L'armada de
Blida
par Robert Nauze
( août 2016)
Feuilletant un récent numéro de Fana de
l'Aviation - une des meilleures revues aéronautiques actuelles
- je tombai sur le courrier des lecteurs. La fréquentation de
l'aérodrome de Blida-Joinville y était évoquée
avec ses P47, Noratlas, Flamand, Siebel, Mistral, Ju-52 et bien d'autres,
mais en oubliant un élément majeur de notre aviation opérationnelle,
le Broussard : impensable !
J'eus l'occasion de faire partie d'un convoyage de Mont-de-Marsan à
Oran La Sénia en janvier 1957. N'ayant pas encore la maîtrise
de cet avion, je ne manquai pourtant pas de rassembler en patrouille
serrée après le décollage sur le leader, le capitaine
Pierre Clostermann. Avoir été un jour le numéro
2 de notre grand chasseur m'avait rempli de satisfaction; mais j'ai
été prié gentiment de garder mes distances, plutôt
que de faire prendre des risques à un pilote émérite,
lequel avait tant de fois échappé à des circonstances
délicates, même après la guerre ((Le
Grand Cirque, page 259.), ça se comprend.
D'autant plus qu'à l'escale de Séville, les Espagnols
purent apprécier en connaisseurs l'aptitude du H-1521 à
effectuer des rebonds successifs, lorsque le pilote agissait à
contretemps sur la manette des gaz. Ce qui fait que sur la dernière
partie du trajet, notre leader nous a distancés, ainsi l'arrivée
se fit, non pas en formation mais en colonne oh combien étirée
! Pour en revenir à Blida, son aérodrome était
généralement encombré d'une multitude d'avions;
ce qui a dû ravir les spotters (Spotters
: Passionnés d'avion parcourant les aéroports et aérodromes
du monde entier afin d'observer et de répertorier tous types
d'avions.) de l'époque, lesquels ont pu se constituer
une belle collection de photos inédites. Le Broussard était
souvent là, en détachement, faisant des liaisons vers
Telergma ou Oran, ou encore participant à des opérations,
soit comme PC volant, soit comme observateur.
C'est ainsi que le 31 mars, le PC Bruno nous envoya en protection dans
la région de Médéa,
très accidentée comme chacun sait, repérer un groupe
de rebelles accroché par des troupes au sol (Le Boudeck et Raymond).
Le sergent Tandart était le navigateur et le sergent Cassas le
mécanicien, éventuellement mitrailleur, quand il .y avait
des armes à bord, ce qui n'était pas le cas. A cause d'une
confusion de tenues kaki équipant les deux camps, un passage
trop bas nous valut une rafale qui perça le cône d'hélice
et par là même la circulation d'huile, laquelle se répandit
sur tout le pare-brise. Le retour se fit avec l'escorte d'un hélicoptère,
à mi-hauteur des
gorges de la Chiffa, chacun regardant par côté
les rochers menaçants, jusqu'au débouché sur la
plaine; à l'aplomb de la Pointe des Blagueurs, mais vous n'êtes
pas obligé de me croire.
31 mars 1957. Sur la piste
de Blida. Cassan le mécanicien du Broussard récupère
son avion
couvert d'huile. Du pain sur la planche. Et par quoi commencer?
(coll. Y. Nauze).
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Le contrôleur de la tour de Blida, qui ne regardait probablement
pas dehors, nous demanda calmement la nature de nos ennuis, bien que
paraît-il un long panache de fumée ait suivi l'avion et
qu'il était donc largement le temps de se poser ! J'aurais aimé
revenir en ces lieux, où 40 ans après, les tueries ont
cessé, c'est sûr, tout au moins on peut le penser, revoir
le Ruisseau
des Singes et la région de Médéa si
pittoresque; mais l'occasion ne m'a pas encore été donnée.
Je fus détaché à Blida à plusieurs reprises
durant cette période, notamment en avril 1957, en équipe
avec trois pilotes de P-47 qui, mission terminée le 13 de ce
mois, partirent rejoindre la base de Telergma par un temps exécrable.
Le P-47 était très mal équipé pour l'I.F.R.
