24 avril 1915
-----Mon
Cher cousin
-----Je
t'écri c'est petit carte de de dans les tranchées.
Car je sui toujours en bonne santé pour le moment en a tendant
de resevoir de tes nouvelles pour le moment je sui dans les tranchés
et nous avons les allemands a 100 mettres tuvoie s'il vaux se te
nir pénar on vies dans les trous comme des bettes ferausse.
On se fout des coup de fusi chaque moment Car je couche sur la terre
pas mieux qu'un chien la bas. Mais les Français résistes
a tousa et on leur faivoir aux allemands comp lela pour une heur.
Cher cousin je ne voi plu granchoss a te dir pour le moment en a
tendant de resevoir de tes nouvelles. Reçoie de ton cousin
les plus grand baiser ainsi ca toute ta Famille. Gebhard Antoine.
Gros baisers..."
|
-----Voici le texte
de la dernière carte postale envoyée du front par Antoine
GEBHART à sa famille (1). Ouvrier agricole avant son incorporation,
natif du village d'Aboukir (à 150 km à l'Est d'Oran), il
est tué au combat le 7 juillet 1915 à Beauséjour
(à 10 km au nord d'Arras) lors de la bataille de Vimy. Cette troisième
offensive de la guerre d'usure fut la période la plus meurtrière
de la Grande guerre.
-----Ce texte d'Antoine Gebhart, illustre
à merveille l'Union sacrée qui prévaut en 1915. Le
clairon, en tenue de zouave un des régiments les plus représentatifs,
avec les tirailleurs algériens, de l'Armée coloniale envoyée
sur le front (42 000 hommes en 1914) sonne la charge à découvert.
Il y eut, au cours de cette guerre, environ 25 000 Algériens et
22 000 Français d'Algérie tués sur un total de 70
000 originaires de colonies françaises.
En médaillon, Paul Déroulède, symbole du patriotisme
revanchard. Ironie du sort, il meurt le 30 janvier 1914 et ne fut donc
pas comblé par la déclaration de guerre qu'il appelait de
ses voeux depuis de nombreuses années.
-----Par un curieux hasard, les Gebhart
ont oublié à cette date qu'ils sont originaires de Jockgrim,
petit village viticole de la rive gauche du Rhin situé en Bavière
rhénane à 15 km au sud-est de Landau. Cette région
fut d'ailleurs rattachée à la France de 1648 à 1815.
C'est en décembre 1849 que Philip Jacob, le grand-père d'Antoine,
ouvrier agricole également, débarque à Oran avec
cinq membres de sa famille et quelques autres d'Alsace. Il a dû
prouver la possession de 400 Francs pour obtenir la traversée gratuite
Marseille-Oran. L'administration française lui octroie de même
4 ha de terres à Aboukir, aux environs de Mostaganem.
1) Une migration désirée,
impulsée et contrôlée par les pouvoirs publics français
-----Juillet
1830, la monarchie de Juillet s'installe à Paris. Que faire de
l'occupation d'Alger et de ses environs léguée par la Restauration
froissante ? Les débats font rage en métropole entre les
"colonistes" partisans d'une installation durable dont le Maréchal
Clauzel (2), les Saint-Simoniens(3) plus convaincus encore et les "non
colonistes" qui veulent évacuer purement et
simplement ce résidu de la côte nord africaine. Quand les
premiers ont de l'influence, ils imaginent détourner du flux migratoire
européen à destination de l'Amérique du Nord, un
courant non négligeable en provenance d'Allemagne et de Suisse,
la proximité de l'Algérie offrant un certain avantage.
-----De l'hypothèse à
la réalisation, les difficultés ne manquent pas. Tout d'abord
la conquête reste à faire. Jusqu'en 1835, la Légion
Etrangère y joue un rôle primordial. Nouvellement organisée,
composée de bataillons nationaux, on peut évaluer à
plus de 1 500, le nombre de légionnaires d'origine allemande ou
suisse. Puis, sur place, l'administration hésite puisque rien n'est
encore définitivement décidé à Paris. On peut
enfin ajouter l'afflux des émigrants qui s'effectue dans l'imprévoyance
et l'insécurité. Tout ceci imposant des rapports de domination
à une population musulmane dont l'émir Abd-el-Kader est
le plus virulent défenseur jusqu'en 1847.
