CAHIERS DU CENTENAIRE DE L'ALGÉRIE
(Cahier complémentaire)

L'ALGÉRIE du CENTENAIRE vue par l'Université de France
par
M. Raymond BONZE

professeur au Lycée Louis-le-Grand
(Cours de préparation à l'École Coloniale)

Page 1 : préface, introduction, enseignement primaire et primaire supérieur
PUBLICATIONS DU COMITÉ NATIONAL MÉTROPOLITAIN
DU CENTENAIRE DE L'ALGÉRIE

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Préface

Je rouvre le rapport général de clôture des travaux du Comité métropolitain du Centenaire de l'Algérie (rapport publié dans le XIIe Cahier du Centenaire (p. 59-p. 71), pour y inscrire cet épilogue : le résumé des rapports des 200 boursiers du Comité, sortes de délégués de l'Université de France, envoyés à l'étude de l'Algérie du Centenaire.

Il n'est pas de professeur classique qui, le jour où il peut visiter la Rome éternelle, jusque-là enseignée sans avoir été vue, ne sente immédiatement que de sa visite naissent une vie. et une valeur nouvelle pour son enseignement.

Le Comité a pensé qu'il en serait de même, en ce qui concerne l'Algérie, pour tous ses boursiers, à qui il a demandé de dire spécialement comment ils enseignaient Algérie avant leur visite, et comment ils l'enseigneraient après. L'un d'entre eux a dépouillé toutes leurs réponses et en a fait cette analyse, qui devient un nouveau Cahier du Centenaire, cahier complémentaire, cahier pédagogique, destiné à rendre l'expérience de quelques-uns profitable pour tous.

Chacun pourra juger que l'institution de ces bourses de voyage a été heureuse et que l'Algérie est appelée à en bénéficier. Il ne reste plus qu'à souhaiter que l'expérience puisse s'en étendre à toutes les colonies françaises pour le plus grand profit de l'enseignement universitaire comme de notre empire colonial.

Le Président de la Commission d'Exécution :
Paul CROUZET,
Inspecteur de l'Académie de Paris,

Inspecteur-Conseil de l'Instruction Publique au Ministère des Colonies.

INTRODUCTION

Le Comité du Centenaire de l'Algérie a mis à la disposition du Ministère de l'Instruction Publique des bourses de voyage pour être attribuées aux membres du corps enseignant. Ces bourses ont permis à environ deux cents institutrices, instituteurs et professeurs de visiter l'Algérie pendant les grandes vacances de 1930 ou celles de Pâques 1931. L'unique obligation imposée aux boursiers était d'adresser au Ministère de l'Instruction publique un rapport sur le voyage effectué ( Voir la circulaire ministérielle à ce sujet dans le rapport général, publié dans le XIIe Cahier du centenaire, p.68)). Les circonstances ayant empêché quelques-uns d'entre eux de faire le voyage, nous avons reçu 169 rapports dont les auteurs peuvent être classés ainsi :
- Enseignement primaire : 88.
                   a) Instituteurs et institutrices : 20;
                   b) Professeurs d'École primaire supérieure et d'École normale : 66 ;
                   c) Inspecteurs de l'Enseignement primaire : 2.
- Enseignement technique : 7
- Enseignement secondaire : 65
- Inspecteur d'Académie : 1
- Enseignement supérieur : 8.


Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt ces travaux d'inspiration, de longueur, de présentation très diverses. Au moment d'en tirer la substantifique moelle" un découragement nous saisit : il y a dans tous ces documents empilés sur notre table de travail une telle richesse d'observations, une si sincère originalité que le choix des citations est difficile, presque 'impossible. Notre travail de seconde main ne va-t-il pas " banaliser " tout, perdre le fruit de tant d'efforts heureux?

Pour que notre compte-rendu soit lisible, il faut qu'il soit établi selon un plan méthodique. Sera-t-il possible de le faire sortir de tant de pages, dont les auteurs n'ont ni la même formation intellectuelle, ni les mêmes préoccupations? Le grand danger pour nous est de nous substituer aux auteurs et par conséquent de les trahir.

Une lecture attentive des notes prises au cours de la lecture de ces rapports vient heureusement dissiper ces doutes. Il y a dans ces relations si diverses quelques éléments d'unité.

D'abord le souci honorable de voir le plus possible et de bien voir. Beaucoup de boursiers et boursières ont préparé très soigneusement leur itinéraire par des lectures étendues et par des études de cartes. Nous avons été très frappé par l'ingéniosité qu'ont déployée des instituteurs et institutrices pour allonger autant que possible leur voyage. Nous aurons l'occasion de citer plus loin quelques exemples typiques. Tous les missionnaires ont compris du reste que la libéralité du Comité ne devait être considérée que comme une aide et qu'un effort financier personnel leur était implicitement demandé. Ils ont voulu voir beaucoup, sinon tout - et surtout bien voir.

Mais tous ne sont pas partis avec le même dessein. Il se dégage une impression fort curieuse des rapports envoyés et assez nette, en somme, quand on prend soin de les classer non par " ordre " (ce mot fort employé autrefois est aujourd'hui honni), mais par " degré" d'enseignement. Les maîtres du premier degré ont eu la vocation pédagogique la plus marquée. Ils sont allés en Algérie, non pas tant pour satisfaire une curiosité légitime, pour enrichir leur bagage de souvenirs et de connaissances, mais surtout pour augmenter leur valeur professionnelle; pour mieux enseigner au retour l'Afrique du Nord et la colonisation française. Ce sentiment élevé de leur devoir d'éducateur, ce dévouement à leurs élèves nous a profondément ému et il nous a paru digne d'être signalé en ces pages liminaires. Nous verrons plus loin combien cette foi et cette quasi- abnégation a élargi la vision des voyageurs. Il nous faut noter ici tout de suite que, ce faisant, ils répondaient pleinement à la pensée qui inspira le Comité du Centenaire et le Ministère de l'Instruction publique atteindre les élues par-delà les maîtres.

