Virginie Lanternier
Fille d'un colon de Dely-Ibrahim,
enlevée par les rebelles et devenue Sultane du Maroc

extraits du numéro 49, 3è et 4è trimestres 2011, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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Ici, le 28-12-2011

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Virginie Lanternier
Fille d'un colon de Dely-Ibrahim,
enlevée par les rebelles et devenue Sultane du Maroc

En consultant l'ouvrage de La Martinière, les " Souvenirs du Maroc ", on peut lire ces lignes : " Le Sultan Moulay Abderrahmane avait reçu en présent de l'émir Abd-el-Kader une jeune fille française admirablement belle ainsi que trois lions et quelques moukallas " .( moukallas : fusil arabe)

Comme on le voit, notre brave émir n'était pas avare de cadeaux.

Dès qu'il vit la belle femme blanche, le fils du Sultan, tomba subitement amoureux d'elle et derechef l'emporta dans son harem. De cette union naquirent deux fils, élevés comme les autres princes. Mais à la suite d'intrigues ourdies dans les profondeurs du sérail, ils furent empoisonnés, ainsi que leur infortunée mère.

La fille d'un colon d'Algérie emportée par les rebelles, devenue sultane du Maroc...Beau sujet de roman historique ! C'est en fouillant la littérature, les chroniques de la conquête, les historiens français et arabes du Maroc, la Bibliothèque Nationale, celle du Gouvernement Général et du Département qu'on a pu reconstituer l'odyssée de cette jeune fille française, dotée d'une beauté incomparable et dont nulle personne, à notre connaissance, n'avait rapporté l'étonnante aventure.

Où ? Quand ? Par qui avait-elle été ravie ? Quels chemins avaient pu l'amener au gynécée impérial de Fès et de Marrakech ?

Voici son histoire :

Communiqué du Commandement militaire de la Place d'Alger

" Un événement déplorable, dont neuf habitants du village de Dely-Ibrahim ont été victimes dans la soirée du trois de ce mois, vient de démontrer d'une manière bien funeste l'inutilité des avertissements tant de fois répétés par l'autorité, pour prévenir de semblables malheurs, toujours causés par l'imprévoyance et l'aveugle confiance de quelques individus, qui, par leur entêtement et leur imprudence, déconcertent les mesures prises pour leur propre sûreté.

Plusieurs colons de Dely-Ibrahim, étaient occupés à faucher leurs foins à l'extrémité du territoire de cette commune dans la direction de Staouéli, lorsqu'ils furent assaillis vers 4 heures de l'après midi par un parti de maraudeurs arabes qui, en se glissant dans le ravin, s'étaient approchés d'eux sans être aperçus, attendu que les colons n'avaient pas eu l'attention de faire le guet, et que même certains ne s'étaient pas munis de leurs armes. Ceux qui avaient leur fusil firent feu sur l'ennemi, les autres coururent vers le village pour réclamer du secours. Ils revinrent en toute hâte suivis par les habitants armés et par un détachement de zouaves. Mais il était trop tard, les brigands étaient déjà loin. Ils furent vaillamment poursuivis jusqu'au lieu nommé Aïn Calla. La difficulté des chemins, l'obscurité de la nuit, la distance à laquelle ils étaient, firent perdre l'espoir de les atteindre, et il fallut rentrer sans avoir pu se venger de leur attentat.

Les recherches faites après l'événement ont constaté :

- La mort de trois personnes : Brissard, colon ; femme Knoll, épouse d'un colon ; Adolphe, soldat congédié au service de Brissard dont on ne connaît que le prénom.

- La disparition de cinq autres personnes qui ont été enlevées, savoir :
      -la fille Langue, la fille Brissard, la femme Lanternier, la fille Lanternier, et Lanternier père.
      - Lanternier fils a été grièvement blessé. Il a été transporté à l'hôpital et on espère qu'il ne succombera pas aux blessures qu'il a reçues.

Les derniers devoirs ont été rendus aux morts, dont les cadavres ont été retrouvés dans les broussailles.

Quant aux captifs, des démarches très actives sont faites pour parvenir à les échanger.

Puisse ce triste événement servir d'enseignement aux colons et les convaincre qu'ils ne doivent dans aucune circonstance négliger les précautions qui leur ont été recommandées si souvent. Des armes et des munitions ont été mises à leur disposition pour qu'ils les emploient à leur défense. Ils doivent les avoir près d'eux, dans leurs champs et pendant leurs travaux. Se garder avec vigilance surtout lorsqu'ils sont hors de la vue des postes militaires, et ils ne doivent pas s'aventurer dans la campagne, à moins d'être sous la protection de quelque détachement de troupe. " Août 1836

Ce communiqué donne une idée précise des conditions dans lesquelles devaient travailler les premiers colons arrivés en Algérie.

Une famille de colons

Jeanne Lanternier, qui fut baptisée plus tard Virginie, était née le 20 novembre 1820, près de Dole. Elle était la fille de Jean Lanternier, artisan rural alors âgé de 25 ans, et de Sophie Moreux, manouvrière de 30 ans. Les Lanternier avaient déjà un fils, Désiré, né en 1818. Trois enfants vinrent ensuite, Claudine, née en 1823, Anne-Antoinette en 1825, Anne-Claude en 1827.

