A la rencontre de
nos villages
Situation géographique
Entre le cap Bougarouni (Kollops magnus) et le cap de
Fer ( Kollops parvus ) distants l'un de l'autre de 36 miles ( 66 km
), s'enfonce la plus grande anse du littoral algérien. Elle est
constituée des deux golfes de Stora et de Collo ; c'est au fond
de celui-ci que se cache le village assis sur l'isthme d'une magnifique
presqu'île qui donne son nom à ce massif. Le cône
granitique de Sidi Achour ( 540 m ) domine le paysage.
La Presqu'île dite de COLLO
Pour le géographe, la presqu'île de Collo c'est cette protubérance
semi-circulaire de la côte algérienne, saillante, entre
Bougie et Djidjelli à l'ouest et Philippeville et Bône
à l'est.
Il vous dira que ce massif, frangé de ses sept caps d'où
son nom de " seba rouss " détient le cap Bougarouni,
le point le plus septentrional de l'Algérie.
Il vous montrera une carte au relief si tourmenté, quasiment
noire, surchargée de courbes traduisant les plus hautes précipitations
: les 2.000 mm de pluie par an alimentent ici le seul oued naturellement
ensemencé en truites.
Le géologue exhibera une carte à la grosse tache rouge
due au caractère éruptif de ces abruptes collines, illustrées
par le cône dégagé de Sidi-Achour.
Sur ces terrains, le botaniste découvrira des forêts luxuriantes,
lieux de promenade botanique des étudiants de la faculté
d'Alger. La carte Michelin, toute de vert vêtue témoigne
des vertus touristiques de la région, de ses montagnes et de
ses plages, mais ce potentiel ne sera que trop tard découvert.
Toutes ces qualités physiques ont favorisé les turbulences
locales, et freiné la colonisation initiale ; elles généreront
à nouveau l'insécurité un siècle plus tard.
Son histoire
La déclinaison de Kollops, en Kollo, Chullu, Ancollo, Col, El
Coll et Collo témoigne des peuplements successifs de ce site
et des péripéties de son histoire.
De nombreux vestiges préhistoriques révèlent que
la région est occupée bien avant l'arrivée des
Phéniciens ou des Carthaginois. En 105 avant JC, c'est au voisinage
de Collo que Jugurtha trahi par Bocchus est livré aux Romains.
Cité florissante elle est l'égale de Cirta. Avec cette
dernière, Rusicade ( plus jeune ) et Mita, elles forment une
confédération la " respublica IV colonium "
qui sera dissoute au Ille siècle, Collo a alors sa propre administration
accompagnée de deux évêques au moment du schisme
donatiste. Ses habitants exploitent encore des teintureries de pourpre
dont les étoffes rivalisent avec celles de Tyr.
Au IVe siècle, Solin écrivain latin, découvrant
une ville prospère et son ancienne mais active industrie, raconte
: " Les Romains tiraient aussi de Collo une grande partie des cuirs
nécessaires à leur consommation et les forêts leur
fournissaient d'excellents bois de construction ". Le passé
d'une cité romaine opulente a laissé très peu de
vestiges sinon de nombreuses sépultures. Au Ve siècle
les Vandales passent et rasent édifices et murailles qui ne seront
jamais relevés. Bien peu de vestiges de cette opulente cité
ont été retrouvés et certains pensent à
un effacement dû à un cataclysme.
Après un siècle de domination byzantine et de luttes incessantes
de ses tribus montagnardes, l'islamisation du pays l'entraine dans un
long et grand silence. Le 28 juin 1282 Pierre III, prince d'Aragon,
arme une flotte importante et débarque à Collo, appelé
à la conquête de Constantine par son propre gouverneur,
vassal du bey de Tunis. Le traître est trahi et décapité,
Pierre III abandonne ce projet pour poursuivre Charles d'Anjou qui assiège
la Sicile. Il réembarque ses troupes, non sans avoir auparavant
pillé et incendié la ville.
Les siècles qui suivent nous sont connus par Marmol, historien
espagnol du XVIe siècle qui écrit : " Le peuple de
COL est courtois et civil à cause du commerce de l'Europe, car
on y vient acheter de la cire, des cuirs et autres marchandises ".
Ces qualités et ces activités avaient été
soulignées, quelques siècles auparavant, par Edrisi et
Léon l'Africain. Celui-ci affirmait " il n'y avait pas alors
par toute la rivière de Tunis, cité plus opulente ni plus
sûre, à cause que l'on y gagnait toujours au double sur
les marchandises ".
