Un village d'Algérie : Boufarik
L'église protestante de Boufarik
extraits du numéro 117, , mars 2007 , de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
le 18-1-2012

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L'église protestante de Boufarik
par Georges Pons

D'ABORD annexe de l'église de Blida, celle de Boufarik (Bibliographie: Courrier du Dimanche (indiqué en abrégé CdD), numéro du Centenaire, p. 6 à 8; Trumelet : " Boufarik e, deuxième édition, Jourdan, Alger, 1887, p. 367-368 et 483.) ne fut constituée en paroisse distincte que par décret du 23 novembre 1875. Tout comme son église mère, elle était affectée au culte de l'église luthérienne; pour reprendre la terminologie d'alors il s'agissait d'un " oratoire de la confession d'Augsbourg " et les cultes avaient lieu alternativement en français et en allemand.

En superficie, elle était alors une des plus petites églises, Boufarik se situant au centre d'un cercle d'environ 25 km de rayon, regroupant dix-huit localités et comportant officiellement quatre annexes.

À une époque que je n'ai pu fixer avec précision, mais qui est postérieure à 1930, Boufarik se vit adjoindre l'arrondissement de Cherchell, détaché de la nouvelle paroisse de Miliana.

Le premier pasteur fut Ludwig (dit " Louis ") Bost (2Voir Charles Marc Bost, Mémoires de mes fantômes, sans nom d'éditeur, ni lieu d'édition, 1981, tome p. 33 à 35.) (1845-1929), petit-fils d'Ami Bost, le fougueux pasteur du Réveil, neveu de John Bost, fondateur des Asiles qui portent son nom; il avait fait ses études de théologie à Strasbourg et soutenu sa thèse en français: " Essai d'introduction du livre de l'Ecclésiaste " alors que l'Alsace était devenue allemande. Consacré pasteur par son père à Anduze le 19 juillet 1874, il rejoint un premier poste pastoral à Cherchell la même année, mais n'y reste que deux ans et il est appelé au nouveau poste créé à Boufarik où il est installé le 5 novembre 1876.

Installé est un bien grand mot car il n'y avait ni temple, ni presbytère, ni conseil presbytéral. Les cultes avaient lieu tout d'abord dans une salle de l'école des garçons puis, depuis le 10 février 1865, dans une pièce exiguë. Cet ancien séchoir à tabac (qui servit aussi de brasserie) était étouffant en été et si humide en hiver que les livres y moisissaient en peu de jours. Il était urgent de bâtir un temple.

Louis Bost s'y employa avec acharnement, aidé en cela par Léon Teule, de Souma, qui établit lui-même les plans et devis de construction et les présenta au conseil presbytéral dès le 3 février 1878. Le coût estimé à 15 000 F, terrain non compris. La mairie concéda un terrain dans ce qui deviendra la rue Borély-La-Sapie. Mais, lorsque les travaux débutèrent en 1879, Bost n'avait en caisse que 1 700 F. Il multiplia les appels de fonds, les collectes en métropole, en Écosse, en Angleterre et en Suisse et obtint un prêt sans intérêt de Victor Zuber, industriel à Rixheim.

Enfin, le 29 mai 1881, le nouveau temple fut consacré par le pasteur Augustin Bost de Genève, père de Louis, en présence d'une foule nombreuse et de sept pasteurs en robe. En 1894 il est décrit, dans le journal le Courrier du Dimanche (3CdD, 1894, p. 17.) comme " l'un des mieux appropriés à sa destination; entouré d'un jardin complanté d'arbustes et de plantes souvent fleuries, avec ses fenêtres en ogive, son choeur surélevé, son autel en bois sculpté et son ancienne chaire historique, don de la vieille église de Montpellier à sa jeune soeur d'Algérie ".

Mais l'action du pasteur Bost ne se limita pas à cela: il créa une " bibliothèque populaire du Temple ", offrant plusieurs centaines d'ouvrages et une école du jeudi et son action s'étendit au-delà des limites de sa paroisse puisqu'il créa, avec son collègue Charles Monod, le Courrier du Dimanche, première publication bimestrielle protestante en Algérie. Il agrémenta notamment les numéros d'astuces mathématiques.