-----Aussi,
très tôt, de véritables campagnes publicitaires ont
lieu Outre Rhin et portent leurs fruits. La première tentative
de peuplement dans la Mitidja, fin 1830-début 1831, Kouba et Dely
Ibrahim, est expérimentée avec des Allemands, des Suisses
et des Alsaciens Lorrains. Les préfets frontaliers ont la charge,
après 1855, de l'acceptation des demandes envoyées par les
candidats. La majorité d'entre eux (à 75 %) proviennent
de l'Allemagne du sud et de l'ouest : Grand Duché de Bade, Palatinat
bavarois, Prusse rhénane. Le régime foncier spécifique
en est la cause principale. La propriété est partagée
entre tous les enfants mâles. Il en résulte un extrême
morcellement des terres dans ces espaces de peuplement très denses.
Ajoutons à cela les crises économiques et politiques des
années 1846-55 et voici les raisons du premier paroxysme migratoire
allemand ou suisse outre-mer. Les villages d'origine se situent dans les
vallées du Rhin et de la Moselle, c'est à dire de grandes
régions viticoles. Il s'agit d'une population rurale immigrée
type, adulte masculin célibataire ou familles nombreuses et modestes
en quête d'une vie meilleure. Les Suisses ont sensiblement le même
profil social et proviennent des cantons frontaliers : Vaud, Genève,
Valais, Bâle, Aarau, Zurich et même du Tessin.
-----Certes,
ces deux émigrations n'ont pas un poids démographique conséquent
dans l'Algérie coloniale comparées aux autres émigrations
provenant du bassin méditerranéen, mais leurs présences
ont une spécificité relatée par certains contemporains.
Quelle est l'originalité de ces deux émigrations très
proches au point de vue géographique, culturel et linguistique
dans l'Algérie coloniale ?
2) Allemands et Suisses
en Algérie
- De l'occultation des origines à l'intégration
dans la société coloniale
-----Voici comment
nous les décrit, en 1860, l'un des rares observateurs contemporains
Louis de Baudicour(4) : "... il (l'allemand)
s'ennuie de se trouver dans un pays si différent du sien, un pays
sans arbre et sans verdure. Le ton grisâtre des oliviers lui déplaît,
les cyprès l'attristent, il n'a rien de plus empressé que
de mettre la hache sur les figuiers de barbarie, dont les fruits lui semblent
insipides et dont les Arabes entourent leurs gourbis avec tant de soin,
il les trouve lui, d'une laideur affreuse, et il n'a rien de plus hideux
à leur comparer que des péchés mortels. L'horreur
du péché mortel n'arrête point cependant, en Afrique,
beaucoup de ces vigoureux athlètes du Nord "
-----Sans doute
caricatural, cet exemple d'adaptation, s'il en est, en dit long sur la
perception, à leur égard, des populations européennes
ou non établies en Algérie.
-----De fait,
retrouver la trace d'Allemands après 1870 est difficile dans une
Algérie qui devient, comme la France, de plus en plus germanophobe.
La discrétion est de règle même si les relations avec
la contrée d'origine continuent, par le biais des voyages et de
la correspondance avec les cousins ou les amis. Une lettre de Wilfred
Luhr, datée du 16 mai 1887, envoyée de Constantine au curé
de sa paroisse d'origine (Plaffenweiler dans le pays de Bade) nous renseigne
sur les difficultés que rencontrent les Allemands : "...
Ici on parle beaucoup de la guerre contre l'Allemagne et les Français
sont de nouveau pleins de rage et altérés de sang comme
des tigres. On recommence à détester les Allemands comme
en 70 et partout on les licencie. L'armée s'exerce aux armes et
à la marche deux fois par semaine. Les militaires ont des cours
d'allemand dans les casernes afin de connaître les mots indispensables
sur les armes, les exercices, les vivres et autres détails matériels...
Dieu veuille qu'aucune guerre n'éclate... il y a grand espoir que
cette guerre soit encore très éloignée parce que
si ces crétins doivent d'abord apprendre quelques mots d'Allemand,
ils en auront encore pour longtemps et n y parviendront peut-être
jamais. (5)
----Pour éviter
les ennuis de toutes sortes, certains n'hésiteront pas à
se faire passer pour des Alsaciens Lorrains(6). Les noms à consonance
identique peuvent être confondus. Ainsi le problème identitaire
allemand, s'il n'est pas résolu, est ici nettement occulté.
-------Représentant
10 à 12 000 personnes sur la période 1850-1890 dans un pays
dont la superficie est deux fois celle de la France, sud saharien excepté,
les Allemands et les Suisses ont très vite été distancés
numériquement par des migrants d'origine méditerranéenne
. Les Français (Corses, Provençaux) trop peu nombreux (220
000 en 1886) sont eux aussi rapidement relayés par des saisonniers
espagnols, italiens ou maltais dont la présence est bien antérieure
à la conquête française (7) et qui finiront par s'installer
plus durablement (210 000 à la même date). La loi de naturalisation
automatique de 1889 permet d'intégrer juridiquement ces migrants.