Les membres de l'enseignement secondaire - dont le dévouement à leurs élèves n'est pas moindre - ont eu, pour la plupart, des préoccupations qui les ont conduits à rechercher moins directement ce but utilitaire. Humanistes, historiens, professeurs de sciences, ils ont cherché d'abord à étendre leur culture. On retrouve chez eux une préoccupation scientifique qui les porte à restreindre le champ de leur vision pour observer en détail. Les historiens ont été intéressés surtout soit par l'Afrique romaine, soit par la civilisation musulmane, soit encore par la colonisation française. Les géographes ont étudié avec soin quelques régions algériennes ou les manifestations de la vie économique de l'Algérie; les naturalistes ont fait d'intéressantes observations sur la géologie, sur la faune et la flore. Il ne faudrait rien exagérer cependant: chez tous ces tendances sont tempérées par un sens de la mesure, par un désir d'apprécier les ensembles et aussi, semble-t-il, par un goût de l'enseignement qui, même pendant le temps réservé aux travaux personnels, fait penser à la classe.

Plus dégagés de préoccupations pédagogiques, apparaissent les professeurs de Facultés ou de nos grandes Écoles. Ils sont allés en Algérie chercher de nouveaux matériaux d'étude ; et leurs élèves qu'ils forment aux méthodes scientifiques en les initiant à leurs recherches, n'y perdront rien.

Chez les uns comme chez les autres, nul dilettantisme. Un égal désir de savoir, un même dévouement à leurs disciples. Tous ont rapporté quelque chose de ce voyage, qui apparaît vraiment comme ayant été utile. Tous sont revenus avec des idées neuves ou renouvelées, aucun n'enseignera l'Algérie comme avant.

Et cela est le meilleur éloge de l'initiative du Comité du Centenaire.

Pour rendre compte aussi exactement que possible de tant de travaux si différents, j'ai dû chercher une méthode compréhensive mais simple.

Bien qu'il ne soit plus guère de mode de classer les enseignements et que les barrières qui séparent le primaire supérieur du secondaire et le secondaire du supérieur soient fort abaissées, que le technique, sorte d'enfant terrible, se soit étendu en brisant tous les compartiments traditionnels, il nous paraît d'une grande simplicité de classer les rapports selon la catégorie universitaire à laquelle appartiennent leurs auteurs.

A l'intérieur de chaque division nous suivrons un plan analogue, essayant de dégager en quoi l'enseignement de l'Algérie dans la métropole a profité ou profitera de l'initiative du Comité.

1.-ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET PRIMAIRE SUPÉRIEUR

La plus grande partie des rapports a pour auteurs des maîtres de l'Enseignement primaire supérieur : professeurs d'Écoles primaires supérieures ou d'Écoles normales. Les instituteurs et les institutrices ont donc hésité, et finalement renoncé à solliciter une bourse qu'ils auraient certainement obtenue, toutes les demandes ayant été examinées avec bienveillance, et le Comité, comme l'Administration de l'Instruction publique, ayant eu le désir très légitime de donner au plus grand nombre possible de maîtres de notre enseignement élémentaire cette vision de l'Algérie afin qu'ils la fassent passer devant les yeux de leurs élèves.

Cette regrettable abstention s'explique à la fois par la modestie exagérée des instituteurs ( Elle s'explique peut-être aussi par le fait que la circulaire proposant les bourses a dû leur parvenir par la voie des Bulletins départementaux et les a touchés par suite un peu plus tard. (Note du Comité.) et sans doute par l'insuffisance de leurs ressources pécuniaires qui les a empêchés d'envisager un voyage assez coûteux, malgré l'aide offerte. La timidité que nous déplorons a été bien évoquée par un instituteur boursier, M. Chabridon, qui; a su la vaincre personnellement, mais qui, ayant rencontré en Algérie presque exclusivement des collègues appartenant aux degrés supérieurs de l'enseignement, note dans son rapport : ils sont " tous plus qualifiés que moi pour montrer dans leurs rapports ou les charmes de l'Algérie, ou les belles manifestations de notre effort colonisateur dont les effets en maints endroits m'ont paru si heureux " -

Quelle erreur ! Les comptes rendus faits par les membres de l'enseignement élémentaire sont parmi les plus intéressants, quelques-uns même sont des travaux d'un vif intérêt scientifique ou littéraire. Du este, il ne s'agissait pas de rapporter d'Algérie des pages définitives, mais des impressions justes destinées à vivifie' l'enseignement ultérieur des voyageurs. Et quant aux difficultés financières, ce sont les plus modestes Universitaires qui les ont apparemment les mieux résolues puisqu'ils ont fait les plus beaux voyages !...