Hélas ! en 1894, il contracta le typhus, n'en mourut pas mais dut renoncer à son ministère et démissionner après dix-huit ans dans la même paroisse où il laissa bien des regrets. Il était considéré comme un écrivain de talent, un musicien de qualité et un serviteur de Dieu particulièrement dévoué.
Son successeur, le pasteur Théophile, Lazare Boisset (1854-1910) (4Bulletin de Société d'histoire du protestantisme français (abrégé BSHPF), 1895, p. 288; 1901, p. 48; 1978, p. 349 et p. 426. Il était le père du professeur Jean Boisset (1909-1978) de la faculté de Montpellier.) avait d'autres qualités; c'était essentiellement un aumônier militaire qui s'était couvert de gloire lors de l'expédition du Tonkin et notamment à TuyenQuan aux côtés du sergent Bobillot, ce qui lui valut une croix de chevalier de la Légion d'honneur sur le champ de bataille. Il avait été évangéliste instituteur à Relizane de 1881 à 1884 avant son départ pour l'Extrême-Orient. À son retour, il fut pasteur à Aumessas, dans le Gard, mais ne soutint sa thèse de bachelier en théologie qu'en 1890. Nouvel Aramis, il n'était pas plutôt en fonction dans une paroisse qu'il rêvait de partir outre-mer comme aumônier militaire. C'est ainsi qu'il sollicita la faveur de partir - mais vainement - depuis Aumessas avec l'expédition du général Dodds au Dahomey et depuis Boufarik, en 1895, et de se joindre au corps expéditionnaire partant pour Madagascar, mais on lui préféra alors le pasteur de Cherchell. En 1900, il fut choisi - enfin - comme aumônier des troupes en campagne contre les Boxers en Chine; il y restera quinze mois, Boufarik étant alors provisoirement confiée à un suffragant, Émile Ledermann, le futur pasteur de Philippeville. Lorsque lui fut remis en 1902, la rosette d'officier de la Légion d'honneur, il était le seul pasteur de France ayant une si haute décoration. Il est vrai qu'il avait été neuf fois au feu, comptait cinq campagnes de guerre et qu'il s'était dévoué sans ménagement dans les hôpitaux militaires lors des épidémies.

On doit au pasteur Boisset la construction du temple de Koléa, qui fut inauguré le 5 juillet 1896 ( CdD, 1896, p. 58; CdD du 6 mars 1910 (article nécrologique qui le présente comme 1.m " homme aimable et bon, pasteur pieux et fidèle ").). Auparavant les cultes se tenaient dans une remise " longue comme un boyau " au fond d'une cour où donnait également une écurie si l'on en croit le rédacteur du Courrier du Dimanche relatant cette dédicace. Il s'agissait d'une construction rectangulaire en un point élevé du village, dominant la plaine de la Mitidja. Le pignon de façade comportait un clocheton surmonté de la croix; la salle de culte était éclairée par six grandes baies et pouvait accueillir 120 personnes; une vaste sacristie complétait l'édifice. On évoqua alors le souvenir du pasteur Dürr qui présida les premiers cultes à Koléa, bien avant que Boufarik ne soit érigée en paroisse protestante.

Une autre tâche attendait, quelques années plus tard, le pasteur Boisset: faire passer l'église du régime concordataire au régime de séparation de l'Église et de l'État. On imagine mal ce que cela représentait pour un pasteur de démarches auprès des autorités civiles ou religieuses, des paroissiens qu'il fallait convaincre de rejoindre telle ou telle formation luthérienne ou réformée. Nous disposons pour Boufarik du rapport que le pasteur fit au conseil presbytéral: " Pendant vingt-trois jours consécutifs - du 25 novembre au 19 décembre - je suis sorti tous les jours en voiture de louage. J'ai parcouru ainsi 804 km, ce qui fait en moyenne 40 km par jour. J'ai visité quarante-neuf villages ou fermes compris en douze communes. rai fait au moins 124 visites, sans compter celles, nombreuses qu'il a fallu refaire ". L'aide de l'Etat disparaissant, il fallait demander à chaque paroissien ce qu'il voulait faire, combien il pouvait verser de contribution, etc.

