-----Le sujet de
mon exposé est : "les juifs d'Algérie avant la conquête
française" c'est à dire avant 1830. Généralement,
l 'histoire des juifs d'Algérie, ou même l'histoire des juifs
d'Afrique du Nord est assez bien connue depuis l'occupation Française
mais elle posséde de nombreuses ombres avant 1830 (1).Nous allons
esssayer de voir très rapidement la condition de ces juifs.
-----Tout d'abord, une idée importante,
il faut dire que les juifs d'Algérie sont partie intégrante
du judaïsme Nord-africain.
-----Ces juifs ne constituent ni une entité
ethnique ni une race homogène. Au hasard des courants migratoires
et également des fluctuations commerciales ou des persécutions,
les ancêtres des juifs d'Algérie ou d'Afrique du Nord viennent
de différents horizons.
géographiques. Ils s'y fixent depuis des temps très anciens,
on pense, depuis le VIè siècle avant J.C. où nous
retrouvons des traces de juifs en Algérie. Bien entendu, cela a
commencé par la Tunisie et le Constantinois. Ce judaïsme a
connu avant la conquête française bien des vicissitudes et
il a été particulièrement éprouvé notamment
au XIIe siècle avec les Almohades qui sont des intégristes.
En ce même siècle,il y a eu plusieurs massacres de juifs
et une partie est allée se réfugier en Espagne ou en Provence.
-----En 1142, les agglomérations juives
sont anéanties et les rescapésdes nombreuses tribus juives
se sont converties à l'Islam, puisqu'onn'acceptait pas les gens
d'une autre religion. Toujours au XIIe sièclenous savons que les
juifs de Tlemcen aussi furent massacrés ; par lasuite il y a eu
de nouveaux juifs venus en Algérie, par exemple en1342 d'Italie,
en 1350 des Pays-Bas, en 1403 d'Angleterre, en 1422des juifs vinrent de
France et aussi d'Angleterre.. Dans l'origine decertains noms de personnes
tels LEVY PROVENCAL au SERFATTI qui traduit de l'hébreu veut dire
français, la provenance est évidente. Ceux qui s'appellent
NARBONI sont de la région de Narbonne. Mais en fait, c'est au XVe
siècle que lie judaïsme d'Algérie s'est revivifié,
grâce à l'immigration des juifs venus de la péninsule
Ibérique, c'est dire après les fameux grands "pogroms"
de toute l'Andalousie de 1391et de 1391 à 1492,(1492 étant
la date de l'expulsion des juifs d'Espagne).Sur près de cent ans
de nombreux juifs quittent l'Espagne,un certain nombre va s'installer
au Portugal, d'autres vont à traverstoute la Méditérranée
et parmi ces gens, une partie s'établit enAlgérie. Ces juifs
introduisent toutes les idées européennes et vont diriger
ces communautés juives avec parfois des querelles entre elles.
-----En résumé, avant la conquête
française, l'Algérie est sous la régence turque depuis
1516; et les juifs comme les chrétiens font partie du statut de
Dhimmis c'est à dire qu 'ils sont soumis à une sorte
de contrat dit dhimma régissant tous les gens du livre qui
ne sont pas musulmans. Ce contrat est indéfiniment reconduit il
accorde à la communauté musulmane l'hospitalité et
1a protection aux membres des autres religions révélées.
Ce statut de dhimmi touche principalement les juifs parce que les chrétiens,
notamment, à la suite des fameux massacres des Almohades, se sont
réfugiés en pays chrétien ; ils vont y rester car
ils ont beaucoup plus d'avantages et surtout ils peuvent vivre correctement
sans être soumis à ce statut infamant.
-----La protection accordée aux juifs
a pour condition qu'ils respectent la domination de l'Islam. En tous cas,
avant 1830, et cela est l'application du statut de la dhimma, les juifs.sont
reconnaissables par le costume qui leur est imposé. Il est interdit
aux juifs de porter des vêtements de couleur verte,(réservé
aux descendants du prophète Mahomet) ou rouge (couleur de l'étendard
turc). De même la chéchia, le turban blanc et le burnous
blanc leur sont défendus. On ne leur laisse que l'usage des vêtements
sombres aux manches démesurées. Les juifs ne peuvent être
chaussés que de savates, elles doivent être beaucoup plus
courtes que le pied afin que le talon puisse être en entier, continuellement,
sur le pavé. Nous possédons un texte disant que le 13 décembre
1788,on arrête tous les juifs d'Alger qui ont enfreint cet interdit
et qu'ils reçurent 300 coups de bâton sur la plante des pieds.
