Géographie de l'Afrique du nord
Le Titteri des Français
1830-1962
DEUXIEME PARTIE : LES LOCALITES
A/ LES CHEFS-LIEUXD'ARRONDISSEMENT DE LA RN 1
BOGHARI (ou Ksar el Boukhari)
Documents et textes : Georges Bouchet
mise sur site le 13-3-2009

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BOGHARI (ou Ksar el Boukhari)
Documents et textes : Georges Bouchet

Supplément sur Boghar

En tant que forteresse Boghar n'est pas une création française
En tant que village de colons agriculteurs c'est une création française
En 1954 il y avait 2326 habitants dont 173 Européens

Boghar avant les Français est un lieu élevé qui a été fortifié pour surveiller les hautes plaines ainsi que la percée du Chélif par laquelle il est commode de passer pour pénétrer profondément dans l'Atlas tellien.

Sous les Romains Boghar s'appelle Castellum Mauritanum

C'est une forteresse faisant partie du Limes que Rome a aménagé au pied de l'Atlas tellien pour surveiller les nomades des steppes alors dénommés Gétules. Cette forteresse appartient à la province de Maurétanie Césarienne que Rome n'a annexée que vers 40 de notre ère. J'ignore la date précise de l'implantation des légionnaires en ce lieu, mais il est sûr que la date de 46 lue sur internet est une erreur. 46 me paraîtrait prématuré et 146 possible. En l'absence de certitude, admettons une date du IIè siècle. Dans le Titteri le limes n'était pas continu ; il consistait en fortins distants d'une vingtaine de kilomètres entre lesquels patrouillaient les soldats des numeri exploratores. Il y avait sûrement un tel numerus à Catellum Mauritanum, dont le poste le plus voisin était à Saneg.

Après être placé en première ligne le poste du futur Boghari s'est retrouvé vers 200, sous les Sévères en seconde ligne, loin derrière les postes établis alors dans l'Atlas saharien. Mais ces postes très avancés ont dû être évacués vers 240. Boghar a tenu plus longtemps.

J'ignore quand le Castellum Mauritanum a dû être évacué à son tour ; vraisemblablement lors d'un épisode des troubles provoqués par les Donatistes ou les Circoncellions au IVè siècle. Je suis sûr qu'il n'y avait plus de légionnaires en 429 lorsque les Vandales ont chassé les Romains de la Maurétanie. De toute façon, ni les Vandales, ni les Byzantins ne sont réapparus en ces lieux qui disparaissent de l'histoire pour un millénaire.

Sous la Régence turque Boghar réapparaît, au XVIè siècle, en tant que point d'appui des troupes du bey de Médéa chargées de la collecte des impôts et du maintien d'un semblant de souveraineté sur les montagnes jusqu'au XVIIIè et même sur les steppes nomades ensuite. Les Turcs avaient deux postes de part et d'autre de la percée du Chélif : Boghar et le ksar du futur ksar el Boukhari. Le principal était Boghar.

Ces fortins réussissaient leur mission dans la mesure où ils étendaient le bled el Makhzen (pays sûr) aux dépens des bleds es Siba (pays insoumis) ou el Baroud (pays en guerre).

Sous Abd el-Kader, Boghar est occupé après 1837. Le khalifa el Berkani y établit un arsenal que, grâce au traité de la Tafna, il peut remplir avec des armes et de la poudre achetées à la France. Il n'est alors pas question que les troupes françaises pénètrent dans la province du Titteri dont la souveraineté a été reconnue à Abd el-Kader.

Tout change lorsque Abd el-Kader décide le djihad à l'automne 1839. Valée fait aussitôt réoccuper, pour de bon, Médéa. Mais el Berkani continue à tenir la campagne. C'est après l'arrivée de Bugeaud au Gouvernement Général fin février 1841, que les soldats français reprennent l'offensive et pourchassent el Berkani. Cette chasse nous conduit jusqu'à Boghar en mai 1841.


Boghar sous les Français

En 1841 Lorsque le colonel Baraguay d'Hilliers, parti de Médéa, monte à Boghar, il ne trouve, le 23 mai, que des ruines. El Berkani a mis le feu à ses installations et vidé son arsenal. Il reste au colonel à construire et à fortifier une redoute suffisante pour héberger le régiment laissé sur place ( le35è de ligne), ainsi qu'une infirmerie pour soigner malades et blessés. Ses instructions lui enjoignent de créer un poste d'observation capable de surveiller les mouvements des tribus de la steppe, avec une garnison assez fournie pour empêcher le retour d'el Berkani. On ne songe pas alors à aller plus loin vers le sud, car le climat trop aride, paraît exclure l'implantation de villages de colonisation dans la steppe.

