L'église
protestante de Boufarik
par Georges Pons
D'ABORD annexe de l'église
de Blida, celle de Boufarik (Bibliographie:
Courrier du Dimanche (indiqué en abrégé CdD), numéro
du Centenaire, p. 6 à 8; Trumelet : " Boufarik e, deuxième
édition, Jourdan, Alger, 1887, p. 367-368 et 483.)
ne fut constituée en paroisse distincte que par décret du
23 novembre 1875. Tout comme son église mère, elle était
affectée au culte de l'église luthérienne; pour reprendre
la terminologie d'alors il s'agissait d'un " oratoire de la confession
d'Augsbourg " et les cultes avaient lieu alternativement en français
et en allemand.
En superficie, elle était alors une des plus petites églises,
Boufarik se situant au centre d'un cercle d'environ 25 km de rayon, regroupant
dix-huit localités et comportant officiellement quatre annexes.
À une époque que je n'ai pu fixer avec précision,
mais qui est postérieure à 1930, Boufarik se vit adjoindre
l'arrondissement de Cherchell,
détaché de la nouvelle paroisse de Miliana.
Le premier pasteur fut Ludwig (dit " Louis ") Bost (2Voir
Charles Marc Bost, Mémoires de mes fantômes, sans nom d'éditeur,
ni lieu d'édition, 1981, tome p. 33 à 35.) (1845-1929),
petit-fils d'Ami Bost, le fougueux pasteur du Réveil, neveu de
John Bost, fondateur des Asiles qui portent son nom; il avait fait ses
études de théologie à Strasbourg et soutenu sa thèse
en français: " Essai d'introduction du livre de l'Ecclésiaste
" alors que l'Alsace était devenue allemande. Consacré
pasteur par son père à Anduze le 19 juillet 1874, il rejoint
un premier poste pastoral à Cherchell la même année,
mais n'y reste que deux ans et il est appelé au nouveau poste créé
à Boufarik où il est installé le 5 novembre 1876.
Installé est un bien grand mot car il n'y avait ni temple, ni presbytère,
ni conseil presbytéral. Les cultes avaient lieu tout d'abord dans
une salle de l'école des garçons puis, depuis le 10 février
1865, dans une pièce exiguë. Cet ancien séchoir à
tabac (qui servit aussi de brasserie) était étouffant en
été et si humide en hiver que les livres y moisissaient
en peu de jours. Il était urgent de bâtir un temple.
Louis Bost s'y employa avec acharnement, aidé en cela par Léon
Teule, de Souma, qui établit lui-même les plans et devis
de construction et les présenta au conseil presbytéral dès
le 3 février 1878. Le coût estimé à 15 000
F, terrain non compris. La mairie concéda un terrain dans ce qui
deviendra la rue Borély-La-Sapie. Mais, lorsque les travaux débutèrent
en 1879, Bost n'avait en caisse que 1 700 F. Il multiplia les appels de
fonds, les collectes en métropole, en Écosse, en Angleterre
et en Suisse et obtint un prêt sans intérêt de Victor
Zuber, industriel à Rixheim.
Enfin, le 29 mai 1881, le nouveau temple fut consacré par le pasteur
Augustin Bost de Genève, père de Louis, en présence
d'une foule nombreuse et de sept pasteurs en robe. En 1894 il est décrit,
dans le journal le Courrier du Dimanche (3CdD,
1894, p. 17.) comme " l'un des mieux appropriés
à sa destination; entouré d'un jardin complanté d'arbustes
et de plantes souvent fleuries, avec ses fenêtres en ogive, son
choeur surélevé, son autel en bois sculpté et son
ancienne chaire historique, don de la vieille église de Montpellier
à sa jeune soeur d'Algérie ".
Mais l'action du pasteur Bost ne se limita pas à cela: il créa
une " bibliothèque populaire du Temple ", offrant plusieurs
centaines d'ouvrages et une école du jeudi et son action s'étendit
au-delà des limites de sa paroisse puisqu'il créa, avec
son collègue Charles Monod, le Courrier du Dimanche, première
publication bimestrielle protestante en Algérie. Il agrémenta
notamment les numéros d'astuces mathématiques.
