L'hôpital de Mustapha
A l'époque de la course, les Espagnols
avaient ouvert à Alger, un petit hôpital civil, équipé
de quelques lits à l'usage des esclaves chrétiens. Déjà
au 17è siècle un établissement hospitalier avait
été fondé par des Lazaristes, ce qui était
peu pour un pays aussi vaste.
Les Arabes et les Turcs se faisaient soigner avec plus ou moins de bonheur
par des barbiers-chirurgiens-arracheurs de dents ou des rebouteux et autres
charlatans qui sévissaient sur les places.
Certains étaient très habiles, ils arrivaient à opérer
des cataractes sans faire trop d'aveugles et quelques " trépaneurs
" perçaient les crânes selon des indications plus ou
moins fantaisistes et les patients arrivaient tout de même à
s'en sortir.
Des sages-femmes pratiquaient les accouchements, mais elles étaient
désarmées devant les cas difficiles, souvent fatals à
la mère qui agonisait dans d'abominables souffrances.
Certes, il existait dans la ville quelques deux ou trois médecins
maures qui étaient là pour soigner les patients disposant
de quelques moyens, tandis que les nantis avaient recours à plusieurs
médecins d'origine européenne qui jouissaient souvent d'une
excellente réputation.
Les maladies et épidémies étaient fréquentes
et souvent graves. La peste et le choléra sévissaient, en
particulier chez les pèlerins revenant
de La Mecque, tandis que la variole existait à l'état endémique.
Pendant la saison froide, les populations devaient faire face au typhus
et plus de soixante pour cent des indigènes étaient atteints
de syphilis. Le trachôme entraînait nombre de cécités
tandis que les fièvres paludéennes régnaient au bord
des marécages insalubres.
Bref, une situation médicale désastreuse régnait
sur le pays où le climat, ajouté à un manque chronique
d'hygiène. Tout ceci, aggravé par un état barbaresque
peu enclin à encourager la pratique de la médecine et dont
le seul objectif était de prélever l'impôt pour alimenter
les caisses de la Sublime Porte ( Sublime
Porte est le n.,m de la porte d'honneur monumentale du grand vizirat à
Constantinople, siège du gouvernement du sultan de l'Empire ottoman.Ce
terme était donc souvent utilisé en langage diplomatique
dans les chancelleries européennes pour désigner l'Empire
turc ou la ville de Constantinople, gardienne des détroits).
D'ailleurs, dès les premiers engagements de la prise d'Alger, le
Dey fit immédiatement fermer les deux établissements de
soins de la ville.
Le corps expéditionnaire était remarquablement équipé
sur le plan médical. Il était accompagné de médecins
et d'un corps d'infirmiers de qualité. Mais il se trouva vite dépassé
par les besoins et l'on finit par dénombrer plus de morts par la
maladie qu'au combat. Pour faire face à ces difficultés,
le commandement militaire avait créé dès le début
des opérations, un lieu de soins qui se trouvait rue Bab-Azoun.
Cet établissement avait été appelé "
pompeusement " " Hôpital Caratine " du nom du professeur
qui exerçait en ces lieux. Mais celui-ci devint vite très
insuffisant.
Les blessés et les malades en nombre croissant étaient alors
dirigés dans des baraques de fortune ou sous des tentes. Pour soigner
blessés et malades, le commandement fit édifier dans les
vastes jardins verts du pacha Mustapha, situés à l'est de
la ville, des baraquements avec des planches récupérées
sur les plages du débarquement. C'est en ces lieux qu'un hôpital
de campagne de plus de mille lits va surgir. Voilà l'origine de
ce qui deviendra le célèbre hôpital de Mustapha.
Le Génie Militaire fit, rapidement, remplacer les installations
en planches par des bâtiments en dur qui purent alors accueillir
de plus en plus de malades et blessés, tant militaires que civils.
Mais bien vite, les installations vont se montrer encore insuffisantes.
