----------Le 5 juillet
1830 à midi, sous un soleil de feu, la porte Neuve de la Casbah
d'Alger s'ouvrait sur les troupes françaises. Le passage victorieux
de ces soldats vêtus de rouge réalisait d'anciennes prédictions
et donnait une résonance prophétique au cri fameux, bien
que controversé aujourd'hui, de Pons de Savignac, chevalier français
et porte-étendard de l'Ordre de Malte, devant une autre porte d'Alger,
la porte Bab-Azoun, où il avait planté sa dague le 26 octobre
1541 : " Nous reviendrons ! "
----------Cette
année donc allait ouvrir un formidable chapitre de l'histoire de
France, mais aussi de l'histoire de la Méditerranée.
----------Très
rapidement, l'atmosphère de l'ancienne ville pirate change du tout
au tout. Il existait un cloisonnement entre les couches d'une population
hiérarchisée selon son origine ethnique, laquelle conditionnait
ses activités dans la cité : Turcs, Kouloughli, Maures supplétifs,
Kabyles, Arabes, Juifs, Chrétiens et qui est ainsi décrit
dans l'ouvrage de Pierre Boyer la Vie quotidienne à Alger à
la veille de l'intervention française : "
La caste des Turcs domine sans conteste le pays. Les Kouloughli sont des
petits parents que l'on ménage ; les Maures, des sujets ; les Berbères
et les Arabes des ennemis en puissance ; les Juifs, des inférieurs
que l'on méprise profondément mais dont on ne peut se passer
; les Chrétiens, des esclaves. "
----------À
ce cloisonnement, générateur d'un rythme de vie immuable,
se substitue, non sans une certaine pagaille, un esprit que l'on peut
qualifier de cosmopolite. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Que l'on
en juge ! Aux autochtones que je viens d'évoquer, dont ceux qui
avaient le plus à souffrir de la rudesse turque ont accueilli les
soldats français en libérateurs, se joignent ces soldats,
en provenance de toutes les provinces ; s'y ajoutent très rapidement,
pour les besoins de l'intendance et du génie militaire, mais aussi
poussés par tous ces instincts puissants que suscite un monde nouveau,
jusqu'alors terrifiant et qui semble s'ouvrir à la vie, des hommes
d'Europe continentale et du pourtour méditerranéen : négociants
marseillais, ouvriers de toutes origines, notamment des Piémontais,
des Sardes, des Allemands, des Suisses, des Mahonnais qui vont fonder
les premiers villages, enfin - et donc parmi les premiers des Maltais,
qui s'assurent d'emblée une spécialité : celle de
la batellerie des ports.
----------En
effet, dès les premières années, un trafic intense
s'instaure dans les ports qui sont encore bien rudimentaires (naufrages
près des côtes, embarcations brisées, amarres rompues,
etc.). Cette spécialisation souligne la qualité des marins
maltais. Cf. Marc Baroli : la Vie quotidienne des Français en Algérie,
1830-1914. " Celui qui arrive sans encombre
doit se remettre, corps, âme et bagages aux mains des bateliers
maltais qui le transportaient jusqu'au rivage. "
----------Parallèlement
à cette prééminence incontestée, les Maltais
-- deuxième trait fondamental de leurs aptitudes - entrent rapidement
en concurrence
avec les Juifs sur le terrain, florissant et riche d'avenir, du petit
commerce.
----------En
1834, les Maltais ont déjà la haute main sur le commerce
de légumes, sur l'épicerie et sur la fourniture du lait.
En quelque sorte " du producteur au consommateur " car les éleveurs
de chèvres, installés autour des villes, trayaient leur
bétail tout chaud dans les rues !
----------Quant
aux femmes, qui commencent à venir, en petit nombre, s'installer
surtout au service de l'armée (cantinières, cuisinières,
blanchisseuses, etc.), on trouve parmi elles une Maltaise (à Bône)
à côté de neuf Françaises, cinq Mauresques,
deux Espagnoles, une Juive. Donc, proportion très honorable !