*******************

Avant d'analyser les travaux qui nous ont été communiqués, qu'il nous soit permis de louer le soin qui a été apporté à leur rédaction et souvent même à leur présentation. Quelques-uns, en particulier ceux de Mlle Savignat, professeur à l'École supérieure de garçons de Saint-Léonard (Haute-Vienne), de Mlle Montigaud, professeur à l'École primaire supérieure de jeunes filles de Talence (Gironde), de M. Dès, professeur à l'École primaire supérieure de Saint-Aignan (Loir-et-Cher), de M"° Baudoin, professeur adjoint à l'École primaire supérieure de Gourdon (Lot), sont accompagnés d'excellentes photographies. Mlle Jean a encarté le sien dans une couverture décorée d'une aquarelle ( l'aquarelle et les photographies qui illustrent ces pages sont extraites des rapports des boursiers.). Un professeur adjoint de l'École primaire supérieure de Thaon, M. Aumégeas, a édité une brochure dédiée aux membres de l'Enseignement primaire : L'évolution économique de l'Algérie. D'autres ont été visités, au retour, par la Muse de l'Afrique du Nord. Manifestations diverses d'un bel enthousiasme.

Déterminons d'abord, en faisant une moyenne, ce qu'ont vu nos voyageurs. Tous, ou presque, ont visité Alger, Oran, Constantine et le Tell. Cela représente un honnête voyage et une bonne utilisation de la Bourse que le Comité avait, à juste titre, modestement remplie (2.000 francs), afin de disperser davantage la précieuse manne. Mais beaucoup d'autres ont résolument vide leur bas de laine pour augmenter le viatique. Ils ont sacrifié leur goût du confortable et pris monture modeste pour aller plus loin. Ils sont restés un mois, plus même, dans notre grande France de l'Afrique du Nord. Encore se plaignent-ils, avec mesure, d'avoir été prévenus trop tard, fin août seulement, dans certaines Académies. Ils ont donc poussé jusqu'à Biskra, même jusqu'à Touggourt, ou bien ont pénétré dans le Sud-Oranais, ils ont parcouru la Grande et la Petite Kabylie, et ils ont eu ainsi une vision assez complète de l'Algérie.

Essayons maintenant de déterminer ce qui, dans ce voyage, court ou prolongé, a surtout intéressé nos missionnaires, en quoi les idées qu'ils avaient emportées ont été modifiées :

a) Le pays d'abord

Tous les boursiers, ou presque, avaient lu les descriptions enthousiastes d'Alger, d'Oran, de Constantine que donnent les manuels de géographie, admiré les photographies du Défilé des Portes de Fer, ou du Ravin des Singes, voire de quelque village kabyle ou d'une oasis heureuse. Ils se faisaient donc de l'Algérie une idée très favorable, s'attendant à trouver partout des sites pittoresques, ou des champs bien cultivés près de villages d'un exotisme de bon ton. Aussi peut-on " noter souvent " quelque déception en présence de l'aridité générale des paysages nord-africains... le pays nous a déçu.Pour quelques centaines d'hectares fertiles, que d'étendues désertiques ; que de rocs à nu, arides et brûlés. La nature algérienne - est-ce la faute du moment (?), nous a semblé avare de richesses et d'aptitudes agricoles, pour tout dire d'un mot, hostile ", écrit M. Monlau, professeur à l'École primaire supérieure d'Oloron, qui pourtant a été séduit par le pittoresque de la vie indigène et en parle en poète. Mais beaucoup ont compris l'âpre grandeur de ces sites et apprécié leur tristesse. Du reste, tous notent le contraste existant entre les parties cultivées et les étendues stériles ou laissées en jachère. La Mitidja et ses riches villages, ses champs prospères, ses vignes leur ont donné une grande idée de œuvre française de colonisation. Beaucoup s'attardent à décrire le charme de Blida, la ville des roses, de Boufarik et de ses orangers, la fertilité de certaines régions de l'Oranais, l'agriculture tenace de la Kabylie. La magie des pays du soleil ne les a pas laissés indifférents : " Ce que le Français du Nord ne peut imaginer
" avant de l'avoir vue, c'est la couleur des paysages Ici, le soleil et la sécheresse marquent le sol d'une " forte empreinte et le font très différent de ceux auxquels nos yeux sont accoutumés. Sous le soleil de midi, la route de Bougie à Djidjelli offre aux regards émerveillés les couleurs les plus opposées. Au pied des falaises rouges, les oueds gonflés par le dernier orage apportent à la mer une boue sanglante colorée de larges taches chocolat. Puis les tons s'adoucissent en des ocres et des beiges plus neutres qui tournent insensiblement au vert, tandis que, dans le lointain, la mer se teinte d'outremer et de violet. Le soir, à cc l'heure où le soleil rase la cime des montagnes, le même paysage apparaît entièrement décoloré, méconnaissable. Les montagnes, le ciel, la mer endormie ont pris les teintes translucides de l'opale et hésitent entre des bleus, " des jaunes, des roses très doux
"..., écrit avec un enthousiasme sincère Mlle Legrand, professeur à l'Ecole primaire supérieure de Bar-le-Duc.

Mais plus que les paysages de la campagne algérienne, les spectacles urbains ont retenu l'attention des visiteurs. Leur caractère est, en effet, beaucoup plus frappant pour l'Européen et le dépayse davantage.

