mise sur site le 27-08-2003
Évolution de l'Algérie de 1830 à 1930 : chapitre 4
LA TRANSFORMATION ÉCONOMIQUE
La transformation a été particulièrement importante,bien entendu, dans le domaine des produits du sol.
-------Et d'abord ce qu'on pourrait appeler les produits de cueillette. Ici tout a été créé en partant du chiffre zéro
Cahiers III du Centenaire de l'Algérie
par M.E.F. GAUTIER, professeur à la Faculté des Lettres d'Alger

collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
url de la page : http://alger-roi.fr/Algerr/cahiers_centenaire/evolution/textes/chapitre4.htm

65 Ko / 23 s
retour

CHAPITRE IV

LA TRANSFORMATION ÉCONOMIQUE

-------La transformation a été particulièrement importante,bien entendu, dans le domaine des produits du sol.
-------Et d'abord ce qu'on pourrait appeler les produits de cueillette. Ici tout a été créé en partant du chiffre zéro.

PRODUITS DE CUEILLETTE
La Forêt

-------Depuis l'occupation française les forêts ont été confiées à un service des forêts, sur le modèle de celui qui existe: en France. Ce service a un domaine de 2.345.000 hectares en Algérie seulement.

-------Jusqu'à l'occupation française la forêt a toujours été pour les tribus indigènes un lieu de pacage. Ç'a été a travers les siècles son principal rôle économique. Le service forestier a composé avec cette habitude séculaire. Il a dû pourtant défendre les boisements contre la dent des bêtes; il l'a fait à coups de contraventions et il est à ce titre le service le plus impopulaire de l'administration.

-------Au service des forêts l'Algérie doit la reconstitution au moins partielle de ses forêts de cèdres, les plus monumentales qu'elle ait.
En dehors de ce rôle négatif il a naturellement entrepris une besogne positive d'exploitation économique.

-------Le chiffre énorme de 2 millions d'hectares ne doit pas faire illusion. « La portion du domaine réellement productive de revenus ne représente actuellement qu'un huitième environ de la surface totale. »
-------La forêt méditerranéenne, et plus particulièrement maugrebine, n'a pas de rapport avec les riches futaies du Nord.
-------L'Algérie importe de France et d'Europe centrale une grande partie des bois ouvrés dont elle a besoin.

-------Le Liège. (voir aussi : productions)- La grande richesse c'est le liège 275.000 hectares ressortissant au service des forêts.
-------La mise en exploitation d'une forêt de chênes-liège exige de gros capitaux. Dans les premières décades de l'occupation l'État n'a même pas essayé d'exploiter directement son liège. L'exploitation directe n'a commencé qu'après 1892 (rapport Burdeau)

-------La courbe de la page 41 (note du webmaster : je ne l'ai pas incluse) donne l'ascension rapide de la production officielle entre les années 1892 et 1914. La production a passé de 0 à 130.000 quintaux. Après 1914 la guerre a amené une longue période de dépression. Aujourd'hui seulement la production atteint de nouveau approximativement les chiffres d'avant-guerre (statistique de 1914 120.000 quintaux).

-------La production officielle du service forestier en liège donne une idée très incomplète de la production totale. Sur 450.000 hectares de forêts de liège, le service forestier en exploite 275.000 seulement. Le reste, 175.000 hectares, a été concédé par l'État à des particuliers avant 1892, et les résultats de l'exploitation, trop intensive peut-être, doivent entrer en ligne de compte.

-------C'est un minimum de 160.000 quintaux de liège brut par an. La production moyenne de l'Algérie est d'environ 300.000 quintaux (en 1913, 400.000 quintaux valant 13 millions de francs-or). Il faut ajouter environ 50.000 quintaux pour la Tunisie.
Le Maroc apportera sa contribution (forêt de Mamorra à côté de Rabat).

-------Pratiquement, le Maghreb exporte la totalité de sa production en liège. Et ces 350.000 quintaux paraissent à peu près le tiers de la consommation mondiale. Ce qui n'est pas surprenant si on songe que le chêne-liège ne pousse nulle, part à la surface de la planète sauf dans le bassin de la Méditerranée, et même ou peu s'en faut, de la Méditerranée occidentale (Espagne et Portugal Atlantique compris).

