------Les oasis
eurasiennes nous ont déjà familiarisés avec les palmiers,
et les 150.000 pieds de l'oasis de Biskra ne seront pas tout à
fait une surprise. Cependant Biskra, c'est déjà le Sahara.
Bien que tout conquérant de l'Afrique du Nord ait poussé
jusqu'ici - au moins pour assurer les confins de l'immense territoire
qu'il découvrait -, on a vraiment l'impression d'atteindre une
marche, un poste frontière.
------La Biskra-en-Nokkel, la Biskra
aux palmiers, sur l'oued Biskra, que forment l'oued Kantara et l'oued
Abdi. "La ville de Biskra, l'Ad. Piscinam ou Ouesker des Romains
est, dit Ibn-Khaldoun, la capitale du Zab, région qui a pour limite
El-Doucen du côté de l'O. Tennouma (qui n'existe plus), et
Badis du côté de l'E. Le Zab est séparé de
la plaine, nommé El-Hodna, par des montagnes dont la masse principale
se dirige du N. au S., et dont plusieurs cols facilitent les communications
entre les deux pays... Le Zab est un pays étendu, renfermant de
nombreux villages, assez rapprochés les uns des autres, et dont
chacun s'appelle Zab, pluriel Ziban...
Une longue histoire
------Il
semble que l'établissement par les Romains de quelques postes fortifiés
sur l'Oued Djedi, vers Biskra et au débouché méridional
de l'Aurès, ait été dicté beaucoup plus par
un souci de précaution que par une occupation proprement dite.
Au Xè siècle, Doucen est cité par El Bekri. Dès
le XIè siècle, Biskra a beaucoup à souffrir de l'invasion
arabe ; une fraction Malienne, les Atbadj, saccage la contrée d'où
elle chasse une partie des habitants. Refoulés dans le S. par les
Almonades au début du XIIè siècle, ils renoncent
à la vie nomade et se font sédentaires. L'une de leurs familles,
les Beni-Mozni parvient pourtant à s'imposer à tous. Aussi
est-ce à elle que les Hafsides confient le gouvernement, qu'elle
exerce d'ailleurs à peu près en toute indépendance.
Au XVIè siècle, Léon l'Africain mentionne dans la
région des Ziban un grand nombre de villages et
compte vingt-cinq villes. Une garnison turque y est alors installée,
mais le pouvoir effectif reste au chef de la famille des Béni Oukkaz,
auquel les Turcs reconnaissent le titre de Cheik El Arab.
------Cependant Biskra
sombra par le mauvais gouvernement des Turcs, et par les hostilités
des Arabes du dehors. Cet état de choses dura jusqu'à ce
que les Turcs bâtirent un château fort, à la source
de la rivière qui fournit l'eau à la ville, ce qui les rendit
complètement maîtres du pays.Alors ils foulèrent et
maltraitèrent les habitants tout à leur aise... "Sous
l'empire de cette complication de maux, la population diminua, les habitations
tombèrent en ruines, et, sans le grand commerce et l'industrie
dont ce lieu est le centre, ce qui est cause que les gens tiennent à
y rester, Biskra eût été abandonnée".
------Aux Turcs, les habitants leur
opposent, dès la 2è moitié du XVIIIè siècle,
la famille des Ben Gana : rivalité qui s'aggrave entre 1835 et
1847 par l'intervention d'Abd-El-Kader, décroît avec l'adhésion
a notre cause des Ben Gana, après la prise de Constantine, cesse
enfin avec la répression de l'insurrection de Zaatcha (1849).
------Depuis, cette dernière
famille n'a cessé de fournir des chefs aussi vaillants soldats
que de bons administrateurs et fins politiques. son nom "est aujourd'hui
inséparable de l'histoire de la conquête et de l'installation
française dans le Sud constantinois". Le 4 mars 1844, Biskra
fut occupée par le duc d'Aumale, qui y laissa une compagnie de
soldats indigènes, commandée par cinq officiers et sous-officiers
français. Leur massacre par de misérables fanatiques ne
tarda pas à être vengé ; une occupation mieux organisée
nous rendit définitivement maîtres de Biskra, le 18 mai suivant,
et nous assura peu à peu la domination et la possession du Sahara,
dans cette partie E. de l'Algérie.
