-----C'est après
une lettre adressée à Monsieur le Ministre, dont je relate
ici un large extrait, et la réponse favorable de celui-ci, que mon
cher village verra le jour vers 1851.(Mlle
Muguette Coll- 34170 Castelnau-le-Lez -nous apporte les précisions
suivantes sur la création de Birtouta (article paru dans le n°77/06/02
des Echos)
«La lettre du baron de Vialar a été envoyée pour
la création du village de Fort-de-l'Eau où ne se trouvaient
au début que des familles mabonnaises, tandis que Birtouta a été
créé par 20 familles (françaises?) dont voici les noms:
BARRE, BERNARD, BONTHOUX, BORGEOT, BOURCIVA, CLEDIERE, COCHAND, DUBÏAU,
DUCLAUX, GADIOUX, GRACETTI, KLEIN, LESAGE, MENAGIK, MONY, NAVARETTO, PELLETIER,
SAUSSE, SONNIER, TEILLOUX. On y trouvait aussi quelques familles déjà
installées dans ce territoire, entre autres les familles CHABERT
et GARCIN »)
-----«Monsieur le Ministre,
-----Plusieurs cultivateurs illettrés
me pressent de leur servir d'interprète auprès de vous et
de vous recommander une pétition qu'ils ont adressée à
Monsieur le Directeur de l'Intérieur - l'objet en est grave, la demande
est fondée, il serait avantageux pour le pays qu'elle fut accueillie
favorablement et sans retard.
-----La population agricole des environs d'Alger
se compose principalement de Mahonnais.(ndlr
: comme le mari de ma grand-mère paternelle)Ils ont quitté
en grand nombre leur île avec leurs femmes et leurs enfants et ont
peuplé et cultivé presque tout le massif d'Alger-environ 50
chefs de famille, tous cultivateurs acclimatés, tous fermiers demandent
une concession à l'administration.
-----Ils sollicitent d'être placés
aux mêmes conditions que les concessionnaires des autres villages.
-----Jusqu'à présent rien n'a
été fondé à part quelques étrangers ne
connaissant rien à la culture.
-----Les habitants de cette contrée,
des Algérois qui entrent dans vos plans d'agglomération s'offrent
à se réunir dans un village qu'ils créeraient sous
votre protection et avec votre assistance.
-----S'ils n'étaient pas sûrs
de réussir, ils n'exposeraient pas dans cette fondation et leur temps
qui est précieux, et leurs économies acquises ici au soleil
de l'Afrique, et l'existence de leurs familles.
-----Vous avez deux moyens, Monsieur le Ministre,
d'établir une population française en Algérie, c'est
d'y faire venir des Français, c'est d'y rendre Français les
Européens qui y sont déjà ou arriveraient.
-----Ce dernier ne réussira qu'en traitant
ceux--ci avec la même bienveillance, avec la même faveur que
les Français de naissance et en ne distinguant les hommes que par
leur degré d'utilité et de moralité.
-----Sous ce point de vue et sous celui du
progrès agricole, la demande des Mahonnais est une bonne fortune.
-----Je la soumets avec respect et confiance
à votre sollicitude éclairée.
-----Signé Baron de Vialar
-----Mustapha supérieur, le 1er mars
1847 "
-----En voici la réponse
-----Au nom du peuple français, le Président
de la République, vu les ordonnances du ler juillet 1845, du 5 juin
et du er septembre 1847,
-----Sur le rapport du ministre de la guerre
décrète:
Article 1er : il est créé au lieu- dit 4è blochaus
sur la route d'Alger à Blida (district de Douéra) un centre
de population européenne de 20 feux, qui prendra le nom de Birtouta.
Article 2: un territoire rural de 379 Ha 86 ares est affecté
à ce centre, conformément au plan ci-annexé.
Article 3: Le Ministre de la guerre est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait au palais de l'Elysée le 15 décembre 1851
L: N. BONAPARTE
Le Ministre de la guerre A. de St Arnaud
Le gouverneur général de l'Algérie RANDON
-----Nous voici en 1851. Rien qu'un immense
terrain nu de près de 380 hectares, à morceler, à cultiver,
à bâtir et pas encore de nom officiel " 4° blochaus
" donné par les militaires qui traversaient ce terrain et pacifiaient
le pays, soumis aux rebelles et pillards.
-----Il servait aussi de relais aux routiers
et diligences qui faisaient le service entre Alger
et Blida.
-----Ce nom de 4e blochaus ne plaisait pas
aux indigènes. Un jour un Fellah des environs déclara qu'un
certain puits s'y trouvait auprès d'un mûrier, et comme le
2è nom " Haouch El Bey et Gharb " était difficile
pour les Européens, " St Augustin ", inconnu des arabes,
ce fut le troisième nom "Birtouta " en français
" le puits du mûrier " qui fût adopté.