-------L'Alfa. (voir aussi : productions)- Le Maghreb a d'autres produits de cueillette qui sont des ressources importantes; l'alfa, le crin végétal. L'aire de dispersion de l'alfa est encore plus restreinte que celle du chêne-liège; hors de l'Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie et Tripolitaine) il ne se trouve qu'en Espagne.
-------Vers le milieu du XIXè siècle, l'Espagne seule était exportatrice d'alfa. L'Algérie a débuté en 1863.
-------La zone exploitable est immense : 4 millions d'hectares en Algérie seulement d'après la statistique agricole de 1925.
-------L'exploitation de l'alfa est concédée à des particuliers en concessions de très grande étendue. Le produit est acheté par le concessionnaire et comprimé à la presse hydraulique en balles transportables.
-------En 1870 l'Algérie a produit 33.000 tonnes; en 1922-1923 environ 100.000 tonnes (chiffre déjà atteint en 1879). Valeur environ 32 millions en francs-papier.
-------Il faut ajouter pour la Tunisie une vingtaine de mille tonnes.
-------Presque tout l'alfa s'exporte en Angleterre où il est transformé en pâte à papier de luxe.

-------Crin végétal. (voir aussi : productions) - Le crin végétal ne vient pas de la steppe, au contraire il vient du Tell.
-------Dans les meilleures terres du Maghreb la plus grande difficulté du défrichement vient du palmier nain qui pullule et qui est dur à arracher.
-------Le crin végétal (fibres du palmier nain) fut découvert en 1847. « De 1860 à 1880, dit Trabut, les familles de colons vécurent de la fabrication du crin végétal. » Aujourd'hui le défrichement des plaines a refoulé le palmier nain dans la montagne où il reste une ressource importante pour les indigènes.
Toute la production est exportée (coussins, harnais, matelas).
-------En 1922-23, la production oscille autour de 400.000 quintaux, chiffre atteint dès 1905. Valeur : environ 17 millions en francs-papier.
-------Il faut souligner que, avant 1830, il n'était pas sorti d'Algérie une tonne de liège, d'alfa ou de crin végétal.

AGRICULTURE PROPREMENT DITE
Les vieilles cultures indigènes

-------Parmi les produits proprement agricoles il est intéressant de mettre à part les vieilles cultures indigènes.
-------En première ligne :
-------Les Céréales (voir aussi : productions).-Le Maghreb a toujours cultivé des céréales, blés durs, qui ont toujours donné aux indigènes la semoule, base de leur alimentation; orge, qui donne aussi du pain et qui, dans l'alimentation des chevaux, remplace l'avoine de chez nous; pour mémoire, dans certains coins, la Kabylie par exemple, le sorgho (bechna).
-------La colonisation européenne a introduit des céréales nouvelles, le blé tendre par exemple, l'avoine, le maïs, mais ces céréales nouvelles restent subordonnées. Elles n'ont pas détrôné le blé dur et l'orge qui sont adaptés au pays, et auxquels une sélection millénaire a donné des qualités très appréciées.

-------L'influence de la colonisation, qui est énorme, a porté sur autre chose : les instruments et les méthodes de labour. L'indigène ne, connaissait que l'araire, la petite charrue à soc en bois, qui égratigne le sol. Le colon a introduit la grande charrue des labours profonds. Les machines agricoles modernes ont une très grande diffusion et sont l'objet d'un gros commerce d'importation. Ajoutez l'usage du fumier, des engrais chimiques.
-------Quel a été le résultat ?
-------Quand on établit la courbe des céréales (production et superficies emblavées, entre les années 1900 et 1924), le résultat est décevant. La courbe n'a pas du tout l'allure triomphante des ascensions rapides : elle accuse une stagnation. Et, si on la prolongeait dans les années antérieures à 1900, elle conserverait le même caractère. En 1865, d'après
Trabut, le chiffre des emblavures oscille entre 2 millions et 2 millions 500.000 hectares. C'est à peu de chose près des chiffre de 1923.
-------Que s'est-il passé ? un phénomène complexe.
-------De 1840 à 1870, dans les belles plaines côtières, dans la Mitidja par exemple, on a fait du blé en grand. Et en définitive on a échoué, définitivement.
La raison en est simple. Malgré les efforts prolongés des colons, le blé dans la Mitidja n'a jamais pu rendre plus de 10 à 12 pour 1.

-------C'était un progrès énorme; l'indigène n'obtient guère que du 5 au 6. Mais sur nos plateaux limoneux de la Picardie, par exemple, le rendement est de 40 à 50.
-------Il faut laisser aux agronomes le soin d'expliquer cette disproportion, s'ils le peuvent. Et se contenter de constater le fait, surabondamment établi.
Il est vrai que les rendements sont inférieurs à 10 dans d'autres coins de la planète, grands exportateurs de céréales, au Manitoba par exemple.
-------Mais le Manitoba est un pays de culture extensive où la terre n'a pas de valeur, et qui ne peut rien produire en dehors des céréales ? La Mitidja est une plaine magnifique au terreau profond, noir, meuble, imbibé d'eau, à proximité d'un port d'embarquement. Un sol pareil a une vocation de culture intensive à grand rendement.

