Le départ du capitaine
Chaplain
par Jean-Paul Marchand
Nous sommes au début de uillet 1849
à Saint-Cloud au lever du jour. VIalgré l'heure matinale,
le village résonne déja du travail des militaires du Génie,
occupés à assembler les maisons de bois dans le village.
Les colons réveillés dès l'aube au son duclairon,
sont dans les champs avoisinants à défricher les lots de
culture remplis de palmiers nains, de lentisques, de chênes verts
et de cactus. Des soldats du 6' de Ligne les aident, les surveillent et
les protègent.
Le modèle des maisons que le Génie bâtit est unique,
ce qui facilite la répétition des opérations. Il
y en a déjà quelque cinquante construites sur les deux cent
quatre-vingts du programme de colonisation, selon un plan d'urbanisation
simple et géométrique qui dérive des leçons
d'urbanisme des bâtisseurs romains : un vaste carré dont
le centre est à l'emplacement de la maison Campillo, de part et
d'autre du chemin d'Oran vers Arzew. Un réseau de parallèles
au chemin et de perpendiculaires dessine des rues le long desquelles sont
érigées, à intervalles réguliers, les habitations,
chacune dans le lot de jardin qui a été attribué
au colon.
En avril M. Lioult, géomètre délimitateur, a fixé
les lignes de partage de la colonie par rapport aux villages voisins et
le plan de lotissement du village. Partout on voit des piles de planches
de bois que l'armée a ramenées depuis Oran et Arzew à
grand renfort d'attelages militaires. Et au centre, des magasins pour
les semences, les vivres, les outils. Des écuries pour les chevaux.
Des abris pour le cheptel. Ceux des colons qui sont charpentiers de leur
état ou ouvriers d'art aident à la construction des habitations
moyennant salaire. Des enfants jouent au milieu de cette activité.
De la fenêtre de son bureau de fortune de la maison Campillo, le
capitaine Chaplain pense à son avenir. Il a présenté
en juin sa démission de directeur de la colonie à sa hiérarchie
qui l'a d'abord refusée. Alors Chaplain l'a renouvelée cette
fois par écrit. Elle a été transmise au général
Pélissier, commandant la province d'Oran. Celui-ci l'a convoqué,
et Chaplain a de nouveau maintenu sa demande, arguant de sa fatigue et
du " dégoût " que lui inspirent les récriminations
des colons qui mesurent l'écart entre le pays de rêve qu'on
leur a décrit à Paris, et le sol aride et inhospitalier
sur lequel ils sont arrivés.
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Dans l'extrait de l'état des citoyens admis dans les colonies
agricoles, on relève de nombreuses affectations pour le village
de Saint-Cloud (Oranie).
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Génie, direction d'Alger, projet d'une baraque de colon (1833).
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Chaplain a de très bons états de services. Cet ingénieur
du Génie a, depuis 1843, commandé les travaux de remplacement
du barrage de la vallée du Sig, édifié là
par les Turcs pour arroser la plaine du même nom. Puis il a pris
la tête d'un détachement de soldats du 12e de ligne qui,
au cours de l'été 1848, a installé une série
de dix baraquements en planches destinés à l'accueil immédiat
des colons.
Tout naturellement, il a été choisi pour prendre en charge
l'édification de la première des quarante-deux colonies
agricoles que la République entend implanter pour 1848. Il a quitté
l'Algérie début octobre 1848 pour Paris afin de convoyer,
aidé de quelques officiers, les 330 familles et 870 personnes de
ce premier convoi, parti le 8 octobre du quai de Bercy jusqu'à
ce lieu qui va devenir Saint-Cloud. Quelle aventure que celle de ce premier
voyage ! Mais ceci est une autre histoire...
Depuis, Chaplain a connu les affres de l'encadrement et de la direction
de cette foule d'ouvriers parisiens, s'intronisant cultivateurs, composée
de beaucoup de braves gens mais aussi comme dans toute concentration humaine,
de voyous, de paresseux, d'exaltés et d'alcooliques. Car il y a
déjà six débits de boissons dans le village ! Et
certains fréquentent assidûment le cabaret. Surtout chez
les " ouvriers d'art " qui, en attendant de se mettre au service
des colons, végètent souvent et se découragent.
Chaplain est aussi fatigué parce qu'il veut tout suivre: l'installation
provisoire du convoi, la distribution du matériel et du cheptel,
la désignation des lots, la notation des colons en vue d'évictions
prochaines des indésirables, l'état civil, la coordination
des travaux du Génie, les dénombrements de population. Entre
autres. Il continue d'assumer ce rôle exténuant de pater
familias dans la gestion du cercle de Saint-Cloud qui comprend, au recensement
trimestriel qu'il vient de terminer, plus de 1 500 personnes entre Arzew,
Méfessour, Kléber, Moulay-Mayoun, Saint-Cloud et Saint-Leu
où est arrivé un deuxième convoi une semaine après
le premier.