-----Notre village était né.
-----J'ai bien connu dans mon enfance ce puits
avec la noria et les bêtes qui venaient boire à l'abreuvoir.
-----A 22 km d'Alger, il s'adosse au Sahel
sur la limite de la Mitidja
et contemple le majestueux Atlas aux teintes changeantes. Il devint très
vite un centre agricole de premier plan. Quand plus tard les vignobles et
orangeries à perte
de vue produirent d'importantes récoltes, mais je suppose qu'au départ
le premier soin fût de tracer des routes. La route principale qui
fut la grande rue, distribuant à droite et à gauche ses ruelles
et les premières maisons bâties se faisant face de chaque côté
de la grand rue avec un réel souci d'alignement.
-----20 familles s'y installèrent qui
reçurent chacune un lot à bâtir avec un jardin et un
lot rural à défricher.
-----17 cultivateurs, 1 meunier, 1 maréchal
ferrant, 1 maçon.
3 lots furent réservés à la construction future d'une
école, d'une chapelle et d'un abreuvoir.
Son développement
-----Le hameau prenait forme: les champs étaient
défrichés et labourés. Des maisons et des hangars surgissaient
du sol, mais comme partout ailleurs, la vie était pénible.
Les terres cotoyant les marais ne permettaient pas une exploitation facile.
L'hygiène était encore loin d'être assurée. L'école
et la chapelle ne se construisaient pas.
-----Après avoir été annexe
de la commune de Chebli, Birtouta devint commune de plein exercice par décret
du 10 août 1875. Alors ce qui n'était qu'une immense ferme
partagée entre quelques familles devint une commune qui unit ses
efforts pour l'amélioration du bien?être de chacun et l'embellissement
du village.
-----Voici quelques exemples:
1874: construction de la mairie précédant l'installation du
1er conseil municipal et ouverture du bureau des postes.
1878: création du cimetière.
1879: construction de l'église et du presbytère. Birtouta
devient une parois dont le saint patron était Saint
Augustin.
1885: création d'un groupe scolaire.
-----Mais le problème le plus difficile
fut toujours celui de l'eau qui a préoccupé toutes les municipalités.
Pourtant, en moins de 50 ans de plein exercice, village était doté
d'un réservoir d'eau, de canalisations, de fontaines publiques et
d'un réseau d'égout.
-----Ce fut ensuite d'autres réalisations
qui prenaient jour, comme par exemple la création d'un Institut Pasteur
et celle d'un immense domaine faisant travailler de nombreux ouvriers (la
famille Orfila y travailla pendant plus 60 ans. les parents d'abord comme
garde et les enfants ensuite comme régisseur, charron, bourrelier,
le dernier resté au domaine était Aimé qui fût
enlevé avec sa femme et son fils en 1962).
-----Pour la création de l'Institut
Pasteur et du domaine de Richemont, je laisse le soin à mes cousines
M. et M. COLL de Castelnau qui ont su si bien expliquer le développement
ainsi que Robert COLL de Paris.
(suite dans le numéro suivant de "Aux Échos d'Alger,
n°78))
-------En
hommage à tous les miens (Marie Orfila-Coll raconte...)
«Les pauvres marchent toujours à
l'encontre du vent »
-----C'est par un matin d'automne,
rayonnant et tiède encore pour la saison qu'un petit garçon
d'environ 5 ans, accompagné de ses parents et venant d'une contrée
lointaine d'Ecosse, arriva dans un pays étranger qu'il ne connaissait
pas et dont il ne parlait pas la langue, mais à cet âge on
apprend vite, surtout entouré de beaucoup d'autres garçons
du même âge.
-----Et puis, ce nouveau pays lui plut...
-----Après avoir laissé les
brumes lointaines de son ancienne patrie, il découvrit, avec bonheur,
le soleil et la chaleur.
-----La végétation typiquement
méditerranéenne, la forêt de chênes, importante
avant que l'homme ne la détruise en grande partie, à la
recherche de terre de culture et de pâturage; cette terre était
pauvre et seuls résistaient encore quelques oliviers. Dans cette
végétation, les lentisques, le romarin, la bruyère
et aussi les plantes aromatiques comme la camomille et le thym prédominaient.
Dans l'ensemble, la surface occupée par la végétation
spontanée représentait un peu moins de la moitié
de la surface insulaire, le reste correspondait aux terres de culture.
-----II pleuvait un peu en automne et au
printemps, tandis qu'en été, la sécheresse sévissait.
Le vent dominant " la Tramontana " chargé de sel fut
plus nuisible pour les plantes que sa force.
Ce petit garçon nommé Joseph était le fils de Thomas
et Margareth. Il fit aussi bien vite et jeune encore l'apprentissage de
la vie.