-------On ne se résignait pas à cette culture improductive des céréales qui paraissait un gâchage de richesses latentes. On pressentait la possibilité de cultures concurrentes, infiniment plus rémunératrices.

-------Ces cultures nouvelles, la Mitidja les a cherchées avec acharnement de 1848 à 1870.

-------Le problème de la mise en valeur a reçu sa solution dans les premières années de la troisième République. La crise du phylloxéra en France a créé la viticulture algérienne. La vigne a conquis la Mitidja et en a éliminé les céréales. Dès 1885, il y a déjà à Boufarik 1.318 hectares de vignes, contre 1089 hectares de blé. Aujourd'hui le blé a pratiquement disparu. C'est la vigne essentiellement qui est la base de l'opulence actuelle; d'un rapport énorme et sûr; jusqu'à 150 hectolitres à l'hectare, d'un gros vin de coupage très riche en alcool (jusqu'à 15°), d'écoulement facile.

-------Une évolution analogue s'est produite dans toutes les parties riches du Tell. Mais alors la courbe des surfaces emblavées n'aurait pas dû rester stationnaire, elle aurait dû s'effondrer.
-------Si elle s'est maintenue, c'est qu'il s'est produit ailleurs dans le-sud de l'Algérie une évolution inverse et compensatrice.

-------D'après Trabut, au début de la colonisation, on admettait que la culture des céréales exigeait 600 millimètres de pluies. Aujourd'hui on obtient de belles récoltes dans des régions où les pluies ne dépassent pas 350 millimètres. Cette révolution d'immense portée a été amenée par l'introduction des méthodes de culture sèche qu'on a baptisées en Amérique dry farming.

-------Le nom vient des États-Unis. Mais la méthode elle-même n'a rien d'américain; il est vrai seulement qu'elle a été là-bas analysée scientifiquement et probablement perfectionnée. A cela près le dry farming est vieux de 2.000 ans et il est méditerranéen.

-------En somme, dans ce pays silencieux où chacun garde pour soi sa pensée, tout le monde savait; excepté nous, septentrionaux immigrés.
-------À partir de 1900 environ, nous aussi nous avons pénétré le secret de polichinelle. On ne sait pas bien comment. A coup sur nous n'avons pas été à l'école des États-Unis. Le dry farming apparaît dans les toutes dernières années du XIXè siècle en Oranie, plus précisément à Sidi-bel-Abbés. Il a été importé par des Andalous. On ne nous en dit pas davantage et je suppose qu'on n'en sait pas plus long.

-------Les résultats de cette révolution furent considérables.
-------Et par exemple à l'est de Tiaret s'étendent les plaines du Sersou. Jusqu'à la fin du XIXè siècle, le Sersou fut, comme le reste des Hauts-Plateaux, une steppe à peu près vide, pays de nomades et de moutons. Or, brusquement, en un nombre d'années étonnamment petit, elle s'est couverte de superbes moissons et de villages européens. Ça été le succès le plus retentissant du dry farming, celui qu'on cite toujours en exemple.
-------Ainsi est-il arrivé que les céréales, expulsées des belles plaines, ont envahi les terres arides, jadis improductives. L'équilibre s'est maintenu, mais au total le progrès est nul.
-------Si nous nous demandons pourquoi, ce n'est pas que le colon n'ait fait en matière de céréales les mêmes merveilles qu'en d'autres domaines. C'est que cette culture ne l'intéresse pas, toutes les fois que le sol est riche.
-------Il a reconnu au contact des réalités que la vocation agricole du pays était ailleurs. Et en effet dans le domaine méditerranéen, ce sont surtout les cultures arbustives qui sont chez elles.

-------Oliviers.-L'olivier est chez lui, dans le Maghreb, autant que les céréales.
-------Sous l'empire romain l'huile d'olive tenait dans l'économie exactement la place prépondérante que tient le vin dans le Maghreb français. L'Afrique romaine était la grande exportatrice d'huile dans le bassin méditerranéen. Elle était couverte d'olivettes d'un bout à l'autre. Les ruines des pressoirs romains frappent aujourd'hui les archéologues par leur nombre immense.

-------L'Islam a apporté la ruine aux olivettes, bien entendu.