Si les renseignements fournis par le pasteur Boisset sont exacts ( Émile Carrairon, alors pasteur à Boufarik, semble en douter dans sa notice sur son église publiée dans le numéro du Centenaire de CdD.), en 1896, la paroisse de Boufarik comptait environ 400 protestants disséminés dans dix-huit localités et, en 1898, les cultes avaient lieu à Boufarik les deuxième, troisième, quatrième et éventuellement cinquième dimanche du mois à 9 heures; le premier dimanche du mois, le culte avait lieu à Koléa à 9 heures et à 14 heures un autre culte était célébré alternativement à Castiglione ou à Bérard; Chebli était desservi le dimanche à 15 heures, Birtouta le troisième dimanche à 15 heures toujours.

Le pasteur Boisset dut démissionner pour raisons de santé en mars 1908 et c'est au conseil presbytéral qu'incomba finalement, la lourde charge d'affiliation au synode luthérien et dévolution des biens, en plus du quotidien d'une paroisse. Léon Teule, alors vice-président de ce conseil, se dépensa sans compter. Les statuts de la nouvelle Association cultuelle furent déposés à la préfecture d'Alger le 8 mai 1908.

Ce ne fut en effet, qu'en avril 1911, après donc une vacance de poste de près de trois années,que fut installé Daniel-Jean Reboul ( Voir le livret de Jean Sambuc sur " Les Reboul, une dynastie de potiers du canton de Dieulefit ", Dieulefit association " Patrimoine potier ", 1988, p. 36 et 37.) (1871-1915), fils de l'évangéliste de Relizane et dont une fille épousera le pasteur Henri d'Alger Agha. La commission exécutive avait prononcé sa nomination dès 13 décembre 1910 ( CdD du 25 septembre 1910.). Mais il restera moins de deux années en poste à Boufarik, ayant opté, dès 1913, pour la charge de pasteur à Mostaganem. Il fut r emplacé par François Bravaix ( BSHPF, 1978, p. 580.) qui fut installé le 1e avril 1913. Il devait demeurer plus de douze ans à Boufarik et connaître donc les quatre années tragiques de la Grande Guerre dans laquelle il devait perdre son fils Jean, mort au champ d'honneur en 1915, à 20 ans. Étant resté le seul non mobilisé en raison de son âge, il dut, en plus de sa paroisse, gérer celles de Douera, Blida et Miliana dont les pasteurs étaient mobilisés. Le rédacteur de la notice du numéro du Centenaire du Courrier du Dimanche conclut en disant que " Ses anciens paroissiens n'ont garde d'oublier, ce pasteur à la figure fine, douce et sereine et leur affection reconnaissante le suit " à Dieulefit où il s'était retiré en 1925 ( À partir de cette date, les renseignements que je reproduis sont issus des archives conservées par mon ami Louis Schneider que je remercie pour son aide précieuse.). Il revint passer ses dernières années de vie auprès de sa fille, à Boufarik où il mourut en 1943. Émile Carrairon lui succéda. Il dut restaurer une fois encore le temple de Boufarik qu'un tremblement de terre, cinq ans plus tôt, avait fortement ébranlé. Il ne put, hélas! améliorer une acoustique très défectueuse. C'était un pasteur de sensibilité libérale qui fut un temps directeur de l'Institut Samuel Vincent de Nîmes, mais il s'efforça tout au long de son ministère de ne choquer personne par ses propos et il fut fort apprécié. Il restera à Boufarik jusqu'à sa mort en 1937; d'abord inhumé à Boufarik, ses restes ont été, après l'indépendance de l'Algérie, transférés à SaintChaptes, dans le Gard.

Édouard Faure, gendre du pasteur Bravais, fut nommé à Boufarik en 1938. Il était jusqu'alors pasteur à Cherchell, paroisse qui fut, à cette occasion, rattachée à Boufarik. Il fut l'artisan du rattachement à l'Église réformée de France nouvellement créée d'une église qui, jusqu'alors, était luthérienne. Ce fut à Boufarik aussi, une époque bien difficile à vivre que suivit une guerre, encore plus pénible. La paix retrouvée, le pasteur Faure quitta Boufarik pour Bourg-en-Bresse. Il passa les dernières années de sa vie à Montpellier auprès de sa fille Myriam, épouse du pasteur Freychet...

