Alger - l'Algérie

         BREVES MONOGRAPHIES COMMUNALES
Les six communes de la ceinture du Fahs
DÉLY-IBRAHIM

Texte, illustrations : Georges Bouchet

mise sur site le 9-3-2008

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 o      DÉLY-IBRAHIM 

Historiquement ce lieu-dit qui porte le nom d'un Haouch beylical (ferme du prince) est entré dans l'histoire de France à la fin juin 1830 quand les troupes françaises ont remporté sur cette ligne de crête la victoire qui leur ouvrit la route d'Alger par El Biar. Il semble que la 3è division du corps expéditionnaire, celle du Duc des Cars, s'y soit particulièrement distinguée.
On peut noter que le Général en chef de Bourmont y perdit son fils Amédée, l'un des 4 fils qui avaient accompagné leur père dans cette aventure.

En septembre 1830 le nouveau " Commandant en chef de l'armée d'Afrique ", le Comte Clauzel, choisit cette crête d'où l'on peut surveiller les deux versants de la route de Sidi Ferruch à Alger, pour y implanter l'un des 3 grands camps retranchés de protection d'Alger ; les 2 autres étant Birkhadem et Kouba.

Il est admis que Dély Ibrahim serait le premier village français créé en Algérie. C'est discutable si l'on songe que des Européens se sont très tôt établis à demeure à El Biar (plus proche avec des maisons à vendre ou à saisir), à Birmandreis ou à Birkhadem (avec des terres plus riches et déjà mises en valeur, et des sources aménagées).
Ce n'est pas discutable si l'on fait allusion à l'ordonnance royale de fondation du centre de peuplement européen. Mais alors il faudrait préciser que Dély Ibrahim est premier ex æquo car l'ordonnance du 21 septembre 1832, signée, au nom du roi, par René Savary duc de Rovigo, prévoyait la création de Dély Ibrahim et de Kouba.
Et dans un cas comme dans l'autre, le duc de Rovigo ne fait qu'entériner une situation de fait héritée de ses prédécesseurs Clauzel et Berthezène.

Début 1831 415 candidats à l'émigration venus de Rhénanie, de Bavière et du Wurtemberg, sont bloqués dans le port du Havre. Ce sont des familles ; 128 hommes, 76 femmes et 211 enfants. Elles ont été abandonnées là par un organisateur véreux. Elles sont sans ressources et ne veulent pas retourner chez elles. Casimir Perier, Président du Conseil à Paris, ne sait que faire de ces malheureux que nous appèlerons Allemands par commodité de langage, car l'Allemagne n'existe pas encore. Clauzel trouve qu'il y a une occasion à saisir pour faire venir des Européens à Alger et les installer près des 3 camps militaires. Il persuade Casimir Perier d'offrir cette solution aux Allemands qui acceptent de tenter l'expérience. Ils croyaient partir au Texas ; ils iront en Algérie. Mais Clauzel est rappelé à Paris sans avoir rien engagé de concret sur place, à Alger.

C'est son successeur, le baron Pierre Berthezène qui hérite du problème posé par les Allemands, alors qu'il est hostile à toute colonisation. Il se contente de fournir des tentes montées par l'armée près des remparts d'Alger et de distribuer du ravitaillement. Il organise ainsi une sorte de mendicité à peine déguisée dont se satisfont certains Allemands, mais pas lui qui veut mettre fin à une situation par essence provisoire. Faute de pouvoir les renvoyer en France ou en Allemagne, il reprend l'idée de Clauzel et décide de répartir ces familles près des camps de Dély Ibrahim et de Kouba. Las ! Il est rappelé en France avant d'avoir pu commencer le transfert ; mais il a choisi le site de Dély Ibrahim pour son intérêt stratégique, sans se soucier des aptitudes ou inaptitudes agricoles.

C'est le nouveau chef, Savary, qui fait construire en toute hâte des baraques en planches avec toiture de chaumes et sans aucun confort : il n'y a même pas de point d'eau à proximité. Voici comment, durant l'hiver 1832, ces candidats attirés par la chaleur du Texas, se sont retrouvés dans la boue argileuse de Dély Ibrahim, sans bétail et sans charrue, et sans savoir, eux qui n'étaient pas tous paysans, arracher les longues racines des palmiers nains. On finit par leur procurer des attelages. En réalité les plus dégourdis s'établirent cabaretiers pour la clientèle des soldats des camps, ou organisèrent des charrois pour le Génie qui ouvrait la route stratégique vers Douéra où était implanté un camp de surveillance au-dessus de la plaine de la Mitidja.