-----Il grandissait et aidait ses parents
dans le dur labeur de la terre. Avec ses petits camarades, c'était
la cueillette des olives, le ramassage des pommes de terre, mais en grandissant
et devenant un homme, ce travail qu'il aimait, il le continua longtemps.
-----Après la disparition de ses parents,
il se maria et fonda une famille. Trois garçons déjà
et on attendait dans quelques jours l'arrivée d'un nouveau bébé
- une fille était désirée - ce fut un quatrième
garçon qui arriva et que l'on nomma Gabriel.
-----Dans ces années-là (je
parle d'avant 1850), les familles étaient nombreuses, mais les
enfants toujours les bienvenus. Ils n'étaient pas trop malheureux
et mangeaient toujours à leur faim, et si dans la semaine, la soupe
était plus maigre, il y avait toujours pour eux un morceau de lard
en plus et un bout de fromage.
-----Dans cette famille, si on aimait le
travail, on savait aussi rire et s'amuser pendant les veillées
surtout, ou les voisins se mêlaient à leurs amis autour de
la grande table où trônait la lampe à pétrole.
En décortiquant les châtaignes que l'on ferait griller dans
la cheminée, les histoires maintes fois entendues les faisaient
toujours rire; alors que les enfants se disputaient sous la table et faisaient
miauler le pauvre chat en lui tirant la queue. Ils se retrouvaient aussi
à l'occasion des fêtes de Noël et Pâques, car
les distractions étaient rares.
-----Cette année-là, ils fêtèrent
ensemble le baptême du petit Gabriel, à la grande joie des
enfants qui, faute de dragées, inconnues à cette époque,
se goinfrèrent de pâtisseries confectionnées à
la maison par leur mère et cuites au feu de bois dans le four à
pain.
-----Et tard dans la nuit, s'élevaient
encore les chants de leur pays.
On savait s'amuser et pendant quelques heures oublier les tâches
qui les attendaient le lendemain...
-----Quelques années plus tard...
-----C'était un homme grand et maigre,
vêtu d'un pantalon de coutil rayé, d'un gilet sombre sur
une chemise plus claire, la tête recouverte d'un grand chapeau de
paille tressée, il se tenait debout devant son jardin et regardait
d'un air triste les plants de tomates et de poivrons qui courbaient leurs
maigres feuilles vers le sol desséché en cet été
1853. L'eau du ciel n'était pas tombée depuis plusieurs
mois et le soleil déjà brûlant malgré l'heure
matinale achevait son oeuvre destructrice sur ces pauvres plants qui ne
pourraient résister à l'accablante chaleur sans aucun moyen
d'arrosage pour les sauver.
-----Si dans ce pays Minorquin, les eaux
souterraines étaient abondantes -mais à quelle profondeur!-
les puits creusés çà et là atteignaient rarement
15 à 20 mètres, le peu d'eau que l'on retirait suffisait
à peine aux besoins de la famille et de quelques bêtes domestiques
(2 chèvres, 1 cochon, quelques poules).
-----Cet été-là, ce
qui attristait le plus notre homme et le faisait réfléchir
n'était pas seulement le climat de cette île avec tous ses
inconvénients mais la 3` année consécutive que la
sécheresse sévissait et brûlait tout faute d'eau.
Les maigres provisions -quelques kilos de pois-chiche, un peu de pommes
de terre et le cochon que l'on tuerait bientôt - ne suffiraient
pas à faire vivre sa famille bien longtemps.
-----Avec une femme et 4 enfants quel avenir
pour tous ?
-----Une grave décision s'imposa à
son esprit ce jour?là. Il s'achemina lentement vers sa petite maison
de terre sèche, blanchie à la chaux jusqu'à la toiture
faite de tuiles rondes. Devant la maison, on voyait une petite cour très
propre entourée d'un muret de pierres sèches au-dessus duquel
séchaient une dizaine de courges rouges, en attendant de rejoindre
dans le chaudron familial, les haricots blancs et le morceau de lard pour
la soupe de l'hiver.
A l'intérieur de cette maison une unique mais grande pièce
blanchie aussi à la chaux, le sol en terre battue. Adossés
au mur, quelques lits en fer, recouverts de paillasses rembourrées
avec de la paille de maïs; un paravent confectionné en toile
de jute séparait le lit des parents de celui des enfants.
-----Dans le fond, une cheminée où
se cuisaient les repas bien maigres en ce temps-là, surtout de
la soupe " l'olialgout " faite à base d'oignons, tomates,
poivrons mijotés quelques minutes avec de l'eau que l'on versait
sur des tranches de pain rassis.
-----Contre un autre mur, on voyait une malle
ramenée de l'île lointaine où étaient rangés
les vêtements de la famille.