Mais les aléas de la lutte contre Abd el-Kader nous ont obligé à nous avancer loin vers le sud, métamorphosant ainsi Boghar de poste d'observation en base de départ d'expéditions punitives ou exploratoires. J'y reviendrai.

On fait bientôt de Boghar le siège d'un cercle militaire dépendant de la subdivision de Médéa, et le siège d'un bureau arabe.

En 1844 un village de colonisation est fondé au-dessous du fort, pour des soldats libérables demandeurs d'une concession, à la fin de leurs 7 ans de service militaire (pour ceux qui ont tiré un mauvais numéro) institués par la loi Soult de 1832.

En 1870 Boghar devient chef-lieu d'une CPE, commune de plein exercice.

En 1878 le périmètre de colonisation est agrandi par l'octroi de 46 lots de toutes tailles, le plus souvent trop petits pour constituer une exploitation viable. Ce sont des lots complémentaires qui contribuent à l'agrandissement des exploitations d'origine. Une curiosité : dans la liste des 46 bénéficiaires figure un Baba Amar ben Mustapha dont les ancêtres n'étaient pas venus de France.

Notule sur le Comte Achille Baraguay d'Hilliers 1795-1878

Monsieur le Comte a un nom bien long pour un si court séjour en Algérie. Il est arrivé colonel en 1841 et reparti la même année avec le même grade. Il aurait été renvoyé en Europe à cause de ses rapports exécrables avec ses soldats.

En Europe il fit une brillante carrière
--- 1854 Il commande l'armée combattant les Russes dans la Baltique
--- 1859 Il combat les autrichiens à Solférino
--- Par la suite il fut ambassadeur à Constantinople

Le cadre naturel, ses aptitudes, et ses intérêts

Boghar est situé à l'extrémité orientale du massif de l'Ouarsenis, dans ou en bordure d'une zone forestière, à 900-1000m d'altitude ; donc 300 à 400m au-dessus des hautes plaines et de la percée du Chélif. Le sommet de l'espace fortifié est à 977m et le Chélif à 600m. La carte de la région figure en tête du chapitre sur Boghari ; on y voit que les espaces plats défrichés les plus étendus sont vers le haut et que les casernes ont été construites sur un court versant dominant le village.

A cette altitude il pleut (et il neige) davantage qu'en bas, ce qui a rendu possible l'installation de colons semant blé et orge.

Boghar est d'abord un balcon sur le sud et sur le Chélif. C'est un lieu d'observations privilégié que l'on équipa dès 1841 d'un télégraphe optique permettant d'alerter très vite Médéa et Alger ; sauf en cas de brouillard.

Boghar devint vite une base militaire destinée à regrouper les troupes avant leur départ pour des expéditions vers le sud. Cette base comportait des casernes concentrées dans un rectangle protégé par un mur. Il y avait des bâtiments pour loger les soldats, pour héberger les officiers, pour le service de santé et pour stocker les équipements. En arrière de cet espace clos, les terrains du camp Suzonni avaient été défrichés et sommairement aménagés pour les troupes de passage.

Cette base de départ a souvent servi pendant les 10 premières années.

