-----------------"Marseille
a été de tout temps, un port de transit et un point de passage
- que le développement du mouvement migratoire soit lié
à la croissance portuaire, cela n'a sans doute rien d'original
- ce qui l'est plus assurément, c'est l'accélération
foudroyante de ce trafic au cours du XIX ° siècle en fonction
à la fois des progrès réalisés dans les techniques
et communications et des nouvelles liaisons intercontinentales qui se
mettent en place".
------La conquête de l'Algérie ne marque pas un tournant
immédiat. Les négociants marseillais en approuvant l'expédition
de 1830 espéraient tirer des avantages rapides. Mais les bénéfices
escomptés se feront attendre. Les conditions difficiles d'installation
et les hésitations de la politique française ne sont pas
faites pour favoriser les départs en masse des colons.
------Dans les premières
années du Second Empire, une véritable opération
officielle va s'organiser sous le contrôle des commissariats à
l'émigration, des fonctionnaires du gouvernement en Algérie
et des responsables des agences d'Emigration. Des
textes publicitaires largement distribués soulignent la relative
facilité du voyage, ils parlent des possibilités
d'emploi, de l'abondance des terres libres et des hauts salaires. Combien
de colons ont-ils été réellement attirés par
cette propagande publicitaire ? Il est difficile d'en fixer exactement
le chiffre. Les conditions du voyage et la place que joue Marseille comme
plaque tournante de cette migration sont mieux connues.
------La colonisation de l'Algérie
est le moyen le plus puissant d'accroître la prospérité
de Marseille et du Midi de la France.
Dans la première année de la conquête, le rôle
de Marseille est indiscutable ; Marseille y trouvera son compte. Marseille
a des ressources économiques à employer et voit dans la
prise d'Alger le point de départ de fructueuses affaires.
------La Révolution Française
a fait perdre à Marseille le commerce du Levant et l'Algérie
sera pour certains Marseillais une compensation à ce commerce perdu.
Qui sait même si la présence française à Alger
ne rétablirait pas son prestige dans le Proche-Orient ?
------En 1830, l'opinion marseillaise
est unanimement favorable à l'expédition d'Alger.
------Dans le monde paysan, les
gels successifs qui s'abattent sur le Sud-Est de 1820 à 1830 ont
des résultats désastreux, il faudra de longues années
pour réparer de si grandes et cruelles pertes successives. Les
oliviers furent gelés sur tout le littoral du Var à Marseille
ainsi qu'à l'intérieur, Martigues, Istres et la plaine de
Salon. La misère s'abat sur la Provence agricole. On constatera
une recrudescence de mendicité et de délits. Lorsque les
Français prendront pied en Algérie, certains verront là,
la possibilité de cultures d'oliviers échappant aux gelées.
------La production de vin est excédentaire,
la mévente s'aggrave considérablement sur le marché
national d'où la perspective d'écouler le vin sur le marché
algérien. Le midi
succombe sous le poids de la production.
------"Tout
sera mis en oeuvre pour vanter ce pays à conquérir : la
chaleur est plus prolongée qu'en Provence mais pas plus forte dirait-on,
l'air est sain et l'eau y serait même abondante !! Le pays d'Alger
garanti par l'Atlas des vents du midi, jouit de la plus douce température
et de la plus grande salubrité."
------L'Afrique du Nord ne pouvait
laisser les Marseillais indifférents. Le souvenir de la place tenue
par l'Algérie dans le commerce marseillais jusqu'à Bonaparte
suffisait à intéresser Marseille à l'Algérie.
------Au
XVIIIè siècle deux commerces existaient avec l'Algérie
- Celui des particuliers tel la Maison Gimon qui fut reprise par Joseph
Paret.
- Celui de la Compagnie Royale d'Afrique dont le quart des actions étaient
souscrites par la Chambre de Commerce de Marseille qui devait exercer
son activité de 1741 à 1794.
------En
1793 tout commerce était arrêté. Abandonnée
par les Français la place était prise par les Espagnols.
------Le
Comité de salut public du 7.2.1794 remplaçait la Compagnie
d'Afrique par l'Agence Nationale d'Afrique, c'était la même
entreprise sous un autre nom : les Marseillais y restaient l'élément
prépondérant.
------Marseille
restera avec Livourne le centre d'un commerce très vaste jusqu'au
moment où la politique napoléonienne l'arrêtera à
nouveau.
------En
1814, le ministre des affaires étrangères désignera
un Marseillais Gazel pour diriger les travaux de l'arsenal d'Alger.
