On avait mis quatre ans pour construire une trentaine
de mauvaises baraques. 1831 ! la France n'occupe encore dans ce qui deviendra
l'Algérie, qu'ALGER et ORAN. BÔNE le sera bientôt.
Mais déjà afflue sur les quais de la Marine à ALGER,
toute une population d'immigrants apportant dans leurs hardes des espoirs
illimités. Or, que trouvent-ils? Une place fort étouffante
dans une maigre banlieue insalubre.
" Laissez-les s'installer. Les propriétaires sauront bien
se faire connaître et nous les dédonunagerons ".
PICHON répliqua que cela n'était pas juridiquement régulier...,
et les choses en restèrent là.
DECEPT1ON
Des colons, les uns retournèrent à leurs
bouges de la CASBAH, les autres prirent le chemin du cimetière,
car, l'alcoolisme, la sous-alimentation et le manque d'hygiène
causaient des ravages terribles dans les rangs de ces malheureux.
Or, l'Algérie faisait à cette époque une consommation
effroyable de hauts fonctionnaires. PICHON fut rappelé en France.
ROVIGO put se mettre à l'oeuvre. Il donna à ses bureaux
l'ordre d'étudier sans tarder la construction d'abris pour les
futurs colons...
Et ici commence une histoire qui serait doucement " loufoque "
si, dans le fond, ne se profilaient les silhouettes hirsutes et décharnées
et souvent héroïques des immigrants qui continuaient de mourir
!
PROJETS... PROJETS...
PROJETS...
Le 7 juillet 1832, M. le Gérant de la Colonisation
écrivait au successeur de PICHON, M. GENTIL de BUSSY, qui écrivait
à son tour au commandant du Génie, pour lui faire part des
intentions de ROVIGO et le prier de lui soumettre des projets d'habitations.
Il y en eut deux. Le premier procurait la charpente et la carcasse d'une
métairie " pour la somme... tenez-vous bien... de 58 francs.
Le second livrait la " métairie " complète pour
2 400 francs.
Des deux projets, on choisit naturellement... un troisième : un
crédit de 250 francs fut attribué à chaque colon
pour achat du bois de charpente et une somme de 50 francs devrait faire
face aux " frais exceptionnels ".
L'administration décida du coup d'établir 58 " métairies
" à KOUBA et 102 à DELY-IBRAHIM.
Dans cette combinaison, les colons, qui, ne l'oublions pas, ne disposaient
que de leurs mains et de leur bonne volonté, devaient transporter
le bois, du port au futur village, extraire la pierre nécessaire
aux fondations, effectuer le terrassement, élever les murs et aller
chercher à 2 km l'eau pour le mortier. On s'étonna pourtant
de la lenteur des travaux et l'on décida de recourir à l'adjudication
que décrocha un sieur JONQUET, mais, " ru les fiais déjà
engagés ", le nombre des " métairies " à
construire fut diminué et passa de 102 à 80. Le 20 octobre,
JONQUET résiliait son contrat. Un sieur MEURICE prit sa suite,
mais, " vu les frais déjà engagés ", le
nombre des constructiôns fut encore diminué et passa de 80
à 40. Or. les 6 et 7 octobre. des trombes d'eau s'abattirent sur
DELYIBRAHIM, noyant les fondations, renversant les échafaudages,
dispersant linteaux et madriers. Courageusement, l'entrepreneur se remit
au travail, mais " ru les frais déjà engagés
", le nombre des maisons passa de 40 à 20.
Las, le ciel inclément redoubla de furie ! Dans la nuit du 23 au
24. un nouvel ouragan détruisit ce que le précédent
avait épargné.
