DEUXIÈME PARTIE
LES PRODUCTIONS ANIMALES
CHAPITRE PREMIER
L'élevage et ses produits
-------Lorsqu'on
parle de l'élevage en Algérie, il ne saurait être
question d'établir la moindre comparaison avec celui qui ee pratique
en France et en Europe. Si les mêmes animaux, ou à peu près,
constituent le cheptel algérien, les méthodes de production
sont toutes différentes. Elles ne sont pas meilleures, bien au
contraire ; les résultats qu'elles donnent sont souvent décevants,
mais il est juste de dire que les conditions particulières du milieu
et de l'existence des populations les ont faites telles qu'elles sont
aujourd'hui.
-------La
colonisation n'a eu jusqu'à présent que peu d'influence
sur l'élevage algérien. Les colons - nous ne disons pas
l' administration - se sont en général désintéressés
de cette branche de la production agricole et ne s'y livrent qu'assez
rarement. Or, en matière d'amélioration des méthodes
indigènes, les conseils ne suffisent pas : il faut à l'indigène
l'exemple, il importe qu'il voie près de lui les résultats
obtenus par l'emploi de procédés meilleurs. Et l'exemple
des colons, en l'occurrence, lui manque presque totalement.
-------Sur
les onze millions d'animaux qui constituent actuellement le troupeau algérien,
dix millions appartiennent aux indigènes : ce sont donc leurs méthodes
d'élevage qui jouent en Algérie le rôle principal
et influent sur le développement du cheptel.
-------Ce
qui caractérise le plus l'élevage algérien, c'est
la transhumance continuelle des troupeaux, à la recherche de pâturages
plus riches. Le mode d'existence de l'indigène est, la plupart
du temps, le nomadisme ; les populations sédentaires sont la minorité,
elles sont établies dans des régions bien délimitées
: la Kabylie et l'Aurès. Les autres n'ont pas de domicile fixe
: tantôt elles se déplacent dans un rayon très faible,
tantôt elles font chaque année des déplacements considérables.
Est-ce le troupeau qui suit la tribu, ou la tribu qui suit le troupeau?
Il semble que le dernier cas soit la vérité.
-------Pour
l'indigène, en effet, le bétail est la principale ressource,
à des degrés différents, bien entendu, selon les
régions. Il se nourrit du lait et de la viande; avec la laine ou
les poils, il tisse des vêtements, des tapis, des tentes ; la peau
lui sert à confectionner des chaussures, des courroies, des harnachements.
Ce qu'il n'utilise pas, il le vend, pour se procurer les rarés
produits qui lui manquent : des dattes, du grain, quelques outils. Son
troupeau est donc sa véritable richesse. Que, dans certaines régions
particulièrement fertiles, il se livre par surcroît à
la culture, cela n'a rien d'étonnant ; mais, bien souvent - et
cela se produit chez les grands nomades - l'indigène ne possède
pas de champ déterminé : il sème là où
il se trouve, là où la tribu s'est momentanément
installée ; une fois terminée la récolte, la tribu
part vers d'autres destinations.
-------Car
le climat de l'Algérie est tel qu'il rend presqu''obligatoire la
transhumance des troupeaux. Les longues périodes de sécheresse,
en particulier sur les Hauts-Plateaux et dans le Sahara, est cause que
la végétation s'appauvrit très rapidement et que
les pâturages, dès le milieu de l'été, parfois
même avant, ne sont plus en mesure de nourrir les animaux. Il est
donc indispensable que les troupeaux soient conduits dans des régions
plus fortunées, où les parcours contiennent encore quelques
pousses d'herbe; les tribus des vallées et des plaines s'en iront,
l'été, en montagne, les tribus du Sud, délaissant
leurs pâturages desséchés, remonteront vers le Nord;
d'autres iront de l'Est à l'Ouest, d'autres de l'Ouest à
l'Est. Si bien qu'on assiste à une migration continue, d'un point
à l'autre de l'Algérie, de populations entières.
Il n'est pas jusqu'aux sédentaires qui n'iront estiver en montagne,
où la fonte des neiges ou des pluies plus abondantes nourrissent
une végétation abondante. Et, en automne, tous rejoindront
leur point de départ, où ils retrouveront les pâturages
reconstitués.
-------La
chose n'est pas particulière à l'Algérie. Tous les
pays qui jouissent d'un climat méditerranéen, humide en
hiver, sec en été, enregistrent cette transhumance. En France
ne voit-on pas, à la fin du printemps, les moutons de la Crau gagner
les pâturages des Alpes ? N'assiste-t-on pas, en Corse, à
cette migration des populations du littoral vers les montagnes ?