Les négociants génois, pisans ou autres chrétiens
visitaient cette ville dont les habitants échangeaient avec l'arrière-pays
les produits qu'ils exportaient contre des toiles tissées. Des
relations commerciales entre Marseille et Collo sont relevées
dès 1298. Pons Estève affrète le 30.10.1300 un
navire pour aller " apud Collum ". Le 13. 08. 1345 suit une
commande d'étoffes, de miel, d'amandes, de corail et de 150 000
peaux non tannées.
En 1520, Barberousse, vaincu par les Kabyles et replié à
Djidjelli, après avoir repris des forces à Collo, entreprend
sa marche victorieuse vers Constantine et Bône.
De 1604 à 1685 ce port redevient un comptoir de La Compagnie
d'Afrique qui obtient en 1628 la concession des 200 km de côtes
entre La Calle et Collo. Elle se heurte ici aux exigences des petits
chefs locaux ( redevances et cadeaux ) et à l'hostilité
des habitants. Pour l'abbé Poiret : les " Collins "
passaient pour les plus méchants des indigènes ne redoutant
ni la faible garnison turque qu'ils toléraient chez eux, ni le
Bey de Constantine ni le Dey d'Alger.
Si La Calle est une petite colonie française, les représentants,
à Collo, ne disposent que d'une maison avec logement et magasin
aux fenêtres et portes doublées de fer.
En 1745 les Marseillais, malmenés, l'abandonnent, font un aller-
retour en 1748, puis reviennent en 1750 car le Bey d'Alger menace de
céder l'Echelle aux Anglais.
En 1756, Ah Roumandi, Bey de Constantine, ancien Agha de Collo, édifie
une grande mosquée sur un ancien temple romain consacré
à Neptune. Trois rangées de sept colonnes à chapiteau
supportent la charpente. Un linteau portant une inscription longtemps
illisible intrigua les visiteurs : il était simplement posé
à l'envers.
En 1820, les Collins que certains disent grands et blonds, chassent
les Turcs de leur tour génoise. Le comptoir est fermé,
les relations avec l'Europe souffrent du caractère belliqueux
des résidents et des tribus. La misère et le désordre
s'installant, la garnison turque est rappelée, elle y demeurera
jusqu'en 1830. A son départ les Colliotes se rapprochent des
conquérants.
Le 4 septembre 1835, Le Moniteur Algérien rapporte qu'un certain
Dahman insistant pour commercer voit sa cargaison pillée par
ses propres matelots et " cabaïles " montagnards. Les
habitants craignant d'être tenus pour des brigands assurent le
Commandant du Cercle de leur zèle et fidélité à
la France. Malgré cette allégeance, la pénétration
au sein de l'arrière-pays est longue et difficile. Ce n'est que
le 10 avril 1843, que les troupes conduites par le général
Baraguay d'Hilliers débarquent et trouvent quelques centaines
de maisons réparties en quatre villages ; Bir-Touil, Bir-el-Caïd,
Azouline et El-Djerda. En 1860, Collo devient un Cercle Militaire. Dès
lors la population locale, protégée des incursions kabyles,
peut développer ses relations commerciales.
Ce fameux tome VIII nous apprend que sont construits à cette
époque un grand bordj et une caserne pour l'Infanterie, l'alimentation
en eau est assurée par le captage de deux sources.
Le 10 juillet 1863 le Génie dresse le plan d'alignement d'un
village modèle de la colonisation. Il enveloppe dans son quadrillage
de rues orthogonales, quatre quartiers anciens. L'empierrement des rues
est entrepris en même temps que l'ouverture de " chemins
" de désenclavement vers les autres voies du département.
Le 3 février 1864 une école arabo-française est
créée par arrêté du Gouverneur ; le cimetière
est ouvert cette année-là.
Dès l'occupation de Collo, le Génie fait construire au
port un débarcadère de 30 x 8 m que les Ponts et Chaussées
ne cesseront d'étendre à quelques hectares de terre-pleins
et quais protégés par une jetée. Le port considéré
comme l'un des plus sûrs devient accessible aux cargos de fort
tonnage.
Le ler janvier 1862 est mis en service à la pointe de la presqu'île
El-Djerda un phare moderne à éclipse. ( Le tome VIII Ports
de France rapporte les tempêtes extraordinaires de 1878 et 1897
et le séisme de 1856 ).
Vers 1900, l'église est construite et remplace une baraque de
planches. Tous les bâtiments administratifs nécessaires
à un chef-lieu de canton suivent : mairie, marché couvert,
caserne des douanes, hôpital, justice de paix, gendarmerie et
prison etc. La plupart des maisons sont à un étage parfois
deux.