Le port magnifique d'Alger suscite une admiration générale. La ville française aux larges rues claires et propres plaît aussi par contre le quartier de la Casbahs'il séduit les amateurs de pittoresque et fait rêver les amoureux des choses du passé, révolte par la saleté bien arabe de ses ruelles, par la puanteur de son marché, les touristes délicats. Beaucoup, mais pas tous, sont sensibles à la fraîcheur paisible des mosquées, à la délicatesse de leur décoration. Remarque curieuse, la poétique douceur des cimetières musulmans, celle surtout de cet adorable cimetière de la Princesse, où assis sur une tombe, à l'ombre du figuier du bonheur, il fait si bon rêver, n'a été appréciée que par quelques pèlerins. Par contre, beaucoup ont décrit complaisamment l'organisation moderne du port et n'ont pas négligé les statistiques concernant l'évolution de son trafic ; c'est une manifestation de cette tendance vers la recherche d'une documentation pédagogique que nous avons notée déjà et dont nous dirons plus loin les résultats.

Oran, le grand port de l'ouest, a un type de ville trop espagnol pour avoir été aussi généralement compris qu'Alger. La ville est loin de présenter le même pittoresque, bien que les jardins qui dominent le port au pied de la forteresse, soient de toute beauté. Il faut noter que l'érudition de nos visiteurs a été souvent en défaut : ils n'ont pas toujours justement mesuré l'importance de son port, dont le trafic, en rapide progrès, dépasse celui d'Alger. Cela n'a rien de surprenant, du reste. Beaucoup plus ramassé que celui d'Alger, avec des docks entassés aux pieds du " cerro " de Santa-Cruz, il n'a pas l'imposante beauté de celui d'Alger. Les Oranais, hommes d'affaires uniquement préoccupés de leurs négoces, se soucient beaucoup moins que les Algérois de faire admirer aux étrangers les installations de leur port. C'est par la faute de cette médiocre information que, sauf quelques exceptions, peu de visiteurs ont deviné le rôle considérable que prend Oran, tête de la ligne d'Oudja-Fez-Casablanca, comme port d'entrée des marchandises et même des voyageurs pressés à destination du Maroc oriental et central.

Constantine a séduit tous les amis du pittoresque et tous l'ont visitée, hantés par le souvenir des deux sièges. Le contraste entre la ville européenne et le quartier indigène a été complaisamment décrit.

Il est digne de remarque que les images qui nous sont données des trois villes sont assez différentes. Les amateurs de pittoresque, les plus nombreux, y ont promené le dilettantisme du voyageur artiste. Leurs impressions sont souvent vigoureuses, parfois poétiques, et dans cette masse de documents il y a à glaner tout un florilège.

Nous devons noter une disposition d'esprit assez fréquente qui atteste la valeur de l'enseignement géographique qu'ont reçu les maîtres de notre enseignement primaire. Les méthodes de la science géographique la plus récente leur sont bien connues et ils ont tenté d'en faire l'application pour interpréter ce qu'ils voyaient. Mlle Bouchan, professeur à l'École normale de Guéret, laisse " de côté toutes les impressions artistiques ou pittoresques pour se borner à signaler quelques faits de géographie physique, humaine et économique ". M. Fénelon, professeur à l'École primaire supérieure de Belvès, fait un cours judicieux de géographie physique. D'autres sont préoccupés davantage de géographie économique : la culture de la vigne en Mitidja, le problème des communications, le mouvement des ports sont étudiés avec une précision digne de spécialistes.

Un grand effort pour apprécier œuvre colonisatrice de la France est remarquable partout. Les voyageurs ont compris que c'était cela surtout que le Comité du Centenaire leur demandait d'observer afin d'en rendre compte plus tard à leurs élèves. La colonisation de la Mitidja a été bien étudiée et, les souvenirs de lecture aidant, de suggestives comparaisons établies entre la stérilité de 1830 et la prospérité d'un siècle plus tard. En revanche les grands travaux d'irrigation du Tell n'ont pas été mentionnés, les voyageurs ayant grande hâte (hâte bien légitime du reste) d'aller vers le sud contempler le désert.

Ils en rêvaient tous, du désert ! de son immensité mouvante chauffée à blanc par le soleil. Tous voulaient goûter la fraîcheur miraculeuse des oasis perdues au milieu de la fournaise. C'est à Biskra, particulièrement accessible grâce aux chemins de fer, qu'ils sont généralement allés chercher cette impression du grand sud. L'émotion chez tous a été vive, encore que fortement influencée par les souvenirs littéraires : il est si difficile à un intellectuel de regarder quoi que ce soit avec des yeux ingénus ! Mais pourtant quelle conquête a faite l'Algérie de ces âmes occidentales ! J'en veux la preuve dans ces vers qu'un professeur de Lyon, m. Forest, joint à son rapport : ils sont beaux, bien que n'obéissant pas à la loi de la rime, ils ont un rythme souple et rare et paraissent empreints d'une vraie nostalgie :

TOZEUR
Je suis, si vous voulez, une Bédouine bleue,
Mon chemin est de sable et les murs sont dorés,
Mon chemin et les murs ont la même couleur.
L'horizon, fil ténu plus haut que le Djerid
Et, si limpide. l'or de ce lac ignoré,
Une lente oasis qui se dessine et meurt
Pour reparaître ici et là et s'évanouir.
Mon âme, elle, a choisi les mirages du sud
Et les vêtements bleus des femmes de Tozeur.
Mon âme, elle, a choisi cette halte dorée
Dans la lumière pure et le ciel toujours bleu,
Mais les soirs, le couchant devient de sable rouge
Et mon chemin sans ombre a la même splendeur.
Soudain, tout l'occident pour une étoile seule,
Haute lampe d'Allah veillant l'immensité
Dans un instant divin de parfaite unité
Où l'air a pris au sol son ardente pâleur!
Ineffable tourment sanglotant sur ma bouche.
Mon âme, elle, a choisi le Sud illimité.