Hélas ! en 1894, il contracta le typhus, n'en mourut pas mais dut
renoncer à son ministère et démissionner après
dix-huit ans dans la même paroisse où il laissa bien des
regrets. Il était considéré comme un écrivain
de talent, un musicien de qualité et un serviteur de Dieu particulièrement
dévoué.
Son successeur, le pasteur Théophile, Lazare Boisset (1854-1910)
(4Bulletin de Société
d'histoire du protestantisme français (abrégé BSHPF),
1895, p. 288; 1901, p. 48; 1978, p. 349 et p. 426. Il était le
père du professeur Jean Boisset (1909-1978) de la faculté
de Montpellier.) avait d'autres qualités; c'était
essentiellement un aumônier militaire qui s'était couvert
de gloire lors de l'expédition du Tonkin et notamment à
TuyenQuan aux côtés du sergent Bobillot, ce qui lui valut
une croix de chevalier de la Légion d'honneur sur le champ de bataille.
Il avait été évangéliste instituteur à
Relizane de 1881 à 1884 avant son départ pour l'Extrême-Orient.
À son retour, il fut pasteur à Aumessas, dans le Gard, mais
ne soutint sa thèse de bachelier en théologie qu'en 1890.
Nouvel Aramis, il n'était pas plutôt en fonction dans une
paroisse qu'il rêvait de partir outre-mer comme aumônier militaire.
C'est ainsi qu'il sollicita la faveur de partir - mais vainement - depuis
Aumessas avec l'expédition du général Dodds au Dahomey
et depuis Boufarik, en 1895, et de se joindre au corps expéditionnaire
partant pour Madagascar, mais on lui préféra alors le pasteur
de Cherchell. En 1900, il fut choisi - enfin - comme aumônier des
troupes en campagne contre les Boxers en Chine; il y restera quinze mois,
Boufarik étant alors provisoirement confiée à un
suffragant, Émile Ledermann, le futur pasteur de Philippeville.
Lorsque lui fut remis en 1902, la rosette d'officier de la Légion
d'honneur, il était le seul pasteur de France ayant une si haute
décoration. Il est vrai qu'il avait été neuf fois
au feu, comptait cinq campagnes de guerre et qu'il s'était dévoué
sans ménagement dans les hôpitaux militaires lors des épidémies.
On doit au pasteur Boisset la construction du temple de Koléa,
qui fut inauguré le 5 juillet 1896 ( CdD,
1896, p. 58; CdD du 6 mars 1910 (article nécrologique qui le présente
comme 1.m " homme aimable et bon, pasteur pieux et fidèle
").). Auparavant les cultes se tenaient dans une remise
" longue comme un boyau " au fond d'une cour où donnait
également une écurie si l'on en croit le rédacteur
du Courrier du Dimanche relatant cette dédicace. Il s'agissait
d'une construction rectangulaire en un point élevé du village,
dominant la plaine de la Mitidja. Le pignon de façade comportait
un clocheton surmonté de la croix; la salle de culte était
éclairée par six grandes baies et pouvait accueillir 120
personnes; une vaste sacristie complétait l'édifice. On
évoqua alors le souvenir du pasteur Dürr qui présida
les premiers cultes à Koléa, bien avant que Boufarik ne
soit érigée en paroisse protestante.
Une autre tâche attendait, quelques années plus tard, le
pasteur Boisset: faire passer l'église du régime concordataire
au régime de séparation de l'Église et de l'État.
On imagine mal ce que cela représentait pour un pasteur de démarches
auprès des autorités civiles ou religieuses, des paroissiens
qu'il fallait convaincre de rejoindre telle ou telle formation luthérienne
ou réformée. Nous disposons pour Boufarik du rapport que
le pasteur fit au conseil presbytéral: " Pendant vingt-trois
jours consécutifs - du 25 novembre au 19 décembre - je suis
sorti tous les jours en voiture de louage. J'ai parcouru ainsi 804 km,
ce qui fait en moyenne 40 km par jour. J'ai visité quarante-neuf
villages ou fermes compris en douze communes. rai fait au moins 124 visites,
sans compter celles, nombreuses qu'il a fallu refaire ". L'aide de
l'Etat disparaissant, il fallait demander à chaque paroissien ce
qu'il voulait faire, combien il pouvait verser de contribution, etc.
