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Texte, illustrations
: Georges Bouchet
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o CHERAGAS La fondation de ce
village est évoqué en ces termes par Guyot dans son plan
du 12 mars 1842.
Ce texte montre que Chéragas est bien un village " Guyot " bien que sa mise en chantier soit antérieure à la rédaction du plan. On y retrouve les mentions de l'origine des terres, saisies à des tribus en fuite en décembre 1839, et du souci sécuritaire. L'évocation de Grasse exige un commentaire : le voici. Dans un souci vraisemblable d'économie et de rapidité, le Gouvernement avait confié le recrutement et l'installation des colons à un dénommé Honoré Mercuri (un peu comme Tardis à Guyotville) payé par l'octroi d'une vaste concession. Mercuri était de Grasse et c'est donc là-bas qu'il a fait la promotion de la région de Chéragas. Ainsi s'explique l'origine des premiers volontaires, tous des environs de Grasse, où ils avaient été recrutés malgré l'hostilité des maires et des curés qui craignaient que leur région ne se désertifiât ! Cette origine explique le succès exceptionnel de la culture des plantes à parfum ; avant tout le géranium rosat, mais aussi le jasmin, la verveine et la menthe poivrée. Le décret de création de Chéragas est signé le 22 août 1842. Furent distribués 50 lots : 20 de 8ha, 20 de 6ha et 10 de 4ha. Les lots ont été accordés sous condition de ressources en capital (1500 à 5000 francs disponibles à l'arrivée en Algérie). Les 50 bénéficiaires ont été choisis par Guyot, parmi 80 demandeurs. Le transport des colons de Toulon à Chérages était gratuit. Ils parvinrent au village par la route du " débarquement " qui suivait l'oued Beni Messous et qui fut négligée ensuite lorsque la RN 41 coupa au plus court entre Dély Ibrahim et Cheragas. Lorsqu'ils arrivèrent au futur village, ils virent des broussailles et des palmiers nains partout alentour, et des baraques en planches. Ils furent peut-être déçus, mais restèrent, rassurés sans doute par la palissade et les trois tours de garde prévus par le projet. Plus tard ils eurent à prendre leur tour de faction, la nuit, pour surveiller les environs en cas de danger réel ou supposé. Le plan Guyot avait aussi envisagé l'implantation d'une brigade de Gendarmerie. Quelques dates notables.
Le territoire communal Ce qui apparaît d'abord en regardant sa carte c'est que le territoire communal est plat à 80% au moins, et qu'il possède un petit bout de littoral : 2km de plages et de dunes basses, entre les oueds Beni Messous au nord, et Bou Kara au sud. Ces deux oueds, ainsi que l'oued Fouara constituent l'essentiel des limites communales. Ce n'est qu'à l'est que la limite sinue à travers la retombée des collines du Sahel où se trouve le point culminant à 262m. Au nord la commune accède à la forêt de Baïnem grâce à une étrange excroissance rectangulaire. L'essentiel reste le bas plateau, en pente douce vers la mer : 160m au village et 20m derrière les dunes. Le réseau des routes et des chemins en damier presque parfait dessert des fermes de colonisation consacrées surtout à la viticulture ; mais pas seulement. Aux activités classiques des tout débuts, blé et fourrages, les colons du Var avaient ajouté les plantes à parfum et l'exploitation des tiges de palmier nain pour la fabrication de crin végétal. L'exploitation du crin végétal a disparu avec la fin des défrichements ; la distillation des plantes à parfum a survécu plus longtemps, mais a été concurrencée à la fin du XIXè siècle par les progrès de la carbochimie, et aussi par le déplacement de ces cultures vers la Mitidja autour d'El Affroun. La multiplicité des puits (les ronds bleus de la carte) témoigne de la présence de cultures maraîchères, en tant que cultures d'appoint.A noter que le hameau de La Trappe, si près de Staouéli, est resté dans la commune de Chéragas lorsque, en 1887, Staouéli a quitté Chéragas en devenant CPE à son tour. A noter enfin qu'il n'y avait en 1935, et au-delà, aucune station balnéaire sur son bout de côte. Chéragas était une commune agricole et un lieu de passage sur la route de Zéralda et du littoral vers Tipasa. L'inauguration de l'aérodrome n'est intervenue qu'à la fin de la période française. Même si cela a apporté de nouvelles activités, celles d'un aéroclub et celles d'une école où étaient formés des officiers observateurs pour guider et appuyer les troupes au sol à la recherche des bandes rebelles, ce fut marginal et éphémère. D'ailleurs les personnes concernées ne résidaient pas forcément à Chéragas. Le village centre C'est un village de colonisation classique : forme rectangulaire, place centrale et réseau de rues en damier. C'est également un carrefour à 5 branches, 3 chemins départementaux vers Guyotville, Dély Ibrahim et Ouled Fayet, et 2 branches situées sur la RN 41 traversant le village entre El Biar et Zéralda. Au milieu du village une place avec, sur un modeste socle, la statue du buste du Maréchal Pélissier (1794-1864) duc de Malakoff. Pourquoi est-il à Chéragas plutôt qu'ailleurs ? je l'ignore.