M. Forest (qui termine son rapport par une déclaration catégorique: " J'aime l'Afrique ! " et prouve la sincérité de sa conversion en partant en guerre contre... les mouches, fléau de sa terre d'élection) est une conquête que l'Algérie a faite sur la France et les jeunes filles lyonnaises, ses élèves, apprendront certainement à aimer sa patrie d'adoption. Et cette conquête n'est pas unique. Il n'est pas un seul de ces voyageurs qui n'aient été séduits par la magie de l'Afrique du nord, et plusieurs déclarent : " je reviendrai ". M. Baudouin, (E. P. S. de Gourdon) dont l'intéressant rapport est orné de photographies, veut servir l'Algérie non seulement dans sa classe, car il a rapporté " ample provision de gravures, de livraisons et d'affiches ", mais aussi en dehors et il nous promet un travail : sur " les arbres et les bois d'Algérie " et une étude sur " les thermes et la question hydraulique chez les Romains d'Afrique ".

En somme si la terre algérienne a déçu quelques amateurs de frais ombrages et de vertes campagnes, elle a séduit le plus grand nombre de nos boursiers et a fait de quelques-uns des pèlerins passionnés de l'Afrique du Nord.

b) La vie indigène

La vie indigène a plus encore que le pittoresque du sol et que la beauté des villes intéressé les boursiers.

M. Chabridon,. instituteur à Huriel (Allier), note l'impression désagréable que produisent sur l'étranger les indigènes qui, à l'arrivée du bateau " se ruent, nombreux, loqueteux, sordides, à la descente des voyageurs, se disputant les valises, offrant leurs services avec une insistance et une persistance d'affamés. Et les petits cireurs donc ! Puis le long des
quais contre les parapets, tous ces êtres indolents, pieds nus, drapés de burnous d'un blanc douteux, la tête protégée du soleil par quelque méchante chéchia ou quelque enroulement de toile, sont peu sympathiques.
"

A ces critiques, un Algérien répondra que ces indigènes ne sont pas des inutiles : ils travaillent à leur manière. Quand arrive un bateau marchand, ils accourent et ne marchandent pas leur peine jusqu'à ce que le déchargement en soit terminé. Après quoi, ils fl â n e n t attendant qu'une autre tâche s'offre à eux. C'est assez naturel et il n'y a pas trop à redire là-dessus.

La mendicité surtout, exercée par les enfants, a peiné les cœurs sensibles. P'tit sou. P'tit sou, tel est le cri de l'Algérie, note une boursière. Nous comprenons parfaitement cette tristesse, mais là encore il vaut mieux essayer d'expliquer que de vitupérer la faiblesse en ce point de l'âme indigène : la religion musulmane n'interdit pas, au contraire, la demande de l'aumône et fait de l'assistance des indigents et de la pratique de l'hospitalité des devoirs impérieux du fidèle.

De même il faut considérer que les conquêtes de l'hygiène moderne sont difficiles à imposer et que le soleil, grand purificateur, est le meilleur antiseptique qui permet à l'Algérie, comme à tous les pays du midi, d'être sale autant qu'il lui plaît. Cependant certaines révoltes sont justifiées. Mlle Rossignol, directrice d'Écoleà Lyon, note, comme beaucoup de ses collègues féminins, l'abandon où est laissée l'enfance : " les enfants surtout excitent notre pitié : des chapelets de mouches sont collés autour de leurs yeux, semble-t-il, car c'est l'époque où lest dattes vont mûrir et les mouches foisonnent ". Certes, pour nos institutrices penchées avec tant de dévouement sur l'enfance, ce spectacle est pénible et il est juste de dire que, si l'école algérienne fait ce qu'elle peut, il reste encore beaucoup de progrès à réaliser.

Ces critiques faites - où il y a bien de la sympathie latente - les voyageurs constatent qu'ils ont à peine aperçu, u par quelques portes ouvertes " qu'ils ne franchirent pas, la vie des indigènes, renfermée dans le mystère des maisons bien défendues contre la curiosité des étrangers, impénétrables comme le regard des Arabes, dont l'âme est cachée dans ce regard absent comme leur corps est dissimulé sous les amples plis du burnous. Pourtant quelques-uns d'entre eux ont été fort aimablement reçus par Si Mohammed ben Dridi, cheik de Bou-Chagrouh, qui trouvera ici et les remerciements de ses invités et ceux du Comité du Centenaire. Mlle Collas (E. P. S. de Mayenne) et Mlle Loustau (Cours complémentaire de Salies-de-Béarn) font de cette belle réception un tableau pittoresque et ému : Si Mohammed leur a donné une haute idée de la courtoisie et de la dignité de vie des Algériens bien nés.