-----Mais, plus d'espoir à l'avenir
pour les siens et ce fut en homme fier et résolu que ce courageux
Mahonnais réunit ce soir-là, autour de ses 3 aînés,
ses 2 voisins Jacques GOGNALONS et Antoine PONS avec leur famille respective,
pour les entretenir d'une grave décision à prendre en commun.
-----Les femmes au fond de la pièce
avaient abandonné leur ravaudage et mains jointes sur leurs longues
jupes noires, elles
écoutaient. A cette époque les femmes n'avaient pas le droit
de mêler leurs voix à la conversation des hommes. Dociles
et respectueuses, elles se tenaient là, mais attentives aux paroles
qui allaient s'échanger et dépendraient peut?être
de leur sort.
-----Longtemps dans la nuit chaude de ce
début d'été 1853, les voix d'hommes s'élevaient,
sourdes ou aiguës avec cet accent venu de loin. Peu instruits à
cette époque, ces Mahonnais avaient pourtant entendu parler d'un
pays neuf qui se trouvait, paraît-il de l'autre côté
de la Méditerranée et qui accueillait volontiers tous les
hommes courageux qui n'auraient pas peur de retrousser leurs manches.
«On leur allouait des concessions à long terme (20 à
25 ans), assurait Antoine.
-Et des avantages intéressants, ajoutait Jacques.
-Vous seriez prêts à tout abandonner? leur demanda Joseph
.
- Abandonner quoi ? Notre misère? Répondirent-ils. ? Alors,
conclut Joseph, nous partirons.»
-----Ils n'avaient rien à perdre,
ces hommes de bonne volonté et riches, seulement de leur courage,
ils décidèrent d'un commun accord, de tenter l'aventure.
-----Les femmes, nous l'avons dit, n'avaient
pas pris part à la
conversation de leurs maris, cependant ce fut elles, les premières,
qui dès le lendemain matin avec un grand courage, assemblèrent
dans de maigres baluchons, le linge de la famille; pendant que les hommes
de leur côté prenaient quelques outils dont la célèbre
pioche mahonnaise à manche court connue de tous et qui par la suite
fit courber le dos à tant et tant d'ouvriers. Quelques jours plus
tard, ils se retrouvèrent tous dans le port de Mahon abandonnant
à jamais leur maigre terre de FERRERIES, CIUDADELLA et leurs souvenirs
bons et mauvais.
-----Ils étaient prêts à
embarquer non pas dans un grand bateau mais de grosses barques. (à
suivre ci-dessous))
«Les pauvres
marchent toujours à l'encontre du vent »
ll était une fois mon village : Notre vie à birtouta
(raconté par Marie ORFILA-COLL
(suite des Echos d'Alger n° 78)
-----Ils arrivèrent au petit matin
sur une terre inconnue. Quelle frayeur quand ils crurent être revenus
à leur point de départ, tellement cette terre rougeâtre
ressemblait à celle qu'ils avaient quittée.
-----A mesure qu'ils avançaient pieds
nus, les espadrilles accrochées à leurs bras - pour les
économiser -, le baluchon sur le dos, ils aperçurent çà
et là quelques coins de verdure. Quelle désolation, pourtant
des friches, beaucoup de friches et point de maisons aux alentours. Qu'allaient-ils
devenir?
-----Cependant l'accueil qui leur fut réservé
en arrivant aux environs d'ALGER leur fit chaud au coeur, car il était
plein d'espoir. Le gouvernement de France à cette époque
avait tant besoin de ces pionniers espérant aussi que d'autres
familles suivraient et connaissant leur courage à tous, il verrait
naître une ALGÉRIE prospère et riche. (Et il eut raison.)
-----D'autres familles venues d'Italie, de
Suisse et des régions d'Alsace et de Savoie se mêlèrent
aux premières et formèrent bientôt une minorité
importante, naturalisés Français.
-----On leur alloua très vite des
concessions à long terme avec des prêts avantageux; également
des semences aux uns, une charrue et des boeufs à d'autres et tous
se mirent au travail avec acharnement et courage.
-----C'est peu de temps après son
arrivée à ALGER, usé, fatigué par tant d'efforts
soutenus, mais entouré de l'affection des siens que mourut Joseph
COLL.
-----Cet homme était mon arrière
grand-père.
-----Son fils Jean, mon grand-père,
se maria avec Marie-Anne BÉNÉJEAN le 9/09/1876. Ils eurent
9 enfants: Joseph, Jacques, Jeanne, Marie, François, Jean, Colombe,
Henriette, Matthieu. La famille s'installa à HUSSEIN-DEY où
elle éleva des vaches. Les deux aînés livraient le
lait à domicile avant d'aller à l'école.