-------Mais
ce qui se pratique sur une petite échelle en France revêt
parfois, en Algérie, une ampleur remarquable. Des tribus du Sud
effectuent parfois, de leur point d'hivernage à leur région
d'estivage, des parcours de plusieurs centaines de kilomètres :
les Laarba, par exemple, qui, partis de plus loin qu'Ouargla où
ils ont hiverné, remontent jusqu'à l'Ouarsenis, couvrent
deux fois dans l'année un parcours de plus de 500 kilomètres.
-------Dans
ces transhumances continuelles, il est évident que les animaux
ne peuvent être abrités. Ils vivent toujours en plein air,
soumis à toutes les intempéries. Si des tempêtes surgissent,
ou des froids rigoureux, la mortalité est considérable.
Pour les garantir du froid, les bergers n'ont trouvé qu'un moyen
: les maintenir en mouvement, même la nuit, les faire tourner en
rond. Et si, par surcroît, l'été a été
sec, réduisant à rien les pâturages, les animaux,
amaigris, sans résistance, meurent par milliers : pour plusieurs
années, le troupeau est compromis.
-------On
conçoit qu'un tel régime, s'il a l'inconvénient de
maintenir le cheptel à un taux plutôt faible, a eu toutefois
l'avantage de créer des animaux d'une grande rusticité,
d'une endurance à toute épreuve, qui supportent avec aisance
les fatigues et les privations. A cet égard, le troupeau algérien
est remarquable; amélioré, il peut donner des produits supérieurs.
Il existe, il est vrai, dans les populations sédentaires, un élevage
un peu moins pénible pour les animaux : l'hiver, ceux-ci sont gardés
à l'étable, et ne vivent au pâturage que le printemps
venu. Encore ce régime est-il loin d'être parfait : les étables
sont sales, étroites, mal aérées, et la nourriture
est réduite à fort peu de choses, des feuilles et des brindilles,
en quantité insuffisante.
-------La
répartition de ce troupeau, suivant les espèces, est fonction
de la végétation dont il peut disposer : au Nord, dans le
Tell, où existent souvent de belles prairies, où les animaux,
la moisson terminée, peuvent pacager dans les chaumes, on rencontre.
les espèces les plus exigeantes boeufs, chevaux,
avec quelques moutons. Sur les Hauts-Plateaux et dans le Sahara
où ne pousse qu'une maigre végétation vite épuisée,
des broussailles, un peu d'herbe tendre sous les touffes d'alfa, ce sont
les moutons, les chameaux, les chèvres,
peu exigeants, qui sont les plus répandus. Du Nord au Sud, chevaux
et boeufs voient leur nombre diminuer : il y a 160.000 chevaux et 875.000
bovins dans l'Algérie du Nord ; on en compte respectivement 5 à
6.000 et 25.000 seulement dans les territoires du Sud. La densité
des chameaux, par contre, s'accroît en même temps 35.000 dans
le Nord, 140.000 dans le Sud.
I.
- Le mouton et la laine
-------Grâce
à la grande étendue de ses régions steppiennes, l'Algérie
est éminemment favorable à l'élevage du mouton Seule
une espèce aussi peu difficile peut convenir aux maigres pâturages,
qui sont en majorité sur les Hauts-Plateaux, qui forment la règle
dans le Sahara, que l'on rencontre trop souvent dans le Tell. Il constitue,
en bien des contrées, l'unique richesse, richesse inappréciable
pour les habitants qui en vivent. Lait, viande, peau, laine, tout leur
est utile; le mouton pourvoit à leur nourriture, à leur
habillement, à leur logement ; il est, par lui-même et par
ses dépouilles, une monnaie d'échange qui leur permet de
se procurer les objets qui leur sont nécessaires. A lui seul, le
troupeau ovin de l'Algérie représente un capital voisin
de 1 milliard de francs.
-------Cette
particularité de l'Algérie a fait souvent dénommer
la colonie le " pays du mouton
". Sans le mouton, des millions d'indigènes seraient sans
ressources, d'immenses espaces seraient improductifs.
-------Le
troupeau ovin algérien est éminemment variable. La mortalité
est souvent considérable, causée par les intempéries
ou les épizooties : sans soins d'aucune sorte, laissés à
leur seul destin, les animaux meurent par milliers, par centaines de mille.
Surviennent plusieurs bonnes années, laa reconstitution est aussi
rapide, car les brebis, très prolifiques, font fréquemment
deux portées par an.