Les baraques sont élevées à même le sol, sans
drainage, avec des planches venues de Palma qui vont vite pourrir. Elles
sont surmontées d'une toiture de tuiles mal formées qui
laissent les malades et les blessés trempés par temps de
grande pluie et étouffant de chaleur pendant la saison chaude.
Déjà, à cette époque, 23.000 patients avaient
transité par cet hôpital, certes précaire, mais dont
les médecins et infirmiers faisaient preuve d'un grand dévouement
et apportaient des soins appréciés.
C'est en 1854 que l'hôpital civil de la
Rue BabAzoun, l'hôpital Caratine, devenu trop exigu et
inadapté va être transféré à l'intérieur
des installations de Mustapha.
Cette réalisation ne fut possible que grâce au testament
d'un riche colon, Monsieur Fortin d'Ivry, qui léguait au nouvel
hôpital une somme de douze cent mille francs. Ce don allait permettre
la construction de 600 lits.
C'est à cette même époque que l'Ecole de Médecine
d'Alger voit le jour ; dès janvier 1859 des cours officiels vont
être diffusés à l'hôpital de Mustapha.
En 1874, l'architecte Voinot présente les plans de 14 pavillons
s'étendant sur huit hectares, et l'on put ainsi, enfin, voir disparaître
les baraques en planches du début. La capacité de l'hôpital
va alors atteindre 14.000 lits avec tous les services techniques, administratifs
et de santé nécessaires, assistés d'un corps d'internes
et d'externes et d'une communauté religieuse. En 1883, un premier
service de pédiatrie est ouvert et l'année suivante un service
d'obstétrique.
Depuis cette date des efforts seront accomplis sans relâche et en
1959, dès la parution de l'ordonnance consacrant la réforme
de l'enseignement médical, Alger-Mustapha devient l'un des premiers
établissements hospitaliers à devenir Centre Hospitalier
Universitaire.
En 1958, lors d'un exposé devant l'Académie de Médecine
sur l'oeuvre médicale française en Algérie, Richet
et Reilly déclaraient :
" Beaucoup de médecins ont attaché leurs noms aux
pavillons de l'hôpital de Mustapha : Maillot le clinicien, Laveran
l'inventeur de la pathologie coloniale, Cange le père de l'ophtalmologie,
Tournade le fondateur de l'École algérienne de Physiologie.
Aux professeurs de clinique de Mustapha, se mêlent et s'associent
les maîtres des sciences fondamentales, l'anatomie avec Weber, Leblanc
et de Ribet, la chirurgie avec Vincent, Constantini, Curtillet, Lombart,
la médecine avec Cochez, Arbin Delteil, Aubry, Lebon, la pédiatrie
avec Crespin et Gillot ".
Porot créera la neuro-psychiatrie algérienne, tandis que
Laffont, succédant à Goinard et à Rouvier, continuera
à promouvoir l'obstétrique et la gynécologie moderne.
C'est lui qui formera les premières sages-femmes musulmanes.
Maillard vint à Alger enseigner la chimie biologique, tandis que
Robert Courrier, découvreur de la folliculine et successeur d'Argaud,
deviendra secrétaire perpétuel de l'Académie des
Sciences.
Si Lucien Reynaud, est à l'origine de l'organisation de la santé
Publique, Maurice Raynaud, s'affaire à lutter contre les maladies
vénériennes, Aboulker pour l'oto-rhino-laryngologie, Levy-Valensi
pour la phtisiologie et Pinoy pour la bactériologie et beaucoup
d'autres qu'on ne pourrait nommer.
Parmi les professeurs et étudiants en renom, on doit citer :
Jean-Baptiste-Paulin Trolard, anatomiste Jules Aimé Battandier,
botaniste
Louis Charles Trabut, médecin et botaniste.