La pauvreté de cette famille nombreuse, à une époque où l'on cherchait à peupler l'Algérie, entraîna les époux Lanternier, alléchés par les propositions de quelques affiches apposées en mairie, à embarquer avec leur progéniture pour Alger en 1833.

Ainsi la famille s'installa à Dely-Ibrahim, premier des villages de colonisation en voie de fondation. Ils y avaient d'ailleurs retrouvé là quelques amis du Jura, parmi lesquels les Baudier originaires de Chissey, commune proche de Dole.

Jeanne avait donc quinze ans et demi en juin 1836. C'était une fille ravissante, d'une intelligence précoce. Dès son arrivée, elle avait appris l'Arabe avec facilité et s'exprimait presque couramment dans le dialecte algérien ce qui comme on le verra par la suite, dut beaucoup lui servir.

Le 3 juin 1836

L'attaque des faucheurs de Dely-Ibrahim eut lieu à la fin de l'après midi du 3 juin 1836, à deux kilomètres et demi du village sur le plateau du Petit Staouéli.

Un fort parti de Hadjoutes (hadjoutes :tribu arabe de la plaine de La Mitidja) s'était glissé dans les broussailles, le long des ravins et encercla les colons. L'un d'eux, M. Brissac fut tué, ainsi que l'un de ses ouvriers, ancien soldat depuis peu à son service dont on ne connaît que le prénom : Adolphe et la femme d'un des faucheurs, Mme Knoll.

Le fils Lanternier, Désiré, alors âgé de 17 ans, fut quant à lui mortellement blessé. Il devait expirer quelque temps plus tard à l'hôpital d'Alger.
Au cours de l'embuscade, cinq personnes furent enlevées et prises comme otages : le père Jean Lanternier, 41 ans, sa femme Sophie âgée de 46 ans et trois jeunes filles : Mlle Brissac qui avait perdu son père dans le combat, Mlle Langue et la belle Jeanne Lanternier.

Par les ravins, à la faveur de la nuit tombante, les bandits emmenèrent les captifs vers Aïn-Kala (au nord-ouest du Petit Staouéli), puis franchirent avec eux le Mazafran du côté de Makta Kheira. Ils leur firent probablement passer la nuit à Koléa, chez les marabouts de Sidi Embarek. De là, les Lanternier et leurs jeunes compagnes furent conduits chez les Hadjoutes, au pied du Tombeau de la Chrétienne, à Sidi Rached ( à un kilomètre du village de Montebello ) .

Du Tombeau de la Chrétienne à Fès

Les Lanternier trouvèrent en ce lieu d'autres captifs, notamment M. Leclerc d'Alger, enlevé le 25 avril et M. Muller, capturé par les rebelles après l'embuscade du Mazafran où Mme Durand périt froidement abattue.

Muller fut libéré le 25 mai et Leclerc le 6 juillet. Les deux hommes allèrent relater leurs mésaventures aux autorités de Sidi Rached. C'est le général Rapatel ( intérimaire de Clauzel alors en mission à Paris ) qui engagea les négociations pour la libération des cinq otages. Elles furent sur le point d'aboutir mais, sur l'ordre d'un homme proche d'Abd-el-Kader les captifs furent dirigés vers l'Oranie dans la région de Tlemcen.
C'est ainsi que le chef de la famille Lanternier, accompagné d'autres prisonniers fut emmené à Miliana, où il mourut après une courte maladie. Pendant ce temps, la jolie Jeanne Lanternier, sa mère, la fille Brissac et Mlle Langue furent envoyées au sultan du Maroc Moulay Abderrahmane comme présents de l'émir Abd-el-Kader.

Les quatre femmes furent donc conduites à Fès par une petite caravane que dirigeait le renégat Hamidou, personnage étrange et sulfureux, homme de confiance de l'émir.

Arrivée à Fès, Jeanne Lanternier produisit une si forte impression sur le fils du sultan, le futur sultan Sidi Mohammed ( le vaincu de l'Isly ), qu'il l'épousa. Elle devint l'une de ses quatre épouses légitimes et eut de lui deux enfants qui vécurent plusieurs années au harem de Marrakech. C'est là qu'elle entra en relations avec l'étonnant Dessaulty, autre renégat, devenu le confident et le " directeur des travaux publics " des sultans.
C'est par un fils de Dessaulty entré à la fin du 19ème siècle au service de la légation française à Tanger, que M. de la Martinière apprit que Jeanne Lanternier avait été empoisonnée ainsi que ses deux enfants à la suite d'une intrigue de harem à Marrakech.

Etrange aventure que vécut Virginie (Jeanne) Lanternier et sa famille dans le Maghreb.

Gérard Seguy

Source : L'Echo d'Alger juin 1959 Article signé des seules initiales René Janon
La sultane aux yeux bleus - Arlette Schneider - Ed. Hugues de Chivré. 2011