-------Aussi
voit-on, en un an ou deux, l'effectif diminuer d'un million de têtes,
pour regagner presqu'aussi rapidement les pertes subies.
-------On
assiste cependant, depuis quelques années, et notamment depuis
la guerre, à une diminution progressive du cheptel ovin : de 8
à 10 millions de têtes avant la guerre, il n'est plus actuellement
que d'un peu plus de six millions. Faut-il voir là une régression
de l'industrie pastorale, ou simplement une diminution passagère
due à une série d'années calamiteuses ? Il est assez
difficile de se prononcer.
-------Quoi
qu'il en soit, il est évident que, dans la période qui a
suivi la guerre, une série de mauvaises années ont été
néfastes pour le troupeau : 1920, 1922 et 1926 furent particulièrement
défavorables. De 1919 à 1921, le troupeau perdait 2.200.000
têtes, de 1921 à 1923, près d'un million, soit un
total, en quatre années, de plus de 3 millions de têtes.
Pour se rendre compte, toutefois, de la rapidité avec laquelle
le troupeau se reconstitue, on dira que, de 1923 à 1925, on enregistrait
un gain de plus de 1.100.000 animaux.
Il est assez difficile de donner une répartition de ce troupeau
: on ne peut, en raison des différents mouvements migrateurs, très
importants, qui le font passer d'un département dans un autre,
des Territoires du Sud dans les départements du Nord, donner une
idée exacte de sa situation générale. Il est possible,
toutefois, d'indiquer cette répartition pendant l'hivernage, époque
pendant laquelle sont effectués les recensements. On compte, à
ce moment, 1 million d'animaux dans le département d'Alger, 1.500.000
à 1.600.000 dans le département d'Oran, 1.700.000 dans celui
de Constantine, près de 2 millions dans les Territoires du Sud.
On arrivait, au dernier recensement, à un total de 6.200.000 moutons.
Ce chiffre est bas, mais le troupeau, très éprouvé
à la fin de 1926, ne se reconstitue que lentement, à raison
de 7 à 800.000 têtes par an; nul doute que, si les conditions
sont encore favorables pendant plusieurs années, on arrivera en
peu de temps, trois ou quatre ans peut-être, au chiffre de 8 millions
qui constituait la moyenne avant la guerre. N'a-t-on pas vu, de 1881 à
1891, soit en dix années, le troupeau passer de 6 à 11 millions
de têtes ?
-------L'élevage
du mouton, comme d'ailleurs les autres élevages, n'intéresse
guère le cultivateur européen. C'est à tort peutêtre
qu'il néglige cette source de revenus si précieuse dans
l'agriculture française : le mouton, et surtout le mouton algérien,
est en effet d'un entretien peu difficile, il se contente d'une nourriture
précaire et vit très bien dans les chaumes et les pacages
maigres; il donne, au surplus, un fumier abondant, et ce n'est pas peu
de chose dans une exploitation agricole; enfin, sans être un gros
supplément de dépense, il fournit une masse de produits
d'une vente rémunératrice : laine, viande, peau, lait, tout
cela trouve un débouché illimité, à une époque
surtout où le troupeau ovin diminue en France et ne s'accroit pas,
dans le Monde, dans
la même proportion que les besoins.
-------Cela
ne veut pas dire qu'il n'existe pas en Algérie d'élevages
européens. Il y en a au contraire de fort bien tenus, mais ils
sont rares. Les sept centièmes du troupeau - cette proportion a
peu varié depuis fort longtemps - sont entre les mains des Européens.
Sur ces 4 à -500.000 animaux, quelques-uns appartiennent à
des races importées de France, d'autres sont les produits de croisements
de ces races avec les races indigènes. Ces croisements ont donné
de bons résultats, sans doute, mais les animaux se montrent en
général moins résistants que leurs congénères
du pays ; il leur faut, en hiver, vivre à l'étable; quant
à leur faire endurer les mêmes fatigues, il n'y faut pas
songer.
-------Aussi
n'est-ce pas l'élevage complet que pratique, dans la majorité
des cas, le colon. Il se contente d'acheter, à la fin de l'hiver,
sur les marchés indigènes, des animaux maigres qu'il engraisse
pendant le printemps, ou sur ses chaumes au début de l'été;
puis il les livre à la boucherie ou à l'exportation. Parfois
il achète des brebis pleines et se livre à la production
d'agneaux de lait. Mais, dans un cas comme dans l'autre, son rôle
se borne à celui d'intermédiaire entre l'éleveur
indigène et la consommation : ce n'est pas de l'élevage,
c'est en quelque sorte une industrie.