La paix a depuis trente ans gagné les massifs Chéraïa
à 6 km et à 300 m d'altitude, s'ouvre à l'agriculture
et Bessombourg, à 14 km, devient un centre usinier du liège
ouvré. Le chômage semble absent car toutes les richesses
forestières, minérales ainsi que celles associées
à la pêche sont rationnellement exploitées.
Les forêts de chênes-lièges, les plus vastes de l'Algérie,
fournissent plaques d'isolation, bouchons et autres formes pour l'industrie.
Les souches des bruyères arborescentes sont taillées en
ébauchons et alimentent les pipe- ries Amiel de Philippeville
et de St. Claude dans le Jura. Les traverses de chemin de fer de chêne
zen, utiles au développement en cours du réseau ferré,
et les bois de mine encombrent les quais.
Deux carrières satisfont les besoins locaux, les pavés
de granit taillés ici se dispersent en France et ailleurs. Le
port de Collo, très actif, accueille des cargos mais aussi des
trois-mâts italiens et des balancelles utiles pour le cabotage
; sur ses eaux évoluent lamparos et plaisanciers. La pêche
fait vivre des usines de salaison.
L'Administration
La documentation courante est avare de détails sur la pacification
du massif de Collo. L'indicateur général de l'Algérie
de 1848 l'ignore mais explique qu'il existe un chemin partant de Philippeville,
en fait, l'accessibilité reste essentiellement maritime.
L'itinéraire Piesse de 1862 écrit : " Enfin Collo
est occupée le 11 avril 1843 par le général Baraguay
d'Hilliers. Telle est la riche nomenclature des événements
historiques que nous avons pu rechercher ", il ajoute " la
population est de 330 indigènes et de quelques Européens
".
Enfin, E. Ledermann, plus près de nous, nous apprend dans l'ouvrage,
Philippeville et ses environs, publié en 1935, que l'arrière-pays
est agité de soubresauts en 1849, 52, 56, 58, 60 et que l'insurrection
de 1870 est jugulée par la garnison de Collo aidée par
la frégate La Jeanne d'Arc.
La paix est désormais établie. L'administration civile
peut dès lors gérer ce vaste territoire peuplé
de 60.000 âmes. Elle est confiée à deux communes
mixtes : celle de Collo qui a son siège au village, lui-même
commune de plein exercice, et celle des Attia. A celle-ci incombe la
partie la plus tourmentée du massif avec ses sommets dépassant
1000 m, et ses profondes forêts qui s'étendent jusqu'au
rivage occidental, c'est carte. Dans un site verdoyant, le bordj de
Chéraïa est un belvédère sur le vaste golfe
de Collo qui, pour le jeune Edmond Sergent, devient " le grand
mur bleu ".
Les registres d'état civil propres à Attia et ses deux
villages d'altitude se ferment en 1905, c'est l'année probable
de la fusion des deux communes mixtes.
La commune mixte de Collo, couvrant tout le massif, subsistera jusqu'à
la réforme administrative du 28 juin 1956. Collo devient alors
une sous-préfecture de l'administration française jusqu'au
3 juillet 1962.
Elle est en charge des nombreuses communes issues des anciens douars.
L'usage du passé s'impose. Il faisait bon vivre à Collo
! On y travaillait et on se distrayait dans une bonne entente. Les plages
accueillaient la jeunesse et quelques estivants de l'arrière-pays
constantinois. Les fêtes de Pâques ou de Pentecôte
étaient l'occasion de populaires " macaronades " à
la Fontaine des Sangliers, appelée bien avant et à juste
titre " la Source des Lions ". Trois jours de réjouissances
diverses clôturaient l'été et ses bals du dimanche.
Le 15e Régiment de Tirailleurs Sénégalais, à
demeure, animait toutes les cérémonies militaires du souvenir.
Sans gêne aucune, les joyeux you-you ou les processions recueillies
parcouraient les rues. Et puis arrivèrent les moments difficiles
de la guerre 1939-1945, le souffle à peine repris, la rébellion
de 1954 et la tragédie, ici meurtrière, du 20 août
Toutes les activités forestières, richesses de la région,
sont réduites. L'isolement est total, les circulations se font
de nouveau par la mer. Le chômage et l'insécurité
conduisent à un inexorable exode des " Européens
". Ceux qui y retourneront quelques années plus tard seront
chaleureusement accueillis.
André Spitéri