Au premier juillet 1962, l'établissement hospitalier couvrait 15
hectares et abritait 2.300 lits. Tandis que la Faculté de Médecine
d'Alger comptait 45 chaires de professeurs titulaires et 38 maîtres
de conférences agrégés.
Tels sont les visages et les images que suscite un rapide survol de l'histoire
de l'hôpital de Mustapha.
Gérard Seguy
Sources :
L'Hôpital de Mustapha 1864-1962.
Article de l'Antenne Médicale de janvier-février 1977 par
L. Lataillade.
( Edité par l'association des membres du corps de santé
rapatriés et originaires d'Outre-mer ).
Professeur Pierre Goinard.
Etienne Curtillet, Georges
Au bry, Henri Aboulker, Antoine Porot.
Jean Lebon, Maurice Porot, Pierre Goinard, Pierre Lombart.
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Grandeur et décadence de l'hôpital
Mustapha
Qu'est devenu l'hôpital Mustapha aujourd'hui
? Les constats attristés d'un responsable :
Le taux de fréquentation actuel avoisine les 200.000 personnes
par jour. Les voitures pénètrent dans Mustapha comme dans
un moulin à vent, stationnant n'importe où ... Je mets plus
de 30 minutes entre l'entrée de l'hôpital et le service où
j'exerce. Il arrive que les gens se meurent dans les taxis et les ambulances,
avant leur prise en charge. Beaucoup de voitures de riverains stationnent
toute la nuit. ...
Les consultations, les laboratoires, les salles de soins sont assaillies
et même les chambres de réanimation ne sont pas épargnées.
Les disputes sont fréquentes entre patients et personnels, les
personnels entre eux, l'insécurité de jour et de nuit est
permanente, les femmes sont agressées nous obligeant à les
encadrer pour aller dans les lieux où elles y sont requises. Le
pavillon des urgences est toujours plein, accueillant des malades de presque
tout Alger, toute une faune y gravite. On y trouve de tout : vendeur de
cigarettes, de boissons, de sandwichs, d'électronique, et bien
d'autres choses pas toujours recommandées et parfois prohibées.
Les salles de malades ne sont pas respectées : restes de nourriture
jetés partout, traces de boue les jours de pluie, dans les allées
de l'hôpital, qui ne sont pas régulièrement nettoyées
et où s'amoncellent des détritus de toutes sortes. Les crevasses
sont partout, le dernier goudronnage date de
1980, quand la reine d'Angleterre est venue rendre visite aux blessés
du trembletnent de terre d' El Asnam. Les centres de consultation prévus
en dehors de l'hôpital pour les externes, mal équipés,
nous renvoient les malades censés être pri5 en charge dans
des centres prévus à cet effet. Les examens biologiques,
réservés aux hospitalisés, sont réalisés
pour toutes les personnes qui le désirent, ajoutant leur grain
de sel dans cette anarchie générale. Les pannes sont fréquentes
à cause d'une installation électrique désuète
conçue four des hôpitaux pavillonnaires, alors que la demande
est excessive, surtout en été, où la consommation
d'énergie est à son reaximum. Les pénuries de médicaments,
de consommables sont fréquentes, du fait d'un code des marchés
inapproprié confié à. des " experts " qui
sont très loin du monde médical. Entre la demande et la
livraison, il peut se passer 3 ans à cause d'une virgule, d'une
phrase...
Par la faute d'une administration timorée, manquant d'imagination,
souvent dépassée, d'un corps médical désabusé
et dé'Talorisé, un manque de civisme de la société
civile, des patients eux-mêmes, des pouvoirs publics ( APC, wilaya
d'Alger, sOreté urbaine, médias ) Mustapha a perdu son aura
et il est douloureux de dire, oui il est en déclin, oui il est
en danger, il importe de tout faire pour le sauver alors qu'il est encore
temps.
K. Merad Boudia. Cardiologue à l'hôpital Mustapha ( El
Watan - 13.04.2013)
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