-------Le
mouton indigène se prête admirablement à l'engraissement;
il n'a pas, évidemment, les qualités bouchères de
certaines races européennes, son rendement en viande n'est pas
élevé, mais, accoutumé à vivre de peu, il
profite rapidement d'une alimentation abondante : il suffit de quelques
mois, de quelques semaines, pour faire d'un animal efflanqué, exténué
.par des marches de centaines de kilomètres, un animal bien en
chair, apprécié par la boucherie métropolitaine.
-------Car
le mouton algérien trouve en France un très important débouché.
L'Algérie expédie en France chaque année, d'avril
à octobre, lee dixième environ de son troupeau ovin, plus
de 600.000 têtes actuellement, certaines années le double.
C'est, pour la Métropole, un sérieux appoint, car son cheptel
ovin, qui comptait autrefois 15 millions de têtes, n'en compte plus
qu'une dizaine de millions ; c'est. pour l'Algérie, un énorme
profit : 100 à 200 millions de francs par an. 10 à 15 millions
de kilos de viande nette sont ainsi expédiés en France,
où ils sont consommés sur les principaux marchés,
de Marseille, de Lyon, de Paris, et jusque dans le Nord et l'Est.
-------La
consommation locale est elle-même considérable. La viande
de mouton est en effet, pour nombre de régions, la seule viande
de boucherie. Rien ne permet de l'évaluer à coup sûr,
-mais elle atteint certainement plusieurs millions de têtes. Toujours
est-il que l'Algérie n'importe jamais de moutons pour les besoins
de sa boucherie. Les 100.000 ovins que l'on relève dans les statistiques
d'importation viennent du Maroc oriental et ne font que traverser l'Algérie
pour être embarqués, à destination de la France, dans
les ports oranais ; ils ne restent pas dans la colonie, si ce n'est quelques
semaines pour y être engraissés.
-------Mais
si, au point de vue de la boucherie, le mouton joue un rôle de premier
plan, il ne faut pas négliger ses produits qui, au compte de l'exportation,
s'inscrivent pour une somme au moins égale à celle des expéditions
d'animaux vivants.
-------Aujourd'hui
que la France, outillée pour mettre en oeuvre de grandes quantités
de laine, doit faire appel à l'importation pour le tonnage que
ne produit plus son troupeau amoindri, le développement de l'élevage
ovin en Algérie Est au premier plan des préoccupations des
milieux économiques métropolitains.
-------Les
moutons algériens fournissent une laine de bonne qualité
qui trouve facilement des débouchés sur les marchés
lainiers de Mazamet et du Nord de la France. La tonte produit annuellement
entre 150 et 200.000 quintaux de laine, dont un peu moins de la moitié
est utilisé sur place : la fabrication indigène des tapis,
des tentures, des vêtements en' absorbe une bonne partie ; les industries
européennes du tapis et de la literie prénnent le resté.
Quant aux quantités disponibles, une centaine de mille quintaux,
elles sont livrées à l'exportation; leur valeur oscille
autour de la centaine de millions. Il faut ajouter aux produits de la
tonte les, peaux en toison provenant Cie l'abatage des animaux ; bon an
mal an il en est exporté une trentaine de mille quintaux, d'une
valeur de 30 à 40 millions de francs.
-------Reste
la peau délainée. Elle ne fait pas, à l'extérieur,
l'objet d'un commerce important, car elle est en majeure partie utilisée
sur place et transformée en cuir par les nombreuses 'tanneries
indigènes et par d'importantes tanneries européennes. Les
exportations de peau représentent en moyenne 250 quintaux par an.
-------Voilà
passée en revue rapidement une des plus importantes productions
algériennes, celle du mouton. Sa valeur économique est incontestable,
aussi les pouvoirs publics s'attachent-ils à donner une ampleur
plus considérable au développement de cet élevage
: la tâche n'est pas aisée, car il y a à vaincre l'inertie
de la population indigène, qui détient la presque totalité
du troupeau, et qui tient farouchement à ses vieilles traditions.
Mais des mesures appropriées, en voie de réalisation, telles
que la constitution de réserves fourragères pour la mauvaise
saison et l'aménagement des points d'eau où les troupeaux
transhumants trouveraient facilement à s'abreuver, sont susceptibles
d'accroître encore la production ovine, et pourraient, dans peu
de temps, permettre de doubler facilement l'effectif actuel.
