de la fléche : la station du téléphérique
-----------Dans les années 1952/53, la Ville d'Alger, sous l'impulsion de son maire, Jacques Chevalier, s'était lancée dans la réalisation de grands ensembles d'habitation pour loger décemment toute une population à petits moyens.
-----------C'était bien avant l'heure les " logements sociaux " d'aujourd'hui.

-----------Le premier ensemble réalisé a été la cité " Diar Es Saada ", la cité du Bonheur, énorme ensemble de deux ou trois mille logements, une ville à elle seule.

-----------Sitôt terminé, la réalisation d'un autre ensemble a été lancée, entre La Redoute et le Clos Salembier, à côté de la villa Sesini, ( voir plan pour situer la villa, le téléphérique, le bâtiment E)la cité Diar El Mahçoul, la cité de " la promesse tenue ", sous la direction du même architecte, Fernand Pouillon. (note du site : qui avait rénové et construit ou reconstruit le vieux port de Marseille)

-----------La " première pierre " de Diar el Mahçoul consistait à détruire un "bidonville" gigantesque qui occupait la place. L'opération fut annoncée avec un souci de propagande spectaculaire, et se déroula devant le Gouverneur Général de l'Algérie, Jacques Soustelle, le maire d'Alger, Jacques Chevalier et un grand nombre d'invités, hommes et femmes, probablement des représentants et du personnel des administrations et entreprises concernées, en gros, une centaine de personnes.

-----------S'agissant de ma future habitation, j'étais venu voir, de loin, ce lancement des travaux. Mais par un hasard totalement fortuit, je me suis retrouvé juste à côté de Jacques Chevalier et Jacques Soustelle, à portée de leurs voix. Les personnalités n'étaient pas comme aujourd'hui encerclées de cordons de gardes du corps…

-----------Il y avait 3 ou 4 gros bulldozers, en ligne, prêts au départ. Au signal, ils se sont avancé, lentement, balayant et détruisant tout sur leur passage, d'autant plus facilement qu'il ne s'agissait que de planches posées sur le sol. C'est alors qu'une clameur retenue, polie, s'est élevée de la foule présente : des centaines de rats, dérangés dans leur petite vie, réveillées en sursaut s'enfuyaient effrayés dans tous les sens, provocant un mouvement de foule dégoûtée, mais qui n'osait pas crier !

-----------C'est alors que Chevalier dit à Soustelle : "là vivaient des gens qui gagnaient 120.000 F par mois".
-----------Il s'agit d'anciens francs, bien sûr, soit 1200 nouveaux, 180 euros. Le chiffre m'a frappé, car, à cette époque, mon père ne gagnait pas la moitié de ça…

-----------Les travaux furent menés grand train, en un peu plus d'un an les premiers appartements étaient livrés. Nous y sommes entrés en novembre 1955, pas dans les tous premiers, mais pas loin.

-----------Novembre 1955, l'appartement est livré, nous allons nous y installer. Un matin je quitte notre 5 av Mal Lyautey à La Redoute (le Golf) pour la dernière fois après 15 ans, et le soir je suis revenu au Bat E, Diar El Mahçoul, 3éme étage sans ascenseur. Je pensais en éprouver une certaine nostalgie, et puis non, rien !

-----------Il faut dire que le nouvel appartement était très agréable. Pouillon était un architecte digne de ce titre.
-----------C'était du logement très simple, niveau HLM, mais bien conçu et bien réalisé. La porte d'entrée s'ouvrait sur un large couloir, pratiquement un hall, qui donnait accès aux deux chambres, et au fond, sans porte, mais masqué par un angle, la salle de séjour, entre 15 et 20 m². Ça n'était certes pas immense, mais confortable. De grandes fenêtres éclairaient abondamment toutes ces pièces. L'appartement était pourvu de construction d'une salle de bain complète, avec baignoire et eau chaude courante, et d'une cuisine entièrement équipée d'une gazinière avec four, d'un réfrigérateur (curiosité, il fonctionnait au gaz…), d'un vide ordure et de meubles fonctionnels.

-----------Et le chauffage central, autre luxe que j'ai tout de suite particulièrement apprécié. Car, Algérie pays chaud, on avait froid l'hiver ! A comparer avec certains immeubles de standing récemment construits qui n'en avaient pas !
-----------Pour couronner le tout, de nos fenêtres, nous avions une vue exceptionnelle sur toute la baie d'Alger, de la Bouzaréah au Cap Matifou, quasiment 180° d'ouverture. Et en particulier, vue sur toute la ville et le port.