Elle est élaborée pour l'Algérie puisqu'elle doit
fondre dans un peuple nouveau' cet apport d'étrangers bientôt
majoritaires sur une terre française.
- Vers une émigration plus qualifiée
-----Le second afflux
massif, moins important que la première vague des années
1846-55, date, comme pour les Etats Unis, de la fin des années
1870 et du début des années 80. Déception liée
à l'unité allemande, sans doute, ou signe que l'Allemagne
et la Suisse s'industrialisent ? En tout cas, les émigrants semblent
plus qualifiés.
-----Agé
de 52 ans, Georges Henri Borgeaud, dont les ascendants ont fui la France
après la révocation de l'Edit de Nantes, se prépare
à quitter Lausanne avec sa femme et ses sept enfants âgés
de 12 à 20 ans (9). Nous sommes en 1878, G.H. Borgeaud est un notable,
ministre des Cultes et de l'Education du canton de Vaud, directeur de
l'école industrielle de Lausanne. Des raisons de santé,
une solide formation acquise à l'Institut agronomique de Versailles
(1848-52) et le soutien d'Eugène Tisserand, collègue de
promotion, haut fonctionnaire au Ministère de l'Agriculture français,
le décident à tenter une nouvelle vie en Algérie.
Il participe activement à la fondation de la première école
d'agriculture à Rouiba,
non loin d'Alger, en soutenant en 1881, la candidature de son compatriote
valaisan Jean Nicolas Décaillet(10). Il y enseigne puis devient
consul de Suisse représentant l'Afrique du Nord au cours des deux
dernières années de sa vie (1887-89).
-----Instituteur
de formation et enseignant entre 1852 et 1866 à Alger, J.N Décaillet
devient agriculteur malgré lui. Sa femme hérite de 200 ha
à la mort de son père. En 1882, l'Etat choisit donc sa propriété,
pour fonder une "école pratique d'agriculture et de viticulture."
D'excellente réputation, de nombreuses générations
d'élèves de la Métropole et de l'étranger
viennent y étudier, l'école doit néanmoins fermer
ses portes en 1905, en raison de l'expiration du contrat avec l'Etat et
d'un bilan financier désastreux pour la famille. Elle est alors
remplacée par celle de
Maison Carrée à
Alger.
- La Grande Guerre débute en Algérie.
-----A l'aube
du 4 août 1914, deux navires de guerre allemands le Goeben et le
Breslau pilonnent respectivement Philippeville et Bône. L'objectif
est sans doute de désorganiser l'embarquement des soldats en partance
pour la métropole. Le bilan est lourd, une vingtaine de morts,
auxquels s'ajoutent une cinquantaine de blessés, et de nombreux
dégâts matériels. Après ces premières
victimes de la guerre, l'Algérie, comme les autres colonies, doit
participer à l'effort de guerre. Quel fut le sentiment des Allemands
et des Suisses à ce moment précis ? Difficile à dire.
-----Nous ne
pouvons cependant, leur attribuer le terme de communauté tant leur
faiblesse numérique et leur dispersion dans l'espace sont grandes.
Leur ancrage local avec ses spécificités culturelles et
linguistiques ne résistent pas plus de deux générations
à la formation d'un "peuple algérien", pour reprendre
l'expression de l'époque, bénéficiant des avantages
qu'offre le système colonial en vigueur en Algérie. Toutefois,
la migration allemande et suisse est fondamentalement différente
des migrations spontanées et indésirables de la rive nord
de la Méditerranée. Son originalité réside
dans le fait que les pouvoirs publics français la désirent
puisque, malgré les offres, les Français émigrent
trop peu. Le rêve américain de la politique coloniale française
illustre là son échec.
-----L'école,
la naturalisation automatique, l'insertion professionnelle, les "mariages
mixtes" (inter européens) sont le point de départ de
l'intégration des Allemands et des Suisses dans l'identité
française. La Grande Guerre, par la conscription et la solidarité
face au feu ennemi" parachève pour les Européens d'Algérie
comme pour les Français de la Métropole le processus identitaire
national.
J. M. DI COSTANZO
-----Ce sujet fait
l'objet d'un DEA sous la direction de Guy PERVILLE, professeur d'Histoire
contemporaine à l'Université de Nice Sophia Antipolis.