-------Quoi qu'il en soit, l'élevage
algérien, si élémentaire soit-il, permet, tout en
satisfaisant en grande partie aux besoins de la consommation locale, d'alimenter
un commerce d'exportation de près de 400 millions de francs,. représentant
le-dixième de la valeur des exportations totales de la colonie.
-Si l'on défalque de ce chiffre une somme de 60 à 80 millions,
représentant les importations de moutons, de peaux de mouton, de
laine, et d'articles en laine, il reste à l'Algérie un bénéfice
de plus de 300 millions de francs : à coup sûr, il est peu
de productions, à part la vigne, qui fassent entrer en Algérie
une somme aussi considérable.
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-------Les
tapis. - Il n'est pas possible, lorsqu'on parle de mouton et
de laine d'Algérie, de ne pas dire quelques mots d'une très
ancienne industrie, aujourd'hui florissante, qui est la conséquence
de la présence dans le pays d'un important troupeau ovin.
-------Nous voulons parler de l'industrie
du tapis.
-------Longtemps familiale, destinée
à une faible consommation locale, la fabrication *du tapis est
entrée maintenant dans une phase industrielle. En dehors de la
fabrication indigène, qui est considérable mais que rien,
jusqu'à présent, n'a permis d'évaluer, la valeur
des ventes effectuées par les manufactures de quelque importance
s'élève annuellement à 30 ou 40 millions de francs.
-------Cette industrie ne semble pas d'une
implantation récente; il est vraisemblable que de tout temps le
Berbère a fabriqué des tissus à destination de tapis
dont les dessins et les couleurs nous ont été transmis par
une longue tradition. Mais l'on doit à l'invasion arabe l'introduction
du tapis à points noués, d'origine asiatique relativement
récente. Les conquérants arabes enseignèrent cet
art aux tribus berbères soumises; il y eut pénétration
des deux inspirations, l'une berbère, l'autre orientale, et des
dessins et des coloris nouveaux naquirent de cette fusion.
-------Cette
fabrication, confiée aux femmes et aux fillettes, qui utilisaient
à cet effet les laines du troupeau familial, teintes avec des plantes
spontanées, fut d'abord limitée aux seuls besoins de la
famille ou de la tribu. Mais bientôt il y eut surproduction, et
le tapis devint une monnaie d'échange de plus haute valeur que
la laine ou la peau. La production ee certaines tribus était renommée,
recherchée dans toute l'Afrique du Nord, et la réputation
du tissu de laine algérien s'étendait, dès le Ixe
siècle, dans tout le monde méditerranéen. Aux xllle,
xtve et xve siècles, la France importait déjà des
tapis du Maghreb.
-------D'importants marchés existaient
dans le pays et, au moment de l'occupation française, la foire
annuelle d'Alger était largement approvisionnée en tapis
de toutes sortes et de toutes provenances.
-------Mais non guidée, non renouvelée,
laissée à l'inspiration maladroite de femmes ignorantes
et sans goût, cette fabrication était au point de vue artistique
en pleine décadence au début du siècle dernier.Néanmoins,
grâce à l'habile main-d'oeuvre indigène, grâce
aussi à l'existence de certaines traditions relatives à
la fabrication et à la teinture, il était facilé
de faire renaître l'industrie algérienne du tapis, de lui
infuser un sang nouveau. En même temps que s'ouvraient de vastes
ateliers groupant des centaines d'ouvrières indigènes, des
écoles spéciales étaient créées pour
enseigner aux fillettes du pays la technique de cette fabrication.
-------La renaissance du tapis algérien
est maintenant chose faite. Il existe une importante industrie, répartie
sur tout le territoire. Plus de 300 ateliers occupent actuellement un
personnel qu'on peut évaluer à 3.000 ouvriers et ouvrières
c est dire sa valeur sociale et l'appoint considérable de travail
et de salaire qu'elle distribue à la main-d'oeuvre indigène.
Les manufactures possédant :100, 200 métiers sont courantes
; il en est une, à Alger, qui occupe 700 ouvrières.
-------L'industrie familiale indigène,
sous cette impulsion, connaît un nouvel essor. Il n'est pas possible
de connaître le nombre de métiers qu'elle utilise, mais on
peut indiquer, pour donner une idée de son importance, qu'une enquête
privée a révélé l'existence, à Kalaâ
seulement, de plusieurs centaines de métiers fabriquant plus de
40.000 mètres de tapis.