En février 1832 c'est 53 familles qui furent installées à Dély Ibrahim. Certaines plantèrent du blé sur des lots trop petits ; l'administration décida d'améliore le sort de ceux qui avaient tenu en leur distribuant des terres présumées beylicales, ce qui déclencha l'hostilité des indigènes des alentours qui moissonnèrent, de nuit, la première récolte. Il s'ensuivit une bataille rangée entre colons et indigènes qui laissa sur le terrain morts et blessés.
D'autres personnes avaient péri à cause des fièvres. En 1835 il y avait tellement d'orphelins que l'administration créa un orphelinat protestant.

Certaines familles ayant quitté les lieux, on estime que lorsque Guyot rédigea son rapport en 1842, il ne restait plus sur place que 20% des premiers arrivants.

Dans son rapport au Ministre, Eugène Guyot, Directeur de la Colonisation, écrit ceci en mars 1842 

Ses commencements ont été difficiles : bien placé sous le rapport stratégique, il l'est fort mal sous celui des eaux qui y manquent une partie de l'été, le sol est ingrat. Jusqu'en 1840 les habitations étaient en bois ou en torchis, mais l'église et une fontaine ayant été bâties, les concessions sont devenues définitives et les habitants, étant assurés que ce point ne serait pas abandonné, ils ont commencé à bâtir en matériaux solides. Aujourd'hui le village compte 85 maisons en pierres…
Le village n'a jamais été attaqué pendant les crises les plus fâcheuses de la dernière guerre.

A cette date il y a non seulement une église construite par les militaires du Génie, mais aussi un modeste oratoire protestant. Dans cet oratoire les prêches étaient prononcés en langue allemande. L'église de Dély Ibrahim, consacrée aux Saintes Félicité et Perpétue, martyrisées à Carthage en 203, est la première église entièrement construite ; jusqu'alors on adaptait des bâtiments anciens, y compris des mosquées.

Quelques dates notables

1830 -
occupation de la crête et du versant vers El Biar du 26 au 28 juin
1830 -
en septembre, installation d'un camp retranché
1832 -
en février, arrivée de 53 familles d'Allemagne du sud
1835 -
Ouverture d'un orphelinat protestant
1841 -
Consécration de l'église par Monseigneur Dupuch, premier évêque d'Alger
1842 -
le 21 septembre, Ordonnance royale de création du village de Dély Ibrahim
1845 -
Inauguration d'un temple protestant
1856 -
Dély Ibrahim est promu CPE. A cette commune appartiennent aussi les territoires d'El Achour, de Draria et d'Ouled Fayet. A cette date les familles allemandes sont devenues très
minoritaires et le pasteur prêche en français
1912 -
Inauguration du buste de Régis Pérusse, duc des Cars dans le bois du même nom
1930 -
Inauguration de la tour Boutin
1942 -
Garnison américaine
1948 -
Installation de l'EMAT : Ecole militaire annexe des transmissions
1955 -
Installation du camp militaire Basset
1957 -
Installation d'une SAS : Section administrative spécialisée
1957 -
Edification d'une éolienne par EGA : Electricité et Gaz d'Algérie
1959 -
Intégration de la commune au 7è arrondissement du Gand Alger

Le territoire communal

La commune, en 1935, n'a de limite naturelle qu'au nord le long de l'oued Beni Messous, et partiellement à l'est, du côté d'El Biar avec l'oued Lekral. On se souvient qu'après 1945 Dély Ibrahim a perdu une partie de son territoire situé au nord pour créer une nouvelle commune appelée Air de France. ; mais je n'ai pas réussi à trouver la limite officielle. Je traiterai donc Air de France avec Dély Ibrahim.

La commune s'étend, pour l'essentiel, sur le versant sous le vent d'une crête arrondie, suivie sur 1 ou 2km, par la RN 36 qui mène à Douéra. Cette crête n'est pas très élevée : elle culmine à 289m en haut du village et à 285m au tournant vers Ouled Fayet marqué " Grand Vent " sur la carte. Ce nom est bien choisi car l'endroit est effectivement venteux ; suffisamment en tous cas pour que EGA (l'entreprise nationalisée en 1947 et qui fournissait l'électricité partout et le gaz de ville dans les grandes villes) ait décidé d'installer une éolienne achetée d'occasion aux Anglais et destinée à tester la possibilité de fabriquer ainsi de l'électricité. L'investissement fut perdu à la première grosse bourrasque qui plia l'éolienne qui fut aussitôt rangée au magasin des illusions perdues.