----------Ainsi,
d'emblée, la communauté maltaise figure en bonne place dans
la toute première population de l'Algérie française
qui, en 1834, compte un peu moins de 10.000 habitants, dont la moitié
de Français, répartis entre Alger, Oran, Bône, Bougie,
Mostaganem. Est-ce à dire qu'elle y fait là sa première
apparition ? Les renseignements que l'on possède sur la population
européenne, non esclave évidemment, en Algérie turque
sont assez minces. http://perso.wanadoo.fr/ bernard. venis. On trouve
surtout mention d'agents consulaires et commerçants provençaux
qui ont, même aux temps les plus sinistres de la guerre de course
et de l'esclavage organisé, maintenu un lien entre l'Algérie
et la France.
----------Et
puis, il n'y avait pas qu'Alger : dans l'Est algérien, la France
entretient toujours, si l'on peut dire, des établissements et des
comptoirs, " les concessions d'Afrique ", dont la destinée
fut différente selon les endroits et les époques : les plus
stables furent la Calle, Bône et Collo. Or, bien que n'ayant jamais
pris un grand développement et ayant subi maintes fois le pillage
et l'incendie, elles connurent toutefois des moments d'activité,
notamment pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. On
peut penser que les Maltais les connurent comme lieu d'échanges
commerciaux. Ne perdons jamais de vue les liens privilégiés
- surtout au XVIIIe siècle - entre la France et l'Ordre de Malte,
et, singulièrement, la marine de l'Ordre. On peut donc penser que
des Maltais étaient installés dans ces comptoirs français.
----------Mais,
compte tenu de la précarité économique et, somme
toute, physique de ces comptoirs, on ne peut employer à leur égard
la notion de Population. Il s'agissait donc d'individus, voire de quelques
familles, isolés, mais dont certains firent souche et se perpétuèrent
grâce à l'arrivée de la France dans le pays.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Cela étant, fin 1839, après
dix ans d'Algérie française, selon Augustin Bernard, l'Algérie
comptait 25.000 Européens (dont 11.000 Français) répartis
ainsi : 14.000 à Alger, 5.000 à Oran ; le reste à
Bougie, Mostaganem, Constantine, Philippeville.
----------Les
Français dominaient à Alger (6.800), les Espagnols à
Oran (2.300), les Maltais à Bône (1.300), marquant déjà
une répartition géographique qui devait se continuer par
la suite.
----------L'essentiel
est donc, je crois, de noter que les Maltais comptèrent parmi les
premiers éléments de l'Algérie française,
figurant parmi les immigrants de la première heure. Nous venons
de voir également que la place qu'ils tiennent dans la société
européenne de la toute première génération
les met à un rang modeste tout autant que précieux sur le
plan des services qu'ils rendent.
----------Comment
sont-ils appréciés ? Il faut tout d'abord avoir présent
à l'esprit le fait qu'il s'agit d'une société d'immigrants,
qu'ils soient français ou étrangers.
----------Installés
depuis peu en territoire algérien, ils gardent les habitudes et
les réflexes de leurs atavismes respectifs. Chaque groupe ethnique
garde sa personnalité, reste replié sur lui-même,
et défend farouchement son particularisme. Le cosmopolitisme de
la jeune Algérie française n'empêche pas tout à
fait, à son début, les classements en fonction des origines
et des activités, un peu comme dans l'Alger barbaresque, mais dans
un climat de rude concurrence et un esprit d'aventure et de liberté
qui ne surprennent ou choquent que celui qui ne voit pas ou ne veut pas
voir à quel point l'Algérie a été
l'équivalent méditerranéen des terres à western...
à ceci près, bien entendu, que les " Indiens "
n'ont pas été exterminés par les pionniers !