-------Dans le commerce des tapis, la production
algérienne a acquis une place de choix, qu'elle doit à l'excellence
de sa fabrication, à sa valeur artistique, à sa variété
et aussi à son prix peu élevé relativement à
ses concurrents de Perse et de Turquie, qui la met à la portée
des bourses moyennes.
-------Aussi les exportations sont-elles
chaque année plus importantes : de 100 quintaux à peine
au début du siècle, elles quadruplaient en 1910; elles dépassent
maintenant 2.000 quintaux, valant une quinzaine de millions. La France
en prend la plus forte quantité, mais les débouchés
se font de plus en plus importants à l'étranger l'Angleterre,
l'Amérique du Nord, la Belgique, la Hollande. ia Scandinavie peuvent
être cités parmi les meilleurs clients de l'Algérie.
II.
- Les autres produits de l'élevage
-------Si le mouton est
le principal élément de l'élevage algérien.
on ne saurait négliger les autres productions animales de la colonie.
Bien que moins importantes, elles rendent aux populations algériennes
d'éminents services, tant par les produits qu'on en tire que par
le travail fourni par les animaux. -
-------A des degrés différents,
elles sont également utiles à l'économie algérienne.
Aussi semble-t-il difficile de les classer suivant leur importance relative;
le nombre des animaux de chaque espèce nous imposera l'ordre suivant
lequel nous les citerons.
-------Après le mouton, la
chèvre est en Algérie l'animal le plus répandu.
Comme lui, elle fait partie du cheptel de l'indigène, qu'elle suit
dans tous ses déplacements. Mais elle est, plus que le mouton,
répandue à peu près également sur tout le
territoire algérien, proportionnellement à l'importance
des populations indigènes, plus dense dans le département
de Constantine 'que dans ceux d'Alger et d'Oran.
-------On a surnommé la chèvre,
en France, la " vache du pauvre "
; il n'est pas d'expression plus juste pour l'Algérie; chaque famille
d'agriculteurs indigènes possède en effet une chèvre,
sinon plusieurs : on compte, dans le département d'Alger, une chèvre
pour 3 indigènes, dans ceux d'Oran et de Constantine, pour 2 ou
3 indigènes ; elle fournit en abondance son lait au petit cultivateur,
qui se nourrit encore de la viande des chevreaux ; la peau et les poils
sont recherchés et se vendent facilement. Rustique, peu exigeante
sous le rapport de la nourriture, elle ne coûte presque rien à
son propriétaire et lui fournit un complément de ressources.
Là où le mouton se nourrit d'herbes, la chèvre recherche
les feuilles et les jeunes pousses d'arbres ; l'un et l'autre peuvent
paître au même endroit sans se gêner. Elle sera même
plus à sa place que lui dans les districts forestiers.
-------Elle est malheureusement l'ennemie
des forêts, et l'on peut, au même titre que les incendies,
la considérer comme la dévastatrice des massifs forestiers
qui couvraient autrefois les régions montagneuses de l'Algérie.
-------On compte, en moyenne, 3 à
4 millions de chèvres en Algérie; ce troupeau est presqu'entièrement
entre les mains des indigènes, et les Européens n'en possèdent
guère que les 2 à 3 %. Il fournit à l'exportation
peu d'animaux vivants, 2 à 3.000 têtes en moyenne, mais les
peaux et les poils sont fort demandés à l'extérieur,
et une moyenne de 20.000 quintaux des unes et de 2 à 3.000 des
autres sont expédiés chaque année vers différentes
destinations; la valeur de ces envois atteint une quarantaine de millions
de francs.
-------Les bovidés
sont au nombre de 900.000 à un million. Plus exigeants que le mouton
et la chèvre, leur aire de dispersion est surtout le Tell, où
l'on rencontre la presque totalité de l'effectif. Le boeuf d'Algérie
est petit, mais sa rusticité est remarquable et il' rend de grands
services, par son travail, à l'agriculteur du pays. Il est, de
plus, d'un assez bon rendement à la boucherie, surtout lorsqu'il
a été amélioré dans les élevages européens,
ce qui est le cas de la race sélectionnée de Guelma. Des
essais de croisements avec le zébu de Madagascar et avec certaines
races bovines particulièrement rustiques
de la Métropole ont donné de bons résultats, à
tous les points de vue, mais n'ont pas été généralisés.
-------La race algérienne fournit
assez peu de lait, aussi a-t-on dû introduire, pour l'alimentation
des villes, des vaches laitières de France, qui exigent des soins
tout particuliers. La production des produits laitiers est cependant insuffisante
et nécessite l'importation de 50 à 60.000 quintaux de lait,
de beurre et de fromage, pour une valeur d'une soixantaine de millions.