-----Le commerce du lait devait être
assez prospère, car avec leurs économies et un petit héritage
que Marie-Anne eut du côté paternel, Jean COLL et sa femme
purent acheter en 1901 des terres en friches dans le SAHEL. Ces terres
furent longtemps appelées " La carrière ".
Ils bâtirent une maison avec les pierres récupérées
sur leur sol et l'achevèrent en 1903 ainsi que l'attestait l'inscription
figurant sur le fronton de la cave " Clos Jean COLL - 1903 - ".
-----Ils se mirent au travail, car les économies
avaient fondu avec l'acquisition des terres, la construction de la maison
et la mise en valeur des friches.
-----Tous les enfants travaillaient là,
aidés par une main-d'ceuvre saisonnière: des Mahonnais qui
venaient pour les grands travaux. Les premières années furent
difficiles, car la crise vinicole touchait l'ALGÉRIE. Pendant 3
années, 1906, 1907, 1908, le vin se vendit à très
bas prix - aucune législation n'empêchait alors le sucrage
-; Jean envisagea même de mettre son vin dans la citerne, ce qu'il
fit. Et c'est au bout des années difficiles, en 1909, que Jean
mourut d'une crise cardiaque, derrière sa cave, sans avoir pu jouir
du fruit de son labeur, ni voir la propriété en plein essor.
Après la mort de son mari, Marie-Anne continua vaillamment l'oeuvre
commune. Les filles aînées s'étaient mariées
et avaient quitté la maison. Joseph, Jacques et François
mobilisés en 1914, elle se trouva pendant la guerre, à la
tête d'une troupe d'adolescents : Henriette, Jean et Mathieu, ses
enfants ; Marie, Nono et jeannette, ses petits-enfants.
|
|
-----La guerre terminée,
Jacques, ne voulant plus travailler la terre, prit un commerce. François
se maria en 1920 avec Madeleine BAGUR et travailla à la ferme.
Puis ce fut Jean et Matthieu qui se marièrent à leur tour.
A ce moment, ils demandèrent à leur mère de partager
les terres, afin de travailler à leur compte. Devant son refus
énergique, ils partirent à " l'extérieur "
et c'est elle qui resta le " chef " jusqu'à sa mort
en 1934. Le partage eut lieu alors: François et Mathieu recevaient
les bâtiments et les terres avoisinantes, Joseph et Jean la petite
ferme d'en haut et les terres situées sur la commune de BIRTOUTA,
Jacques et ses sueurs l'équivalent en argent.
-----François et Madeleine (mes
parents), mariés à BIRTOUTA, eurent 7 enfants : Marie,
Laure, Mathilde, Jeanine, Georgette, Gilberte, Jean-Paul.
------Après avoir reçu sa
part d'héritage, une maison de 4 pièces et 6 ha de terre
(en partie plantée en vigne et fruitiers et une partie cultivable),
mon père dût se remettre à l'ouvrage.
-----De caractère plutôt taciturne,
il se mettait quelquefois en colère, d'autres fois, de bonne
humeur, nous racontait des histoires anciennes sur sa famille surtout.
Il nous parlait de la guerre de 14 aussi, mais jamais ses mauvais souvenirs.
Il lui arrivait de jouer avec nous (aux 14 oranges, jeu que nous avons
transmis à nos enfants et petits-enfants; quand les perdants
avaient dit le " oui " défendu, c'était des
éclats de rire et la soirée s'achevait tranquillement).
C'est grâce à lui et à ses souvenirs que j'ai pu
raconter la vie de mes ancêtres.
-----Ma mère contribua pour une
large part à la bonne marche de son foyer.
-----Elle était courageuse et malgré
les soucis rencontrés elle restait toujours enjouée et
gaie.
-----Avec leur nombreuse famille à
élever (point d'allocations familiales, ni sécurité
sociale) à l'époque, la vie était dure. Ils firent
bâtir par l'oncle Michel BAGUR, un grand hangar qui servit à
entreposer les pommes de terre, autres légumes, parfois des bottes
de paille.
-----Je me revois sous ce grand hangar
quelques années plus tard où, avec l'aide de mes sueurs,
nous passions de nombreuses heures à trier et calibrer les premières
pommes de terre de l'année. Nous les entassions dans de grands
sacs de jute, et, à l'aide d'une ficelle et d'une aiguille à
matelas, notre mère en fermait l'ouverture par une couture serrée.
Ces pommes de terre étaient ensuite vendues en " Métropole
" par l'intermédiaire d'un expéditeur.
----L'oncle bâtit également
une porcherie avec un grand parc attenant pour les jeunes porcs. Cet
élevage supplémentaire permit souvent de joindre les deux
bouts, surtout quand les récoltes ne donnaient pas satisfaction
ou se vendaient mal.