-------Les historiens arabes en ont expressément conscience et ils mettent cette ruine sur le compte des dévastations. La disparition du marché, conséquence de l'effondrement de Rome, suffirait d'ailleurs à l'expliquer.

-------De nos jours la culture de l'olivier est bien loin d'avoir retrouvé une situation prépondérante.

-------En Algérie, la production oscille autour de 300.000 hectolitres, et elle ne suffit pas tout à fait à la consommation. L'Algérie importe de l'huile un peu plus qu'elle n'en exporte.

-------Une bonne moitié de la production est indigène. Le colon ne s'est pas occupé avec suite de l'olivier.

-------Évidemment parce qu'il n'y trouvait pas son intérêt. Le marché de l'huile n'est plus ce qu'il était il y a deux millénaires. Qu'on songe aux arachides, aux huileries de Marseille, au rôle joué par les oléagineux tropicaux. Dans les habitudes européennes la cuisine au beurre et à ses « ersatz » (margarine, végétaline) tient plus de place que la cuisine à l'huile. Si la culture de l'olivier n'a pas pris essor, la raison principale doit être celle-là : une raison économique et générale.

-------Le plus beau groupe d'olivettes, le plus compact, est le groupe kabyle. La Kabylie est de tout le territoire algérien la province la plus fermée à la pénétration des colons. Les oliviers Kabyles sont restés exactement ce qu'ils étaient. Pas de taille, dit Trabut, pas de fumures, l'arbre n'est même pas cultivé au pied. C'est l'éternelle histoire : les méthodes européennes ne peuvent être introduites que par l'Européen en chair et en os, mettant la main à la pâte. Pour entraîner l'indigène les conseils sont inefficaces, il faut l'exemple et la concurrence.

-------Il paraît absurde que dans un pays comme le Maghreb, patrie antique de l'olivier, la production d'huile arrive péniblement à équilibrer la consommation. L'énorme succès de la vigne a certainement porté préjudice à l'olivier.

-------Figuiers, Abricotiers.-Le figuier est un arbre important. En Algérie on évalue à 4 millions le nombre des arbres en rapport. L'Algérie exportait en 1906 environ 80.000 quintaux de figues sèches; 120.000 quintaux en 1924.
-------C'est une culture exclusivement indigène, kabyle, par des procédés antiques.
-------L'abricotier, autre culture indigène, donne de très beaux résultats. C'est tout à fait un arbre Maugrebin. Il aurait un avenir intéressant d'exportation si on avait organisé le séchage des fruits comme on l'a fait en Californie.
-------« Aurait un avenir » cela est vrai des abricotiers, et encore bien davantage des figuiers. La figue Kabyle chez les épiciers est bien loin de concurrencer la figue de Smyrne.
-------Toutes ces vieilles cultures indigènes, cultures alimentaires, n'ont pas pris de développement sérieux, parce qu'elles n'ont pas intéressé vivement l'Européen. Le colon a été attiré par les cultures d'exportation, cultures riches, et là il a été le créateur.

-------Le Tabac.- (voir aussi : productions) Dans la catégorie des cultures industrielles le colon a multiplié des tentatives. On a fait beaucoup de géranium à un moment donné lorsque les prix de l'essence étaient rémunérateurs.
-------C'est le tabac surtout qui a obtenu un succès durable. L'Algérie turque cultivait un peu de tabac, qui rappelait les tabacs du Levant. Cette culture est morte. Elle n 'était-, pas rémunératrice à cause de l'exiguïté des feuilles. Avec des espèces introduites d'Amérique on a créé un type algérien de tabac.
-------En 1878, 2.500 hectares : en 1924, 22.300 hectares.
-------En 1878, 45.000 quintaux : en 1924, 175.000 quintaux. Le monopole dé fabrication n'existe pas au Maghreb; l'Algérie, la Tunisie et le Maroc fument leur propre tabac et ce tabac fabriqué s'exporte dans une mesure et par exemple en Belgique. La régie française s'approvisionne au Maghreb. Depuis la guerre et le change elle tend à s'approvisionner davantage. Elle achetait avant la guerre 20.000 quintaux. En 1926, 60.000. Parmi les colonies françaises l'Algérie est de beaucoup le plus gros fournisseur de la Régie.

-------Primeurs.-Le développement des communications maritimes des communications maritimes a développé la culture des primeurs, dans les coins abrités et chauds, surtout au bord de la mer; la main-d'œuvre est généralement mahonnaise. L'essor date de 1890.
-------Ç'a été un épanouissement extraordinaire. Les primeurs « ont transformé en terrain valant 10.000 francs (or) l'hectare les rochers abrupts où soixante ans auparavant les survivants des premiers colons, terrassés par les fièvres, traqués par les panthères, ne conservaient d'autres ressources que de demander leur rapatriement aux frais de l'État ».

