UNE
TROMBE D'EAU ÉCLATE SUR ALGER
Samedi soir, un orage d'une
rare violence éclatait sur Alger. Pendant toute la nuit la pluie
tombait à torrents, transformant les rues de la ville en fleuves
boueux, les escaliers en cascades.
Le quartier Pasteur fut un des plus éprouvés. Le ravin
qui descend du Télemly et aboutit à l'intersection de
la rue Saint-Augustin et de l'avenue Pasteur charriait d'énormes
masses d'eau qui entraînaient avec elles de la pierre et des rochers.
Vers trois heures du matin, l'égout qui fait suite au ravin se
trouva obstrué et les eaux s'amoncelèrent derrière
une maison en construction qui faisait l'office d'un barrage ; puis,
se frayant une brèche, jaillirent vers la rue Saint-Augustin
et la rue Pasteur.
Sur son passage, le torrent enleva un mur en pierre sèche large
d'un mètre, déchaussa les fondations de la maison et enleva
le trottoir de la rue Pasteur sur toute la longueur de la rue Édouard
Cat.
Le trottoir, les terres et les barrières furent précipités
dans le ravin qui borde la Ligue de l'Enseignement.
L'imprimerie de MM. Escoffier et Marcus se trouva inondée en
quelques minutes par suite de l'effondrement d'un mur qui avait rempli
l'office de digue. Les blocs roulés par les eaux défoncèrent
la porte de l'atelier et furent projetés à l'intérieur.
Quelques-unes pèsent plus de 60 kilos. Dans l'imprimerie, l'eau
atteignait une hauteur de 1 m. 20, les casiers étaient inondés,
les lourdes machines déplacées et enduites d'un limon
jaunâtre.
Rue de la Liberté, où les trottoirs s'affaissèrent
et les conduites d'eau se rompirent, inondant les caves de la brasserie
de l'Étoile ; avenue Gandillot et dans les quartiers Saint-Augustin,
l'orage se fit particulièrement sentir. On eut beaucoup de peine,
ce jour, à rétablir les communications, en raison de l'encombrement
des voies. Ce n'est que vers 9 heures du matin que les trains purent
desservir les quartiers du Plateau Saulière et de Bab-el-Oued.
Les T. M. S. ont subi également des arrêts ainsi que les
C. F. R. A. La nuit, dans certaines parties de la ville, la situation
fut particulièrement critique. Vers deux heures et demie, la
corne d'alarme se faisaient entendre à Bab-el-Oued : les rues
Fourchault, Raspail et Eiffel étaient envahies par les eaux.
Dans certains endroits les habitants durent être sauvés
par les fenêtres, tellement l'eau inondait les rez-de-chaussée.
Le sauvetage s'est opéré rapidement grâce à
la bonne volonté de tous et au dévouement des pompiers.
Ce n'est qu'au matin qu'on a pu se rendre compte des dégâts.
L'aspect présenté par le quartier Bab-el-Oued était
lamentable. Tous les modestes logis de la rue des Fours-à-Chaux
ont été envahis par l'eau. Une épaisse couche de
boue s'étend dans les chambres où gisent, pèle-mèle,
les meubles détériorés.
L'oued M'Kacel, cause de tout le mal, a emporté, sur son passage,
des oliviers et amandiers et dévasté tous les jardins
qui le bordent.
A l'Agha, un véritable torrent a parcouru la rue Balzac et obstrué
l'égout en construction. Le rez-de-chaussée de la maison
Gastu, habité par des ménages d'ouvriers, a été
inondé. Les paillasses, les meubles nageaient dans des mares
d'eau, un tombereau, entraîné par le courant, fut précipité
contre les balustrades du P.-L.-M. et les défonça.
Au moulin Ricci, le désastre fut plus important. On égout,
qui traverse les caves, s'étant crevé, l'eau atteignit
dans le magasin une hauteur de 1 m. 10. Cinq cents sacs de blé
furent perdus.
Dans l'impasse Warot, les ateliers de ferblanterie de M. Charles Surin
ont également souffert ; les dégâts dépassent
3.000 francs.
Le quartier Michelet n'a pas été moins éprouvé.
A l'intersection du boulevard Bon-Accueil, la boue atteignait une hauteur
de 25 centimètres, arrêtant la circulation des tramways
et des autres véhicules. Les rues Valentin et de Mulhouse ont
été ravagées et défoncées. La rue
Blandan avait totalement changé d'aspect : une montagne de pierres,
de moellons, de terre, l'encombrait, et on dut faire appel à
la main-d'uvre militaire pour la rendre praticable.
Rue Buneautre, la force du courant était telle qu'elle renversa
un bec de gaz. La maison Burdeau fut le théâtre d'un sauvetage
émouvant : l'eau atteignait un mètre de hauteur et dévalait
avec une force irrésistible, entraînant deux jeunes enfants
qui allaient infailliblement périr, lorsque les agents Gradelet
et Accati se précipitèrent dans le torrent et réussirent
à saisir les petits, qui furent ramenés sains et saufs.
La route du Télemly n'a pas été épargnée
: les villas ont été inondées, les becs de gaz
arrachés, une baraque contenant cinquante sacs de chaux a été
balayée. Entre la villa Joly et la propriété Gay,
tout un pan de montagne est descendu sur la route; la barrière
et le mur ont été arrachés et jetés dans
le ravin.
Enfin, dans les quartiers excentriques, à Belcourt, à
Saint-Eugène, l'orage a causé des dégâts
considérables.
Bon nombre d'usines et de propriétés d'Hussein-Dey ont
été atteintes. A El-Biar, il est tombé 14 centimètres
d'eau pendant la nuit. A Maison-Carrée, la grêle a saccagé
tous les jardins et brisé de nombreuses vitres, ainsi qu'à
Fort-de-l'Eau. En résumé, la première journée
de pluie a été désastreuse, et, depuis une semaine,
la ville n'a pas encore repris son aspect primitif.