Le départ du capitaine Chaplain
par Jean-Paul Marchand

extraits du numéro 122 , juin 2008, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site : octobre 2012

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Le départ du capitaine Chaplain
par Jean-Paul Marchand

Nous sommes au début de uillet 1849 à Saint-Cloud au lever du jour. VIalgré l'heure matinale, le village résonne déja du travail des militaires du Génie, occupés à assembler les maisons de bois dans le village. Les colons réveillés dès l'aube au son duclairon, sont dans les champs avoisinants à défricher les lots de culture remplis de palmiers nains, de lentisques, de chênes verts et de cactus. Des soldats du 6' de Ligne les aident, les surveillent et les protègent.

Le modèle des maisons que le Génie bâtit est unique, ce qui facilite la répétition des opérations. Il y en a déjà quelque cinquante construites sur les deux cent quatre-vingts du programme de colonisation, selon un plan d'urbanisation simple et géométrique qui dérive des leçons d'urbanisme des bâtisseurs romains : un vaste carré dont le centre est à l'emplacement de la maison Campillo, de part et d'autre du chemin d'Oran vers Arzew. Un réseau de parallèles au chemin et de perpendiculaires dessine des rues le long desquelles sont érigées, à intervalles réguliers, les habitations, chacune dans le lot de jardin qui a été attribué au colon.

En avril M. Lioult, géomètre délimitateur, a fixé les lignes de partage de la colonie par rapport aux villages voisins et le plan de lotissement du village. Partout on voit des piles de planches de bois que l'armée a ramenées depuis Oran et Arzew à grand renfort d'attelages militaires. Et au centre, des magasins pour les semences, les vivres, les outils. Des écuries pour les chevaux. Des abris pour le cheptel. Ceux des colons qui sont charpentiers de leur état ou ouvriers d'art aident à la construction des habitations moyennant salaire. Des enfants jouent au milieu de cette activité.

De la fenêtre de son bureau de fortune de la maison Campillo, le capitaine Chaplain pense à son avenir. Il a présenté en juin sa démission de directeur de la colonie à sa hiérarchie qui l'a d'abord refusée. Alors Chaplain l'a renouvelée cette fois par écrit. Elle a été transmise au général Pélissier, commandant la province d'Oran. Celui-ci l'a convoqué, et Chaplain a de nouveau maintenu sa demande, arguant de sa fatigue et du " dégoût " que lui inspirent les récriminations des colons qui mesurent l'écart entre le pays de rêve qu'on leur a décrit à Paris, et le sol aride et inhospitalier sur lequel ils sont arrivés.

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extrait de l'état des citoyens admis dans les colonies agricoles
Dans l'extrait de l'état des citoyens admis dans les colonies agricoles, on relève de nombreuses affectations pour le village de Saint-Cloud (Oranie).
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Génie, direction d'Alger, projet d'une baraque de colon (1833).
Génie, direction d'Alger, projet d'une baraque de colon (1833).



Chaplain a de très bons états de services. Cet ingénieur du Génie a, depuis 1843, commandé les travaux de remplacement du barrage de la vallée du Sig, édifié là par les Turcs pour arroser la plaine du même nom. Puis il a pris la tête d'un détachement de soldats du 12e de ligne qui, au cours de l'été 1848, a installé une série de dix baraquements en planches destinés à l'accueil immédiat des colons.

Tout naturellement, il a été choisi pour prendre en charge l'édification de la première des quarante-deux colonies agricoles que la République entend implanter pour 1848. Il a quitté l'Algérie début octobre 1848 pour Paris afin de convoyer, aidé de quelques officiers, les 330 familles et 870 personnes de ce premier convoi, parti le 8 octobre du quai de Bercy jusqu'à ce lieu qui va devenir Saint-Cloud. Quelle aventure que celle de ce premier voyage ! Mais ceci est une autre histoire...

Depuis, Chaplain a connu les affres de l'encadrement et de la direction de cette foule d'ouvriers parisiens, s'intronisant cultivateurs, composée de beaucoup de braves gens mais aussi comme dans toute concentration humaine, de voyous, de paresseux, d'exaltés et d'alcooliques. Car il y a déjà six débits de boissons dans le village ! Et certains fréquentent assidûment le cabaret. Surtout chez les " ouvriers d'art " qui, en attendant de se mettre au service des colons, végètent souvent et se découragent.

Chaplain est aussi fatigué parce qu'il veut tout suivre: l'installation provisoire du convoi, la distribution du matériel et du cheptel, la désignation des lots, la notation des colons en vue d'évictions prochaines des indésirables, l'état civil, la coordination des travaux du Génie, les dénombrements de population. Entre autres. Il continue d'assumer ce rôle exténuant de pater familias dans la gestion du cercle de Saint-Cloud qui comprend, au recensement trimestriel qu'il vient de terminer, plus de 1 500 personnes entre Arzew, Méfessour, Kléber, Moulay-Mayoun, Saint-Cloud et Saint-Leu où est arrivé un deuxième convoi une semaine après le premier.