-------Agrumes.-La facilité croissante des communications a eu la même répercussion sur la culture et l'exportation des agrumes, les citrons, oranges et mandarines. Ce sont des nouveaux venus au Maghreb; les oranges sont venues de Chine au moyen âge; la mandarine en Algérie ne date guère que de 1850.
-------L'Algérie en 1906 produisait environ 250.000 quintaux d'oranges et en exportait 53.000.
-------En 1916 elle exportait 35.000 quintaux d'oranges et 79.000 quintaux de mandarines.
-------En 1922, 77.000 quintaux d'oranges et 127.000 quintaux de mandarines.
-------C'est une exportation totale qui oscille entre 100 et 200.000 quintaux.

 

-------La Vigne.-C'est surtout la vigne qui a tout envahi. Le Maghreb se prête admirablement à la culture de cette plante essentiellement méditerranéenne, la vigne.
-------Mais l'Islam ne s'y prête pas du tout.
-------En 1830, l'Algérie turque avait quelques ceps de vigne. Les raisins se consommaient comme fruits. Dans quelques familles juives, en cachette, pour la consommation familiale, on faisait avec le raisin quelques litres de boisson fermentée.
-------Cette situation s'est modifiée lentement.
-------Aux environs de 1870 il n'y avait encore en Algérie que 10 à 12.000 hectares de vigne.
-------C'est qu'il y avait un problème à résoudre. Si le climat du Maghreb convient admirablement à la vigne, il modifie toutes les règles, usuelles chez nous, de la fermentation. On a cru longtemps que la fabrication industrielle du vin était impossible sous le soleil Maugrebin. C'est lentement, par tâtonnements, par approximations successives, après d'immenses efforts, qu'on a établi les règles de la viticulture africaine.
-------À partir de 1870 elle prend un essor énorme. En 1889 la superficie du vignoble était de 91.000 hectares. Aujourd'hui (entre 1916 et 1923) elle oscille entre 170.000 et 180.000 hectares. La production annuelle oscille entre 6 millions et 10 millions d'hectolitres.
-------Ç'a été une magnifique création et une création douloureuse, pleine de péripéties.
-------1880 a été une grande date parce que les ravages du phylloxera en France ont provoqué l'exode en Algérie de viticulteurs ruinés; en même temps qu'ils ouvraient un large marché et qu'ils amenaient la hausse sur le prix du vin.
-------Plus fard le phylloxera a passé la Méditerranée; il est vrai que pour lutter contre lui le viticulteur algérien a pu utiliser l'expérience du viticulteur français.
-------Puis est venue, à la fin du siècle, après la reconstitution du vignoble métropolitain, la crise de la mévente provoquée par les habitudes de fraude (vin de sucre), que le phylloxera avait fait naître, et qui lui avaient survécu. Ce fut une crise terrible, en Algérie comme en France. Elle secoua la Société dans ses profondeurs. En France émeutes de Montpellier et de l'Aude : grandeur et décadence de Marcelin Albert.
-------En Algérie émeutes anti-juives.
-------Le résultat final a été triomphal. La viticulture algérienne est en pleine prospérité.
-------À la violence des secousses qu'ont provoquées les crises viticoles, on mesure l'importance de la viticulture dans la société algérienne. L'Algérie est devenue, au même titre que le Midi français, un pays essentiellement viticulteur. Aucune autre culture n'a donné au colon de bénéfices comparables. C'est la vigne qui a fait la prospérité de l'Algérie, exalté la joie de vivre et le goût d'entreprendre. A proprement parler, la vigne a fait l'Algérie.
-------Naturellement, la viticulture algérienne a pour client principal le consommateur français.
-------L'Algérie exporte en France la plus grande partie de sa production, environ 5 millions d'hectos. La production française est de 45 millions.
-------La concurrence que la viticulture algérienne fait à la française n'est pas aussi grande que ces chiffres indiqueraient, parce que les vins algériens pour la plupart sont très chargés en alcool. Ce sont des vins de coupage. Ils font plutôt concurrence aux vins espagnols que le marchand de vin français a toujours importés.
-------Les départements du Midi cependant surveillent de très près la viticulture algérienne.
-------La France a élevé des barrières douanières pour interdire le marché français aux vins marocains, ce qui ne peut pas manquer de restreindre l'expansion de la viticulture sur le territoire du protectorat où elle eût trouvé, sans cette circonstance, un terrain aussi favorable qu'en Algérie.
-------Poussée au point où elle l'est, la viticulture en Algérie peut être presque appelée monoculture. Elle n'est donc pas sans présenter des dangers.