-----------Le matériau de construction fit couler beaucoup d'encre et de salive : les maisons étaient en pierres de tailles, une belle pierre de calcaire presque blanc, quasiment la même pierre que celle de ND de Paris (quand elle est propre). Le résultat était agréable à l'œil, chaud au regard, esthétiquement loin de tout ce béton qui envahissait la ville.

 

-----------C'était beau, mais… Dés le premier hiver, dans les mois qui suivirent notre installation, avec les pluies battant la façade nord, l'eau se mit à suinter à l'intérieur ! Le chauffage, même efficace, ne parvenait pas à sécher le mur. Il faisait froid dans le séjour…

-----------Une polémique commença alors sur le thème de " la pierre qui pleure " ! Car, évidemment, nous étions tous concernés par les suintements à l'intérieur des logements.
-----------On apprit alors que cette pierre de calcaire, belle mais poreuse et avide d'eau comme une éponge, venait… de France par bateaux !(note du site : exploitation des pierres façonnées à Rognes) Comme s'il n'était pas possible de trouver de la pierre en Algérie !

-----------Puis nous avons appris que la pierre était transportée par les bateaux d'un armateur bien connu des algérois, qui avait son port d'attache à Alger…

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Tout le système apparaissait au grand jour, les carrières appartenaient à une personnalité bien connue, les bateaux à une autre personnalité, la construction réalisée par une troisième. ----

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Quant à Pouillon, il n'allait pas tarder à être mouillé dans le scandale du " Point du Jour " à Paris et condamné. La boucle était bouclée…

-----------Je ne sais pas quelle fut la suite. Le scandale a t il été étouffé par les protagonistes, personnalités en vue et puissantes, ou tout simplement parce qu'on avait d'autres préoccupations, autrement plus grave ? Le temps de tout découvrir, nous étions en 1957/58, alors, " vous m'avez compris "…

----------Il n'en reste pas moins que l'appartement était bien agréable, et que j'y ai vécu avec beaucoup de plaisir.

-----------L'ombre au tableau, c'était pour aller au collège du Ruisseau. Quel chemin ! C'était les mêmes lignes de bus, mais plus loin, donc plus long. J'allais jusqu'au Champ de Manœuvre (avec le trolley des TA " K barré ") d'où je repartais en sens inverse (avec le tram des CFRA, les trams rouges que décrit A. Camus) jusqu'au Ruisseau. Ironie de la géographie, je repassais exactement au bas de Diar el Mahçoul, 150 m plus bas, mais sans moyen de communication commode entre les deux.

-----------Un téléphérique assurant la liaison entre Diar el Mahçoul et Belcourt était en construction.
-----------Il fut inauguré en février 1956, lors d'une journée " portes ouvertes " à grand succès, avec voyages gratuits.
Et le service fut interrompu dés le lendemain pour trois ou quatre semaines ! La grande poulie d'entraînement du câble tracteur était en défaut. Il faut savoir que le câble tracteur, à ne pas confondre avec le câble porteur, passe par une poulie motrice d'un diamètre de 4 mètres, dont la gorge est en bois d'olivier, pour assurer l'adhérence du câble.
-----------Je ne sais quel défaut affectait cette poulie, je sais seulement que les TA ont eu un long contentieux avec le constructeur, Applevage.

-----------Le téléphérique fût réouvert au public, en mars 1956, et connut un succès immédiat et toujours actuel 50 ans plus tard.

-----------Pour moi, c'était un soulagement : j'étais rendu à mon collège en 20 minutes, au lieu d'une heure quinze ! Je pouvais même revenir déjeuner à la maison entre midi et deux…

-----------La desserte de la cité était en outre assurée par deux lignes de trolleybus, les lignes K et K barré, qui menaient à la Grand Poste et au Champ de Manœuvre, la ligne de la Grand Poste étant dotée de grands et modernes véhicules.


-----------Pour vivre dans la cité, tous les commerces d'alimentation étaient présents, regroupés sur la place centrale. On pouvait vivre en autarcie.
-----------Par contre, je n'y ai pas connu ni loisirs ni spectacles organisés.

-----------On y trouvait aussi écoles et église.