Après son départ de Boufarik un intérim du poste pastoral fut assumé par un ingénieur agricole, Éric Zurcher, qui devait plus tard, devenir pasteur à son tour, notamment à Uzès.

Puis vint en 1946, Michel Olivès, jusque-là professeur de lettres au collège colonial de Blida (une autre vocation tardive peut-être apparue à l'occasion de la guerre). Il était fils d'un missionnaire dans la communauté espagnole d'Oran. Il poursuivit des études de théologie parallèlement à l'intérim du poste de Boufarik et quittera l'Algérie le 22 septembre 1954, pour rejoindre son nouveau poste à Saint-Laurent-d'Aigouze, dans le Gard. Cinq semaines plus tard, pour la Toussaint, débuta cette période douloureuse qui devait aboutir à l'indépendance de l'Algérie.

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Le poste fut déclaré vacant et la situation rendait aléatoire son remplacement. Une candidature pourtant fut reçue, celle de Georges Tartar, jusque-là pasteur à La Mure. Il vint présider le culte à Boufarik le 8 mai 1955, fut élu et rejoignit son nouveau poste en septembre 1955.

Il avait une personnalité hors du commun, un charisme très affirmé et, soutenu par une partie seulement de son conseil presbytéral, fut à l'origine de la crise la plus grave que pouvait connaître une église et ce, dans un temps fort troublé ( Les renseignements qui suivent sont, pour la plupart, issus du dossier qu'a constitué en son temps Louis Schneider qui, à l'époque des faits, était secrétaire du conseil presbytéral de Boufarik, a vécu cette crise et en a souffert.).

Georges Tartar était issu d'une de ces Églises d'Orient qui furent les premières dans le temps et ont subsisté, contre vents et marées, à dix siècles d'oppression musulmane. Il avait une connaissance du Coran presque aussi bonne que sa connaissance de la Bible et parlait un arabe littéral plus pur que celui de nombreux ouléma.

Les " événements ", comme on disait alors pudiquement, eurent pour lui un retentissement plus grave encore que pour nombre de ses paroissiens. Et il trouva, parmi ces derniers, un soutien sans faille de la part de Marcel Astier, maire de Souma, conseiller général, au passé militaire glorieux; comme colonel il avait conquis durant la dernière Guerre Mondiale, le Fezzan, que la France ne sut pas conserver, ni même réclamer après la victoire de 1945. Il était, lui aussi, un arabisant de qualité et avait réussi à se joindre à un groupe de pèlerins pour La Mecque; il pouvait donc prétendre au titre de " Hadj ". Sa notoriété en milieu musulman était telle qu'il s'était fait élire au conseil général par le deuxième collège (collège musulman).

L'incompréhension dont les milieux métropolitains faisaient preuve à propos de la situation en Algérie contribua beaucoup au développement de la crise. Certaines déclarations de pasteurs, l'attitude d'un pasteur Mathiot ( Voir sur cette pénible affaire, Présence, février-avril 1978, dixième partie, p. 29 à 31; aider un chef FLN à passer en Suisse alors qu'il reconnaît étre l'objet de recherches policières, était pour certains " annoncer l'Évangile "; pour d'autres, dont le Conseil presbytéral de Boufarik, le crime dénoncé par l'épitre aux Romains, chapitre 13, versets 2 à 4.) apportant son concours au FLN étaient considérées par la majorité des fidèles comme autant de coups de poignard portés par leurs frères et venant s'ajouter aux agressions que les fellaghas leur faisaient endurer.