-------La Datte.-L'agriculture algérienne n'est pas la vieille culture traditionnelle et routinière.
-------L'agriculture algérienne est en fièvre éternelle, en création continue. Dans les toutes dernières années, depuis la guerre, il faut noter l'apparition de deux cultures nouvelles qui ont mis violemment en mouvement l'imagination, les convoitises et les activités. C'est la culture du dattier et celle du coton.

-------L'exemple du dattier montre ce que devient une antique culture indigène d'arbre fruitier quand la colonisation européenne s'en mêle. Les oasis dactylifères intéressantes sont dans la cuvette des grands chotts, entre Biskra et Gabès. En Algérie, c'est l'Oued-R'ir ; en Tunisie, le Djerid.
-------Mais le Djerid est resté stationnaire parce qu'il est entre les mains des indigènes seuls.
-------C'est de l'Oued R'ir qu'il s'agit.
-------On y cultive la datte d'exportation, la « deglat-nour », celle qu'on voit sur nos tables.
-------Cette culture est tout entière entre les mains des Européens. Les indigènes cultivent d'autres espèces de dattes, pour leur nourriture. Ils n'aiment pas la deglat-nour, qui ne convient ni à leur palais, ni à leurs commodités. Pour nous, la datte est un dessert ; pour eux, c'est le pain quotidien.
-------Dans l'Oued R'ir, par exemple, les 2/3 des palmiers donnent des dattes indigènes, 1/3 donne des deglat-nour. L'intervention des Européens remonte au milieu du XIXè siècle. A ce moment, l'introduction de l'outillage et de la technique européenne a ravivé les puits artésiens, qui se mouraient. Foureau, avant d'être explorateur, était colon propriétaire de palmeraies dans l'Oued R'ir.
-------La culture de la deglat-nour a donné, surtout depuis la guerre, des résultats extraordinaires, aux proportions, bien entendu, d'un district dactylifère qui n'est pas de grandes dimensions.
-------En 1921, 1922, 1923, l'Oued R'ir, avec ses annexes (le Souf, les Zibans), a exporté en moyenne 100.000 quintaux, valant 20 à 25 millions de francs.
Le Djérid tunisien, en 1925, a exporté 32.000 quintaux seulement.
-------Ces chiffres ne donnent pas une idée complète de la situation. Un palmier de l'Oued-R'ir se vend aujourd'hui 1.000 francs et rapporte de 3 à 500 francs par an. Les forages, toujours plus profonds, mettent à la disposition du colon une quantité d'eau qui, dans l'ensemble, n'a cessé de s'accroître. Les convoitises s'exaltent, les têtes partent, il y a une fermentation de l'esprit public.
-------Les oasis de l'Oued-R'ir ne sont pas naturellement, par une nécessité géographique, les plus (belles du Sahara. Ce qu'elles ont de particulier, parmi toutes les autres, c'est simplement d'être les seules où l'influence du colon agricole européen se soit fait sentir.

-------Le Coton.-Le coton mérite une mention toute spéciale. Pratiquement, le Maghreb n'a pas de textiles (autres que la laine).
Au Maroc, le lin est cultivé, mais surtout pour la graine qui fournit à l'exportation un appoint intéressant.
-------En Algérie, la culture du jute, celle du mûrier pour magnaneries, seraient théoriquement des possibilités. Elles ne sont pas sorties de la période velléitaire.

-------La laine à part, le seul textile qui paraisse avoir un avenir est le coton.
-------Pendant la période 1858 à 1867, la culture du coton fut florissante, pendant la guerre de Sécession qui bouleversait les conditions du marché. Mais les primes énormes que donnait le gouvernement français étaient un élément essentiel de cette prospérité factice.

-------Tout s'effondra le jour où cette prime fut supprimée et on admit pendant longtemps qu'il y avait eu là une expérience décisive, condamnant la culture du coton.

-------Il y eut pourtant des colons entêtés qui continuèrent, ou qui recommencèrent. Dès avant la guerre, sur un petit nombre de propriétés, on obtenait des résultats. Les fantaisies du change après la guerre ont amené un épanouissement. Surexcitée par des gains énormes, et non plus du tout par des primes officielles, l'initiative privée a fait boule de neige. Le boom du coton, avec le petit boom des dattes, a été le grand événement agricole d'après-guerre.