----------Les
Maltais donc paraissent plutôt au bas de l'échelle, dans
une société elle-même assez mal équarrie dans
son ensemble. Mais avant toute chose, ils déconcertent ceux qui
cherchent à les " situer ". En effet, ne voilà-t-il
pas des arrivants aussi mal définis que ces gens, dont on disait
qu'ils étaient " sujets anglais " et dont on pouvait
dire qu'ils étaient superstitieux comme des Napolitains, accoutrés
comme des Juifs (avec notamment un goût prononcé pour les
bijoux, anneaux d'or aux oreilles), durs à la tâche comme
des Valenciens, catholiques expansifs comme des Siciliens et parlant une
sorte d'arabe aux âpres consonances.
----------Ouvrons
ici une parenthèse : l'amalgame méditerranéen était
tel qu'on aurait pu dire, dans le désordre : superstitieux comme
des Espagnols, parlant une sorte de dialecte juif, etc.
----------En
tout cas, dans ce monde dur et coloré, les premiers Maltais d'Algérie
passent pour être particulièrement grossiers, de manières
et d'usages, surtout aux yeux des Français de souche, ce qu'on
verra tout à l'heure lorsque sera abordé l'aspect littéraire
de l'émigration.
----------Devant
ces jugements nécessairement sommaires, il est temps ici de rappeler
qui étaient vraiment ces Maltais et les raisons de leur présence
en nombre sur un territoire peu à peu pacifié par la France.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Héritiers d'une histoire
millénaire, les Maltais sont les descendants lointains d'illustres
et mystérieux bâtisseurs de temples de l'époque mégalithique
(quatre mille ans avant J.-C.), descendants plus directs des marins phéniciens
venus de Tyr fonder Carthage au premier millénaire avant notre
ère. Mais ils sont aussi liés par des " liens de famille
" à la péninsule italienne, par la Sicile si proche,
par les Romains, qui ont administré l'île à demeure
pendant près de huit cents ans, et plus encore par les apports
humains de " colonies " italiennes venues à Malte, non
en dominatrices, mais en exilées, selon les hasards des luttes
féodales au cours des XIIè et XIIIè siècles.
----------Enfin,
les Maltais sont liés également au monde nord-africain,
essentiellement à la Tunisie et à la Lybie, au hasard d'autres
luttes avec la contrepartie de prises réciproques de nombreux esclaves,
mais surtout en raison de la domination et de l'implantation arabes, longues
de plusieurs siècles, avec le brassage de populations que cela
comporta.
----------Toutes
ces unions, plus ou moins volontaires, n'ont pas pu ne pas peser d'une
manière déterminante sur la composition de la population
des îles maltaises, surtout compte tenu de la faiblesse numérique
de celle-ci, facteur essentiel facilitant les influences extérieures.
----------Alors,
à ce propos, lorsqu'on approfondit la tumultueuse et passionnante
histoire de ces îles, comment ne pas conclure à la vanité
ou à la partialité des appréciations qui tendent
à opposer " vrais Maltais " à " Maltais mâtinés
d'étrangers " ? L'objet de cette étude n'est pas de
rappeler, même brièvement, l'absurde " querelle des
langues " qui, au siècle dernier et au début de ce
siècle, a littéralement empoisonné la vie du peuple
maltais, mais je n'évoquerai qu'un problème, capital dans
la recherche de la personnalité maltaise : l'origine des noms de
famille. Certains opposent les " purs Maltais " dont le nom
patronymique est à consonance sémitique aux, disons "
Maltais de fraîche date ", dont le nom patronymique est à
consonance italienne. Outre le fait que ces assertions sont lancées
souvent sans avoir recherché vraiment leur fondement basé
sur (les travaux historico-généalogiques approfondis et
que, d'autre part, de nombreux noms ont été déformés
au cours des siècles, quel Maltais à cent pour cent ne compte
pas parmi ses aïeux, trisaïeux, etc., à la fois des noms
à consonance latine et d'autres à consonance sémitique
?