Si les renseignements fournis par le pasteur Boisset sont exacts (
Émile Carrairon, alors pasteur à Boufarik, semble en douter
dans sa notice sur son église publiée dans le numéro
du Centenaire de CdD.), en 1896, la paroisse de Boufarik comptait
environ 400 protestants disséminés dans dix-huit localités
et, en 1898, les cultes avaient lieu à Boufarik les deuxième,
troisième, quatrième et éventuellement cinquième
dimanche du mois à 9 heures; le premier dimanche du mois, le culte
avait lieu à Koléa à 9 heures et à 14 heures
un autre culte était célébré alternativement
à Castiglione ou à Bérard; Chebli était desservi
le dimanche à 15 heures, Birtouta le troisième dimanche
à 15 heures toujours.
Le pasteur Boisset dut démissionner pour raisons de santé
en mars 1908 et c'est au conseil presbytéral qu'incomba finalement,
la lourde charge d'affiliation au synode luthérien et dévolution
des biens, en plus du quotidien d'une paroisse. Léon Teule, alors
vice-président de ce conseil, se dépensa sans compter. Les
statuts de la nouvelle Association cultuelle furent déposés
à la préfecture d'Alger le 8 mai 1908.
Ce ne fut en effet, qu'en avril 1911, après donc
une vacance de poste de près de trois années,que fut installé
Daniel-Jean Reboul ( Voir le livret
de Jean Sambuc sur " Les Reboul, une dynastie de potiers du canton
de Dieulefit ", Dieulefit association " Patrimoine potier ",
1988, p. 36 et 37.) (1871-1915), fils de l'évangéliste
de Relizane et dont une fille épousera le pasteur Henri d'Alger
Agha. La commission exécutive avait prononcé sa nomination
dès 13 décembre 1910 ( CdD
du 25 septembre 1910.). Mais il restera moins de deux années
en poste à Boufarik, ayant opté, dès 1913, pour la
charge de pasteur à Mostaganem. Il fut r emplacé par François
Bravaix ( BSHPF, 1978, p. 580.)
qui fut installé le 1e avril 1913. Il devait demeurer plus de douze
ans à Boufarik et connaître donc les quatre années
tragiques de la Grande Guerre dans laquelle il devait perdre son fils
Jean, mort au champ d'honneur en 1915, à 20 ans. Étant resté
le seul non mobilisé en raison de son âge, il dut, en plus
de sa paroisse, gérer celles de Douera, Blida et Miliana dont les
pasteurs étaient mobilisés. Le rédacteur de la notice
du numéro du Centenaire du Courrier du Dimanche conclut en disant
que " Ses anciens paroissiens n'ont garde d'oublier, ce pasteur à
la figure fine, douce et sereine et leur affection reconnaissante le suit
" à Dieulefit où il s'était retiré en
1925 ( À partir de cette date,
les renseignements que je reproduis sont issus des archives conservées
par mon ami Louis Schneider que je remercie pour son aide précieuse.).
Il revint passer ses dernières années de vie auprès
de sa fille, à Boufarik où il mourut en 1943. Émile
Carrairon lui succéda. Il dut restaurer une fois encore le temple
de Boufarik qu'un tremblement de terre, cinq ans plus tôt, avait
fortement ébranlé. Il ne put, hélas! améliorer
une acoustique très défectueuse. C'était un pasteur
de sensibilité libérale qui fut un temps directeur de l'Institut
Samuel Vincent de Nîmes, mais il s'efforça tout au long de
son ministère de ne choquer personne par ses propos et il fut fort
apprécié. Il restera à Boufarik jusqu'à sa
mort en 1937; d'abord inhumé à Boufarik, ses restes ont
été, après l'indépendance de l'Algérie,
transférés à SaintChaptes, dans le Gard.
Édouard Faure, gendre du pasteur Bravais, fut nommé à
Boufarik en 1938. Il était jusqu'alors pasteur à Cherchell,
paroisse qui fut, à cette occasion, rattachée à Boufarik.
Il fut l'artisan du rattachement à l'Église réformée
de France nouvellement créée d'une église qui, jusqu'alors,
était luthérienne. Ce fut à Boufarik aussi, une époque
bien difficile à vivre que suivit une guerre, encore plus pénible.
La paix retrouvée, le pasteur Faure quitta Boufarik pour Bourg-en-Bresse.
Il passa les dernières années de sa vie à Montpellier
auprès de sa fille Myriam, épouse du pasteur Freychet...