Le découragement gagne l'autorité supérieure, car
ce n'est pas cela que l'on avait fait miroiter aux yeux des immigrants,
lorsque, délaissant l'Amérique, leur destination première,
ils s'étaient embarqués au Havre pour ALGER. Beaucoup d'entre
eux sont Rhénans ou Bavarois. Ils ont trouvé tout naturel
de venir vivre sous les plis de notre drapeau. Leurs pères n'ont-ils
pas combattu dans les armées napoléoniennes'? Mayence, Cologne,
Coblence, n'étaient-elles pas chefs-lieux de départements
français, il y a de cela 15 ans à peine'? Bref, les voilà
maintenant déambulant dans les rues de la CASBAH, avec leurs compagnons
de misère venus des quatre coins de France, à la recherche
de terres nouvelles...
LES FACHEU X
Mais le Général BERTHEZENE, qui commandait
en chef, était hostile, par principe, à toute colonisation.
Il se contenta de ravitailler ces immigrants, espérant en être
rapidement débarrassé. Fâcheux précédent.
car les aspirants-colons. que l'on se chargeait, d'autre part, de décourager
par tous les moyens, finirent par s'habituer à cette mendicité
à peine déguisée.
BERTHEZENE fut bientôt rappelé en France, mais réussit
encore en partant à leur jouer un bon tour en désignant
DELY-IBRAHIM, comme centre futur de leur établissement. Le duc
de ROVIGO qui lui succéda au commandement suprême quoique
partisan chaleureux de la colonisation, ne prit pas la peine de vérifier
si le site de DELY-IBRAHIM répondait aux nécessités
agricoles, niais comme ce centre répondait parfaitement aux exigences
militaires, on tint la question pour définitivement réglée.
A L'OUVRAGE
Or, quel était l'aspect de la région à
cette époque. Mamelons broussailleux, couverts de palmiers nains
et d'arbustes sauvages, coupés de ravins verdoyants mais impraticables.
Voilà ce que l'on offrait aux immigrants : " Messieurs, ceci
est à vous... à l'ouvrage ! " Les colons durent se
regarder entre eux avec découragement. A l'ouvrage? Et avec quoi
? Il y avait beau temps que leurs économies avaient fondu. Or,
pour labourer, il faut des charrues et des boeufs. Pour nourrir les boeufs,
il faut du foin et, pour les abriter, des étables. Et eux, les
hommes, devraient-ils coucher à même le sol, avec leur femme
et leurs enfants? Et l'eau ? La source la plus proche se trouvait à
2 km !
Mais l'intendant civil PICHON vint troubler leur médiation : "
Nous ne sommes pas sûrs que les terres appartiennent à l'Etat,
s'écrie-t-il. Il ne peut donc en disposer en votre faveur. Je vais
ordonner une enquête. Mes services feront diligence... D'ici quatre
ou cinq ans, vous aurez, la réponse. D'ici là, ne touche:
rien ".
ROVIGO fit alors entendre la voix de la raison.
ON FERA DU SOLIDE
L'Administration reconnut sportivement ses torts : "
Le nouveau village, dit un rapport du 7 décembre 1832, doit être
bâti avec solidité. L'expérience du passé,
celle de cette année, nous Ont d'ailleurs dégoûté
de toute nouvelle tentative... Tout nous fait une loi de changer de système
".
Excellente décision ", durent penser les colons qui, au mépris
des efforts que l'Administration faisait en leur faveur, continuaient
à mourir avec une régularité désespérante.
Cette fois donc, la commission décida de faire " solide ".
Par ménage, une maison de 12 in sur 6, dans une cour de 12 m x
12 m. Le tout pour 5 500 francs.
C'était cher. On réfléchit donc. Jusqu'au mois de
février 1833 où un nouveau projet l'emporta: maison de 9
m sur 7, en maçonnerie et pisé, toit de chaume, dans une
cour, de 16 m x 12 m, à 1500 francs pièce, (on réduisait
astucieusement la maison au profit de la cour), et l'on se donna le luxe
d'écarter le projet d'une maison de 7 m sur 4, pour 380 francs,
qui rappelait singulièrement les erreurs passées.