----------En
vérité, aussi surprenant mais aussi choquant que cela paraisse,
on peut se demander si, justement, le vrai Maltais n'est pas celui dont
le sang charrie dans ses veines des origines multiples, en tout cas ce
double apport latino-sémite, sans compter sur les apports plus
récents, anglais, etc.
----------Conclusion
: ce ne sont pas les critères ethniques qui caractérisent
le Maltais en l'isolant du reste, bien que dans sa variété
le type maltais soit relativement identifiable.
--------Serait-ce
alors le critère culturel ? Sans nous étendre sur ce sujet
passionnant, il faut se contenter d'observer que la culture maltaise est,
elle-même, le produit d'apports divers que l'on peut regrouper en
apports méditerranéo-latins et en apports méditerranéo-sémitiques.
----------De
ce fait, ce qui donne sa profonde homogénéité à
l'homme maltais, et ce qui le fait reconnaître, c'est sa religion
: un catholicisme très enraciné dans sa personnalité
profonde, un catholicisme se manifestant de façon constante vis-à-vis
de l'extérieur et de tous les événements de l'existence.
----------Voilà
esquissés les grands traits du Maltais, en ce début de colonisation
française en Algérie.
----------Ajoutons que le ressort de son émigration
ne lui est pas propre, mais est commun à tous ceux qui s'exilent
pour aller chercher une vie meilleure, pour tenter l'aventure.
----------Les
causes économiques de l'émigration maltaise sont réelles
; mais il y a certainement aussi des causes politiques : Malte, en effet,
a fait son entrée dans la vie moderne en quelques années
troublées.
----------1798.
- Les Chevaliers de Malte sont chassés par Bonaparte qui installe
un gouvernement français et tente d'imposer brutalement et maladroitement
les modes de vie et de pensées issus de la Révolution française.
----------1800.
- Les habitants, excédés, aident les Anglais à chasser
les Français ; le sort de l'île reste incertain pendant toute
la période des guerres napoléoniennes.
----------1814.
- Malte, suprême ironie, devient " colonie de la Couronne ",
colonie du royaume sous la protection duquel elle s'était placée,
pour éviter le joug français.
----------Mais
ces Français dont l'ensemble de la population maltaise ne voulait
pas sur place, en raison des traumatismes que leur conception de la vie
leur faisait subir, voilà que seulement trente ans plus tard les
Maltais vont vers eux, sur cette terre d'Algérie qui s'ouvre de
nouveau à l'Occident, après des siècles d'isolement
et d'hostilité.
----------Confusément,
ces hommes simples qui vont surtout chercher du travail, et qui ont la
chance de voir ce vaste continent à la portée de courtes
traversées à la voile, ressentent comme un appel : ils ont
l'impression de ne pas quitter leur monde en quittant leur île,
puisqu'ils retrouvent la Méditerranée du sud, son soleil
et ce peuple cosmopolite qui, lentement, se forme.
----------Et,
dans cette réalité bien vivante, dans ce creuset d'où
sortira plus tard une communauté parfaitement homogène,
les émigrants maltais sont beaucoup moins distincts des autres
qu'une étude abstraite pourrait le donner à penser : le
type humain, les croyances, le langage, le mode de vie, les rapprochent
à la fois des autochtones judéo-berbères et des émigrants
non-français, siciliens, mahonnais, valenciens, etc.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Mais le groupe de Maltais qui arrive
sur la terre d'Algérie avec ses chèvres et ses religieux
a aussi, dans le fond de son âme, l'impression de participer à
une sorte de RECONQUETE, eux qui furent terrorisés pendant des
siècles par les invasions des Barbaresques. Ils choisissent délibérément
un monde où l'Afrique rappelle leur pays et leur paraît vouée
à un grand empire d'Occident au sein duquel ils auront leur place.