-------La production de 250 à 500 quintaux (de 1917 à 1920) a passé dans les années suivantes à 1.500 et même 2.500 quintaux.

-------En Tunisie, la culture du cotonnier, qui n'occupait que 30 hectares en 1924, a porté sur plus de 250 hectares en 1925. Les résultats obtenus sont très satisfaisants.

-------Le Maroc se prépare à suivre l'exemple.
-------Il y a là quelque chose qui naît, et la partie pourrait bien être gagnée. Il se forme des spécialistes, une technique adaptée au pays. Il est établi d'ores et déjà que le Maghreb peut produire, dans de bonnes conditions, des cotons qui supportent facilement non seulement la comparaison, mais la concurrence, des cotons américains et égyptiens. Ce qu'on ne peut pas savoir, c'est dans quelle mesure ils supporteront, en Algérie même, la concurrence d'autres cultures, celle de la vigne surtout. En Amérique, en Égypte, le cultivateur ne peut pas faire autre chose que du coton, il n'a pas le choix. En Algérie, il est sollicité par d'autres cultures riches, d'un rendement peut-être plus grand.

-------Des facteurs travaillent pour le coton. Le besoin senti plus vivement tous les jours de produire, du côté français de la douane, le coton nécessaire à nos manufactures. En Algérie, le danger confusément pressenti de la mono­culture.

-------S'il y a une culture susceptible de concurrencer au Maghreb la prépondérance de la vigne, c'est peut-être le coton.

Élevage

-------Il est évident que toutes ces richesses agricoles ont été une création pure, une création ex nihilo. Et le lien est indéniable entre ces créations et l'action personnelle du colon.

-------La médiocrité de l'élevage algérien donne la contre­épreuve.

-------En élevage l'Algérie n'a pas remporté de succès comparables à ses succès agricoles, sauf bien entendu en ce qui concerne le porc que l'Islam proscrit, et qui, entre les mains des Européens, a donné des résultats intéressants

-------Bovins.-En Algérie, sur un total moyen d'un million de bœufs, les colons européens en ont seulement 150.000. La faiblesse de cette proportion est caractéristique.

-------On a pourtant introduit des représentants de races étrangères, bovins d'Europe, zébus de Madagascar, zébus brahmines de Ceylan (à Bône et en Tunisie). On a obtenu des résultats.

-------Mais les vieilles races indigènes restent prédominantes. Une race algérienne de Guelma, très petite, pesant environ 250 kilos, de robe sombre, et une race marocaine, plus lourde, allant facilement à 400 kilos, plus élancée, de robe plus claire.

-------Les bovins du Maghreb ont des caractéristiques communes, plus accentuées dans la race de Guelma. Petite taille, et résistance extraordinaire. Leur organisme s'est adapté à travers les siècles au pays et aux hommes. Ils ont appris à se débrouiller tout seuls avec un minimum de pâturages naturels, et un minimum d'assistance humaine.
-------Le développement du machinisme agricole a détourné des bovins les préoccupations immédiates des colons. Dans les grandes villes comme Alger, la bonne viandé de boucherie (veau, bœuf) s'importe encore de France. L'insuffisance de la production laitière des vaches entraîne dans le voisinage des grands centres la multiplication des chèvres.

-------Cheval.-Le « bourricot », le tout petit âne du Maghreb, extraordinairement dur, joue un rôle énorme dans la vie indigène. Outre 260 à 280.000 ânes, en Algérie les montagnards ont beaucoup de mulets. Dans les grandes villes indigènes du Maroc la mule caparaçonnée est la monture des grands personnages, l'équivalent d'un équipage. L'Algérie a entre 100 et 150.000 mulets. Mais dans ce pays de nomades qu'est le Maghreb, c'est l'élevage du cheval qui est important par-dessus tout.
-------La cavalerie Numide a jouéun grand rôle dans l'antiquité. Le cheval Numide s'est couvert de gloire sur les hippodromes de l'empire Romain. Une longue adaptation au pays a développé une race très bien fixée, la fameuse race Barbe. Bêtes relativement petites, moins robustes que les nôtres, et même moins vites sur les courtes distances, mais extrêmement résistantes et sobres.
-------C'est un admirable cheval de cavalerie. Aussi la remonte de l'armée française, dans ses haras, s'en est beaucoup occupée pour essayer de lui donner les qualités qui lui manquent. Il est difficile de dire si les résultats ont répondu aux efforts officiels.
En Algérie les chiffres oscillent entre 200 et 240.000.