Ce tronçon de route domine, vers la mer, les terres les plus argileuses et les plus lourdes du Sahel consacrées, faute de mieux, aux céréales. Les vignes ne sont pas absentes de la commune, mais on les trouve plus au nord de part et d'autre de la route d'El Biar à Chéragas. Encore fait-il noter que l'armée, après 1950, en a arraché une bonne part du côté de Beni Messous.

La vigne tint donc dans cette commune moins de place qu'ailleurs dans le Sahel. Par ailleurs le micro climat et les sols trop argileux ne permettaient pas de concurrencer le littoral pour le maraîchage.

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Le territoire communal

Le territoire communal

Malgré la proximité d'Alger le village de Dély Ibrahim ne connut qu'un développement modeste : la vigne y poussait mal et les villas de banlieue poussaient ailleurs, à El Biar ou à Bouzaréa. Depuis les années 1920 ces dernières poussaient aussi à Air de France. Mais c'est précisément le quartier qui fut enlevé à la commune, je ne sais quand au juste. On peut considérer que Dély Ibrahim fut véritablement sinistré : qu'on en juge d'après le recensement d'octobre 1954. Dans ses limites de 1935 la commune aurait eu, en 1954, 5762hab ; dans ses nouvelles limites elle en a 1216, et 4546 pour Air de France.

Le village centre

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Dély-Ibrahim, vue aérienne
Dély-Ibrahim

On reconnaît bien sur la photo la tour Boutin, mais on ne voit pas le bois des Cars.

On voit clairement que son plan en Y est celui d'un carrefour entre les routes qui viennent de Ben Aknoun (côté droit en haut), d'Ouled Fayet et de Douéra (côté droit en bas) et Chéragas (le long du terrain de la tour Boutin) Je crois utile de préciser que la photo a été prise de telle sorte que le haut ne montre pas le nord, mais le nord-est. La grande rue que l'on voit nettement est la RN 36. La RN 36 et la route de Chéragas passent de part et d'autre de l'église.

C'est assurément un village bien modeste ; il est à la fois le plus ancien et l'un des plus petits de tout le Sahel. Il était peut-être trop près d'Alger et trop loin de la route principale entre Alger, Blida et le sud qui, à partir de 1845, passa par Birkhadem. Dély Ibrahim n'est resté que 14 ans sur la route principale. Sa situation ne fut stratégique que peu de temps. Et l'essor d'Alger a concerné une partie de la commune, mais a ignoré le village d'origine.

La desserte

La desserte du village était assurée dans les années 1960 par 2 sociétés : la RSTA et les Auto-Cars Blidéens. Les cars blidéens avaient racheté ceux de la société Seyfried et Cie
o Les bus RSTA étaient ceux de la ligne 15 de Châteauneuf à Chéragas
o Les bus de la société blidéenne partaient de la place du Gouvernement et allaient à Douéra

Les quartiers cédés à la pseudo commune d'Air de France
Alors que le village de Dély Ibrahim était resté peuplé essentiellement d'agriculteurs et ne croissait guère, les quartiers d'Air de France et de Beni Messous croissaient rapidement et accueillaient des activités non agricoles.

          Air de France est tout d'abord un lotissement de villas modestes construites à partir des années 1920 sur des terrains bon marché, car éloignés du centre d'Alger et médiocrement équipés : pas d'eau courante au tout début par exemple. C'est une excroissance spontanée et un peu isolée de la ville d'Alger un peu à l'écart de la route de Bouzaréa, non loin de l'Ecole Normale d'Instituteurs. Le nom aurait été choisi par le créateur du premier lotissement, Gilbert Bachelier, désireux de rendre ainsi hommage à son Auvergne natale.

D'autres lotissements sont apparus ensuite et Air de France est devenu avant 1939 une banlieue résidentielle. Pour le Sahel c'est vraiment une commune atypique ; non seulement elle ne doit rien au plan Guyot, mais elle n'a rien d'un village de colonisation. En fait malgré sa promotion au rang de commune, elle n'a pas grand chose de " commun " avec les autres communes : pas de mairie et pas de maire (juste une mairie annexe et un délégué spécial), pas d'église(la plus proche est à Bouzaréa), pas de mosquée, pas de poste, pas de place centrale, pas de monument aux morts.