Ainsi, dès le 23 avril 1956, dix pasteurs du Gard (dont Michel Olivès), dans une lettre ouverte adressée au président du Conseil (Guy Mollet) écrivaient: " Au nom de notre nation, nous nous humilions d'avoir couvert d'un silence complice, la grande souffrance du peuple algérien, soumis, pendant trop longtemps, au mépris et à la misère (...), nous pensons que l'envoi de l'armée fait figure de provocation qui ne peut qu'étendre le conflit et entraîner la guerre civile (...) nous vous adjurons de considérer le Front de Libération Nationale comme l'un des interlocuteurs valables en vue d'un cessez-le-feu ".
Le Conseil presbytéral de Boufarik unanime, répliqua violemment dans une lettre datée du 2 juin 1956 et rendue publique: " J'ai honte d'abord pour vous, parce que vous avez eu le triste courage de l'écrire (...) vous orientez aujourd'hui vos ouailles dans les sentiers de l'erreur, du mensonge et de la mort. C'est de cela dont vous devriez vous humilier maintenant ". Cette lettre - dans laquelle je crois reconnaître le style de Marcel Astier - rappelait ensuite que la guerre que l'on nous faisait en Algérie était la " guerre sainte ", prônée par les zélateurs musulmans extrémistes, celle qui a poussé au massacre à Robertville, à Filfila, Aïn-Beïda, El Alia et Palestro, de femmes et d'enfants aussi bien que d'hommes, chrétiens ou musulmans " innocentes victimes de vos interlocuteurs valables ".

Comme on le verra fréquemment dans le conflit algérien, les prises de position métropolitaines de personnes qui se jugeaient bien pensantes, exprimées en termes choisis depuis un intérieur feutré, déchaînaient la colère de ceux qui vivaient un drame au jour le jour; elles accentuaient un fossé d'incompréhension chaque jour plus profondément tracé entre les deux bords de la Méditerranée.

Dans cette ambiance passionnée - et toujours dans l'église de Boufarik - une voix s'éleva, apportant un message d'union, de paix, de fraternité et l'espérance d'un monde meilleur. Cette voix fut celle du pasteur Tartar au travers de son " Union des croyants " qui voulait le rapprochement entre les grandes religions monothéistes, l'instauration d'une société juste, fraternelle et pacifique. Dans un texte daté du 28 février 1959 il présente sa démarche: " C'est dans la recherche d'une solution au problème algérien que j'ai été amené à approfondir certaines questions et à leur trouver des solutions nouvelles afin de travailler au rapprochement islamo-chrétien et de fournir à la communauté franco-musulmane qui se crée, un fondement religieux et spirituel qui la rendrait plus effective, plus solide et plus unie (...). L'un des biens communs des monothéistes, c'est la foi en Dieu qui s'est révélé et dont la révélation se trouve recueillie dans deux livres: la Bible et le Coran. L'étude de ces livres, sans parti pris dogmatique, permettrait aux croyants de se connaître et de s'aimer et de vivre dans la paix et l'harmonie fraternelle ".

En pleine guerre, alors que les fanatismes se renforçaient, un tel message ne pouvait être reçu, mais il est bon qu'il ait été proclamé.

Son accueil fut franchement mauvais; on crut y voir du syncrétisme religieux, certains parlèrent même de cheminement vers la conversion à l'islam d'un pasteur protestant. Les plus aimables évoquèrent la démarche d'un doux rêveur...

Si l'on ajoute que ce message était l'oeuvre d'un pasteur qui affirmait corrélativement haut et fort son attachement à une Algérie française, seul cadre possible selon lui pour l'enfantement et le soutien d'un pareil projet, on comprend mieux que le pasteur Tartar ait été incompris de la plupart de ses interlocuteurs.

L'église de Boufarik fut le théâtre d'une lutte fratricide où les deux camps multiplièrent maladresses et coups fourrés. Le consistoire était alors dominé par deux personnalités de qualité mais avec une conception très rigide de leur rôle et de la discipline dans l'Église; je veux parler des pasteurs Chatoney et Capieu. Après avoir vainement tenté d'obtenir du conseil presbytéral qu'il démissionne Georges Tartar, le consistoire saisit le Conseil national qui entend le pasteur de Boufarik le 19 janvier 1960. Ce dernier impressionne le conseil par " l'assurance fortement formulée de sa vocation à rechercher une méthode d'approche chrétienne de l'Islam ". Vu l'importance du conflit opposant ce pasteur et le consistoire, le Conseil national proposa un congé payé en métropole pour une durée minimum de six mois à partir du 1er mars pour qu'il bénéficie " d'un temps de repos et de retraite propre à éclairer l'Église et eux-mêmes (i.e. les époux Tartar) sur la forme de ministère vers laquelle les connaissances et les dons particuliers de M. Tartar peuvent l'orienter " et pour permettre à ce dernier de poursuivre ses études islamiques et hébraïques, étant précisé que " la reprise du ministère au-delà de ce congé pourrait ne pas s'exercer dans un cadre paroissial ordinaire ". Dans la lettre accompagnant, pour le conseil presbytéral, cette décision, le pasteur Pierre Bourguet, président du conseil national, précisait que celle-ci " exceptionnellement généreuse (était) intangible, puisque nous sommes allés d'emblée à l'extrême limite de ce qui pouvait être envisagé ".