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En mai 1843, c'est le duc d'Aumale qui quitte Boghar avec ses 1300 fantassins français, les 600 spahis de Yusuf et les 300 goumiers d'Amar ben Ferrath. On lui avait signalé la présence de la smala d'Abd el-Kader quelque part dans la steppe, en route vers le djebel Amour. Le duc d'Aumale à cheval et ses fantassins, à pied, parcoururent en 6 jours les 120km qui séparent Boghar de Taguine où la smala fut surprise et prise le 16 mai, en l'absence de l'émir.
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En mai 1844, c'est le général Marey-Monge qui y regroupe les 2800 soldats venus de Médéa et 800 goumiers algériens. Il suit la trace d'Aumale jusqu'à Taguine et poursuit jusqu'à Laghouat, dans une mission à la fois de reconnaissance et d'intimidation. A Laghouat le cheikh Ben Salem nous est favorable et accepte de recevoir de la France le burnous de Khalifa.
Marey-Monge repart sans laisser de troupes.
Ben Salem meurt en se rendant à une convocation à Médéa. L'oasis tombe aux mains de Mohamed ben Abdallah, ancien khalifa de la France à Tlemcen, qui nous est devenu hostile et lance des expéditions vers le nord et contre les tribus ralliées.
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En novembre 1852 c'est le général Yusuf, alors chef de la subdivision militaire de Médéa, depuis décembre 1851, qui quitte Boghar pour Laghouat. Il est rejoint, en chemin par d'autres troupes, notamment celle du général Pélissier venu d'Oranie et chef de l'ensemble. Je passe sur les circonstances de la prise de Laghouat, le 4 décembre 1852. Les combats furent si meurtriers (le général Bouscaren est tué) que Pélissier a hésité entre raser la ville ou l'occuper. Après avoir entamé les démolitions, il change d'avis et laisse un régiment sous les ordres du capitaine Barail aussitôt promu commandant, puis lieutenant-colonel et chef de cercle militaire. Barail s'acquitte fort bien de sa tâche. Mais désormais, il faut sécuriser toute la piste entre Boghar et Laghouat, sur à plus de 250km. Boghar n'a pas fini de servir de base de départ en cas de problèmes inhabituels du côté des Ouled Naïl ou du djebel Amour.


Notule sur le duc d'Aumale1822-1897

C'est le cinquième fils du roi Louis-Philippe
1840
Il arrive à Alger comme capitaine et participe à la prise de Médéa
1842
Il revient en Algérie comme Maréchal de camp et est nommé chef de la province du Titteri, avec résidence à Médéa
1843 en mai, il s'empare de la smala d'Abd el-Kader
1843 en novembre il commande à Constantine
1844 Il dirige l'expédition qui occupe Biskra en février
1846 ( 15/11) Il pose la première pierre du centre qui porte son nom
1847 Il remplace Bugeaud comme Gouverneur Général
1848 à la chute de la monarchie il démissionne et est exilé

 

Notule sur Guillaume Marey-Monge, comte de Péluse, 1796-1863

Petit-fils du mathématicien, inventeur de la géométrie descriptive.
Polytechnicien
1830
Commandant à Alger, chargé d'organiser les troupes indigènes
1830 et 1831
Participe aux deux expéditions de Médéa
1834 Nommé agha (chef) des troupes indigènes
1837 Promu colonel des spahis
1843 Explore la région des ruines d'Auzia (futur Aumale)
1844 Dirige la première expédition de Laghouat
De sept. 1847 à février 1848 Gouverneur Général intérimaire


L'enclos des bâtiments militaires permanents
L'enclos des bâtiments militaires permanents
    

Boghar est enfin un village de colonisation quasi spontané.
Les premiers concessionnaires sont des soldats libérés de leurs 7 ans de service qui sollicitent l'attribution d'un lot. Leur désir rencontrait le souhait de Bugeaud, nouveau gouverneur général devenu partisan d'une colonisation de peuplement. Des lots leur sont accordés. D'autres français sont attirés, comme toujours près d'une forte garnison, par la clientèle des soldats : aubergistes et cabaretiers notamment.

La rue principale et la mairie

La rue principale et la mairie

Le décret de la fondation officielle, en 1844, est en fait la reconnaissance d'un fait acquis.

La présence permanente, jusqu'en 1962, d'une garnison importante, explique sûrement, pour une large part, le succès de ce centre qui, malgré son éloignement de la côte et d'Alger, a conservé une population européenne encore forte de 173 personnes en 1954 (contre 252 en 1870). La garnison c'est la sécurité, y compris médicale avec le petit hôpital militaire, c'est moins d'isolement et c'est plus de clients et de vie.

Le plan du village, visible sur la carte, est classique :un damier de trois rues parallèles coupées par quatre rues perpendiculaires plus courtes. Le village est relié à la vallée par une route qui prend par endroits des allures de route de montagne, avec des raccourcis pour les piétons et les ânes. Les maisons sont des maisons basses ; toutes semblables, ou presque, avec un jardinet derrière.

En 1954 il y avait 173 Européens en vie, et un nombre inconnu au cimetière. Aujourd'hui il est sûr que les vivants sont partis, mais il n'est pas sûr que les morts soient restés au cimetière, ni même qu'il y ait toujours le cimetière, car depuis 2003 il est question de regrouper tous les corps des cimetières abandonnés du Titteri, dans un ossuaire au cimetière de Médéa. Mais aucune information fiable n'est disponible sur un cimetière précis. Cette remarque est valable pour tous les cimetières du bled.