Après 1945 elle a attiré, peut-être à cause de l'existence de terrains pas trop chers , des institutions militaires :
le Chenil de la Gendarmerie
l'EMAT : Ecole Militaire Annexe des Transmissions
et à Beni Messous, un kilomètre vers l'ouest, un vaste camp militaire : le camp Basset

          Le camp Basset

camp basset

Ayant été convié à y résider durant 4 mois dits " de classe " d'octobre 1960 à février 1961, j'ai quelques souvenirs de ce camp si vaste que je n'en ai jamais fait le tour. Il y avait en fait plusieurs camps attenants aux activités très diverses.

Je ne connais vraiment que le camp du train qui avait été créé en 1955 autour d'une grande ferme à laquelle aboutissaient deux allées bordées d'arbres.

o On y trouvait la CIT 160 (Compagnie d'Instruction du Train) logée dans des baraquements pour les cours et sous des tentes pour dormir. C'était plus agréable qu'une caserne.
o Et la CCR 210 (Compagnie de Circulation Routière).
o Et le Groupe de Transports 520 avec des camions Simca et quelques GMC increvables.

Il y avait aussi, attenant au camp du train, un camp de transit ouvert en 1957, au moment de la bataille d'Alger, pour trier les suspects, en application des pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement Guy Mollet par l'Assemblée Nationale, par 455 voix contre 76. Sa capacité était de 350 lits. Les suspects de terrorisme ne faisaient qu'y passer : ils étaient libérés ou envoyés dans les camps d'internement éloignés de Paul Cazelles (Aïn Oussera) pour les musulmans, ou de Lodi pour les autres. Ces deux camps étaient desservis par la voie ferrée de Médéa à Djelfa.

En 1962 les clientèles changèrent du tout au tout. En avril on y amena pour deux ou trois jours les jeunes Européens raflés en ville, par surprise et sans autre motif que ceux invoqués plus tard par les barbouzes gaullistes du SAC (Service d'Action Civique !) :à savoir éviter leur enrôlement dans l'OAS et constituer un fichier de suspects potentiels.
Les mois suivants, le camp de Beni Messous a servi de refuge à quelques harkis (supplétifs musulmans) qui ont pu y trouver un asile provisoire, et l'espoir d'un embarquement sur le bateau de leur exil vers une patrie peu disposée à assumer ses responsabilités à leur égard. Beni Messous est donc devenu un des hauts lieux symboliques du parjure gaulliste envers ceux que la France avait mouillés jusqu'au cou et jusqu'au bout.

La desserte d'Air de France était assurée par les bus des lignes 6 et 6 barré de la RSTA vers Bouzaréa. Ils longeaient le premier lotissement. Ces bus passaient tous par El Biar et Châteauneuf ; mais ceux de la ligne 6 partaient de la Place du Gouvernement, et ceux de la ligne 6 barré partaient de la Grande poste.

La desserte de Beni Messous était assurée par les cars de la société Galiéro Joseph allant à Chéragas

Les deux monuments de la commune sont tout près du village de Dély Ibrahim
          Le bois des Cars était un petit espace boisé situé en haut du village. Il était planté de pins, de cèdres et de cyprès qui offraient leur ombre aux pique-niqueurs et aux boulistes du dimanche. Les joueurs de pétanque animaient le boulodrome et ses alentours, les dames papotaient, les gamins gambadaient ; et plus personne ne prêtait attention au petit monument placé là en 1912, et entouré d'une grille. Le monument était dédié aux vainqueurs des combats de la fin juin 1830, et supportait le buste du lieutenant-général de la 3è division d'infanterie, Régis Pérusse, Duc des Cars.

          La tour Boutin était également tout en haut du village. Tous ceux qui empruntaient la route de Chéragas ou celle
de Beni Messous, ne pouvaient pas ne pas voir cet étrange bâtiment, mi château d'eau, mi minaret.
Cette tour édifiée à l'occasion de la célébration du centenaire de l'Algérie française en 1930, était censée rendre hommage au Commandant Boutin. Cet officier du Génie que Napoléon avait apprécié en Egypte en 1798, fut envoyé en mission à Alger en 1808 pour étudier les fonds marins et repérer la plage la plus propice à un débarquement. Avec une couverture d'employé du Consulat de France, il s'adonna à la pêche pour camoufler son vrai travail d'espion. Dans son rapport, il préconisait les plages de Sidi Ferruch qui furent effectivement choisies par l'Amiral Duperré en mai 1830. Il n'avait pas pêché en vain.