------Biskra est aujourd'hui inséparable
de l'histoire de la conquête et de l'installation française
dans le Sud constantinois.
Grand centre touristique
------"Biskra,
dit El-Bekri, qui possède beaucoup de dattiers, d'oliviers et d'arbres
fruitiers est environnée d'un mur et d'un fossé ; l'on y
trouve un djamé, plusieurs mosquées et quelques bains. Les
alentours sont remplis de jardins, qui forment un bocage de six milles
d'étendue. On trouve à Biskra toutes les variétés
de la datte... Les faubourgs de Biskra sont situés en dehors du
fossé, et entourent la ville de tous les côtés. On
trouve à Biskra beaucoup de savants légistes ; les habitants
suivent le même rite que ceux de la ville de Médine. Une
des portes de Biskra s'appelle Bab-El-Mokbara (la porte du cimetière),
une autre, Bab-elHammam (la porte du bain) ; la troisième Bab-el-Mouldoun
(la portes des mulâtres). La population de cette ville appartient
à la race mélangée, dont le sang est moitié
arabe, moitié berbère... La ville renferme dans son enceinte
plusieurs puits d'eau douce ; il y a même, dans l'intérieur
de la grande mosquée, un puits qui ne tarit jamais. On voit aussi
dans l'intérieur de la ville un jardin qu'arrose un ruisseau, dérivé
de la rivière..."
------Mais ces expressions ne doivent
pas faire illusion : Biskra est une très officielle "station
hydrominérale et climatique" ; de la fin de l'automne
au début du printemps elle est peuplée de touristes qu'attirent
son climat sec et tempéré, la luminosité de son ciel
et aussi, un peu naïvement, ces deux éléments qui pour
beaucoup d'étrangers sont les symboles de l'Afrique du Nord : les
palmiers et les chameaux. Eh bien, ils trouveront à Biskra des
palmiers et des chameaux et aussi de fort bons hôtels et un casino.
Ils trouveront encore le jardin Landon, justement célèbre,
où poussent avec exubérance tous les arbres et toutes les
fleurs d'Algérie, les bellombras se mêlant aux cyprès,
les glycines voisinant avec les mimosas, les lauriers-roses et les
bougainvillées. Mais il y a des plaisirs plus authentiques, dirais-je
plus spécifiques, comme l'opposition plus brutale qu'ailleurs encore
entre les ombres et les lumières, au fort du jour, dans les rues
du vieux Biskra, lorsque les murs, même non blanchis à la
chaux, semblent palpiter sous le soleil ; un autre plaisir est le crépuscule
qu'on va contempler des bords de l'oued, chaque soir, pour le trouver
chaque soir différent sinon plus riche ; il faudrait avoir une
âme incorrigible de marin pour ne pas reconnaître que ces
couchers de soleil sont les plus beaux du monde. Dans l'oasis, au milieu
des palmiers, l'eau précieuse de l'oued, distribuée avec
un soin parcimonieux, entretient une fraîcheur propice à
la culture des arbres fruitiers : ce ne sont que vergers. André
Gide, dont le nom est inséparable de Biskra s'y promena souvent
et fit s'y promener le héros de l'immoraliste ; entre deux hauts
murs, "dès l'entrée, un détour vous perd ; on
ne sait plus ni d'où l'on vient, ni où l'on va. L'eau fidèle
de la rivière suit le sentier, longe un des murs ; les murs sont
faits avec la terre même de la route, celle de l'oasis entière,
une argile rosâtre ou gris tendre, que l'eau rend un peu plus foncée,
que le soleil ardent craquelle et qui durcit à la chaleur, mais
qui mollit dès la première averse et forme alors un sol
plastique où les pieds nus restent inscrits".
Une ville moderne
------La ville comprend
le quartier européen, près du fort Saint-Germain, et le
quartier indigène, l'ancienne oasis. La ville française,
celle où l'on pénètre quand on vient de Constantine,
consiste principalement en une grande rue, bordée, d'un côté
seulement, de maisons à arcades construites presque toutes en tôb,
ou briques séchées au soleil, d'après le procédé
des musulmans. Les places et les jardins sont ornés de plantes
tropicales et abondamment arrosées. Les principaux édifices
sont l'église, l'école, le marché couvert, le cercle
et les grands hôtels du Sahara et Transsaharien mais aussi l'Hôtel
Victoria, Terminus, l'Oasis, le luxueux Dar Diaf et le Royal Hôtel.