------Cest
très difficilement que les établissements français
ou plutôt marseillais réouvrent leurs portes. L'insécurité
s'installe petit à petit tant sur terre que sur mer. La maison
de commerce fondée en 1817 à Alger par le marseillais Joseph
Paret était la seule à avoir tenu. Malheureusement Paret
fut mal payé de ses efforts, il fut ruiné par la tension
francoalgérienne et mourut sans fortune.
------Si
en effet l'idée d'une expédition fût adoptée
tardivement par le gouvernement de Polignac, elle avait trouvé
beaucoup plus tôt des défenseurs à Marseille. Certains
Marseillais envisageaient avec ferveur une conquête.
------Les
craintes marseillaises se précisent ; le 23 juillet 1827, 18 négociants
marseillais signalent le danger qu'encourent les 80 navires chargés
d'huile et de laine, ancrés en rade de Tunis. Ces navires sont
en péril même à l'ancre, car les rades du royaume
de Tunis sont sans défense. On comprend que le commerce marseillais
ait souhaité en finir avec une situation particulièrement
désavantageuse pour lui le 25 mai 1828 le député
marseillais Pierre Honoré de Roux demande une action contre Alger.
------A
droite comme à gauche, les Marseillais voulaient qu'on en finisse
avec ceux que le "Sémaphore" appelait "les cannibales".
------Enfin
les 25 et 26 avril 1830, 357 transports furent réunis à
Marseille. A la date prévue, ce fut le départ pour Alger.
------237
transports avaient été fournis par les ports italiens et
de la méditerranée,
------120
par le commerce français, essentiellement marseillais. C'était
là pour Marseille une première source de bénéfices,
il est naturel que l'armement marseillais ait entendu exploiter la situation.
------Parmi
les premiers colons marseillais ou provençaux, des hommes d'un
mérite certain, mais peu nombreux : ils fondent à Alger
des établissements de commerce : Guende arrive
en 1831, il installe une papeterie, Marin essaya d'établir un moulin
à blé, Meunier, jeune négociant, sera assassiné
en 1836, Jean-Marie Choppin, négociant et adjoint au Maire de Marseille
et son fils Théodule, l'un et l'autre achètent des terres,
Marius Ventre fût un colon important et défenseur des indigènes.
------En
1831, l'Aixois Montagne, Maire d'Aix pendant les 100 jours, achète
des propriétés mais perd tout son argent. Il est renfloué
par des amis avec lesquels il s'associe pour acquérir de grands
domaines mais hélas, ils furent ruinés lors de l'invasion
de la Mitidja en 1839. Montagne après un échec politique
ira s'installer à Blida où il s'occupera de la
gestion de nombreuses propriétés. Voilà alors ce
qu'il écrivait : "il est difficile
de se figurer la quantité innombrable de maisons de campagne qui
couvrent ce beau pays ; il y en a par milliers et c'est un coup oeil pittoresque
et curieux que l'on ne retrouve en France dans aucune de ses parties,
si ce n'est dans les environs de Marseille, qui sont beaucoup moins étendus,
moins agréables à la vue et qui sous le rapport de la fertilité,
ne supportent pas la comparaison."
------La
main d'oeuvre manque. On constate l'absence d'ouvriers qualifiés,
de paysans expérimentés, il y a pénurie de maçons,
de serruriers, de peintres et de forgerons. Les 9/10° des arrivants
ouvrent des cafés, restaurants et chambres garnies.
------Aucune
émigration massive au départ de la Provence, et cela se
comprend, car on trouve du travail pour tous et elle est même un
foyer d'appel. Les émigrants seront surtout des cadres commerçants.
Des paysans ou de grands propriétaires fonciers eussent été
plus utiles : Marseille ne pouvait donner ce qu'elle ne possédait
pas !!
------En
1834 on pouvait lire : "jamais à
aucune époque, Marseille ne montra comme aujourd'hui autant d'aisance
dans sa population. Nos magasins regorgent de richesse. Si l'intérieur
de la France ressemblait à notre cité, l'époque actuelle
reproduirait le siècle d'Or."
------Elisée
Reynard, député de Marseille, né en 1799 de père
raffineur de sucre, représentant d'une ville qui n'a pas hésité
un instant à associer sa fortune au succès des armes, intervenait
à la chambre en ces termes : "le
Midi de la France, a senti le premier, l'importance de cette colonisation.
La Provence a mis l'espoir d'un grand commerce dans les établissements
français sur la côte d'Afrique et pour le réaliser,
elle a fait des avances considérables."
|
|
------Reynard
croit à des possibilités commerciales de la culture du coton,
qui tôt ou tard, doit remplacer toutes les autres matières
végétales textiles et en celle de l'olivier dont les riches
produits semblent menacer d'abandonner le Midi.