-----Dans notre enfance, nous étions
heureux; la nourriture ne manquait pas, la maman savait tirer profit
de tout. La terre nous donnait les légumes (les pommes de terre
surtout) et les cochons, poules et lapins nous donnaient la viande pour
l'année. Avec le lait de la vache (Reinette ou Grisette), nous
n'avions à acheter que le sucre, le café et la farine
qui servait à faire le pain de ménage.
-----15 jours avant la rentrée des
classes, notre mère se rendait au marché de BOUFARIK pour
vendre les lapins élevés dans l'année et avec l'argent
reçu, elle achetait du tissu (vichy à carreaux pour les
tabliers, finette bleue et rose pour les jupons que par la suite elle
agrémentait d'un picot au crochet de couleur différente),
une paire de gros souliers à chacun pour tous les jours, la 2e
paire, celle des dimanches, nous la recevions seulement pour Noël.
Nous allions à pied à l'école du village situé
à 2 km environ et mêlés à nos cousins et
cousines, c'étaient seize enfants qui partageaient les mêmes
bancs de notre école. Du côté paternel trois de
nos oncles travaillaient les terres, alors que du côté
maternel cinq oncles avaient des commerces ou étaient artisans.
-----Tous habitaient le même village,
c'est vous dire la grande famille que cela formait avec tous leurs enfants
réunis.
-----Plus tard, quand nous étions
autorisées à aller au bal, il y avait toujours un ou même
deux oncles à la porte de la salle des fêtes qui, mine
de rien, nous surveillaient de loin. Je crois qu'ils n'avaient pas à
s'inquiéter: nous étions des filles sages.
-----Mais revenons un peu en arrière,
à l'âge où, après le certificat d'études,
les jeux de l'enfance se terminaient et où commençait
une autre vie dans le travail ; il fallait bien aider nos parents à
la ferme - il y avait tant à faire - et notre aide, même
précaire, suffisait pourtant à prendre la place d'un ouvrier.
-----Notre mère allait souvent aider
le père aux champs. A la maison, il fallut s'organiser, à
ce moment nous nous trouvions quatre filles en âge de travailler
(les trois plus jeunes encore à l'école).
-----D'un commun accord, deux filles se
partageaient la vaisselle, la cuisine pour neuf personnes matin et soir,
pendant que les deux autres s'occupaient des chambres (lits à
faire et ménage); ensuite, elles aidaient les parents à
effeuiller la vigne au printemps, à planter la " grenadine
" en fin d'été. (Je n'ai jamais bien compris d'où
venait le mot " grenadine " qui se rapportait à la
semence de pomme de terre.)
-----Le lundi était jour de lessive;
tenant d'une main l'anse du baquet et de l'autre un seau, nous allions,
à deux, remplir nos récipients au puits, à 200
mètres de là. Deux voyages suffisaient, un pour le lavage,
l'autre pour le rinçage; sachant la peine que cela nous coûtait,
on savait, à cette époque, économiser l'eau. Pendant
qu'une lavait tout le linge de la famille, l'autre rinçait et
étendait. Comme chaque semaine nous échangions le travail,
ce n'était pas toujours la même qui savonnait et frottait.
Ainsi, tout se passait bien et point de rouspétance.
-----Au début du printemps, alors
que les amandiers ne formaient qu'u bouquet blanc, entre la colline
et la route, on commençait déjà l'arrachage de
la première récolte de pommes de terre, les carottes les
fèves et petits pois, rarement des haricots verts qui ne pouvaien
recevoir que l'eau du ciel. Notre terre n'était pas pauvre, mais
aride
Pâques arrivait à grands pas et l'effervescence régnait
déjà dans h maison. C'était la tradition (qui venait
sans doute de nos ancêtres) de confectionner nous-mêmes
les gâteaux, dont les recettes se transmettaient de mère
en fille. Aux hommes seulement la charge d'apporter les fagots de bois
pour le four.
-----La mère pétrissait seule
les mounas (qui étaient chez nous le gâteau pascal). Elle
laissait ensuite la pâte dans la grande terrine, sous la chaleur
de l'édredon, pour la faire lever; la pâte levée
était partagée en boules et sur une tôle huilée
devait attendre encore une heure avant d'être enfournée.
-----Venait ensuite le tour des "
froumadjads " : petites marmites confectionnées à
la main dans une pâte à base de farine, de saindoux et
de levain. Ces " marmites " étaient ensuite bourrées
de viande d'agneau, de lard et de soubressade, puis recouvertes d'un
morceau de pâte.
-----Notre frère Jean-Paul trouvait
les marmites toujours trop petites à son goût, aussi, il
en fabriquait une très grosse qui jurait au milieu des autres.
Un jour, sa froumadjad cuite, il la cacha derrière la glace de
la salle à manger pour la déguster plus tard tout seul...
