LES LIAISONS AÉRIENNES
DE L'ALGÉRIE
Considérations
générales
-----Dès
la naissance de l'Aviation, dès qu'on eut entrevu comme possibles
les premières réalisations de la géniale prophétie
du capitaine Ferber : " de Ville à
Ville - 'de Pays à Pays - de Continent à Continent ",
on a pressenti que la France africaine devait tirer un profit considérable
de l'invention nouvelle. Il se confirma bien vite que, si l'Aviation pouvait
rencontrer des difficultés dans les pays du Nord, elle trouverait
toujours dans les, ciels ensoleillés une zone d'action de prédilection.
-----Rappelons ici, avant d'aborder l'étude
des lignes existantes ou en projet, les premiers raids des pionniers de
l'Air vers l'Afrique.
------ Le 23 septembre 1913, Garros réalise
la première traversée de la Méditerranée.
------ Le 9 mars 1919, un avion des Lignes
Latécoère (1) effectue la première
liaison commerciale entre la France et le Maroc.
----- - Le 24 janvier
1920, le commandant Vuillemin, le héros de l'Aviation de bombardement
de la Grande Guerre (2), entreprend le. voyage
en avion Paris-Alger -Tombouctou-Dakar.
------ -Le 16 octobre 1922, Pelletier d'Oisy
fait (sans escale) le raid Casablanca-Tunis.
------- Du 2 décembre 1924 au 20 février
1925, l'escadrille Tulasne effectue le voyage aérien Dakar-Colomb-Béchar
et retour.
------- Du 20 janvier au 10 février
1925, .le général de Goys, le colonel Vuillemin, le commandant
Dagneaux, le capitaine Pelletier d'Oisy volent de Paris à Niamey
(sur le Niger) par Oran et Gao.
------Et ces voyages se multiplient. C'est
le lieutenant de vaisseau Bernard qui poursuit son vol jusqu'à
Madagascar (1926), c'est le raid Paris-Le Cap et retour de Mauler et Baud
(1928), c'est la mission d'étude de M. l'Ingénieur en Chef
de l'Aéronautique Hirschauer, Sénégal-Soudan-Sahara-Algérie
(novembre 1928), puis le voyage Paris-Lac Tchad, avec traversée
du Sahara aller et retour de Richard, Lalouette et Cordonnier (janviermars
1929), la liaison rapide Paris-Madagascar ;aller et retour, de Bailly,
Reginensi et Marsot par l'Algérie et le Sahara (novembre 1929)...
------Ayant rappelé ces hauts faits
qui, au début, avaient un caractère surtout sportif, mais
qui, de plus en plus, se transformaient en voyages d'étude (reconnaissances
de terrains d'atterrissage, ,recherche des meilleurs itinéraires,
etc.), nous allons voir maintenant les réalisations pratiques effectuées
à ce jour et les développements que vont prendre d'ici peu
d'années les liaisons aériennes de l'Algérie.
------Mais, au préalable, il nous
paraît utile de dire quelques mots de ce qu'il faut entendre par
" Ligne Aérienne ".
------En dehors des gens " du métier
", on ne se doute pas, en général, de l'effort d'organisation
qu'exige un service régulier, rapide et sûr et d'un prix
de revient suffisamment bas pour ne décourager ni les usagers (qu'il
s'agisse deposte ou de passagers) par des tarifs excessifs, ni les actionnaires
des Compagnies, par une rémunération trop faible des capitaux
investis, ni l'Etat (ou les Gouvernéments généraux)
par des demandes trop fortes de subventions.
------Organiser une ligne aérienne,
c'est choisir un bon matériel approprié au trafic à
assurer, c'est surtout savoir l'entretenir en bon état, c'est-à-dire
avoir non seulement des hangars pour l'abriter, mais des services de contrôle
et des ateliers de réparations pourvus d'un bon outillage et d'un
personnel mécanicien de premier ordre, c'est recruter de bons pilotes
- chose aisée dans un pays comme le nôtre, riche en jeunes
hommes ayant le sens de l'air et la conscience de leur responsabilité,
- de bons navigateurs, de bons spécialistes de T. S. F., c'est
créer Yinfrastructure de la ligne ; aéroports, terrains
de secours, balisage de jour et de nuit, service météorologique,
service de T. S. F., de radiogoniométrie, etc., c'est prévoir
les
ravitaillements erg essence, huile, etc.