-------En contre-partie, le troupeau bovin
de l'Algérie fournit à l'exportation un contingent de 20.000
quintaux de peaux de boeufs, de 1.000 à 2.000 quintaux de peaux
de veaux et de 2 à 3.000 animaux vivants, représentant une
vingtaine de millions.
-------Nous citerons ensuite le
chameau. Il est la bête de somme du Sahara et des Hauts-Plateaux
comme le boeuf est celle du Tell. On l'a surnommé avec juste raison
le " vaisseau du désert
". D'une sobriété remarquable, d'une grande endurance
à la fatigue, pouvant, lorsqu'il a été spécialement
dressé, atteindre de grandes vitesses, il rend de grands services
à l'indigène du Sud. C'est la monture du guerrier du désert,
rapide et endurante ; c'est aussi, par excellence, l'animal de bât
de la caravane.
-------On compte actuellement 175 à
200.000 chameaux, uniquement répandus dans le Sahara et sur les
Hauts-Plateaux. C'est un animal élevé exclusivement par
l'indigène . tout au plus compte-t-on 5 à 600 animaux appartenant
aux Européens. Son rôle économique, d'ailleurs, réduit
au transport dans les régions steppiennes et désertiques,
perd de son importance, et le développement ée l'automobile
et des chemins de fer n'est pas pour peu de chose dans la régression
de l'élevage camelin.
-------On n'utilise guère, parmi les
produits du chameau, que le poil. Mais il rend aux populations nomades
de grands services, pour la fabrication de sacs, de burnous, de bandes
de tentes ou de cordes ; on l'utilise également, mélangé
à de la laine, pour la confection de tapis recherchés, fabriqués
en grande quantité à Tlemcen; les coloris de ces tapis,
variant du blanc au brun foncé, sont très agréables
à l'oeil.
L'âne est aussi, pour l'indigène, une bête de somme
fort intéressante. La race algérienne est petite, mais résistante,
et rend de grands services dans les transports. On compte 300.000 animaux
dans toute la colonie.
-------Plus intéressants, pour l'agriculture
européenne, sont les chevaux et les mulets.
On en compte 165 à 170.000 de l'un et de l'autre, répartis
pour la plupart dans le Tell. Le cheval fait l'objet, de la part de l'indigène,
'de plus de soins que tous les autres animaux, car il fut longtemps, pour
les Arabes, l'animal de guerre par excellence. Le barbe, qui est le cheval
algérien, est une bête assez rustique, très employée
dans l'armée d'Afrique, où il constitue la monture de la
cavalerie. Il peut être amélioré par des croisements
judicieux avec des chevaux arabes ou des animaux de races métropolitaines,
comme par exemple les bretons : les demi-sangs bretons-barbe sont d'excellents
animaux de trait utilisés dans bon nombre d'exploitations agricoles
européennes.
-------On leur préfère toutefois
le mulet, plus rustique et plus sobre, et dont l'élevage tend à
l'emporter sur celui du cheval. Le mulet du pays est petit, mais on emploie
de plus en plus, dans cet élevage, le baudet du Poitou ou des Pyrénées,
qui donne des animaux de belle taille remplaçant avantageusement
le cheval pour les transports ou les travaux agricoles.
-------L'énumération ne serait
pas complète si l'on ne disait aussi quelques mots du
porc. L'interdiction dont est frappée par le Coran la viande
de cet animal dans l'alimentation fait qu'il n'est pas élevé
par les indigènes. Les 90 à 100.000 porcs existant en Algérie
appartiennent en totalité aux cultivateurs européens, qui,
le plus généralement, les élèvent en liberté,
et leur font chercher leur nourriture dans les forêts. L'exportation
de ces animaux est assez importante ; on l'a vue, certaines années,
dépasser 20.000 têtes. Mais le développement de l'industrie
frigorifique a eu pour conséquence, dans ces dernières années,
de diminuer les exportations d'animaux sur pied et d'accroître proportionnellement
les envois de viande de porc.
-------L'industrie de la
basse-cour est peu développée en Algérie,
elle est presqu'uniquement le fait des cultivateurs indigènes,
qui n y apportent d'ailleurs aucun soin. Malgré les efforts de
l'Administration pour engager les femmes de colons à entreprendre
l'élève de la volaille, l'Européen dédaigne
en général cette source de profits. En l'état actuel
de cet élevage, l'Algérie exporte néanmoins 30 à
45.000 quintaux d'oeufs, valant une cinquantaine de millions de francs.