Après son départ de Boufarik un intérim du poste
pastoral fut assumé par un ingénieur agricole, Éric
Zurcher, qui devait plus tard, devenir pasteur à son tour, notamment
à Uzès.
Puis vint en 1946, Michel Olivès, jusque-là professeur de
lettres au collège colonial de Blida (une autre vocation tardive
peut-être apparue à l'occasion de la guerre). Il était
fils d'un missionnaire dans la communauté espagnole d'Oran. Il
poursuivit des études de théologie parallèlement
à l'intérim du poste de Boufarik et quittera l'Algérie
le 22 septembre 1954, pour rejoindre son nouveau poste à Saint-Laurent-d'Aigouze,
dans le Gard. Cinq semaines plus tard, pour la Toussaint, débuta
cette période douloureuse qui devait aboutir à l'indépendance
de l'Algérie.
* ************************
Le poste fut déclaré vacant et la situation
rendait aléatoire son remplacement. Une candidature pourtant fut
reçue, celle de Georges Tartar, jusque-là pasteur à
La Mure. Il vint présider le culte à Boufarik le 8 mai 1955,
fut élu et rejoignit son nouveau poste en septembre 1955.
Il avait une personnalité hors du commun, un charisme très
affirmé et, soutenu par une partie seulement de son conseil presbytéral,
fut à l'origine de la crise la plus grave que pouvait connaître
une église et ce, dans un temps fort troublé (
Les renseignements qui suivent sont, pour la plupart, issus du dossier
qu'a constitué en son temps Louis Schneider qui, à l'époque
des faits, était secrétaire du conseil presbytéral
de Boufarik, a vécu cette crise et en a souffert.).
Georges Tartar était issu d'une de ces Églises d'Orient
qui furent les premières dans le temps et ont subsisté,
contre vents et marées, à dix siècles d'oppression
musulmane. Il avait une connaissance du Coran presque aussi bonne que
sa connaissance de la Bible et parlait un arabe littéral plus pur
que celui de nombreux ouléma.
Les " événements ", comme on disait alors pudiquement,
eurent pour lui un retentissement plus grave encore que pour nombre de
ses paroissiens. Et il trouva, parmi ces derniers, un soutien sans faille
de la part de Marcel Astier, maire de Souma, conseiller général,
au passé militaire glorieux; comme colonel il avait conquis durant
la dernière Guerre Mondiale, le Fezzan, que la France ne sut pas
conserver, ni même réclamer après la victoire de 1945.
Il était, lui aussi, un arabisant de qualité et avait réussi
à se joindre à un groupe de pèlerins pour La Mecque;
il pouvait donc prétendre au titre de " Hadj ". Sa notoriété
en milieu musulman était telle qu'il s'était fait élire
au conseil général par le deuxième collège
(collège musulman).
L'incompréhension dont les milieux métropolitains faisaient
preuve à propos de la situation en Algérie contribua beaucoup
au développement de la crise. Certaines déclarations de
pasteurs, l'attitude d'un pasteur Mathiot ( Voir
sur cette pénible affaire, Présence, février-avril
1978, dixième partie, p. 29 à 31; aider un chef FLN à
passer en Suisse alors qu'il reconnaît étre l'objet de recherches
policières, était pour certains " annoncer l'Évangile
"; pour d'autres, dont le Conseil presbytéral de Boufarik,
le crime dénoncé par l'épitre aux Romains, chapitre
13, versets 2 à 4.) apportant son concours au FLN étaient
considérées par la majorité des fidèles comme
autant de coups de poignard portés par leurs frères et venant
s'ajouter aux agressions que les fellaghas leur faisaient endurer.
Ainsi, dès le 23 avril 1956, dix pasteurs du Gard (dont Michel
Olivès), dans une lettre ouverte adressée au président
du Conseil (Guy Mollet) écrivaient: " Au nom de notre nation,
nous nous humilions d'avoir couvert d'un silence complice, la grande souffrance
du peuple algérien, soumis, pendant trop longtemps, au mépris
et à la misère (...), nous pensons que l'envoi de l'armée
fait figure de provocation qui ne peut qu'étendre le conflit et
entraîner la guerre civile (...) nous vous adjurons de considérer
le Front de Libération Nationale comme l'un des interlocuteurs
valables en vue d'un cessez-le-feu ".