----------Cela
explique l'opiniâtreté des Maltais, lors des premières
frictions avec les autres communautés, la conscience qu'ils avaient
confusément de pouvoir réussir en restant eux-mêmes.
Dès ce moment, on constate à la fois qu'il y a très
peu de retours au pays, donc une implantation durable en Algérie,
mais que les liens avec les familles, donc avec la terre natale, n'en
sont pas pour autant rompus.
----------Les
décennies passent, l'Algérie se développe, non sans
à-coups, et la communauté maltaise progresse non seulement
par l'arrivée de nouvelles vagues d'émigrants, mais aussi
par les premières naissances.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Dans les villes, les rapports sont
assez bons avec les Italiens, qu'ils comprennent et dont il partagent
les croyances religieuses, face à une population d'origine métropolitaine,
fortement déchristianisée.
----------L'école
va agir dans le sens d'un meilleur rapprochement avec le monde français.
Tous les contacts extérieurs étant facilités : affaires,
administration, etc. Mais en gardant toutefois leurs habitudes de vie,
la langue maltaise en famille et la pratique religieuse toujours très
vive.
----------À
la fin du XIXè siècle, on arrive à l'apogée
du mouvement d'émigration qui va ensuite rapidement décroître,
d'une part, parce qu'une meilleure situation économique à
Malte va freiner l'émigration, d'autre part, parce que des terres
vastes offrent de très grandes possibilités, comme l'Australie,
enfin, parce que l'Algérie semble, je dis bien semble, avoir fait
le plein des arrivées massives d'habitants européens.
----------Puis,
une politique d'intégration des étrangers dans la communauté
d'origine française commence à porter ses fruits, qui sont
également ceux de l'école. La société s'ouvre
plus facilement, par les mariages, les réussites industrielles,
commerciales ou agricoles.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Les ethnies ne s'opposent plus
systématiquement les unes aux autres et les alliances familiales
scellent cette intégration de l'intérieur.
----------En
même temps naît une conscience collective d'appartenir à
un jeune peuple en formation ; c'est la notion " d'homme algérien
" de R. Randau.
----------À
noter qu'en 1896, l'Algérie compte 13.000 Maltais face à
157.000 Espagnols, 36.000 Italiens, 8.000 Suisses et Allemands et 350.000
Français.
----------La
proportion des Maltais est donc devenue très modeste et si l'on
parle beaucoup d'eux, c'est parce qu'ils constituent encore, en aspect
et en coutumes, une communauté bien typée.
----------Ce
qui fait que toutes les uvres littéraires ayant pour cadre
l'Algérie comptent des Maltais parmi leurs personnages. Comment
ne pas citer ici le nom d'Edmond Brua, le célèbre auteur
algérois récemment disparu ?
----------Je
renvoie à cet égard aux articles parus dans de récents
bulletins de France-Malte à la suite de la revue du Cercle algérianiste.
----------Le
roman le plus célèbre est sans conteste l'Homme de mer,
de Paul Achard, dans lequel toute une dynastie de Maltais : le grand-père,
le père et le fils Galéa, ont une irrésistible ascension
dans la réussite commerciale tout en gardant leurs vertus primitives.
D'autres auteurs se sont servi des défauts ou des aspects un peu
excessifs de certains comportements maltais, " chargeant " leurs
personnages pour en accentuer le pittoresque, comme Louis Bertrand.
----------D'autres,
enfin, ont montré pour cette communauté un mépris
féroce et, bien sûr, injustifié : ainsi, Lucienne
Favre.
----------Au
moment où l'émigration maltaise se stabilise en Algérie,
on peut noter qu'elle a gardé de son caractère premier la
répartition géographique les Maltais et descendants de Maltais
sont très nombreux dans l'Est algérien, de la côte
aux bourgades des hauts plateaux. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.