(une VHF comme seul moyen de radionavigation), le leader remonte plusieurs
thalwegs en espérant trouver une éclaircie entre les sommets
de la Grande Kabylie coiffés par une épaisse couche de
nuages, les deux ailiers serrant la formation. Après quelques
essais, le n° 3, le sergent Malvezin, décida de décrocher,
passa au-dessus de la couche et se fit tirer au gonio par Telergma,
où il attendit le reste de la patrouille. Il décrocha
aussi par la même occasion 15 jours de prison; mais les deux autres
P-47 ayant percuté la montagne à la suite d'un dernier
essai fatal, à Lafayette, près de Sétif, cette
punition symbolique fut supportée par le contrevenant avec philosophie.
Dommage que lors de la cérémonie funèbre, le curé
ait trouvé judicieux de fustiger son comportement. Aux dernières
nouvelles, l'ami Malvezin est toujours en vie. Je lui souhaite d'en
profiter encore longuement, car j'aurais mauvaise grâce à
lui faire des reproches. Il coule une retraite paisible en Midi-Pyrénées,
soignant son dos meurtri par une éjection sur le Mistral, à
la même époque, suite à un arrêt de turbine
brutal à basse altitude, provoqué par le tir d'un groupe
de fellaghas. Sa récupération, sous le feu ennemi, fut
elle aussi une aventure !
Le Broussard n'est pas un inconnu dans notre ciel; jusqu'à nos
jours bien des pilotes se sont fait la main sur cet avion qui demande
un minimum de maîtrise, tant en vol lent qu'à l'atterrissage.
Je revois à l'époque des passagers crispés en approche,
attendant le choc, puis se rendant compte avec surprise et soulagement
que l'avion roulait en souplesse sur ses lames de ressort. Je revois
ce commandant qui nous faisait descendre très bas pour détailler
le contenu des paniers portés par les bourricots d'une caravane;
ou cet autre qui voulait faire mieux que ce vol de 5 h 40 sans escale,
que je réalisai un jour au retour d'une mission où je
fus prié d'attendre aux environs de La Sénia la fin d'une
répétition de défilé. Je revois ce camarade
qui, ayant beaucoup pratiqué le Dakota, s'obstinait à
atterrir queue haute parce que, paraît-il, on se posait plus court.
Pas vraiment convaincant.
Je revois ce vol de
Saïda jusqu'au petit terrain de la Jumenterie, près
de Tiaret,
avec le général Dodelier à bord et son chef d'état-major;
le général très à l'aise, bien plus que
son adjoint. Par suite du retard pris à Saïda pour cause
d'embourbement, nous vîmes la nuit tomber, noire comme de l'encre;
le phare d'atterrissage étant par ailleurs en panne et la piste
en herbe non balisée de nuit. Seul le campement de tentes et
de baraques était éclairé. La finale fut effectuée
au jugé; le sergent Doué navigateur en place droite surveillant
son côté et le pilote les balises de gauche que bordaient
des barbelés. Le général ne manqua pas de nous
remercier de ce vol très agréable; l'adjoint, mi-figue
mi-raisin, également, tandis que les deux membres d'équipage
se regardaient en souriant discrètement, conscients de la chance
qui accompagne parfois les entreprises mal engagées.
Souvenir aussi, de cette opération de l'oued Madakh, près
d'AïnTemouchent.
Les rebelles s'étant terrés dans une grotte sise en bord
de mer, l'infanterie cherchant à l'identifier, fit appel à
nous pour la baliser. Sans problème, une approche en rase-flots,
un largage de grenades fumigènes au dernier moment, avec dégagement
en virage montant devant la falaise; un exercice enfantin pour un ancien
chasseur et une belle cible aussi, on ne pense pas à tout! Toujours
est-il que la fumée sortant de la grotte ne pouvait laisser aucun
doute. Ce que le pilote se fit un plaisir d'annoncer aux équipages
de T-6 qui prenaient la suite. Le lendemain, l'Echo d'Oran rendait compte
avec emphase de l'opération, en oubliant comme d'habitude l'action
déterminante de l'aviation.
Depuis le général Foch (devenu par la suite maréchal)
qui disait, lors de la Première Guerre mondiale: " L
'aviation, pour l'armée, c'est zéro ! ", ou encore
: " Laissons-les s'amuser à voler ", jugeait,
25 ans, après que : " L'aviation n'avait d'intérêt
que pour le bruit qu'elle faisait et la fumée qui masquait le
mouvement des troupes " (Les
Foudres du Ciel, général Noirot, page 34..).
Nous n'avons guère été gâtés dans
les communiqués. Mais est-ce le plus important? Et comme dit
mon banquier qui ne perd jamais le nord: " Maintenant que la
guerre est terminée, laissons les souvenirs (sous venir) ".
Que ne m'a-t-il donné la recette !