Le général Pélissier a été bien embarrassé
par la décision de Chaplain qu'il sait difficilement remplaçable
dans l'immédiat. De plus c'est Lamoricière lui-même
qui l'avait choisi pour convoyer ce premier convoi de colons. Il lui a
demandé des propositions de réorganisation de son cercle
et son avis sur ses adjoints. Et Chaplain a suggéré le 2
juillet de séparer la gestion de Saint-Cloud et de ses annexes
de celle de Saint-Leu et de nommer un officier en charge de chacune.
En même temps, les travaux de construction seraient commandés
directement par des officiers du Génie. Le 12 juillet, Pélissier
transmet au gouverneur général Charon à Alger qui,
lui, le soumet le 28 au ministre de la Guerre.
Le processus hiérarchique, classique chez les militaires, est long.
Lamoricière lui fait savoir rapidement que le schéma lui
convient. Il ne reste plus qu'à trouver les hommes en charge des
deux centres. Chaplain a rédigé une note dans laquelle il
présente et évalue ses subordonnés. Ils sont quatre
à l'épauler.
D'abord le capitaine Yerlès, du lei régiment de Légion
étrangère, qui couvre Arzew et le hameau de Moulay-Mayoun:
très capable, intelligent et instruit, il a une grande facilité
de travail, mais il manque de zèle pour pousser les colons à
plus d'ardeur. Puis le capitaine Bonzon, du 12° régiment d'infanterie
légère en charge du village de Kléber dont il obtient
des résultats très satisfaisants. Il le juge brave et digne
officier, connaissant l'agriculture, très désintéressé,
parfois cassant avec certains colons toujours prêts à la
querelle. Il conclut par " trop bon ou trop tranchant ". Puis
le lieutenant Baillon, du 5' de ligne, en charge de Méfessour :
travailleur efficace et méritant, plein d'ordre et d'énergie,
apportant beaucoup de soins à sa besogne. Enfin le lieutenant Robert,
des Cuirassés, qui a affaire à quelques mauvais drôles
à Méfessour dont il est parvenu à tirer quelque chose.
Le 14 août, le gouverneur fait savoir à Pélissier
que la démission de Chaplain est acceptée par Lamoricière
ainsi que sa proposition d'organisation. Il nomme en conséquence
Bonzon en charge de Saint-Cloud et Yerlès en charge de Saint-Leu.
Bonzon est remplacé à Kléber par le lieutenant Rabaveux,
du 12e Léger, qui devient son adjoint à Saint- Cloud, ainsi
que le sous-lieutenant Savy. Méfessour reste donc la seule annexe
de Saint-Cloud. La page est tournée et Pélissier veut rapidement
mettre en place la nouvelle organisation. Au mois d'août, c'est
par les grosses chaleurs étouffantes du plein été
que Chaplain transmet ses consignes à Bonzon et Yerlès.
Il prend la peine de commenter aux deux capitaines, et par le menu, les
affaires en cours. Elles sont nombreuses et il n'a pas pu les mener à
leur terme faute de temps. Il leur nomme ceux qu'il juge " meilleurs
pétitionnaires " c'est-à-dire les plus méritants
et à qui on devra faciliter l'accès aux premières
concessions définitives, une fois achevé le délai
du bail sous condition qui lie les colons à l'État. Et aussi
les indésirables qu'il faudra continuer d'évincer de la
Colonie. Et les projets qu'il faudra pousser pour continuer l'oeuvre entreprise
avec, au premier chef, l'irrigation du village par des canaux et celle
des cultures par des puits supplémentaires.
Et le 7 septembre 1849, lorsqu'il quitte la colonie pour rejoindre le
corps du Génie, il est surpris mais touché de se voir offrir
par ces colons qu'il a qualifiés " d'ingrats ", une épée
d'honneur qu'ils se sont cotisés pour lui offrir. Il va leur laisser
l'image du premier administrateur, de celui qui a lancé la colonisation
en fédérant les bonnes volontés mais qui n'a guère
eu le temps de peaufiner les détails.
Apte à la besogne, très actif, rigoureux et faisant régner
alentour une discipline toute militaire. Trop de rigueur peut-être.
Il représente en quelque sorte l'archétype du père.
Plus tard, les colons oubliant leurs récriminations dans la prospérité
enfin conquise, donneront en son honneur son nom à une rue du village.
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(Sources : série M et F80 du CAOM
Aix, Fontanilles : Saint-Cloud colonie agricole 1895).
Les illustrations sont extraites d'Archives d'Algérie. 1830-1960,
Hazan éditions, 2003 et de L'Armée d'Afrique, 1730-1930,
Gouvernement général de l'Algérie, 1930.
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