-------Chameaux.-Le chameau (ou plutôt le dromadaire à une bosse) est un personnage important.
-------Les conditions de l'élevage sont très particulières et l'Européen les ignore. Les convois administratifs ont souvent déterminé des hécatombes.
Dans ce pays très grand, prolongé par les immensités du Sahara, malgré les progrès de la traction mécanique, lé rôle économique du chameau reste immense.
-------L'indifférence et l'inaptitude de l'Européen menacent la race de disparition.

-------Moutons.-L'inefficacité de l'élevage algérien n'est accusée nulle part aussi nettement qu'à propos de moutons parce que sur ce chapitre de grandes possibilités sont restées jusqu'ici incomplètement réalisées.

-------Les steppes, c'est-à-dire la moitié du Magreb, ont été justement appelées le pays du mouton.

-------Un coup d'œil sur la courbe de l'espèce ovine permet d'embrasser la situation.

-------Le nombre total des moutons oscille prodigieusement, du simple au double, près de 10 millions en 1880, à peine plus de 5 millions en 1923. Ces oscillations énormes correspondent simplement aux oscillations météorologiques, années ou périodes d'années plus humides ou plus sèches; quelques semaines de neige sur les Hauts Plateaux suffisent à causer une mortalité effrayante.

-------C'est que le mouton est abandonné à lui-même; pas d'abris, pas de greniers à fourrage. Il croît à la grâce de Dieu.

-------Les moutons européens, en nombre insignifiant, sont tous dans les fermes du Tell. La grosse masse du cheptel, dans la steppe, est toute entière entre les mains des seuls indigènes.

-------La production de la laine en Algérie ne dépasse guère en moyenne 100.000 quintaux, le vingtième à peine de la production australienne.

-------L'Algérie exporte du mouton de boucherie en quantités appréciables; le chiffre oscille autour d'un million de têtes.

-------La Tunisie en 1925 a exporté 7.500 quintaux de laine, 60.000 moutons sur pied.

-------Le Maroc entre 1915 et 1920 a exporté entre 20 et 2.5.000 quintaux de laine.

-------Ce sont des chiffres très au-dessous des possibilités et encore davantage des besoins de l'industrie française. L'administration en Algérie-Tunisie a fait des efforts pour améliorer la race et prévenir les crises de mortalité, mais cet effort a ses limites.

-------L'élevage sur les hauts plateaux, tant qu'il sera exclusivement dans les mains des indigènes, sera immuable. Voilà des hommes qui sont dépositaires de ce qu'il y a de plus ancien en matière de traditions. Ils gardent leurs bêtes avec les procédés de Jacob chez Laban.

-------On ne fait pas évoluer avec de bons conseils des hommes qui représentent la plus vieille civilisation du monde.
-------L'Algérie qui a près d'un million de colons cultivateurs n'a pas encore un seul « squatter », à l'Australienne.

-------L'épreuve et la contre-épreuve conduisent à la même conclusion. La baguette magique de transformation a été entre les mains de l'Européen.

-------On le constate une fois de plus à propos de pêcheries.

-------
Pêcheries.-La conquête française a donné un grand essor aux pêcheries marines. Rien n'existait auparavant. Le Maghreb n'a pas de pêcheurs indigènes, sauf deux petits groupes qui présentent un simple intérêt de curiosité (sud de la Tunisie, région d'Agadir au Maroc). Cette indifférence totale aux choses de la mer est curieuse dans un pays qui a un si énorme développement de côtes. Mais les ports naturels font défaut et la plate-forme sous-marine est d'étendue très restreinte.
-------Les corsaires Turcs, embusqués à Alger, étaient restés immuables à travers les siècles. En 1830 ils étaient toujours des Turcs, parlant et sentant en Turcs, des marins étrangers. Ils n'ont jamais pratiqué ni la pêche, ni le commerce; rien d'autre que la piraterie.

-------A part eux, en 1830, sur toute l'étendue immense des côtes algériennes, il n'y avait ni un pêcheur, ni un marin, ni un bateau indigène. C'est extraordinaire, mais c'est comme ça.

-------La situation a été modifiée par la venue de pêcheurs espagnols et surtout napolitains dont beaucoup se sont fixés dans le pays. (En Algérie 10.000 inscrits maritimes en 1924 dont la moitié sont des naturalisés). Dans cette même année en Algérie 160.000 quintaux de poissons.

-------La Tunisie en 1925, outre 157.869 quintaux de poissons, a exporté du corail (440 kg), et des éponges (9.000 kg). La Tunisie au rebours de l'Algérie a une plate-forme continentale, ce qui explique son avance.