Les grands travaux algériens
L'urgente nécessité de remédier autant que faire
se peut à l'irrégularité du climat africain devait
entraîner la Colonie à entreprendre de grands travaux.
On les décida aux points où ils paraissaient les plus
utiles, susceptibles de revivifier la plus grande étendue de
terres désormais productives et par suite susceptibles de rétribuer
au moins partiellement l'effort et les frais consentis. C'est dans le
Tell et en particulier dans la plaine du Chéliff, aux terres
admirables, extraordinairement riches, mais vouées à l'improductivité
par la sécheresse qui les désole que s'est manifestée
cette intervention de l'industrie et de l'ingéniosité
humaines.
Là, pas de fleuves, des pluies, peut-être suffisantes,
mais mal réparties, des torrents grossis par les pluies diluviennes
de l'hiver et qui emportent à la mer, dans leurs crues subites
et dangereuses, toute la terre végétale encore accrochée
aux flancs des pentes dénudées et sans arbres, puis, le
reste du temps et dès que sévit l'été, l'impitoyable
sécheresse, la mort des plantes calcinées, le ratage,
six fois sur sept, des récoltes tant attendues.
Cette vallée du Chéliff, position capitale de l'ancienne
Maurétanie, terre à blé par excellence, ancien
grenier de Rome d'où l'on envoyait au César des gerbes
qui avaient rendu quatre cents grains pour un, fut jadis d'une fertilité
inouïe et demeure apte à la retrouver. L'aménagement
hydraulique tout à fait sommaire que l'Administration romaine
y suscita fut par la suite complètement détruite par les
envahisseurs arabes et cette suppression fut surtout aggravée
par le déboisement. Au XIIIème siècle encore, toutes
les pentes étaient couvertes de forêts. Après, il
n'y eut plus rien que des marécages dans le bas-fond des plaines,
le désert tout autour et le paludisme un peu partout.
Il appartenait à la France de changer tout cela, de faire renaître
la prospérité ancienne et de rendre à la vie ces
terres frappées de mort et de stérilité.
On s'y efforça. Deux grands barrages sont en cours d'exécution
dans le département d'Alger : celui de l'Oued-Fodda et celui
du Ghrib sur lesquels il convient de donner quelques détails.
Toutefois, avant d'aborder l'examen successif de ces deux ouvrages,
nous tenons à reproduire ici, le préambule d'un article
particulièrement intéressant établi par M. René
Martin, l'éminent ingénieur des Ponts et Chaussées,
et inséré dans la revue mensuelle " Les Chantiers
Nord-Africains ", de mai 1929, sous le titre technique de la construction
des grands barrages.
" Les conditions d'établissement des grands barrages dépendent,
en premier lieu, du but qui est poursuivi.
Dans les pays où les pluies sont abondantes et où l'irrigation
est inutile, les barrages ont pour but la production d'énergie
électrique et servent à créer, d'une part, une
chute, d'autre part, un réservoir permettant de modifier le débit
prélevé au gré des besoins de la consommation d'énergie.
Pour ces ouvrages, la réserve n'a pas, en général,
besoin d'être très considérable. En effet, on dispose,
le plus souvent, d'un débit annuel important qu'on n'a pas économiquement
intérêt à utiliser en totalité ; d'autre
part, les besoins de la consommation sont répartis sur toute
la durée de l'année.
C'est donc la création d'une chute qui est le but principal du
barrage, et l'on cherche un emplacement permettant de construire aux
moindres frais le barrage le plus élevé possible.
En Algérie, le problème se pose tout différemment
:
Comme la rareté et la mauvaise répartition des pluies
donnent, dans certaines régions, une valeur considérable
à l'eau d'irrigation, les barrages servent avant tout à
créer de vastes réservoirs permettant d'accumuler les
eaux pendant les périodes humides où le débit des
oueds est surabondant, pour les restituer à la culture pendant
les saisons sèches.
Il faut pour cela disposer non seulement d'un emplacement favorable
pour y édifier un barrage, mais encore d'une grande cuvette étanche
à l'amont, où les terres à noyer ne soient pas
de grande valeur.
Quelle est la capacité à donner au réservoir ?
A cet égard les
conceptions ont évolué :
Autrefois, on cherchait seulement à accumuler les crues d'hiver
pour restituer les eaux en été ; c'est ce qu'on appelle
la régularisation annuelle que réalisent les anciens barrages
d'Algérie, tels que le barrage du Hamiz. La capacité du
réservoir est inférieure au débit annuel moyen
de l'oued barré.
Ainsi limitée, la réserve ne remplit son but que d'une
façon incomplète. En effet, le débit annuel des
oueds est, en Algérie, extrêmement variable ; pour prendre
un exemple, le débit cumulé de l'Oued-Fodda entre le 1er
octobre 1919 et le 1er octobre 1920, a été de 26 millions
de mètres cubes seulement, alors que du 1er octobre 1918 au 1er
octobre 1919, le débit total s'était élevé
à 226 millions de mètres cubes.