Mais, il l'oublia et c'est une soeur qui découvrit le pot aux
roses quelques temps plus tard en faisant le ménage ; elle était
moisie et immangeable. Je crois qu'il ne recommença plus jamais
cet exploit.
-----Et puis, nous faisions aussi des gâteaux
sucrés et à la cannelle (patates, soucquettes). Nous en
cuisions beaucoup et en mangions toute la semaine qui suivait la fête.
-----De nombreuses années plus tard,
mes enfants y assistèrent à leur tour. Aujourd'hui, ils
se souviennent et voient passer devant leurs yeux ébahis, sortant
de la cuisine, traversant la cour et se dirigeant vers le four, des
bancs chargés de plaques de gâteaux crus et une heure plus
tard, ces mêmes bancs revenir du four vers la cuisine, chargés
des mêmes gâteaux, mais cuits et dorés à point.
C'est, je crois, un souvenir qu'ils n'oublieront pas.
(à suivre)
NOTRE VIE À
B1RTOUTA
Raconté par Ma rie ORFILA-COLL(suite des Echos
d'Alger n° 78 et 79)
-----Puis l'été arrivait.
Je me souviens que mon père faisait venir, à cette époque,
un vannier pour confectionner une cinquantaine de corbeilles qui étaient
indispensables pour la vendange (chez nous, elle ne durait pas très
longtemps), également, pour les pommes de terre et les amandes.
Elles étaient utiles encore quand ne tenant plus, elles servaient
à transporter une dernière fois le fumier dans les champs.
-----Enfants, nous tournions autour de
cet homme et étions en admiration devant la façon dont
il s'y prenait pour travailler. Assis, il fabriquait au départ
un fond tressé en jonc d'où partaient des tiges droites
de la hauteur de la future corbeille et avec ses doigts agiles faisait
aller et venir des lanières en roseau entre les tiges de jonc
et celle jusqu'à la hauteur voulue.
-----A notre grande joie, il gardait toujours
un peu de jonc et de roseau pour nous confectionner un petit panier.
Pour la " marna " aussi, un panier de forme ovale, avec anse,
qui lui servait à entasser le raccommodage de la semaine. (Maintenant,
quand les chaussettes sont trouées, on les jette et si l'on voit
des pièces aux jeans délavés des jeunes, ils vous
diront " c'est la mode ").
-----En ce temps-là, le raccommodage
était utile, le fil coûtait moins cher que les vêtements
qu'il fallait faire durer; quant au travail, il était gratuit
puisque fait par la mère le soir, à la lumière
de la lampe à pétrole.
-----Après le ramassage des amandes,
nous rapportions les corbeilles pleines sous le hangar et là,
autour des corbeilles, la famille se réunissait pour débarrasser
les amandes de leur enveloppe verdâtre. Cette récolte était
rentable, la main-d'oeuvre ne coûtait rien et les amandes se vendaient
bien.
-----En automne, après le
ramassage des olives (que notre mère conservait dans la saumure)
nous rapportions aussi les grenades. Les grenadiers longeaient un ravin
et il fallait remonter la pente avant d'arriver à la maison avec
notre chargement de fruits;
c'était un dessert pour l'hiver et un régal pour les enfants.Notre
mère pensait toujours à faire quelques réserves
pour l'hiver qui pourtant n'était pas très rigoureux dans
notre région. Avec les fruits de nos arbres, elle cuisait des
confitures, avec les figues et les raisins secs de sa fabrication :
(elle trempait par 3 fois les fruits dans une saumure de cendre et d'eau
bouillante qu'elle faisait ensuite sécher sur des claies au soleil)
avec les pommes de terre et un sac d'amandes de côté, l'hiver
pouvait venir. Elle était tranquille... puis elle pensait aussi
au cochon qui allait augmenter notre réserve en viande...
-----Nous n'étions pas pauvres puisque
l'on avait toujours de quoi manger et s'habiller, mais pas riches non
plus (l'économie, on en vivait).
-----C'était un jeudi (jour de congé
pour les écoliers de cette époque) et une semaine avant
Noël que nos parents avaient choisi pour le sacrifice du cochon.
-----Les enfants élevés dans
les fermes, au milieu de la nature et des animaux comprenaient peut-être
mieux que d'autres tous les avantages que l'on pouvait en tirer.
-----La veille déjà le hangar
avait été déblayé, balayé. Contre
le mur deux gros chaudrons remplis d'eau sur des trépieds, le
bois de sarment et d'amandier dessous n'attendait que l'allumette. Les
jarres et pots lavés, les ingrédients : sel, poivre, épices
achetés quelques jours avant, tout était prêt.
-----De bonne heure, le lendemain, toute
la famille était debout. Il faisait encore sombre, mais nos yeux
fixaient la route où devait apparaître l'oncle Thomas.