------C'est, on le voit, une organisation
très complexe, très délicate. La France est, dans
ce domaine, au tout premier rang. Elle a des constructeurs qui ont su,
après la guerre, créer des avions et hydravions commerciaux
adaptés aux nécessités des Lignes et qui, actuellement,
sont à l'oeuvre pour perfectionner encore, perfectionner toujours
les types existants. Elle a des pilotes admirables. Elle à des
organisateurs de Lignes aériennes qui ont fait leurs preuves, qu'il
s'agisse de la Compagnie Air-Union (Londres-Paris-Marseille-Tunis), de
la C. I. D. N. A. (Paris-Prague-VarsovieConstantinople) ou de la Compagnie
générale Aéropostale (c;ui dessert les lignes d'Afrique
et d'Amérique du Sud). Cette dernière est la plus importante
du monde : elle exploite avec une parfaite régularité 17.000
kilomètres et en exploitera bientôt 33.000
------Terminons ces considérations
générales en parlant un peu de la sécurité.
Trop de gens croient encore qu'il, faut être un héros pour
se confier à l'avion, trop de commerçants croient encore
qu'ils courent des risques sérieux en remettant leur courrier,
leurs colis-postaux à la posté aérienne. Cela tient
à ce qu'ils ne voient, dans les journaux, que les récits
des quelques accidents qui se produisent et qu ils ne connaissent pas
les statistiques indiquant les pourcentages d'accidents par rapport au
nombre de kilomètres parcourus. En 1924 : un accident par 729.000
kilomètres parcourus ! Et la sécurité, objet de toutes
les recherches, de tous les perfectionnements, augmente chaque jour.
------Une preuve indiscutable de la sécurité
actuelle des transports par avions est donnée par les taux d'assurances
pratiqués :
------0,15 % (colis et bagages) pour un voyage
en avion de 400 kilomètres.
------0,45 % (bagages) pour un voyage de
même distance par chemin de fer.
------Sans doute, on n'évitera jamais le risque d'une façon
totale. N'y en a-t-il pas en automobile.... et pourtant on se confie à
un taxi sur les Grands Boulevards, à la voiture d'un ami sur la
route de Fontainebleau. N'y en a-t-il pas en bateau, en chemin de fer,
n'y en a-t-il pas... même chez soi, au coin du feu ?
------Avec l'avion, il est
vrai, il s'agit d'un engin nouveau avec lequel on n'est pas encore familiarisé.
On hésite encore uq peu ! Mais le sens de l'air se développe
de phis en plus. Notre jeunesse regarde maintenant vers le ciel dont les
hardis pionniers de la première heure - ceux-là avec de
gros risques connus et héroïquement acceptés - lui
ont montré le chemin. D'ici peu d'années, on prendra l'avion
avec la même désinvolture qu'on prend aujourd'hui un autobus
ou un bateau et il n'y aura plus, tout au moins pour les longs parcours,
d'autre service postal que le service
aérien.
Ligne
aérienne Marseille-Alger
------La Compagnie générale
aéropostale a entrepris l'exploitation de 'la ligne Marseille-Alger,
le 1er août 1928. Les premiers mois furent consacrés à
l'étude méthodique du parcours, à la mise au point
du matériel, à l'entraînement du personnel, au perfectionnement
du service de liaison par T. S. F., condition primordiale de succès
pour des transports aériens sur de telles distances au-dessus de
la mer.
------Aux garanties que pouvait donner cette
organisation, vint s'ajouter la possibilité d'escale aux Iles Baléares
qui, admise à titre provisoire au début de l'année
1928, fut accordée définitivement à la suite de la
signature, en mars de la même année, de la Convention aérienne
franco-espagnole..
------De ce fait, les hydravions de la ligne
Marseille-Alger ont la faculté de relâcher à mi-parcours,
lorsqu'ils y sont contraints par les circonstances atmosphériques.
------Le service, d'abord tri-hebdomadaire,
est devenu quotidien depuis le 1er octobre 1929.
------Dans les six derniers mois de la période
de service tri-hebdomadaire, 153 traversées, représentant
un total de 123.000 kilomètres, ont été effectuées
avec une régularité dépassant 98 %, résultat
très satisfaisant pour une période d'organisation et pour
un parcours représentant la plus longue ligne aérienne du
monde exploitée commercialement sur un trajet maritime (800 kilomètres).
------Plusieurs voyages ont été
effectués dans des temps record allant de 3 heures 50 à
4 heures et la durée moyenne du trajet s'établit entre 4
heures et 5 heures 30.