Si l'on voulait honorer le Général qui avait en septembre 1855 enlevé le fort de Malakoff près de Sébastopol durant le guerre de Crimée, il existait des lieux plus fréquentés. Et l'on pourrait faire la même remarque pour le conquérant de l'Algérie. Quant à la colonisation, il a été Gouverneur Général durant la période de la politique de Napoléon III dite du " Royaume Arabe ". Napoléon III était hostile à une colonisation de peuplement européen, surtout loin de la côte, et à la distribution de concessions gratuites. Par son décret du 31 décembre 1864 il supprima la gratuité et décida de vendre les lots à un prix fixé payable en 5 ans. La formule connue qui résume cette politique est " l'Algérie n'est pas une colonie proprement dite mais un royaume arabe .Les indigènes ont, comme les colons, un droit égal à une protection, et je suis aussi bien l'empereur des Arabes que l'empereur des Français ". Ce texte figurait dans une lettre adressée en février 1863, à Pélissier alors Gouverneur Général en Algérie depuis novembre 1860. Pélissier avait été Gouverneur par intérim de mai 1851 à mai 1856. Puis le Gouvernement Général avait été supprimé ; et c'est Pélissier qui fut nommé en décembre 1860 lorsque ce poste fut rétabli. Il mourut d'ailleurs à Alger (mais pas à Chéragas) le 22 mai 1864. C'est pendant son deuxième séjour que l'on fonda le moins de villages de colonisation, conformément aux instructions de l'empereur. Je doute que les colons et le Maire de Chéragas aient voulu célébrer cette politique. Si un lecteur sait quel lien particulier unissait Chéragas et Pélissier, qu'il n'hésite pas à contacter B. Venis. Le hameau de La Trappe (ou Bouchaoui) Historiquement La Trappe et les Trappistes apparaissent dans l'histoire de l'Algérie le 17 février 1843. La Trappe est un monastère dont la création résulte d'une double volonté ; celle du monastère de la Grande Trappe d'Aiguebelle dans la Drôme, et celle de la reine de France Marie-Amélie. Les Trappistes appartiennent à la grande famille monastique cistercienne. Le vicaire général Dom Joseph-Marie souhaitait créer en Algérie une uvre comparable à celle des défricheurs cisterciens des XII è et XIIIè siècle dans les forêts françaises. Il hésita, paraît-il entre Bône en mémoire de Saint-Augustin évêque d'Hippone au début du Vè siècle, et Alger proche du pouvoir. Le Maréchal Soult, Ministre de la Guerre, et favorable aux grandes concessions, proposa un grand terrain de 1020 ha près du champ de bataille de Staouéli en 1830. Ces terres auraient pu servir à l'édification d'un village " Guyot " ; elles devinrent cisterciennes. La concession ayant été attribuée le 17 février 1843, la première pierre fut posée le 14 septembre. Bugeaud accorda le concours de ses soldats pour les premiers défrichements et les premiers labours ; ainsi qu'une subvention de 62 000 francs. Fin 1843 60ha étaient défrichés, et on grava au-dessus du portail d'entrée une devise susceptible de plaire à Bugeaud sans offenser le Christ " ense cruce et aratro ". Le bâtiment fut consacré le 30 août 1845 par Monseigneur Dupuch, premier évêque d'Alger. Quand Napoléon III fit une halte en 1865, l'abbaye était prospère. Cette prospérité dura