------Trois
sortes de clientèles seront désormais touchées
1° La population européenne appelée à augmenter,
2° Les populations maure et arabe qui ne sont pas
aussi ennemies des produits fiançais,
3° La population de l'intérieur de l'Afrique que notre
occupation rendra accessible au commerce européen.
------De
cette occupation algérienne, Marseille n'est pas appelée
à recueillir seule les fruits
- Lyon, Avignon, Nîmes, auraient à mettre en oeuvre
les soies de l'Algérie,
- Rouen et l'Alsace, les cotons,
- Le Languedoc, la Picardie et la Champagne, les
laines.
------"Ainsi
s'amorçait une oeuvre de grand prolongement pour intéresser
à la cause algérienne et marseillaise, la France presque
entière."
------En
1835, on pourrait déjà constater qu'un grand nombre d'indigènes
de la classe inférieure, à Alger, boivent du vin et participent
à cette consommation pour 1/3 des quantités importées.
Us consomment aussi du pain fait à l'européenne et recherchent
les tissus français. Devant ces résultats, la chambre s'abandonne
à l'espérance : "que ne doit-on espérer de cette
fusion des habitudes africaines dans les nôtres et de l'action de
notre civilisation, de nos usages, de nos travaux sur des populations
nombreuses que leurs besoins rendent les tributaires obligés de
notre commerce et de notre industrie."
------Le
principal mérite de l'Algérie, c'est sa proximité
de la France.
----- Dans le "sémaphore"
du 12 mars 1836, on pouvait lire : "depuis
plus de trois mois, plus de 2 000 colons sont arrivés à
Alger et se sont répandus non seulement sur le massif d'Alger,
mais aussi sur la Mitidja. Plusieurs centaines
de charrues arabes ou européennes sillonnent cette vaste plaine."
----- Le Marseillais Adolphe Thiers, Président
du conseil et Ministre des affaires étrangères depuis le
22 février 1836, intervient en faveur de la colonisation et demande
qu'on ne frappât point "d'un anathème
honteux ceux qui quittaient leur pays pour apporter sur cette terre leurs
sueurs et leurs bras."
----- En 1837, la récolte du fourrage
devient insuffisante dans ce terroir marseillais où elle est généralement
abondante. le développement des équipages de luxe, le passage
des convois sur Toulon, et aussi les approvisionnements destinés
à l'Algérie, en sont la cause.
----- Les Algériens voient toujours
dans les Marseillais des médiateurs et défenseurs.
----- Les droits de douane sur les cotons
en provenance d'Alger ont diminué.
----- La colonisation poursuit son chemin
: Constantine tombe le 28.10.1837.
----- 1838 verra à Marseille la création
de la Compagnie Chrétienne pour la civilisation de l'Afrique ;
le but principal de la société créée par Monseigneur
de Mazenod était d'attirer en Afrique le plus grand nombre possible
de colons par les avantages et le bien-être qu'an leur procurait.
----- Les hommes s'expatrient dans l'espoir
d'une vie facile et Clément Duvernois de dire :"il
est vrai et nous ne songeons pas à le contester, que dans les premières
années qui suivirent la conquête, les Européens qui
débarquèrent n'étaient pas précisément
purs. l'Algéne était alors une caserne et tous ceux qui
suivaient l'armée étaient des cantiniers."
----- Le 11.4.1840, les électeurs
du Collège Nord de Marseille envoient à leur député
Monsieur Berryer, signée par plusieurs centaines de personnes la
lettre suivante : "Alger est le joyau de
la France. Là est l'avenir, le doublement de sa puissance et de
ses richesses. Oh ! que vous avez remué fortement les sympathies
nationales quand vous avez demandé compte de cette lutte qui ne
cesse pas et dont le fruit ne se présente pas même en fleur
sur l'arbre qui depuis 1830 est arrosé de tant de sang. Contribuez
s'il est possible, à faire cesser le mauvais vouloir qui pèse
sur la France africaine, notre France d'Europe vous en rendra dans la
postérité la plus reculée, d'unanimes actions de
grâce."
----- Le commerce algérien est défini
comme "un appendice du marché de
Marseille.". Cest le Sud-Est qui soutient la conquête
et surtout Marseille qui en tire le plus grand profit.