Le Conseil presbytéral de Boufarik unanime, répliqua violemment
dans une lettre datée du 2 juin 1956 et rendue publique: "
J'ai honte d'abord pour vous, parce que vous avez eu le triste courage
de l'écrire (...) vous orientez aujourd'hui vos ouailles dans les
sentiers de l'erreur, du mensonge et de la mort. C'est de cela dont vous
devriez vous humilier maintenant ". Cette lettre - dans laquelle
je crois reconnaître le style de Marcel Astier - rappelait ensuite
que la guerre que l'on nous faisait en Algérie était la
" guerre sainte ", prônée par les zélateurs
musulmans extrémistes, celle qui a poussé au massacre à
Robertville, à Filfila, Aïn-Beïda, El Alia et Palestro,
de femmes et d'enfants aussi bien que d'hommes, chrétiens ou musulmans
" innocentes victimes de vos interlocuteurs valables ".
Comme on le verra fréquemment dans le conflit algérien,
les prises de position métropolitaines de personnes qui se jugeaient
bien pensantes, exprimées en termes choisis depuis un intérieur
feutré, déchaînaient la colère de ceux qui
vivaient un drame au jour le jour; elles accentuaient un fossé
d'incompréhension chaque jour plus profondément tracé
entre les deux bords de la Méditerranée.
Dans cette ambiance passionnée - et toujours dans l'église
de Boufarik - une voix s'éleva, apportant un message d'union, de
paix, de fraternité et l'espérance d'un monde meilleur.
Cette voix fut celle du pasteur Tartar au travers de son " Union
des croyants " qui voulait le rapprochement entre les grandes religions
monothéistes, l'instauration d'une société juste,
fraternelle et pacifique. Dans un texte daté du 28 février
1959 il présente sa démarche: " C'est dans la recherche
d'une solution au problème algérien que j'ai été
amené à approfondir certaines questions et à leur
trouver des solutions nouvelles afin de travailler au rapprochement islamo-chrétien
et de fournir à la communauté franco-musulmane qui se crée,
un fondement religieux et spirituel qui la rendrait plus effective, plus
solide et plus unie (...). L'un des biens communs des monothéistes,
c'est la foi en Dieu qui s'est révélé et dont la
révélation se trouve recueillie dans deux livres: la Bible
et le Coran. L'étude de ces livres, sans parti pris dogmatique,
permettrait aux croyants de se connaître et de s'aimer et de vivre
dans la paix et l'harmonie fraternelle ".
En pleine guerre, alors que les fanatismes se renforçaient, un
tel message ne pouvait être reçu, mais il est bon qu'il ait
été proclamé.
Son accueil fut franchement mauvais; on crut y voir du syncrétisme
religieux, certains parlèrent même de cheminement vers la
conversion à l'islam d'un pasteur protestant. Les plus aimables
évoquèrent la démarche d'un doux rêveur...
Si l'on ajoute que ce message était l'oeuvre d'un pasteur qui affirmait
corrélativement haut et fort son attachement à une Algérie
française, seul cadre possible selon lui pour l'enfantement et
le soutien d'un pareil projet, on comprend mieux que le pasteur Tartar
ait été incompris de la plupart de ses interlocuteurs.
L'église de Boufarik fut le théâtre d'une lutte fratricide
où les deux camps multiplièrent maladresses et coups fourrés.
Le consistoire était alors dominé par deux personnalités
de qualité mais avec une conception très rigide de leur
rôle et de la discipline dans l'Église; je veux parler des
pasteurs Chatoney et Capieu. Après avoir vainement tenté
d'obtenir du conseil presbytéral qu'il démissionne Georges
Tartar, le consistoire saisit le Conseil national qui entend le pasteur
de Boufarik le 19 janvier 1960. Ce dernier impressionne le conseil par
" l'assurance fortement formulée de sa vocation à rechercher
une méthode d'approche chrétienne de l'Islam ". Vu
l'importance du conflit opposant ce pasteur et le consistoire, le Conseil
national proposa un congé payé en métropole pour
une durée minimum de six mois à partir du 1er mars pour
qu'il bénéficie " d'un temps de repos et de retraite
propre à éclairer l'Église et eux-mêmes (i.e.
les époux Tartar) sur la forme de ministère vers laquelle
les connaissances et les dons particuliers de M. Tartar peuvent l'orienter
" et pour permettre à ce dernier de poursuivre ses études
islamiques et hébraïques, étant précisé
que " la reprise du ministère au-delà de ce congé
pourrait ne pas s'exercer dans un cadre paroissial ordinaire ". Dans
la lettre accompagnant, pour le conseil presbytéral, cette décision,
le pasteur Pierre Bourguet, président du conseil national, précisait
que celle-ci " exceptionnellement généreuse (était)
intangible, puisque nous sommes allés d'emblée à
l'extrême limite de ce qui pouvait être envisagé ".