Supplément administratif sur les SAS et les SAU

Ces sigles de Sections Administratives diffèrent par une lettre, S pour Spécialisées et U pour urbaines. Mais elles désignent des institutions poursuivant des buts identiques, dans le bled dès 1955 pour les SAS, et dans les grandes villes à partir de 1957. En 1960 il y avait environ 700 SAS en Algérie et 11 SAU dans le grand Alger.

Les SAS sont une création de Soustelle en septembre 1955, pour remédier à la sous administration des campagnes. Elles s'insèrent dans la tradition des Bureaux Arabes (1838-1870) que la République a eu le tort de supprimer, et dans celle des Affaires Indigènes (1926-1955), voire dans celle des officiers AMM (Affaires Militaires Musulmanes).

La SAS est l'échelon administratif le plus proche et le plus accessible pour toute démarche. Elle est aussi une sorte de dispensaire mobile qui dispense un minimum d'aide médicale gratuite en assurant consultations et vaccinations. Elle participe au plan de scolarisation. Elle est un organisme de renseignements, en liant le plus de contacts possibles avec les habitants. L'officier doit multiplier les tournées dans les douars pour souligner la pérennité de la présence française. Il peut aussi se charger de l'interrogatoire des suspects.

Les SAS étaient adossées à un poste militaire normal qui assurait leur sécurité.

Le hasard de ma date de naissance m'a fait bénéficier en 1956, d'un séjour gratuit involontaire de 6 ou 7 semaines dans une SAS de Kabylie (Aït Aïcha) entre Azazga et Michelet. En effet Robert Lacoste, ministre-résident nommé par Guy Mollet en février 1956, avait décidé de requérir tous les étudiants majeurs algérois pendant les vacances d'été, pour les envoyer séjourner dans une SAS. J'ai donc participé au fonctionnement d'une SAS en vrai. Il n'y avait pas grand monde : un lieutenant et un sergent de carrière, un chauffeur kabyle, un secrétaire kabyle capable de servir d'interprète, 3ou 4 moghaznis, et 2 " requis civils " dont moi.

Nous avons été, mon collègue et moi, acteurs ou spectateurs de la plupart des activités de routine de cette SAS de Grande Kabylie, à l'exception de l'enseignement puisque c'était en août-septembre. Je fus occupé à mettre de l'ordre dans un énorme de tas de cartes d'identité qui avaient été confisquées aux villageois, et à engager les travaux de photographies destinées à fabriquer de nouvelles cartes. Nous avons participé à des tournées de visite chez les caïds du coin, dont la raison apparente était médicale et la raison principale politique. Nous avons même assisté d'assez loin à un début d'interrogatoire d'un suspect arrêté après l'égorgement d'un informateur qui aurait commis l'imprudence de chausser des pataugas trop neufs.

Un autre hasrd m'a fait rencontrer les SAU le 31 janvier 2008, en tant qu'auditeur lors d'une soutenance de thèse de doctorat en histoire. J'y ai appris le rôle ambigu qu'ont peut-être joué certaines SAU du Grand-Alger lors du voyage en Algérie de de Gaulle du 9 au 13 décembre 1960. Pour répondre aux manifestants européens qui croyaient possible de refaire un 13 mai contre la politique de de Gaulle, ces apprentis sorciers, consciemment ou inconsciemment, ont permis au FLN d'organiser les contre manifestations musulmanes et d'apparaître dès cette époque comme le futur vainqueur. La majorité musulmane a compris le message.

Le sujet de thèse était " La montée des violences dans le Grand-Alger du 1-06-1958 au 30-04-1961 "
Le futur Docteur était Robert Davezac.

Son ouvrage est consultable à la bibliothèque universitaire de Toulouse-le Mirail. Il en a été remis une version électronique au bureau central des thèses à Paris.

Pour conclure je crois pouvoir hasarder l'opinion que de tous les officiers cocufiés par de Gaulle, ce sont ceux des SAS qui ont porté les plus belles cornes. Ils avaient mission d'inspirer confiance aux populations en général, et aux militaires supplétifs en particulier (harkis, moghaznis et gens des GAD : Groupes d'Auto-Défense). Cela ne pouvait se faire sans promesses solennelles de ne jamais céder devant le FLN.

Or à partir de juillet 1961 de Gaulle n'a plus caché son désir de désengagement. Au printemps on a demandé aux officiers des SAS de désarmer leurs hommes ; on leur a même interdit toute initaiative susceptible de les sauver en les faisant passer en France.
" Dernier chaînon de responsabilité, à l'endroit où nul ne voulait être, ils ont dû avaler jusqu'à la lie les conséquences du lâchage final : honneur bafoué, promesses trahies, soldats sacrifiés… "