------Le casino,
propriété de la Cnie de Biskra et de l'Oued-Rhir a été
inauguré en 1893. Etablissement d'hydrothérapie grâce
aux eaux sulfureuses et chaudes de la fontaine d'Hammam-Salahine, de nombreuses
personnalités y furent reçus comme Fromentin, la Comtesse
Tolstoï, André Gide, Oscar Wilde, les frères Tharaud,
Anatole France... Avec la période 1954-1962 et la venue de nombreux
militaires, sédentaires à Biskra ou permissionnaires des
environs, l'économie Biskrite s'étoffe tant sur le plan
commerce local que sur celui de l'activité des Entreprises de Travaux
Publics.
------L'aérodrome
voit son trafic augmenter considérablement et la construction d'un
aérogare enfin moderne.
------A l'est,
le fort Saint-Germain, fort carré de 200 m avec bastions aux quatre
coins, a été doublé à partir de 1875. Il doit
son nom à un commandant du cercle de Biskra, tué à
Seriana, en 1849, à la suite de l'insurrection de Zaatcha, renferme
des casernes et un hôpital.
------C'est
dans ce fort qu'à été transporté l'autel du
pont dominant l'oasis d'El-Kantara, autel consacré à Mercure,
à Hercule et à Mars, par Rufus, centurion de la IIIè
légion. Le village nègre fait suite à la ville française.
En sortant de ce village, une chaussée longue de 1 km bordée
de cassis, côtoie un massif de palmiers, vaste propriété
de M Landon, une des merveilles de Biskra ; puis vient la ville d'El-Bekri
et d'El-Aïachi, dont il ne reste que l'emplacement.
------Au nord
de cet immense emplacement s'élève, de plusieurs mètres
au-dessus du sol de l'oasis, la Kasba construite en pisé. Les Biskris,
obligés, à ce que rapporte la tradition, de quitter les
ruines croulantes de leur ville, se divisèrent en autant de fractions
que Biskra avait de quartiers. Réunis et agglomérés
sous le nom de Biskris, les gens de Biskra continuent de s'appeler entre
eux du nom de la tribu que portaient leurs pères, ainsi : les Douaouda,
les Koreïch, les Abid, les Sidi-Barkat, les Sidi-Malek, les BeniSouid,
les Djoua, les Safri, etc.
------Les
villages, groupes de maisons et de tentes, dont la réunion forme
la Biskra moderne, qui s'étend sur une longueur de 5 km, sur la
rive droite de l'oued, et sur une largeur de 100 à 400 m sont :
Bab-el-Khrokhra, Babel-R'alek, Mçid, Koura, Bab-el-Darb, Gaddecha
et enfin Filiach. Tous ces villages sont bâtis en tôb, et
n'ont de remarquables que l'étrangeté de leur construction
et le pittoresque de leur position, au milieu d'une forêt de 140
000 palmiers, et de 6 000 oliviers, entre lesquels les populations locales
font du jardinage et un peu de céréales.
------Le commerce
des dattes était un volet important de l'activité biskrite.
On trouvait notamment la Société Commerciale Saharienne.
------On ne
peut passer sous silence les différents quartiers de la vieille
ville et dans le village nègre, les danses des Oulad-Naïf,
qui parcourent les villes sahariennes pour y gagner leur dot.
On peut voir, sur le marché, le spectacle des acrobates arabes
généralement très forts et très adroits ainsi
que les charmeurs de serpents ou plutôt de vipères naâdja
qui, comme en Egypte, existent à El-Faïd et à Chegga
au sud de Biskra. Les naâdja, sortant de leur panier, se dressent
puis se balancent aux sons de la flûte en roseau et du derbouka
; c'est aux mêmes sons qu'elles rentrent dans le cercle de leurs
exercices, quand elles en sortent comme pour s'élancer sur les
spectateurs.
------Perle des
oasis, Biskra a perdu ses touristes et sombre dans l'oubli d'une lointaine
ville de province. Seules les dattes continuent à nous parvenir,
souvenirs sucrés d'un éden mirifique qui tel l'Atlandide
a sombré dans les sables du désert.
J-M L
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