----- Lors du passage à Marseille
en 1840 du Duc d'Aumale, reçu à l'Académie de Marseille,
Joseph Néry avait chanté les "Français en Algérie",
affirmant que grâce à l'Afrique, la France ne dégénérait
pas.
----- En 1841, Alexandre Dumas affirme :
"Marseille depuis la prise d'Alger est devenue
une Capitale".
----- La population de Marseille a presque
doublé depuis la prise d'Alger. Débarquant à Alger
au début de l'année 1842, le Marseillais Aumerat n'a pas
le sentiment d'être dépaysé. Le haut commerce dAlger
est prétend-il, presque entièrement marseillais. "Les
commerçants français de 1° ou de 2° classe, ainsi
que les industriels étaient en grande partie, originaires des ports
de la Méditerranée. Les chefs des grandes maisons de commerce
de l'époque étaient presque tous Marseillais. le commerce
si peu important qu'il fût, était tout entier dans les mains
de quelques négociants commandités ou représentants
de grandes maisons de commerce."
----- Les Marseillais ont fait valoir la
place qu'Alger tenait dans leur commerce, affirmant qu'abandonner Alger,
c'était atteindre leur prospérité. l'apport des capitaux
marseillais en Algérie semble réduit. Comme le note Montagne,
les émigrants étaient pauvres et ils étaient venus
pour faire fortune et n'en avaient point apporté. "Marseille
a cependant considérablement aidé l'Algérie, elle
a participé activement à l'expédition de Bourmont
et à la lente et difficile conquête qui a suivi. De par sa
position géographique, elle a servi de relais, de magasin, d' hôpital,
de prison ; elle a reçu les soldats, elle a hébergé
les prisonniers et naturellement généreuse, leur a réservé
un accueil qui a servi les intérêts français."
----- La chambre de commerce a fait plus
encore : elle n'a pas seulement entretenu avec la chambre d'Alger des
rapports les plus amicaux, elle a alerté toutes les chambres de
commerce de France en faveur d'une cause qui lui était chère,
elle a pris part avec décision et fermeté à cette
difficile conquête.
----- Les classes populaires sont restées
fidèles à une expédition qu'elles avaient saluée
de leurs acclamations et en général la conquête de
rAlgérie fut bien vue des éléments pauvres qui trouvaient
là une chance d'évasion.
----- En juin 1836, on pouvait lire dans
le "Journal des débats" : "s'il
est une portion de la France qui souffre depuis 40 ans, c'est le Midi.
Nos révolutions, nos guerres, nos découvertes industrielles,
ont porté le centre de la vie au Nord et ont laissé une
grande partie du Midi dans la langueur et l'inaction."
----- L'ancienne barrière entre le
Nord et le Midi, l'était donc pas tout à fait effacée
en France. "Donnez au Midi le voisinage
d'une colonie française en Afrique et cette barrière tombera."
----- Le commerce de Marseille avec l'Algérie
ne cessera de croître ; en 1831, il était de 8 millions de
francs, il passera en 1845 à 110 millions. Cest par Marseille que
passeront en 1848 les malheureux émigrants qui gagnent l'Algérie.
----- Sous le second Empire, de nombreux
Marseillais solliciteront des concessions ou investiront des capitaux
dans les entreprises minières en Algérie.
----- Certains continueront même de
croire à un peuplement algérien à prédominance
marseillaise.
----- "Une correspondance de 1857 apprend
qu'à Alger les siffleurs sont appelés "Mistraou",
parce que ce sont en général des Marseillais qui ont apporté
de leur ville un goût artistique difficile, les pratiques de la
cabale, l'accent du terroir et toute la violence du vent local qui nettoie
de temps en temps la Canebière."
----- Des liens stables ont été
établis avec l'Algérie, comme le voulaient le passé
de Marseille et la proximité géographique. Il est certain
que tôt ou tard, ces entreprises lointaines qui longtemps piétineront
et qui ne répondront pas toujours aux idées initiales, ouvriront
à Marseille et à la France, la voie de prospérités
et de grandeurs nouvelles.
----- Je remercie Monsieur Claude DELAYE
de m'avoir permis de redécouvrir cette période importante
de notre Histoire de France que j'avais, il est vrai, un peu oubliée.
Eliane BEGOUIN
Présidente du C.G.M.P.
Sources : - Migrance de Pierre Echinard et Emile Témine - Marseille
et l' Algérie de Pierre Guiral
-----
Nous rensercions à nouveau très vivement Mme BEGOUIN
d'avoir eu l'amabilité de nouss communiquer ce texte qu'elle avait
développé lors des "Rencontres généalogiques"
organisées pour les 10 ans de notre Association.
|