Dans la rue, les juifs ne peuvent pas porter d'armes ni sortir le nuit
avec un falot allumé. Le seul luminaire toléré est
une bougie allumée à la main et que le vent éteint
souvent.Après six heures du soir, les juifs ont le droit de circuler
que s'ils possèdent une autorisation émanant de l'autorité
supérieure. Ils n'ont le droit d'avoir que des ânes ou des
mulets pour montures, mais dépourvus de selle, le cheval leur est
interdit puisqu'il est un animal noble. Lorsque les juifs rencontrent
un musulman, ils doivent lui céder la droite et aller à
gauche en signe de respect. Devant une mosquée ou une école
religieuse musulmane, ils sont obligés de se déchausser
et si la porte est ouverte, ils détournent la tête afin de
ne pas regarder les fidèles en prière, sous peine d'être
rossés. Il faut ajouter que parfois ils sont même massacrés
par la population. Les juifs sont exclus de tous les lieux publics fréquentés
par les musulmans à l'exception des bazars où ils possèdent
des commerces. Aux fontaines, les juifs sont assujettis à laisser
passer les musulmans, même s'ils sont arrivés après
eux. Le témoignage du consul américain SHALER, qui était
à ce poste avant l'occupation française, dans les années
1820-1830 montre le sort des Juifs en Algérie : "Les juifs
ont à souffrir d'une affreuse oppression. Il leur est défendu
d'opposer de la résistance. Quand ils sont maltraités, par
un musulman, quelle que soit la nature de la violence, ils n'ont pas le
droit de porter une arme quelconque, pas même une canne. Ils ne
peuvent sortir de la ville sans en demander la permission que le mercredi
ou le samedi. Bien entendu, le samedi est le jour du repos, c'est à
dire le sabbat, il leur est interdit ce jour là de voyager autrement
qu'à pieds.
Merci à Richard
Ayoun
à suivre...
NOTE
1) Voir Richard AYOUN et Bernard COHEN:
"les juifs d'Algérie,deux mille ans d'histoire"
Paris, J.C. Lattés, 1982.
LES JUIFS D'ALGERIE AVANT LA CONQUETE FRANCAISE
(Suite)
------En ce qui
concerne les contestations entre juifs et Musulmans, elles sont du ressort
du Cadi dont ils doivent baiser la main.
------En justice la parole du juif est considérée
comme nulle lorsque un Musulman en nie la véracité.
------Pour les litiges relatifs aux mariages,
aux divorces ou aux héritages, la justice est rendue par les Rabbins
qui siègent publiquement sur le parvis de la synagogue. Les pouvoirs
du tribunal rabbinique pour les juifs sont les mêmes que ceux du
Cadi pour les Musulmans. Il juge aussi bien "au criminel qu'au civil",
et, ses décision sont sans appel. Il a à sa disposition
une force spéciale de police qui lui permet de faire exécuter
ses sentences : amendes, coup de fouet, emprisonnement ainsi que la mise
au ban de la société (1).
------A la tête de la magistrature
se trouve dans chaque ville un chef de la Nation, désigné
par le Dey d'Alger ou par le Bey de Constantine ou le Bey d'Oran, qui
se nomme le Mokadem,c'est à dire le préposé. Son
rôle est d'administrer la minorité juive au nom du Dey, par
exemple à Alger. Le Mokadem perçoit les taxes, les impôts
selon la richesse de chacun et il doit les offrir "avec humiliation",
je cite là les textes de l'époque. Au moment de la remise
du tribut, le Mokadem reçoit un soufflet ou un coup de poing sur
le crâne, pour montrer l'esprit d'obéissance aux prescriptions
du Coran.
------Les juifs paient aussi des avanies,
et des droits commerciaux (2). Ils sont obligés d'enterrer les
condamnés à mort, de porter sur leurs épaules les
maures qui débarquent dans les eaux basses, de nourrir les animaux
du sérail (3).
------Les maisons juives, avant 1830 sont
quelquefois constituées d'une seule petite chambre où selon
certains textes, vivent le père, la mère et parfois plus
de cinq enfants... Les soldats turcs y entrent souvent et maltraitent
les femmes sans qu'ils puissent s'y opposer, car tout juif qui lève
la main sur un Musulman est condamné à 1'amputation de celle-ci.
------Dans le même ordre d'idées,
tout juif qui fait banqueroute est pendu si des musulmans sont parmi ses
créanciers ! (4).
------Cependant il faut noter que certaines
familles juives jouissent de certains privilèges, notamment les
juifs d'origine livournaise, Juifs d'Italie qui ont un statut particulier,
c'est à dire le statut Toscan. Mais à part ces quelques
familles on peut dire généralement que les Juifs dépérissent
dans la misère et 1'oppression.
------Souvant pour apaiser une révolte
de la milice, le Dey lui livre à discrétion les biens et
les personnes des juifs. Par exemple à Alger en 1806, à
la suite d'un pogrom, trois cent Juifs sont massacrés et les valeurs
enlevées sont estimées à 30 millions de francs .(5).A
la suite de ce pogrom, une partie de la communauté juive d'Alger
va s'établir à Marseille, ou en Italie, et beaucoup reviendront
en tant qu'interprètres avec l'armée française, en
1830.
------Avant cette date, ce sont les juifs
qui doivent assumer les travaux pénibles et inattendus. Par exemple,
pendant l'été 1815, la région d'Alger est couverte
par une nuée de sauterelles qui détruit
tout sur sonpassage. Pour protéger ses jardins, le Pacha ordonne
à plusieurs centaines de juifs de les protéger jour et nuit,
il leur faut veiller tant que dure cette invasion.