Le général Pélissier a été bien embarrassé par la décision de Chaplain qu'il sait difficilement remplaçable dans l'immédiat. De plus c'est Lamoricière lui-même qui l'avait choisi pour convoyer ce premier convoi de colons. Il lui a demandé des propositions de réorganisation de son cercle et son avis sur ses adjoints. Et Chaplain a suggéré le 2 juillet de séparer la gestion de Saint-Cloud et de ses annexes de celle de Saint-Leu et de nommer un officier en charge de chacune.

En même temps, les travaux de construction seraient commandés directement par des officiers du Génie. Le 12 juillet, Pélissier transmet au gouverneur général Charon à Alger qui, lui, le soumet le 28 au ministre de la Guerre.

Le processus hiérarchique, classique chez les militaires, est long. Lamoricière lui fait savoir rapidement que le schéma lui convient. Il ne reste plus qu'à trouver les hommes en charge des deux centres. Chaplain a rédigé une note dans laquelle il présente et évalue ses subordonnés. Ils sont quatre à l'épauler.

D'abord le capitaine Yerlès, du lei régiment de Légion étrangère, qui couvre Arzew et le hameau de Moulay-Mayoun: très capable, intelligent et instruit, il a une grande facilité de travail, mais il manque de zèle pour pousser les colons à plus d'ardeur. Puis le capitaine Bonzon, du 12° régiment d'infanterie légère en charge du village de Kléber dont il obtient des résultats très satisfaisants. Il le juge brave et digne officier, connaissant l'agriculture, très désintéressé, parfois cassant avec certains colons toujours prêts à la querelle. Il conclut par " trop bon ou trop tranchant ". Puis le lieutenant Baillon, du 5' de ligne, en charge de Méfessour : travailleur efficace et méritant, plein d'ordre et d'énergie, apportant beaucoup de soins à sa besogne. Enfin le lieutenant Robert, des Cuirassés, qui a affaire à quelques mauvais drôles à Méfessour dont il est parvenu à tirer quelque chose.

Le 14 août, le gouverneur fait savoir à Pélissier que la démission de Chaplain est acceptée par Lamoricière ainsi que sa proposition d'organisation. Il nomme en conséquence Bonzon en charge de Saint-Cloud et Yerlès en charge de Saint-Leu. Bonzon est remplacé à Kléber par le lieutenant Rabaveux, du 12e Léger, qui devient son adjoint à Saint- Cloud, ainsi que le sous-lieutenant Savy. Méfessour reste donc la seule annexe de Saint-Cloud. La page est tournée et Pélissier veut rapidement mettre en place la nouvelle organisation. Au mois d'août, c'est par les grosses chaleurs étouffantes du plein été que Chaplain transmet ses consignes à Bonzon et Yerlès. Il prend la peine de commenter aux deux capitaines, et par le menu, les affaires en cours. Elles sont nombreuses et il n'a pas pu les mener à leur terme faute de temps. Il leur nomme ceux qu'il juge " meilleurs pétitionnaires " c'est-à-dire les plus méritants et à qui on devra faciliter l'accès aux premières concessions définitives, une fois achevé le délai du bail sous condition qui lie les colons à l'État. Et aussi les indésirables qu'il faudra continuer d'évincer de la Colonie. Et les projets qu'il faudra pousser pour continuer l'oeuvre entreprise avec, au premier chef, l'irrigation du village par des canaux et celle des cultures par des puits supplémentaires.

Et le 7 septembre 1849, lorsqu'il quitte la colonie pour rejoindre le corps du Génie, il est surpris mais touché de se voir offrir par ces colons qu'il a qualifiés " d'ingrats ", une épée d'honneur qu'ils se sont cotisés pour lui offrir. Il va leur laisser l'image du premier administrateur, de celui qui a lancé la colonisation en fédérant les bonnes volontés mais qui n'a guère eu le temps de peaufiner les détails.
Apte à la besogne, très actif, rigoureux et faisant régner alentour une discipline toute militaire. Trop de rigueur peut-être. Il représente en quelque sorte l'archétype du père. Plus tard, les colons oubliant leurs récriminations dans la prospérité enfin conquise, donneront en son honneur son nom à une rue du village.

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(Sources : série M et F80 du CAOM Aix, Fontanilles : Saint-Cloud colonie agricole 1895).
Les illustrations sont extraites d'Archives d'Algérie. 1830-1960,
Hazan éditions, 2003 et de L'Armée d'Afrique, 1730-1930,
Gouvernement général de l'Algérie, 1930.