Cette mise en congé avec bannissement et incertitude quant à l'avenir de son ministère, ne pouvait être acceptée par le pasteur Tartar; elle ne le fut pas et dans sa lettre de refus ce dernier compara le conseil national au Sanhédrin et à la diète de Worms et leur reprocha " d'éteindre l'esprit ". En réponse le Conseil national le suspendit de ses fonctions à compter du 1er mars avec interdiction d'exercice de son ministère dans quelque église que ce soit.

Une séance extraordinaire du conseil presbytéral se tint le 3 mars 1960 à Koléa, au domicile de Mathieu de Tonnac, vice-président. Six des conseillers presbytéraux sur dix y étaient présents, mais ni Marcel Astier qui s'y était refusé, ni le pasteur Tartar qui fit une courte apparition pour signaler l'illégalité d'une telle réunion et annoncer qu'il saisirait les tribunaux. Le procès-verbal croit bon de noter que la séance fut suspendue à l'arrivée de Georges Tartar et ne reprit qu'après son départ.

Le but de la réunion, à laquelle participaient les pasteurs Chatoney, président du Conseil régional et Bolay, président du consistoire de l'Algérois était de procéder à la déclaration de vacance du poste pastoral et de demander à un pasteur d'assurer dès à présent la desserte de la paroisse. Le nom d'Adrien Bellet, alors pasteur à Tlemcen fut suggéré par le pasteur Chatoney et une démarche en ce sens fut aussitôt décidée.

Dans la lettre qui lui fut adressée par le vice-président et le secrétaire, il était bien précisé que sur les dix membres du conseil trois repoussaient la décision du Conseil national et un était " sans opinion ". Quant aux paroissiens, il était difficile de préciser leurs opinions; tout au plus pouvait-on indiquer que, sur Boufarik, 50 % soutenaient Tartar et 50 % étaient prêts à obéir au Conseil national.

Le pasteur Bellet accepta et rejoignit Boufarik très rapidement mais il ne put ni s'installer dans le presbytère, ni même accéder au temple dont les serrures avaient été changées.

Le pasteur Tartar et ses amis avaient en effet décidé de ne pas se soumettre. Ils avaient réuni le 20 mars 1960 une assemblée générale qui confirma dans ses fonctions le pasteur Tartar, déclara démissionnaires les six membres ayant participé à la séance de Koléa et procéda à des élections partielles pour compléter le conseil presbytéral. Marcel Astier fut nommé vice-président du conseil presbytéral et son neveu Paul Astier, trésorier.

Le synode national tenu à Valence les 29, 30 avril et 1" mai 1961 prononça, par 75 voix contre 3, la révocation du pasteur Tartar " pour des motifs de doctrine et de discipline ", mais celui-ci resta à son poste. Sur assignation devant le Tribunal de grande instance d'Alger par le groupe opposé, il se vit, par jugement du 31 juillet 1961, condamné à remettre à la disposition de l'ERF, les édifices cultuels de Boufarik, Koléa, Cherchell, la voiture automobile mise à sa disposition et les divers registres et pièces d'archives. Mais cette décision ne fut pas exécutée.
L'indépendance de l'Algérie survint quelques mois plus tard; la plupart des membres de l'église rejoignit la métropole à l'exception de Marcel Astier, enlevé et sans doute assassiné par l'armée de libération nationale algérienne dans les premiers jours de juillet 1962, et du pasteur Tartar qui, contre vents et marées, continua son oeuvre d'évangélisation et de rapprochement des croyants des trois grands courants religieux monothéistes, jusqu'à son expulsion par le gouvernement algérien en 1970.