------Shaler, le Consul américain
relate : "Le cours de leur vie n'est qu'un
mélange affreux de bassesses, d'oppressions et d'outrages... Je
crois qu'aujourd'hui les juifs d'Alger sont peut-être les restes
les plus malheureux d'Israël" (6).
------En fait, ces juifs d'Algérie
étaient établis depuis plusieurs siècles. Certains
pouvaient être les descendants de ceux qui ont vécu au VI°
siècle avant J.C. A l'époque turque, sous la domination
des Deys d'Alger, ils ont eu des périodes de persécution
mais aussi de tranquillité.
------Certains par leur activité ont
acquis une prospérité commerciale, citons les Busnach,les
Cohen Bacri ou les Bouchara.
------Cette conquête marque pour la
communauté juive d'Algérie, le début d'une aventure
à peu près sans précédent dans l'histoire,
puisque la minorité juive va être happée dans l'orbite
culturelle, économique et politique du conquérant français
; la classe dirigeante des juifs d'Algérie, en accord avec les
Israélites français et les Grands rabbins obtiennent la
naturalisation collective en octobre 1870, c'est le fameux décret
Crémieux.
------Avec l'arrivée des Français
en Algérie, en 1830, le culte israélite va être dirigé
par des rabbins soit Alsaciens, soit du Sud-Ouest de la France ou du Comtat
Venaissin et l'on peut dire que pendant toute la présence française
jusqu'en 1960, tous les Grands rabbins des grandes villes d'Algérie
étaient des métropolitains comme il est dit dans les textes
: "pour civiliser ces gens-là".
Les juifs d'Algérie passent du statut de colonisés à
celui de colons, grâce à la France. Profitant de l'essor
prodigieux de la colonie française, ils vont avec l'aide de la
classe dirigeante qui est maîtresse de l'administration des Consistoires
juifs et des organisations qui en dépendent, s'intégrer
en quelques décades à la civilisation française,
compte tenu du fait, que l'ensemble des personnes d'Algérie vit
en dehors de l'idée d'une intégration à la métropole.
------Les juifs d'Algérie, favorisés
par les structures sociologiques de l'Algérie française,
vont connaître une promotion sociale rapide. Mais ce changement
a déraciné ces juifs de leurs sources hébraïques,
ils vont sur un certain plan perdre certaines valeurs juives, moins reconnues.
Quelques-uns des dirigeants juifs d'Algérie ont essayé de
combattre la tendance à une francisation totale, non par hostilité
envers la France, mais par crainte de la déjudaisation.
------Plusieurs grandes familles ont formé
une "intelligentsia juive" désireuse de s'assimiler à
la civilisation française tout en essayant de maintenir leurs traditions
propres. Le choix a été fait en 1962, la très grande
majorité des juifs d'Algérie est venue s'installer en France
et n'a pas choisi Israél pour se. fixer. C'est ce que l'on peut
appeler un colonialisme réussi. Les juifs d'Algérie ont
un amour profond pour la France et c'est pour eux un honneur d'avoir servi
dans l'armée française. Ce phénomène profond
d'attachement à la France vient de ce qu'ils se souviennent dans
quel état ils étaient avant 1830. D'ailleurs pour les grandes
familles juives d'Alger, d'Oran ou d'ailleurs, la culture c'est le Français.
Ils parlent français à la maison, bien avant 1830, s'habillent
à "la chrétienne" comme le soulignent le voyageur
Shaw ou d'autres.
Le décret Crémieux n'est pas venu du jour au lendemain;
de 1830 à 1870 de nombreux juifs d'Algérie veulent devenir
français. Le Sénatus Consulte de Napoléon III de
1865, leur permet de devenir français par naturalisation individuelle..
Ainsi, les juifs d'Algérie vont passer avec l'occupation française
des années 1830, du Moyen àge à l'époque contemporaine!
RICHARD AYOUN
NOTES
(1). Laurence, Rapport à la Chambre des pairs sur l'organisation
et l'administration de la justice dans les possessions françaises
sur la côte septentrionale d'Afrique, Paris 1834, p. 9.
(2). Les droits d'entrée étaient fixés à 5
1/2 ad valorem pour les chrétiens et les Maures et à 12
% pour les juifs.
(3). Genty de Bussy, Conseiller d'Etat, il fut intendant civil de la régence
d'Alger, De l'établissement des Français dans la Régence
d'Alger, Paris 1835, 2 vol., p. 230.
(4); Pananti, littérateur toscan, Relation d'un séjour à
Alger, traduction française, Paris 1920, p. 229.
(5). Edmond Pellissier de Raynaud, officier d'état-major attaché
à l'expédition d'Alger, puis directeur des affaires arabes
et par la suite Consul de France à Malte, Tripoli et Bagdad, Annales
Algériennes, Résumé de l'histoire d'Algérie
jusqu'en 1854, Paris 1854, 3 volumes, t. 1, p. 78.
(6). William Shaler, Esquisse de l'Etat d'Alger, traduit de l'Anglais
par X. Bianchi, Paris 1830, p. 87.
Merci à Richard
AYOUN
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