Les maîtres de notre éducation populaire ont été naturellement portés à se demander quelle influence a exercée l'enseignement des indigènes. Ils ont rapporté, il faut le dire, des avis contradictoires. Les uns sont très optimistes : M. Bouzid (Directeur d'École à Mauguio), très fier d'être " un enfant d'Algérie " et d'enseigner maintenant les enfants de France, le proclame, MlleGeneviève Denssède (Cours complémentaire de La Roche à Saint-Eloy-les-Mines) croit volontiers le bon vieillard qui lui fait visiter les bâtiments de l'école d'El Kantara. " Elle a transformé, nous dit-il, le pays et les enfants, cette " écoule " ! La" jeunesse est réfléchie. moins turbulente et si savante, les jeunes gens plus respectueux et le service militaire en France est le rêve de chacun ". Hum ! Nous nous serions quelque peu méfié de ce docteur Pangloss indigène ! Nous serions plus disposé à croire M. Saillard, instituteur à Villiers-sous-Chalamont, qui, ancien élève de la section spéciale de l'École normale de La Bouzaréa, a été instituteur à Sétif. Il a noté un heureux changement de la situation qu'il observait il y a 20 ans, un progrès qui " a dépassé mon attente ", écrit-il. Et M. Ruayres, professeur à l'École normale de Montauban, qui a conversé avec des instituteurs algériens, estime que " les programmes de l'enseignement indigène semblent maintenant insuffisants : pas de géographie ni d'histoire, alors
que les enfants indigènes instruits dans les écoles d'Européens manifestent un vif intérêt pour l'histoire de France et s'enthousiasment pour la Révolution française ; un enseignement du français sans base grammaticale; pas de leçons de sciences à proprement parler, etc.
" C'est évidemment par l'éducation que nous gagnerons peu-à-peu le cœur des populations musulmanes : déjà des résultats ont été obtenus ; notre langue est partout comprise, parlée partout, plus ou moins correctement, et les résultats obtenus sont mesurés par un boursier qui, dans une famille kabyle de Michelet, trouve un grand-père ignorant tout du français, un homme mûr le comprenant mais le parlant à peine, et un jeune homme le parlant et l'écrivant correctement. Aussi nous semble-t-il comme à la majorité des auteurs des rapports, qu'il n'y a pas lieu de désespérer et nous ne souscrivons pas au jugement pessimiste de Mlle Desclaux, directrice de l'École normale de Saint-Brieuc, qui constate " une imperméabilité (sic) trop certaine du moins chez les masses populaires ", ni au regret de M. Ladoune, inspecteur primaire à Montpellier : " les Arabes ne consentent jamais à se laisser assimiler à la vie européenne ". Vous jamais connaître les Arabes ", dit un guide indigène de Tlemcen à Mlle Savignat. Pas en quelques jours évidemment, ni avec l'esprit colon trop souvent porté à dénigrer l'employé qui ne donne pas toute satisfaction. Mais nous croyons que les appréciations les plus sages sur ce grave sujet ont été écrites par M. Gilles, instituteur au Cours complémentaire de Langogne, bien préparé à comprendre la vie indigène par son service militaire pendant la guerre dans des régiments de zouaves et de tirailleurs. " Trop de différences, et trop profondes, nous séparent c, encore... Sans doute l'indigène hésite à entrer dans le courant de la civilisation, mais nous n'en doutons pas, il y sera bientôt tout-à-fait quand l'instruction répandue et les œuvres sociales créées à son profit auront donné leurs fruits. La France peut être fière de son œuvre."

Les populations juives ont beaucoup intéressé certains voyageurs qui connaissaient les critiques faites au décret
Crémieux. L'assimilation - au moins apparente - des Israélites d'Algérie les a beaucoup frappés. Les jeunes portent le costume européen, participent à toutes les manifestations de la vie coloniale européenne, ont une activité en tous points comparable à celle de colon. Et cette évolution est assez récente, dans les villes de l'intérieur, pour que Mlle Savignat ait pu prendre à Tlemcen l'intéressante photographie montrant un grand-père juif en costume oriental menant par la main un petit-fils vêtu à la dernière mode de Paris. Electeur, travaillant dans la paix, enrichi par ses négoces, le juif est un des plus sûrs bénéficiaires de la conquête. Il est sans doute rallié à la France. Mais nos boursiers l'ont constaté, il reste fidèle dans l'intimité à ses mœurs d'autrefois. Cela n'a rien d'étonnant - la race juive n'a-t-elle pas toujours été fortement attachée à ses traditions : qu'en serait-il resté sans cela? - ni d'inquiétant, et cette " vie double " nous apparaît pittoresque, sans plus.

Du reste ces deux populations algériennes peuvent se rapprocher, malgré le mépris du Musulman pour le Juif, et la défiance de l'un et de l'autre à l'égard du colon, et communier dans le patriotisme algérien dont Mile Paparel, professeur à l'École normale d'Institutrices de Nîmes, note justement la force. " Qu'il soit colon ancien ou de venue récente, instituteur indigène ou Français impeccable (?), adolescent très fier de son certificat d'études, ou pasteur à demi nomade, rassemblant tout son savoir pour décider " la dame européenne " à aller visiter Djelfa, il pense toujours que l'on ne peut venir " en Algérie que pour s'y fixer et qu'on-y est plus heureux qu'en France et qu'on ne saurait quitter la terre d'Afrique quand on y est venu. Cet amour du pays est le gage le plus sûr de la bonne entente et de la prospérité ".

c) La colonisation

La plupart de nos boursiers ont eu le désir de contempler les ruines grandioses des villes romaines de Mauritanie et de la Province d'Afrique, et beaucoup se sont imposé de longs voyages en autobus ou en automobile pour y accéder.