Aussi, avec l'ancienne conception, le débit distribué
aux irrigations reste-t-il très variable. La culture continue
à subir les inconvénients des années sèches,
sans pouvoir tirer tout le parti possible des années très
humides.
Or, les eaux sont rares, et pour mettre intégralement en culture
les terres disponibles, le vaste problème qui se pose pourrait
être énoncé comme suit : empêcher la totalité
des eaux de ruissellement d'aller à la mer avant d'avoir servi
à l'irrigation.
C'est pour tendre vers ce but qu'on est amené maintenant à
créer de très vastes réservoirs permettant d'accumuler
les eaux en excédent des années très pluvieuses
pour les restituer pendant les années sèches. C'est le
principe de la régularisation interannuelle, qui constitue évidemment
un très gros progrès par rapport à la régularisation
annuelle. Malgré l'évaporation qui est aggravée,
les pertes d'eaux sont très diminuées; en outre, l'agriculture
bénéficie d'un facteur de sécurité fondamental,
elle peut, en effet, compter chaque année sur une quantité
d'eau constante quelles que soient les conditions climatériques
générales. "
L'Oued-Fodda est un affluent du Chéliff,
torrent de régime irrégulier le plus souvent à
sec, mais charriant pendant la saison des pluies un volume d'eau énorme
et circulant dans un lit encaissé par de hautes montagnes. Y
retenir par un barrage les eaux d'hiver pour les répandre pendant
la saison sèche sur des milliers d'hectares ainsi rendus à
la fertilité et à la vie, tel fut le problème.
Le barrage aura cent mètres de haut et par sa contenance se rangera
parmi les plus importants du monde, bien qu'inexistant à côté
de celui qui, à la limite du Soudan et de la Haute-Égypte,
retient les eaux du Nil. Il créera dans le méandre des
gorges et les sinuosités des vallées, un lac artificiel
tenant en réserve trois cents millions de mètres cubes
d'eau. La largeur du mur de retient sera de 80 mètres à
la base, sa hauteur de 96 mètres; il sera fait de béton
de ciment et représentera un volume de maçonnerie de 300.000
mètres cubes.
Les travaux ont débuté en 1926, ils ont nécessité
des installations préalables nombreuses, des voies ferrées
d'accès, des magasins, des coopératives, des habitations
pour les ouvriers et des aménagements de terres-pleins pour entreposer
les outils et les matériaux. Il a fallu installer une usine de
fabrication d'oxygène, d'énormes appareils de concassage
et de broyage et une circulation de bennes sur câbles aériens
pour le déversement du béton. Pour l'exécution
des travaux, il a fallu dériver les eaux de l'oued.
Le barrage du Ghrib se situe sur le Chéliff supérieur
à six kilomètres en amont du village de Dolfusville. Il
est appelé à fertiliser toute la plaine du Djendel, aura
une capacité théorique de 250 millions de mètres
cubes d'eau et 64 mètres de hauteur.
A la base, le massif d'enrochement aura 150 mètres d'épaisseur
et un cube d'environ 600.000 mètres cubes. Mille mètres
cubes de calcaire dur y sont précipités quotidiennement,
rangés en parement et avec grand soin pour assurer la meilleure
étanchéité possible. En avant de ce blocage, un
masque en béton armé offrira une dernière résistance
au passage et à la pression des eaux retenues. Des difficultés
assez nombreuses se sont produites, tenant à la mauvaise qualité
du sol de fondation, grès tendre qui s'effrite et s'écrase.
La couche de béton du fond aura vingt mètres d'épaisseur
et tout autour sont pratiqués des injections destinées
à consolider le sol et à interdire les fuites et la fissuration
consécutive. Tous ces travaux n'allant pas sans frais, mais compensés
ou susceptibles de l'être par la valorisation nouvelle qu'il donnera
à tout ce pays.
Signalons en passant que l'étanchéité des terrains
sur lesquels sont assis les deux barrages de Oued-Fodda et du Ghrib
est obtenue à l'aide d'injections de ciment qui imperméabilisent
les roches en-dessous et sur les côtés des ouvrages. Ces
injections de ciment sont faites par la Société "
Procédés de Cimentation François " qui est
spécialisée depuis de nombreuses années dans ce
genre de travaux et en exécute de semblables en France et à
l'étranger.
On estime à environ 20.000 hectares les terres qu'il permettra
de mettre en culture régulière. Les heureux propriétaires
qui les détiennent auront naturellement à payer à
l'État pour l'eau fournie, des prix qui représenteront
l'intérêt du capital de 230 millions de frais jusqu'ici
prévus et qui pourraient être dépassés.