jusqu'aux années 1880. Mais ensuite l'abbaye souffrit de la mévente du vin et de l'ambiance anticléricale des gouvernements de Paris. Bien que les Trappistes aient échappé à l'expulsion qu'aurait rendue possible la loi de 1901 sur les associations, ils décidèrent par précaution de vendre, et de partir en Italie, près du lac de Garde. Sur la carte le toponyme " caves d'Aiguebelle " a maintenu le souvenir de leur origine jusqu'en 1962. En 1904 le domaine est vendu à trois frères d'origine suisse : Jules, Charles et Lucien Borgeaud. En 1908 Lucien rachète les parts de ses frères et reste seul propriétaire. Il acquiert bientôt la nationalité française. En 1963 son domaine est nationalisé par le gouvernement Ben Bella. Il couvre alors 1303 ha dont
Le domaine c'est aussi une cave de 82 000 hl, de nombreux bâtiments d'exploitation et de nombreux logements pour les employés qui formaient un grand hameau bien visible sur la carte au 1/50 000 et sur la photo aérienne. La famille Borgeaud fut un modèle de " gros colons " qui ont su rester " gros " jusqu'au bout par bonne gouvernance.
La desserte du village de Chéragas était assuré, vers 1960 par deux sociétés d'autobus.
Supplément sur le crin végétal, exploité à Chéragas de 1847 à 1867 Le Crin végétal est extrait du palmier Chamaerops humilis var.cerifera (ou palmier nain, ou palmier doum). C'est un Toulousain, né en 1810 à Caraman, Pierre Averseng, qui est à l'origine de cette exploitation. Sa famille possédait à Toulouse, une usine travaillant le crin animal. Lors de son second voyage en Algérie en 1846, alors qu'il se promenait du côté de Chéragas, Pierre déchiqueta machinalement une tige de palmier nain et il fut frappé par les similitudes de ces fibres végétales avec celles du crin animal qui se raréfiait et devenait très cher. Dès 1847 il mit au point une machine permettant d'extraire de la plante de longues fibres tressables et résistantes. Il appela crin végétal le produit obtenu. Il s'installa à Chéragas pour acheter aux colons les tiges de ce palmier, au fur et à mesure des défrichements. Puis il envoyait les sacs de tige à Toulouse pour le tressage. Mais après l'incendie de l'atelier de Toulouse, il construisit un atelier à Chéragas. Il demeura à Chéragas de 1847 à 1867 ; il ne quitta le Sahel que lorsque l'achèvement des défrichements eut tari la source de matière première. Il s'installa à El Affroun où le palmier nain était abondant sur les premières pentes de l'Atlas tellien. L'usine de la famille Averseng employa jusqu'à 400 ouvriers et ne ferma qu'en 1956 à cause de l'insécurité et de la concurrence du Maroc. Le crin produit ainsi est imputrescible, à l'abri des attaques d'insectes et bon marché Ses usages furent multiples : cordes, coussins de pressoir, paniers corbeilles et chouaris (paniers doubles pour les ânes) très appréciés localement. Les déchets d'usine peuvent servir également à rembourrer matelas, coussins et fauteuils. La famille Averseng fit souche à El Affroun et l'un des arrière-petits-neveux du fondateur, un autre Pierre, qui possédait et pilotait un petit avion, fut l'un des fondateurs de l'archéologie aérienne en Algérie, en survolant en 1934 le sud Constantinois. |