L'adjudication, au bénéfice des sieurs VAGANAY et SILLET,
eut lieu le 30 août 1833. Il ne s'agissait plus cette fois que de
20 bâtisses. Le 2 février 1834, les travaux étaient
terminés.
LES COLONS SE
FÂCHENT
En grande pompe, les autorités compétentes
s'en furent " réceptionner l'ouvrage. Or. que virent-ils ?
Horreur ! Il manquait 38 équerres en fer pour poteaux corniers
et les toitures présentaient des malfaçons apparentes. Tout
se trouvait remis en question!
Alors, les survivants des colons prirent la parole et
demandèrent si la comédie allait durer longtemps encore.
Probablement surent-ils trouver les mots qu'il fallait, car un rapport
officiel nous apprend que " devant l'impatience des colons à
jouir de leurs demeures " l'Administration décida de fermer
les yeux sur les malfaçons...
Ainsi, on avait mis quatre ans pour construire une trentaine de mauvaises
baraques en pisé et dépensé pour cela plus de cinquante
mille francs, soit au cours actuel du franc, plus de cinq millions...
Mais, DELY-IBRAHIM devenait le premier village " réalisé
" en Algérie. Cette gloire devait suffire aux colons qui avaient
donné leur travail et souvent leur vie.
Cette histoire authentique devrait être offerte aux méditations
des responsables de la Reconstruction, car, comme dit la chanson: "
Si cette histoire vous amuse, nous pouvons toujours la recommencer...
"
ORIGINE DE LA
COMMUNE DE DELY-IBRAHIM
Premier centre
créé en Algérie
Origine de ce nom: c'est sur l'emplacement
de l'haouch Dély-Ibrahim (la ferme du fou) que fut créé
par BERTHEZENE le 26 septembre 1831 un camp retranché admirablement
placé, dominant le SAHEL jusqu'à TIPASA, et une partie de
la MITIDJA centrale jusqu'au pied de l'ATLAS. Le climat y est excellent,
c'est une autre raison qui fit que l' année suivante, par ordonnance
royale du 21 septembre 1832, le duc de ROVIGO fit décider l'édification
de DELYIBRAHIM. Le premier village d'Algérie: une cinquantaine
de familles d'origine bavaroise et wurtembergeoise émigrantes en
Amérique furent détournées au profit de la colonisation
et installées sur des lots de deux ou trois hectares et logées
dans des baraques en bois.
Par décret du 31 décembre 1856, le village de DELY-IBRAHIM
et son territoire, et les territoires des villages d'EL-ACHOUR, DRARIA
et OULED-FAYET forment une commune de plein exercice dont le chef-lieu
est placé à DELY-IBRAHIM.
Par arrêté préfectoral du 8 décembre 1870,
la section de DRARIA est distraite de la commune de DELY-IBRAHIM et érigée
en commune séparée.
Par décret du 15 octobre 1888, la section d'OULED-FAYET est distraite
de la commune de DELY-IBRAHIM et érigée en commune séparée.
Superficie: 1314 hectares - Altitude : 250 m
Nombre d'habitants en 1926: 920 - dont 372 Français, 121 étrangers
et 427 indigènes.
DELY-IBRAHIM est séparé des centres suivants par un chemin
spécial: de DRARIA 6 km, de BABA-HASSEN 7 km. de CHERAGAS 3 km,
d'OULED-FAYET 4,5 km et d'EL-BIAR 5 km. A 11 km d'ALGER - gare la plus
proche - ALGER.
Est approuvée, conformément à la délibération
du Conseil Municipal de DELY-IBRAHIM, l'érection en cette ville,
à titre d'hommage public, du buste du duc des Cars. lieutenant
général commandant la 3' division du Corps Expéditionnaire
de l'Armée d'Afrique en 1830 (Décret du 28 mai 1912).
Le 21 mars 1841, Mgr DUPUCH, premier évêque d'ALGER, consacrait
à DELY-IBRAHIM la première église édifiée
en Algérie par le Génie...
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