-----Article
également paru dans le "courrier de la Régional"
n° 8 de l'Association des Professeurs d'Histoire Géographie
(APHG) de l'Académie d'Aix-Marseille le 11 mars 1998, p. 32-39.
-----J.M. Di
Costanzo tient à remercier ici tous les adhérents de GAMT
pour leur aide dans son travail.
1)Document communiqué par l'un des descendants de la famille Serge
Capelle.
(2) Deux fois commandant en chef de l'Armée d'Afrique de septembre
1830 à février 1831 puis d'août 1835 à janvier
1837.
(3) Le plus actif fut Barthélémy Enfantin (1796-1864) membre
de la commission scientifique qui parcourut l'Algérie en 1839 pour
donner son avis au gouvernement, auteur de La colonisation de l'Algérie,
Paris, Bertrand, 1843.
(4)Louis de Baudicour Histoire de la colonisation de l'Algérie
Paris, Edition Challamel, 1860.
(5) Lette extraite de Die auswanderung aus Pfaffenweiler nach Afrika und
Amerika im 19 jarhundert, Dorfinuseum, 1984
traduite ainsi que de nombreux autres documents par Wolf Feldmann, professeur
d'Allemand au Lycée St Exupéry que je
remercie au passage.
(6) Le cas des Alsaciens Lorrains a déjà été
soulevé plus haut, sur ce point voir Fabienne Fischer, Emigration
séculaire et émigration mythique : la colonisation alsacienne
lorraine en Algérie de 1830 à 1914, Thèse, Aix en
Provence, 1994.
(7)Jean Jacques Jordi Espagnol en Oranie, Calvisson, Edition Gandini,
1996, et Gérard Crespo Les Italiens en Algérie : histoire
et sociologie d'une migration, Thèse, Aix en Provence, 1998.
(8 )Les "Algériens" plus tard, dans les années
1950 le terme Pied Noir s'impose.
(9) Dont quatre d'entre eux se marieront avec des Allemands ou des Suisses
d'origine
(10) Cet exemple est extrait du mémoire de licence d'Eric Maye
soutenu à l'Université de Fribourg (Suisse) en 1995. L'émigration
valaisanne en Algérie au XIXème siècle p. 157-159.
ÉMIGRATION DES BADOIS
VERS L'ALGÉRIE
-----La commune de Pfaffenweiler,
située à environ cinq kilomètres au sud-ouest de
Fribourg (Freiburg im Breisgau), capitale de l'ancien Grand Duché
de Bade, a édité en 1984 un document d'une soixantaine de
pages intitulé : "Emigration des habitants de Pfaffenweiler
vers l'Afrique et l'Amérique au 19ème siècle"
(Auswanderung aus Pfaffenweiler nach Afrika und Amerika im 19. Jahrhundert).
-----Cette brochure reproduit et commente
différents documents de l'époque. En ce qui concerne l'Algérie,
elle rejoint et confirme sur bien des points les informations que nous
détenions déjà sur la vague d'émigrants qui
partit en 1853 d'autres villages badois relativement proches de celui
de Pfaffenweiler, tels qu'Oberbergen, Rotweil, Jechtingen, Wasenweiler,
etc, et aussi de villages palatins proches de Landau.
-----Elle souligne en particulier
l'attachement à la viticulture de ces pauvres gens dont une proportion
effrayante est morte dans les mois qui suivirent leur arrivée en
Algérie. Mon aïeul, Jean MAYER, et ses compagnons avaient
amené dans leurs bagages des ceps de vigne. Dans cette brochure,
les émigrants de Pfaffenweiler expriment auprès du Préfet
de Colmar leur anxiété de savoir s'ils trouveront à
s'employer en Algérie dans les vignobles !
-----Fait nouveau pour moi, cette
brochure mentionne DELLYS (dépt d'Alger), en concurrence avec le
Constantinois (Penthièvre, Nechmeïa, Guelaa bou Sba), comme
lieu de destination de ces émigrants... lesquels étaient
badois et non "prussiens" comme je le lis encore trop souvent.
-----La brochure est préfacée
par le Maire et fait l'objet d'une présentation par Gerhard AUER
qui doit être le responsable du Musée communal de Pfaffenweiler.
-----Comme quoi, si nous nous efforçons
bien naturellement de retrouver nos racines, d'autres viennent en sens
inverse, à notre rencontre, en se préoccupant de ce que
sont devenues les ouailles qui ont quitté la paroisse !
----.............................
René MAYER
Adh. N° 1512
|