Cette mise en congé avec bannissement et incertitude quant à
l'avenir de son ministère, ne pouvait être acceptée
par le pasteur Tartar; elle ne le fut pas et dans sa lettre de refus ce
dernier compara le conseil national au Sanhédrin et à la
diète de Worms et leur reprocha " d'éteindre l'esprit
". En réponse le Conseil national le suspendit de ses fonctions
à compter du 1er mars avec interdiction d'exercice de son ministère
dans quelque église que ce soit.
Une séance extraordinaire du conseil presbytéral se tint
le 3 mars 1960 à Koléa, au domicile de Mathieu de Tonnac,
vice-président. Six des conseillers presbytéraux sur dix
y étaient présents, mais ni Marcel Astier qui s'y était
refusé, ni le pasteur Tartar qui fit une courte apparition pour
signaler l'illégalité d'une telle réunion et annoncer
qu'il saisirait les tribunaux. Le procès-verbal croit bon de noter
que la séance fut suspendue à l'arrivée de Georges
Tartar et ne reprit qu'après son départ.
Le but de la réunion, à laquelle participaient les pasteurs
Chatoney, président du Conseil régional et Bolay, président
du consistoire de l'Algérois était de procéder à
la déclaration de vacance du poste pastoral et de demander à
un pasteur d'assurer dès à présent la desserte de
la paroisse. Le nom d'Adrien Bellet, alors pasteur à Tlemcen fut
suggéré par le pasteur Chatoney et une démarche en
ce sens fut aussitôt décidée.
Dans la lettre qui lui fut adressée par le vice-président
et le secrétaire, il était bien précisé que
sur les dix membres du conseil trois repoussaient la décision du
Conseil national et un était " sans opinion ". Quant
aux paroissiens, il était difficile de préciser leurs opinions;
tout au plus pouvait-on indiquer que, sur Boufarik, 50 % soutenaient Tartar
et 50 % étaient prêts à obéir au Conseil national.
Le pasteur Bellet accepta et rejoignit Boufarik très rapidement
mais il ne put ni s'installer dans le presbytère, ni même
accéder au temple dont les serrures avaient été changées.
Le pasteur Tartar et ses amis avaient en effet décidé de
ne pas se soumettre. Ils avaient réuni le 20 mars 1960 une assemblée
générale qui confirma dans ses fonctions le pasteur Tartar,
déclara démissionnaires les six membres ayant participé
à la séance de Koléa et procéda à des
élections partielles pour compléter le conseil presbytéral.
Marcel Astier fut nommé vice-président du conseil presbytéral
et son neveu Paul Astier, trésorier.
Le synode national tenu à Valence les 29, 30 avril et 1" mai
1961 prononça, par 75 voix contre 3, la révocation du pasteur
Tartar " pour des motifs de doctrine et de discipline ", mais
celui-ci resta à son poste. Sur assignation devant le Tribunal
de grande instance d'Alger par le groupe opposé, il se vit, par
jugement du 31 juillet 1961, condamné à remettre à
la disposition de l'ERF, les édifices cultuels de Boufarik, Koléa,
Cherchell, la voiture automobile mise à sa disposition et les divers
registres et pièces d'archives. Mais cette décision ne fut
pas exécutée.
L'indépendance de l'Algérie survint quelques mois plus tard;
la plupart des membres de l'église rejoignit la métropole
à l'exception de Marcel Astier, enlevé et sans doute assassiné
par l'armée de libération nationale algérienne dans
les premiers jours de juillet 1962, et du pasteur Tartar qui, contre vents
et marées, continua son oeuvre d'évangélisation et
de rapprochement des croyants des trois grands courants religieux monothéistes,
jusqu'à son expulsion par le gouvernement algérien en 1970.
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