Tous ont été émerveillés et ils ont découvert avec M. Belaud, professeur à l'École supérieure de Saint-Jean d'Angely, qu'on y avait une " vie raffinée " plus agréable que celle que Européens et Indigènes mènent aujourd'hui. Ils en ont conclu que nous n'avons pas encore "fait aussi bien que les Romains ". Sans doute, mais il faut penser que nous sommes en Algérie depuis seulement cent ans, tandis que les Romains y sont restés cinq siècles - et que nous devons réparer les ruines de plusieurs siècles de domination arabe, et de régence turque. La conquête arabe a créé une Afrique musulmane et la défiance, sinon la haine du Croissant pour la Croix ne facilite pas notre tâche.

Notre effort a pourtant été grand et malgré nos hésitations, malgré que nous ayons fait trop souvent de l'Algérie une terre d'expériences en matière de colonisation, que trop de rêves se soient interposés entre ce pays et les nécessités du moment (rêve de colonisation à la romaine de Clauzel à Bugeaud, de colonisation libre, trop tôt, à l'époque de Vallée, de colonisation dirigée, d'exploitation Saint-Simonienne, de colonisation pénale, de mise en valeur par de puissantes sociétés par actions, de proconsulat militaire et de royaume arabe, de colonisation patriotique quand on y transporta les Alsaciens- Lorrains après 1871, pour en revenir enfin à des systèmes moins théoriques et plus modestes de mise en culture par le colon avec l'aide de l'indigène), malgré bien des erreurs, dont quelques-unes ont été tragiques, œuvre accomplie par la France mérite l'admiration.

Cette admiration, tous les boursiers ne l'ont pas ménagée. Le riche jardin qu'est devenue la marécageuse et insalubre Mitidja, a séduit les visiteurs et leur enthousiasme est grand. Boufarik, Blida ont eu en presque tous des chantres sincères, même en ceux qui ne les ont pas trouvées aussi poétiques que les avait faites la fantaisie d'un grand écrivain.
Nous répondrons à la question mélancolique posée par Mlle Aymard, professeur à l'École normale d'Institutrices d'Alençon : " Faut-il aller voir les lieux que les poètes ont chantés ? " - Jamais. Mademoiselle, surtout quand ils ont le tempérament de l'admirable écrivain qu'est André Gide, qui partout ne voit que lui-même. Et c'est pourquoi, lectrice des " Nourritures terrestres ", vous êtes allée, amoureuse de Blida, contempler " la petite rose, fleur du Sahel " et y avez trouvé un médiocre bois sacré " qu'éclairent, ô sacrilège,
des réverbères à gaz ! " Mais quand, délaissant Gide comme un simple " faux-monnayeur ", vous avez regardé avec vos yeux, vous avez justement apprécié l'immense effort accompli dans ce pays et noté de façon intéressante les heureux résultats donnés par l'organisation agricole coopérative. " Tout est ici sous le signe COOP ", dites- vous, et cette notation est pleine d'enseignement.

M. Anne, dont l'admiration est sans réserves, a visité la ferme Sainte-Marguerite, et surtout " l'Usine Coopérative pour le traitement des sous-produits de la vigne " . Pris d'un zèle très louable, il se propose d'exaucer le vœu de l'ingénieur-agronome, directeur de cette usine : "Il nous demanda de signaler à notre retour en France, ! à nos grands élèves, le champ qui peut s'ouvrir en Algérie à leur activité. Nous le lui avons promis et nous n'y manquerons pas. "De même M. Sampy, professeur à l'Ecole primaire supérieure de Colmar et président de l'Amicale des Instituteurs et Institutrices du Haut-Rhin, qui a conduit en Algérie une excursion de ses collègues alsaciens, se propose " d'orienter ses anciens élèves vers l'Algérie où il y a des possibilités d'existence innombrables ". Ce sera une excellente initiative.

M. Paul Francillon, professeur à l'École normale de Caen, retrouve en Mitidja " les paysages familiers de France " et Mlle Raymonde Perron, institutrice à l'École primaire supérieure d'Embrun, y admire l'outillage moderne de l'agriculture. Elle s'écrie : " Quelle douche pour mes préjugés ! je croyais volontiers que seule la métropole était le pays moderne entre tous... " C'est une douche fort salutaire. Mlle Bret, (E. P. S. d'Albi). étudie avec soin la colonisation alsacienne à Haussonviller et l'organisation de Camp Maréchal.

Bien des voyageurs sont agréablement surpris en constatant que les Hauts-Plateaux sont bien moins stériles qu'ils ne l'avaient pensé, mais tous ceux qui ont osé aller jusqu'à Bou-Saada ou jusqu'à Biskra gardent une impression inoubliable des oasis. Ils ont pris contact avec le désert et en ont senti l'attrait.

Quelques-uns ont causé avec les colons. " Actuellement, note M. Ruayres, la plupart des colons français me paraissent dans l'aisance, mais déjà un certain nombre, trouvant que l'Algérie n'est plus un pays assez neuf, vendent à un bon prix leurs terres et vont au Maroc, avec la somme ainsi réalisée, acquérir de vastes domaines. Mieux préparés que des immigrants venus de France, plus entreprenants aussi, ce sont eux qui colonisent le Maroc. " Nous laissons à son auteur la responsabilité de cette affirmation. Nous constatons seulement que la même impression heureuse causée par le spectacle de la prospérité des colons français se retrouve dans tous les rapports. Quant aux colons étrangers, M. Maugendre, Inspecteur primaire à Carpentras, nous parle avec l'autorité d'un homme élevé en Oranie, de l'assimilation des fils d'Espagnols et des fils d'Italiens qui est " parfaite " et M. Bauberot, (E. P. S. de Bellac), n'a pas craint, pour enrichir son étude sur le problème italien dans le département de Constantine, de demander une interview au Consul général d'Italie lui-même. Il nous rapporte les déclarations très rassurantes de ce haut fonctionnaire italien, constatant l'excellence des rapports entre colons italiens et français et la satisfaction des Italiens. Cette collaboration, ajoute-t-il, pourrait être étendue à d'autres pays que l'Algérie.