Incontestablement, Bône devint rapidement et resta la capitale des
Maltais d'Algérie. On les retrouve dans tous les ports jusqu'à
Alger où, bien que déjà en proportion beaucoup plus
faible, ils " marquent " encore certains quartiers : celui de
la " Marine " (qui sera démoli au moment de la guerre
de 40 pour raison de salubrité, ce qui fera perdre beaucoup au
pittoresque algérois) dominé par la vie du port, et celui
des " Hauts d'Alger ", notamment les Tagarins,
célèbre par ses troupeaux de chèvres...
----------Au-delà,
vers l'Ouest, les Maltais ne comptent plus en tant que communauté,
là où précisément commence à s'affirmer
l'influence espagnole.
Sur le plan social, la réussite suit celle des affaires, mais s'affirme
aussi, au fil des générations, sur le plan culturel. Si
l'histoire de l'Homme de mer est exemplaire, c'est parce qu'elle représente
un archétype. Les petits commerçants méticuleux,
les paysans faméliques, les marins " primaires " sont
souvent les grands-pères de médecins, d'avocats et d'ingénieurs.
Ce qui était signe manifeste d'infériorité devient
sujet à plaisanteries que l'on aime à se raconter en riant
entre copains : par exemple, celle du Maltais aux pieds nus voulant mettre,
le jour de son mariage, ses chaussures de premier communiant...
----------Il
faut noter toutefois que si le plus grand nombre s'en amuse, certains,
relativement nombreux à une certaine époque, en tirent un
motif de honte et d'humiliation qui les amènera à tout faire
pour que soit oubliée ou rendue indécelable leur origine
maltaise.Ceux-là chercheront à aller
au-delà de la simple intégration dans le milieu français
d'Algérie, en tâchant de s'assimiler au seul élément
e français de souche". Mais ces cas restent heureusement isolés
et le gros de la communauté maltaise d'Algérie ne renie
en rien son origine méditerranéenne, tout en suivant une
évolution distincte de celle des Maltais de Tunisie, car en Algérie
se crée peu à peu un phénomène d'une rare
importance : la naissance d'un peuple, d'une communauté néo-latine,
qu'on peut situer au début de notre siècle, vers 1920.
En effet, la Grande Guerre marque un tournant, car c'est vraiment l'avènement
du peuple français d'Algérie, uni sur les champs de bataille
d'Europe et d'Asie, mais surtout en France. C'est là que la Métropole
devient sentimentalement " Mère Patrie " pour tous, qu'ils
s'appellent Hernandez, Pappalardo, Farrugia, Abéla ou Borg.
----------Peu
à peu, les liens qui unissaient les émigrants à Malte
se sont distendus, imperceptiblement, après les décès
des derniers émigrants ; les enfants qui parlent moins bien le
maltais sont moins tentés de correspondre avec leurs déjà
lointains cousins de l'archipel. Quant aux petits-enfants, nés
de parents qui s'expriment en français chez eux et qui vont à
l'école communale, ce sont des Français d'Algérie
à part entière.
----------Et
n'oublions pas non plus les mariages entre les différentes communautés
qui font que presque tous les Français d'Algérie ont des
origines très diverses.
----------En
1962, ce seront tous des exilés involontaires et tous choisiront
sans même s'en rendre compte le territoire hexagonal.
----------Mais
là, en butte à une non-reconnaissance de leur qualité
de " Français à part entière "
de la part des Français de souche, surtout dans ce climat de guerre
civile qui a marqué la fin de la guerre d'Algérie, les Pieds-Noirs
d'origine maltaise se sont mis à rechercher leurs sources profondes,
ancestrales, et, nombreux, se sont rendus vers le petit archipel, non
en touristes baladeurs, mais en pèlerins.
----------Et
ces démarches discrètes, pleines d'émotion et de
pudeur, font conclure cette rapide évocation des grandes aspects
de l'immigration maltaise en Algérie sur une note humaine profondément
émouvante.
Pierre DIMECH.
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