------Dès le premier mois du fonctionnement
du service
quotidien remplaçant le service tri-hebdomadaire, le fret postal
a augmenté de 30 %.
------Les services rendus par l'exploitation
quotidienne de la ligne ne tarderont pas à être connus et
appréciés des industriels, des commerçants, des banquiers,
des particuliers une lettre mise à la poste n'importe quel jour
à Marseille ou à Alger le matin avant le départ de
l'hydravion est distribuée à Alger ou à Marseille
dans l'après-midi du même jour.(Note
du webmaster : alors que maintenant, même avec un timbre "rapide",
le courrier met, trop souvent, deux jours pour faire 12 km!)
------Il se produira pour la ligne Marseille-Alger,
ce qui s'est produit pour la ligne France-Maroc qui, au début de
son exploitation, en 1920, transportait 200.000 lettres, pour atteindre,
dès 1924-1925, un chiffre moyen annuel de 6 millions de lettres
et, en 1928-1929, de 8 millions de lettres. Dans la même période,
le chiffre des passagers transportés annuellement est passé
de 1.000 à 9.000. Les chiffres réalisés en quelques
années sur la ligne FranceMaroc doivent être largement dépassés
sur la ligne France-Algérie.
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------Français
de France et Français d'Algérie, aidez un pareil effort
par la propagande et par l'exemple. ------Envoyez,
dès maintenant, vos lettres par voie aérienne et, dès
que la ligne Marseille-Alger sera ouverte au transport des passagers,
prenez l'hydravion qui, en quatre heures, vous transportera au-dessus
des flots bleus de la Méditerranée, et même moins
de quatre heures, car nos savants constructeurs vous préparent
des surprises de rapidité et de confort.
------Les services de l'Aéronautique, de leur côté,
travaillent à la mise sur pied de fort intéressants projets
concernant les aéroports pour hydravions de Marseille et d'Alger.
On envisage notamment la création d'un lac artificiel, non loin
d'Alger, à l'intérieur des terres, avec installation d'une
base munie de tout l'outillage le plus moderne. Les départs et
les amerrissages s'y feront dans des conditions
absolues de sécurité.
Lignes
aériennes Marseille-Tunis
et France-Maroc
------Nous
croyons devoir citer ici, pour compléter le tableau des liaisons
aériennes de la Métropole et de l'Afrique du Nord, deux
lignes qui ne desservent pas directement l'Algérie, mais qui sont
appelées à la desservir indirectement, comme nous le verrons
tout à l'heure
------- La ligne Marseille-Ajaccio-Tunis
(Compagnie Air Union) ; service (par hydravions) tri- hebdomadaire.
------- La ligne Marseille-Toulouse-Alicante-"Tanger-Rabat-Casablanca,
avec prolongement sur Dakar et l'Amérique du Sud (Compagnie Générale
Aéropostale) ; service (par avions) journalier.
Lignes
aériennes en projet
------On envisage
de raccorder la ligne de Tunis, d'une part, la ligne du Maroc, d'autre
part, à l'Algérie, de telle sorte qu'il existera une grande
transversale reliant Casablanca, Fez, Oran, Alger, Bône, Tunis (le
tronçon Casablanca, Fez, Oran a déjà été
exploité à titre d'essai en 1927).
------Il est possible aussi qu'on rétablisse
l'exploitation du tronçon Alicante-Oran (déjà exploité
à titre d'essai), ce qui doublerait, en se raccordant à
Alicante à la ligne FranceMaroc, les communications aériennes
de l'Algérie avec la Métropole.
------Un vaste projet est à l'étude
et sera réalisé dans quelques mois. Il s'agit de la liaison
de l'Algérie avec l'Afrique Occidentale française, par une
ligne aérienne franchissant i:: Sahara et rejoignant le Niger par
Gao.
Nous avons vu plus haut (p. 20) que de nombreux voyages de reconnaissance
et de préparation avaient été effectués à
travers. le désert.
------On a déjà étudié
les meilleurs itinéraires (on adoptera vraisemblablement l'itinéraire
: Alger, Laghouat, El-Goléa, Aoulef, Piste Estienne, Gao).
------De Gao, la ligne se prolongera par
Niamey, Zinder, Fort-Lamy (Lac Tchad), Bangui, Brazzaville sur le Congo
français, le Congo belge, Léopoldville, Elisabethville et
Madagascar.
------On prévoit
ultérieurement de relier Gao à Dakar d'une part et, d'autre
part à nos Colonies du Dahomey et de la Côte d'Ivoire.