-------Il en est de même de
l'apiculture, qui pourrait fournir à l'agriculture algérienne,
sans donner un énorme surcroît de travail, des revenus intéressants.
L'élevage des abeilles est le plus généralement rudimentaire,
et les exportations de miel et de cire sont très faibles.
-------Un gros effort a été
fait, dans ces dernières années, pour implanter dans la
colonie l'élevage du ver-à-soie.
Les hauts prix de la soie, que la puissante industrie lyonnaise doit se
procurer en majeure partie en Extrême-Orient, n'ont pas été
sans tenter quelques petits colons. Sans être jamais très
importante, la sériciculture algérienne peut apporter un
appoint intéressant à l'industrie française de la
soie. A l'heure actuelle, les exportations ne dépassent pas, en
moyenne, 3.000 kilos, valant 2 à 300.000 francs.
-------Les
cuirs et peaux. - Les 11 à 14 millions d'animaux qui constituent
le troupeau algérien sont en mesure de fournir, chaque année,
1.200.000 peaux de mouton, 1 million de peaux de chèvre, 200.000
peaux de bovidés et 25.000 peaux de chevaux et de mulets. -------Une
partie seulement est utilisée par la tannerie locale : 7.000 peaux
de bovidés, 55.000 de moutons et de chèvres, d'un poids
total de 2.000 quintaux. Il reste donc, libres pour l'exportation
-------21 à 22.000 quintaux de peaux
de bovidés;
-------600 quintauxde chevaux et de mulets
;
-------15 à 20.000 quintaux de moutons
;
-------15 à 20.000 quintaux de chèvres.
-------La France absorbe les 3/4 de ces exportations,
45 à 50.000 quintaux; les pays étrangers s'inscrivent pour
des quantités beaucoup moins irhportantes : les Etats-Unis, avec
4.000 quintaux, l'Allemagne, avec 3.000, l'Italie, avec 1.500 à
2.000, la Hollande, avec 1.500; puis la Belgique, l'Angleterre, la Grèce,
l'Espagne, la Bulgarie, la Turquie, le Portugal, etc...
-------Ces exportations, qui rapportent à
l'Algérie plus de 80 millions de francs, ne sont pas le seul profit
tiré de la peau des animaux. Il importe également de signaler
l'existence d'une importante industrie de la tannerie.
-------En dehors de la tannerie indigène,
qui compte 50 à 60 établissements assez rudimentaires, et
fabrique, à part, dans le Sud, le filali, un cuir d'assez mauvaise
qualité, pas corroyé, il existe une assez importante industrie
dotée d'un outillage moderne. Plus de cinquante fabriques occupent
un personnel ouvrier qui dépasse 500 personnes.
-------La production de la tannerie algérienne
peut être évaluée à 1.200.000 kilogs par an,
dont 700.000 sont constitués par des cuirs de bonne qualité
fabriqués par les établissements européens.
-------Cette industrie a donné naissance
à d'autres industries annexes, comme celle de la chaussure (400
ateliers, 1.400 ouvriers, dont.les 15 plus importants fabriquent 3 à
400.000 paires par an), de la sellerie et de la bourrellerie (300 ateliers,
500 ouvriers), de l'article dé voyage, de la maroquinerie indigène
et européenne.
-------L'industrie du cuir livre à
l'exportation, chaque année, 2 à 3.000 quintaux de peaux
préparées, une centaine de mille paires de chaussures, et
un millier de quintaux d'ouvrages divers en peau, représentant
une valèur totale de 15 à 20 millions. Toutefois, la production
locale n'est pas en mesure de satisfaire aux besoins de la consommation
du pays, tout au moins pour certains articles; aussi doit-il être
fait appel à l'extérieur pour une vingtaine de mille quintaux
de cuir, 1.500 de chaussures et 3.000 d'autres ouvrages en peau, valant
au total une centaine de millions. L'Algérie se trouve donc, de
ce fait, en déficit de 80 millions environ, déficit qui
se trouve 'd'ailleurs comblé par les exportations de peaux brutes.
-------Si l'industrie du cuir était
en mesure de mettre en oeuvre toute la production algérienne, ce
qui ne tardera pas, il est vraisemblable que la colonie, tout en satisfaisant
à ses besoins, serait en état d'occuper, dans le commerce
mondial du cuir, une place importante et verrait sa balance commerciale,
en cet article, pencher nettement du côté des exportations.
-------Il n'est pas sans intérêt
de constater, toutefois, les résultats actuels d'une industrie
encore 'peu développée.
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