Nous voilà rassurés : il n'y a pas de question italienne en Algérie malgré le voisinage de la Tunisie.

Les rapports des colons français et étrangers avec les indigènes ne sont pas toujours aussi bons qu'ils devraient être.

Les colons se plaignent et pour avoir écouté leurs doléances, M. Ruayres qui juge les Arabes " paresseux, menteurs, portés au faux-témoignage ", nous paraît bien sévère. Nous n'osons souscrire à cette opinion que " l'indigène étant maintenant très efficacement protégé contre la brutalité des colons, ce serait le colon qui maintenant est exposé à des accusations injustifiées ".

Enregistrons ces plaintes avec philosophie : Quel est le patron qui ne se plaint pas de ses ouvriers ? Et puis voilà que l'indigène achète de la terre, qu'il devient l'égal de l'Européen. N'y a-t-il pas quelque jalousie dans cette sévérité pour une population que l'on considérait comme subalterne ? Nous avouons avoir été beaucoup plus choqué de la brutalité de langage et de gestes de certains Européens de très basse origine envers des Arabes qui valaient mieux qu'eux et notre indignation nous place à côté de M. Marot, Directeur de l'Ecole normale de Châteauroux, quand il critique la grossièreté des employés des Compagnies de transport et de certains petits fonctionnaires. " L'indigène paie sa place d'autocar, mais on le rudoie, on le comprime sur le toit de la voiture, on le tasse à coups de gueule et même de poings, et il accepte sans révolte apparente ". Combien y a-t-il de Français parmi ces brutes? N'y a-t-il, comme le déclare pudiquement M. Marot, parmi elles, que des " métèques , Espagnols, Syriens, Mozabites fraîchement naturalisés " ?

Malgré ces ombres au tableau (quelle œuvre humaine est sans ombres ?), le spectacle de la colonisation française en Algérie a causé à tous les maîtres de l'enseignement primaire qui firent ce voyage, une impression profonde. Combien pourraient déclarer avec M. Morel, professeur à l'École normale de La-Roche-sur-Yon : " Il m'a débarrassé du préjugé anticolonialiste auquel j'étais enclin ". Et ceci encore est un résultat qui démontre la profonde utilité des Bourses de voyage. Aucune propagande ne vaut le témoignage direct des faits.

d) Bénéfices d'un pareil voyage pour l'enseignement

Tous les voyageurs déclarent: " Désormais je n'enseignerai plus l'Algérie comme avant ". La plupart en parleront avec un véritable amour. Quelques-uns sont devenus propagandistes. A M. Aumégeas, dont nous avons lu l'intéressante brochure destinée à ses collègues de Meurthe-et-Moselle, il faut joindre MM. Gachon et Serrèze, Directeurs d'École dans le Puy-de-Dôme, qui annoncent des publications dans " Nouvel Âge " et "l'École libératrice ", M. Anne qui organise, grâce au Comité Michelet des Andelys et à la " Société gisorienne des Conférences populaires ", un enseignement post-scolaire de notre grande colonie de l'Afrique du Nord. Mlle Queyret, institutrice au Cours complémentaire de Saintes, nous a donné une intéressante étude sur le port d'Oran qui mériterait la publication, M. Morel, des notes très précises sur la préhistoire nord-africaine, M. Bais, Directeur du Cours complémentaire des Andelys, le texte d'une conférence publique qu'il a faite sur son voyage, M. Sagittou, professeur à I'Ecole primaire supérieure de Brignoles, un travail sur les richesses minières de I'Aurès, etc.

Comme l'écrit M. Dès (E. P. S. de Saint-Aignan), " le professeur décrit avec plus de foi ce qu'il aime que ce qui lui est indifférent... Il l'enseigne aussi avec plus d'assurance ". M. Debesse, professeur à l'École normale de Châlons-sur-Marne, a désormais l'idée de ce qu'est " une civilisation de pays neuf " et saura la communiquer à ses élèves. Tous ont rapporté d'abondants documents photographiques, quelques-uns ont constitué un petit musée scolaire.

En somme, il est impossible de ne pas être frappé par l'excellente interprétation que tous les boursiers ont donnée à la circulaire ministérielle exprimant les vues du Comité. Même ce professeur qui se plaint d'avoir été " hanté par \les limites étroites qu'une circulaire fixe à nos rapports ", étroites et sinistres limites qui ne l'ont pas empêché d'écrire d'intéressantes pages, intelligemment illustrées, sur un voyage qu'il eut l'art de pousser jusqu'à Carthage (ce qui était implicitement désobéir à la terrible circulaire fixant aux voyageurs comme limites extrêmes celles de l'Algérie), tous les maîtres de l'enseignement primaire dont nous avons analysé les rapports ont fait un beau et utile voyage, en pensant toujours à leurs élèves, et de ce dévouement il convient de les féliciter. Dans ce nombre considérable de travaux, nous n'avons trouvé qu'un ou deux exercices littéraires, de ces recueils de tableautins, où se complaît la fantaisie d'un passant, superficiel toujours, injuste souvent. L'exception - si rare - confirme la règle.