Il venait du village à pied; c'était lui le " tueur
". Enfin, on l'aperçut et ce fut la joie...
-----Le cochon tué, gratté,
lavé, fut pendu à la poutre et d'un geste précis
l'oncle fendit la bête en deux, les boyaux dégringolèrent
dans la bassine. Nous n'aimions pas le travail où il fallait
ensuite vider, laver des mètres et des mètres de boyaux
gluants. C'est souvent la mère qui s'en chargeait et la journée
n'en finissait pas d'allées et venues entre la cuisine et le
hangar où une table était dressée et où
se faisait tout. Le découpage des rôtis et des confits;
pour la saucisse et la soubressade, la viande était hachée
dans la machine qui venait des grands-parents; les os allaient au saloir;
le même jour, on cuisait les boudins ; le lendemain, le fromage
de tête et le pâté; la graisse fondue allait dans
les jarres. Rien n'était perdu et on se régalait de tout.
Les cochons étaient bien nourris chez nous et souvent engraissés
au maïs, ce qui donnait un lard ferme et une viande succulente.
(Pour ma part, je n'ai jamais plus retrouvé le bon goût).
----Les saucisses et soubressades
étaient ensuite suspendues au plafond de la cuisine et sans réfrigérateur
à cette époque, nous conservions pourtant cette marchandise
jusqu'au bout.
-----La semaine après c'était
Noël. Mais avant ce jour, d'autres préparatifs : le pain
de ménage cuit au four devait servir, une fois moulu, à
la confection du traditionnel dessert de Noël " le couscousseau
". Point de bûche chez nous, mais des croquets, des montécaos
confectionnés aussi à la maison.
-----Le repas de Noël se composait
surtout de cochon: pâté de tête, saucisson, jambon,
puis rôti avec des pommes de terre et les desserts.
-----Nous avions quelquefois une barre
de nougat mais pas de chocolats.
-----L'hiver, c'était un
peu la relâche pour nous, jeunes filles. A part les lapins à
soigner et la vache à traire, nous avions du temps libre pour
nous occuper de notre linge. Nous faisions nous-mêmes nos vêtements
; les parents nous avaient envoyées à des cours de couture
au village où un professeur venait une fois par semaine. Nous
profitions de ces leçons pas très chères puisque
prises en groupe. Les leçons de broderie nous étaient
données gratuitement par la tante Henriette. Nous avons ainsi
pu coudre et broder notre trousseau.
-----Le dimanche matin, nous allions à
la messe, l'après-midi; on s'ennuyait bien un peu, mais nous
bavardions beaucoup entre nous. Nous allions quelquefois au bal...
-----Je vous rapporte ici une anecdote
dont j'ai le souvenir: notre père voulait bien nous laisser aller
au bal à condition de traire la vache avant de partir. Cette
vache avait la manie de nous balancer sa queue dans la figure pendant
qu'on lui tirait le lait. En semaine, cela ne nous dérangeait
pas, mais le soir du bal, on ne voulait pas sentir la vache. Aussi,
c'est à deux que nous faisions cette corvée, une sous
le pis et l'autre tenant des deux mains cette queue récalcitrante!!!
Après un lavage à l'eau de cologne, nous pouvions aller
danser...
-----Et puis les années ont passé...
-----Les filles quittèrent le foyer
paternel, les unes après les autres pour suivre leurs maris.
Seul resta Jean-Paul, célibataire à ce moment. Après
le décès de notre mère en 1958, il travailla quelques
années encore avec le père.
-----Puis ce fut l'exode...
-----Ici, finit l'histoire sur trois générations
de ma famille.
-----Je leur rends à tous un émouvant
hommage et surtout à mes chers parents qui nous ont donné,
malgré tant d'épreuves, l'exemple du courage, de l'honnêteté
et du devoir.
-----Emigrés du soleil, vous ne
saurez jamais que vos descendants devront à leur tour s'exiler,
non pas poussés par la misère, mais par les graves événements
qui devaient donner l'indépendance à
L'ALGERIE FRANÇAISE.
-----Ils abandonnaient à leur tour
une terre que vous leur aviez laissée, qu'ils avaient tant aimée
et croyaient être la leur à jamais.
-----Comme vous l'aviez fait 100 ans plus
tôt, ils traversèrent la Méditerranée en
1962 pour se diriger vers un pays qu'ils ne connaissaient pas : "
La France ".
-----ENFANTS,
-----Sachez que vos ancêtres ne furent
pas des aventuriers, mais, s'ils ont tant de fois tenté l'aventure,
c'était dans le seul but d'assurer à leur famille une
vie meilleure,
Et soyez-en fiers.
-----Cette histoire vécue, je la
dédie à mes petits-enfants, nièces et neveux pour
qu'ils se souviennent.
Marie ORFILLA-COLL
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