Comment fut fondé le premier hôpital d'Alger
Algeria
et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, printemps 1955.Édition
de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique
(OFALAC), 26 bd Carnot ou 40-42, rue d'Isly, Alger
sur site le 8-9-2005 |
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-----L'été,
quand le vent du sud plaquait une paume fiévreuse sur le front des
hommes, le moine d'ascendance française Bernardo de Monroy pensait,
plus que d'habitude, aux chrétiens prisonniers des Barbaresques. -----L'enclos du couvent espagnol de la Trinité de la Rédemption, vibrant de mille élytres, semblait grésiller de chaleur. Mais il recelait, sous ses frondaisons, des oasis d'ombre dansante. -----Là-bas, de l'autre côté de la mer, les arbres d'Afrique devaient mal lutter contre le soleil... Des créatures de Dieu, du vrai Dieu, tombaient sans doute d'épuisement sur des terres desséchées Et le Père Bernardo de Monroy soupirait. -----Pourtant, un jour de l'année 1606, un grand bonheur le pénétra : il venait d'être choisi, ainsi que les Frères Pedro de los Palacios et Juan de la Aguila, pour racheter, de la part du Chapitre de Castille, la liberté de ses coreligionnaires enlevés par les pirates de Berbérie. -----Ce retour, Bernardo de Monroy le préparait jour et nuit, car il redoutait, plus que la perfidie de la mer, la versalité des Barbaresques. -----En quoi il avait raison puisque, soudain, ses espoirs se changèrent en une terrible amertume. -----II était advenu ceci -----Des gens de la République de Gênes, las d'être molestés, jusqu'à quelques milles de leur rivage, par des corsaires turcs et maures, avaient décidé d'entreprendre ce que nous appellerions, de nos jours, une expédition punitive. Dans ce but, ils lancèrent, en Méditerranée, des galères armées, lesquelles, au large des côtes africaines, rencontrèrent une embarcation ennemie. -----Cette embarcation emmenait, parmi de nombreux adolescents et adolescentes, la fille d'un agha de Bône vers Alger. -----Les équipages gênois eurent vite fait de s'approprier un important butin. Puis ils cachèrent les passagers dans une petite île proche, croit-on, de la Sicile. -----A l'annonce de la nouvelle, les parents des prisonniers envoyèrent les émissaires à Gênes, dans le but de négocier le prix d'une rançon. C'était à l'époque, chose courante, et l'on se mit promptement d'accord sur les conditions du rapatriement. Mais, au moment de rembarquer une jeune fille d'une douzaine d'années manqua à l'appel. Comme elle demeurait, malgré toutes les recherches, introuvable, on se résigna à cingler, sans elle, vers Alger. -----C'était l'enfant d'une puissante famille de la ville. Quand ses père et mère, rendus furieux par cette absence, en tinrent pour responsables les chrétiens et les trois Trinitaires, la rumeur d'une colère générale grandit parmi la population. Au point d'alerter le Conseil du Divan. -----En représailles, les trois moines et les quelques deux cents esclaves qu'ils avaient pu racheter furent mis au cachot. En même temps qu'ils étaient tous menacés de mourir en d'horribles supplices si les Génois s'obstinaient à détenir en Europe la jeune Mahométane. -----En vain les religieux démontrèrent-ils, leur innocence. Pendant deux ans ils eurent à subir, ainsi que les malheureux qu'ils avaient cru sauver de la servitude, les pires vexations et les traitements. Puis, un jour, une étrange nouvelle parvint jusqu'en Alger : la captive se trouvait en Sicile. -----De nouveau, sa famille envoya des émissaires chargés de négocier son retour. Cette fois encore, ils ne ramenèrent pas la jeune fille. Mais ils étaient porteurs d'un message par lequel elle faisait savoir que, touchée par la grâce, elle venait d'embrasser la religion du Christ et n'accepterait de rejoindre les siens que s'ils se convertissaient à leur tour. -----Elle proclamait, en même temps l'innocence des trois religieux espagnols, ainsi que des prisonniers chrétiens arbitrairement détenus dans la capitale barbaresque. Et elle suppliait qu'on les libérât tous. -----La fureur des parents de la néophyte augmenta : par la faute des chrétiens - bien que ceux d'Alger n'eussent rien à voir avec ceux de Gênes -leur fille n'avait-elle pas renié l'Alcoran ? -----En vain les moines offrirent-ils, en échange de leur liberté propre et de celle de leurs ouailles, l'or qu'ils avaient demandé, à cet effet, en Espagne. Tout ce qu'ils purent obtenir, avec cet or, ce fut d'être transférés à la prison, plus confortable, du Bain du Roi, rue du Bagne des Chrétiens (actuellement : rue Bab-Azoun). II leur fut même permis d'installer là une chapelle où ils servirent la messe avec une ferveur sans doute exemplaire puisque, ainsi que l'écrit Bernardo de Monroy au Supérieur Provincial de Castille : "Nous entonnons Miserere mei Deus, ce qui provoque l'admiration des gardiens qui, près de nos murailles, écoutent les prières plaintives que nous adressons au ciel". -----Ces gardiens n'ont pas été sans remarquer que, souvent, les religieux et les esclaves chrétiens se privent de leurs maigres repas pour nourrir des mendiants. La chose les a frappés. Ils en ont parlé autour d'eux. -----Et quand, en 1609, Bernardo de Monroy sollicite du pacha la permission d'installer, dans une salle contiguë à la chapelle, un petit hôpital, cette permission lui est accordée. -----De chaque côté d'une allée centrale, quatre matelas de feuilles sèches furent posés sur des espèces de tables, hautes d'un pied et demi environ. Un renforcement pratiqué dans le mur, à la tête de chacun des huit lits, permettait de ranger, dans la journée, les drogues et les instruments divers, ainsi que des couvertures faites de chiffons cousus les uns aux autres. |
- -"Quant
à nous, ajoute-t-il, nous allons, le plus souvent possible, consoler
les malades, nous accupant de tout ce qui leur est nécessaire,
suivant les moyens dont nous disposons et le lieu où nous nous
trouvons, les Turcs, les Maures et les Juifs viennent souvent visiter
notre hôpital et, bien qu'infidèles, ne manquent pas de nous
laisser quelques dons. Ils repartent pleins d'enthousiasme pour notre
oeuvre, jugeant merveilleux que des esclaves chrétiens aient créé
un pareil établissement en Alger, alors qu'eux?mêmes n'ont
rien de semblable pour leurs malades". Blanche BENDAHAN |