André
Hugon tourne chez lui.
On n'a pas oublié
les violentes polémiques dont les talkies furent l'objet à
leur apparition sur les écrans français. Les amateurs
de films muets les prirent à partie avec une telle violence qu'on
était en droit de se demander s'ils n'obéissaient pas
à quelques mauvais réflexes nés d'une partialité
irréfléchie plutôt qu'à un sentiment raisonné
et sincère.
Cet état d'esprit, qui influençait malheureusement les
producteurs et menaçait de prolonger une crise dont la gravité
n'échappait à personne, faillit bien compromettre à
jamais l'avenir de notre industrie cinématographique, il fallut
le courage d'André Hugon pour l'enrayer à temps et éviter
ainsi une catastrophe à peu près certaine. En réalisant
les Trois Masques, le premier film français 100 % parlant, à
une époque où tout chez nous n'était qu'hésitations,
piétinements et conjectures, il prouva non seulement les brillantes
possibilités d'un art que l'on connaissait mal, mais il ouvrit
à la France une voie nouvelle qui devait bientôt la conduire
à un redressement inespéré et magnifique. Si nos
studios connaissent aujourd'hui une activité débordante,
si notre marché s'est à ce point amélioré,
qu'il laisse entrevoir des lendemains riches de promesses, André
Hugon n'a pas peu contribué à cette étonnante réaction.
Il serait superflu de présenter Hugon, Personne n'ignore qu'il
est Algérien - ce dont nous éprouvons une fierté
bien légitime - qu'il fit toutes ses études à Alger,
sa ville natale, et qu'il a doté l'écran de remarquables
réalisations. Le Roi de Camargue, Le Petit Chose, Le Diamant
Noir, L'arriviste, La Princesse aux Clowns, Yasmina, La Vestale du Gange,
La Grande Passion, La Marche Nuptiale, pour n'en citer que quelques-unes.
Dans le parlant, après Les Trois Masques, au succès inépuisé.
Il aborde une nouvelle façon, moins théâtrale, avec
La Tendresse et enfin avec ce chef-d'uvre d'humour qui fait actuellement
courir tout Paris, Lévy et Cie.
Mais déjà André Hugon cherche de nouveaux sentiers
et, dans cet incessant corps à corps qu'il livre à ses
propres conceptions pour les réaliser d'une manière vivante
et plus cinéma, il s'enfuit des studios et demande à la
vraie nature ses décors, sa lumière, sa vie. Il est encore
le premier en France - et cette fois, en Europe - à tenter ce
tour de force; à l'instar de Van Dyk pour son Trader Horn, il
organise une véritable expédition et s'en va, par delà
les mers, jusque dans les pays les plus éloignés, afin
d'y tourner deux films représentant une formule absolument inédite
: La Femme et le Rossignol et La Croix du Sud (productions André
Hugon de Pathé-Natan).
La caravane d'André Hugon, qui comprend trois gros camions pour
le transport des groupes électrogènes, deux camionnettes
d'enregistrement sonore et quatorze autocars, est arrivée lundi
dernier à Alger. Immédiatement notre concitoyen s'est
mis à l'uvre. Plusieurs scènes de La Femme et le
Rossignol ont été prises sur les quais, à bord
d'un yacht luxueux et dans les jardins romantiques de la grande capitale
africaine. Son séjour parmi nous sera relativement court. Il
ne tardera pas, après avoir exploré la Kabylie, à
s'enfoncer dans le Désert insondable, vers le mystérieux
Hoggar et la boucle du Niger.
Si la distribution de La Croix du Sud n'est pas définitivement
arrêtée, celle de La Femme et le Rossignol comprend Kaïss
Arowa, dont la beauté exotique et troublante, fera sans doute
sensation, entourée, dans la version française, de Marconi,
de Werner Fuetterer dans la version allemande. Aux cotés des
trois vedettes évolueront des artistes de tout premier ordre,
Habib Benglia et André Liabel entre autres. Le personnel technique
a été choisi avec minutie. Les caméras sont confiées
à MM. Agnel, Guillemin et Putiot, les prises de son à
l'ingénieur Bogé, secondé par Sacqué et
Lavoignot tandis que Christian Jaque assume la tâche délicate
de décorateur et Tahar Hanachi celle de régisseur. C'est
M. Pascau, l'un des meilleurs metteurs en scène d'outre-Rhin,
qui dirige la version allemande
Ajoutons qu'André Hugon tourne une troisième version avec
le procédé du professeur Chrétien, l'hypergonar,
qui lui permettra d'obtenir des effets d'un saisissant réalisme,
Qu'il trouve ici la nouvelle expression de notre sincère amitié
et nos vux cordiaux de parfaite réussite.