------Comme nous l'avons indiqué précédemment
le travail d'organisation de pareilles lignes est énorme. L'établissement
d'aéroports, du balisage de jour et de
nuit, de services de T. S. F. et de radiogoniométrie, la préparation
du ravitaillement en essence ete en huile, dans un pays comme le Sahara,
présentent des difficultés qui auraient été
presque insurmontables jusqu'à la réalisation encore lointaine,
du chemin de fer transsaharien, si le développement remarquable
des transports automobiles dans le désert et dans la brousse n'avait
permis des réalisations qui, il y a dix ans, eussept été
impossibles.
------Déjà des aéroports
de secours sont établis en plein désert, déjà
se construisent des postes de T. S. F. à grande puissance à
Bourem et à Reggan qui complèteront les postes fonctionnant
à Zinder et à Aoulef.
------OEuvre considérable, ignorée certainement de
beaucoup dé Français, mais qu'il faut faire connaître,
car nous avons le droit d'en être fiers.
------La France a été le berceau
de l'Aviation. C'est un Français, Ader, qui a le premier volé
sur un avion à moteur. C'est en France que l'aviation a marqué
les progrès les plus rapides.
-
-----Mais on a souvent dit que le Français avait le génie
de l'invention et laissait trop souvent à d'autres le labeur de
la mise au point pratique et les bénéfices de l'exploitation
de ses idées.
------Est-ce vrai pour l'Aviation ? - Non, ce n'est pas vrai !
Il ne faut jamais que ce soit vrai !
------La France, aux temps " héroïques "
de l'Aviation, a produit les meilleurs appareils, les meilleurs pilotes,
a détenu presque tous les records. Pendant la guerre, elle a eu
la meilleure Aviation et, chose inouïe et qu'on ne sait pas assez
: alors que le pays était envahi dans ses régions industrielles
les plus riches, alors que ses hommes se faisaient tuer par centaines
de mille sur le champ de bataille, nous arrivions à fabriquer,
en 1918, 3.000 avions et 5.000 moteurs de 300 chevaux par mois et à
fournir à nos alliés anglais et américains plusieurs
centaines de moteurs et de cellules par mois. Après la guerre,
malgré les difficultés financières que l'on connaît,
nous avons continué à travailler, nous avons perfectionné
les cellules et les moteurs, réalisé de magnifiques performances,
repris des records que des nations plus riches nous avaient un instant
enlevés, créé une très belle aviation commerciale.
N'avons-nous pas actuellement
------- l'avion commercial le plus rapide
du monde en service journalier et régulier.
-------- la ligne aérienne la plus
importante du monde ?
------Si, dans d'autres pays, la propagande
est mieux organisée que chez nous, si le Français est parfois
trop porté à ignorer eu à dénigrer son propre
effort; il n'en est pas moins vrai que les faits sont là qui prouvent
surabondamment la vitalité de notre industrie aéronautique.
------Elevons donc nos ambitions et notre
confiance à la hauteur des possibilités largement démontrées
de notre génie national, génie ailé qui semble prédestiné
aux conquêtes indéfinies de l'Espace.
------Abri
pour avions dans le désert Sud-Oranais
Vue prise à bord d'un avion par M. l'Ingénieur en chef
de l'Aéronautique Hirschauer
------(Abri en pierre sèche, disposé
en croix, de manière qu'en cas de tempête, on puisse
toujours abriter les avions dans celui des quatre angles opposés
à la direction du vent) |
------Comme
l'athlète de I'Hellade, entrons dans l'arène des compétitions,
d'un pas assuré, le regard tourné vers le Ciel, sans sous-estimer
la valeur de nos concurrents, mais sans crainte d'être inférieurs
à notre rôle.
------Allons de l'avant, voyons grand. L'avenir
de l'Aviation française est immense et particulièrement
sous ce ciel de la France africaine où le XXe siècle verra
l'apothéose des héros pacifiques de l'Air, comme le XXe
siècle a vu le triomphe, désormais consacré, des
héros du Bled : militaires et colons.
(I) La Société des Lignes Latécoère
est devenue la Compagnie générale Aéropostale (voir
plus loin) Latécoère a été un grand précurseur.
Il a pressenti le rôle que devait jouer l'aviation commerciale dans
notre empire colonial. Il a été un créateur et un
organisateur de premier ordre.
(2) Actuellement colonel, commandant l'aviation
d'Algérie.
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