Le vol à voile en Algérie (1862-1962)
Le premier vol à voile en Algérie - 12 septembre 1865
Texte, illustrations : Pierre Jarrige

------Pierre Jarrige, né en 1940, à Burdeau (dpt de Tiaret), fut pilote privé et pilote militaire (ALAT) en Algérie. Il fait des recherches, depuis très longtemps, sur l'histoire de l'aviation en Algérie. Il a déjà produit trois livres sur l'aviation légère et le vol à voile. Il continue les recherches en vue d'un livre sur l'histoire del'aviation commerciale et militaire.
------ Je le remercie d'avoir eu la gentillesse de nous faire parvenir ces textes afin que vous puissiez en profiter.

Son site : www.aviation-algerie.com

extraits du numéro 25, mars 1984de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 19-11-2009

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Pierre Jarrige, chef pilote à l'Ecole nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace de Toulouse, est né en 1940 à Burdeau (ancien département de Tiaret). Il a été pilote de tourisme, puis pilote militaire dans l'A.L.A.T. (Aviation légère de l'armée de terre). Avant juillet 1962, il avait déjà effectué six cents heures de vol au-dessus du territoire algérien. Passionné d'aviation, il nous fait découvrir un précurseur, Louis Mouillard, qui a réalisé le premier vol humain en Algérie.

Ce matin-là, un voilier fut tiré hors du hangard d'une petite ferme de la Mitidja. C'était un monoplan portatif sans empennage, de 12 m2 pour un poids de 13 kg, dont l'équilibre longitudinal était assuré par le déplacement du corps du pilote. La charpente était constituée par des hampes de fleurs de grand agave (1Agave (du grec ayaué : remarquable), plante originaire d'Amérique centrale, cultivée dans les régions chaudes, restant pendant plusieurs années à l'état végétatif, pour fleurir une seule fois, donnant une inflorescence de 10 m de haut. Famille des amaryllidacées. L'agave est souvent appelé, à tort, aloès. (Nouveau Larousse universel.)).

A bord de cet engin, un homme s'élança du haut d'un talus qui surplombait la plaine d'une hauteur d'un mètre cinquante. Il se maintint dans l'air durant 15 secondes et parcourut 42 mètres, à un pied sur sol, contre un vent de 5 mètres/seconde. Il venait de réaliser le premier vol à voile en Algérie.

Le retour à la terre fut rude, à la fois pour le pilote et pour la machine, dont une rémige fut brisée. Le lendemain, après avoir réparé l'appareil, l'aviateur fit une nouvelle tentative. Mais, peu après l'envol, une rafale de vent brisa les ailes qui se replièrent comme celles d'un papillon, le pilote s'en tira avec une luxation de l'épaule.

Qui était donc cet intrépide fermier, pionnier du vol à voile, précurseur des fervents du deltaplane ?...

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Louis Mouillard, est né à Lyon, le 30 septembre 1834, dans une famille aisée de commerçants en soieries. Il était l'aîné de six enfants ; son père était cultivé et avait l'esprit large. La famille était installée place Neuvedes-Carmes et Louis disposait à son gré d'un immense grenier dans lequel il jouait avec son ami Alphonse Daudet. C'est là qu'allait se décider sa vocation, c'est là qu'allait naître sa passion pour les machines volantes.

A l'âge de dix ans, Louis entre au pensionnat des Lazaristes, à mi-côte sur la colline de Fourvière, où il brille en dessin et en zoologie. La révolution de 1848 le ramène au logis familial... et à son cher grenier, d'où il observe le vol des oiseaux. Un jour le vol d'une hirondelle le plonge dans une profonde rêverie. Il a alors quinze ans. Avec l'aide de sa soeur Angèle, il confectionne une paire d'ailes en coutil, maintenue par des baleines de corset. Il se prépare à s'élancer du haut de la vieille église de Fourvière. Le bedeau réussit à l'en empêcher à temps.

Après un bref retour au collège, Louis retrouve son grenier en 1851. Il s'y livre à la peinture et à l'étude de l'ornithologie. Le grenier devient alors une immense volière où l'on trouve milans, martinets, et surtout un aigle superbe qui se bat parfois avec son propriétaire, arrive à s'échapper, et revient attiré par la pitance. M. Mouillard, père, compréhensif, s'intéresse aux travaux de son fils et finance ses recherches. A vingt ans, Louis entre aux Beaux-Arts de Lyon, puis part pour Paris, où il devient l'élève d'Ingres.


Louis MOUILLARD (1834-1897)

Louis MOUILLARD (1834-1897)

Là, les tours de Notre-Dame lui servent d'observatoire ; il y étudie en particulier le vol des choucas qui prennent leur essor sans battre des ailes, simplement en se mettant face au vent.

En 1856, Louis revenu à Lyon, construit son premier appareil. Dans le fuselage-coque en lames de châtaignier, l'aviateur placé horizontalement pouvait actionner les ailes (le haut en bas pour provoquer l'envol. Cet appareil devait être un " rameur-voilier ". Mais des problèmes de transmission lui firent abandonner les essais de cette machine. En décembre de cette même année son père meurt brusquement. Louis essaie de continuer le commerce paternel, mais il n'est pas doué pour le négoce. Alors il décide de partir avec son frère Henri, exploiter un domaine familial en Algérie : une ferme de la Mitidja, aux environs de Mustapha.

L'AVENTURE ALGERIENNE

Arrivé en Algérie, notre ornithologue pensa réaliser son rêve et construisit deux nouvelles machines.

La première, sortie en 1864 était encore un rameur-voilier, semblable à celle de Lyon, dite n° 1, mais prévue pour être essayée sur l'eau (sans doute pour amortir le choc en cas d'accident). A cet effet, le fuselage- coque était revêtu d'une feuille de caoutchouc. Le tout était très léger et paraissait solide ; malheureusement, au premier essai les membrures d'aile se brisèrent.

L'appareil numéro 3, construit en 1865, était un voilier pur. Sur cet engin, Louis Mouillard, après avoir éloigné tout le monde de la ferme, s'élançait contre le vent afin d'éprouver " l'action de soutènement ". Bientôt le grand jour devait arriver. C'était le 12 septembre 1865. Nous avons relaté, plus haut ce premier vol humain réussi en Algérie !

Malheureusement, notre héros tomba malade : il fut atteint de choléra (ou de peste, on ne sait pas très bien)... Il en réchappa, après avoir absorbé un grand verre d'absinthe ! Mais une épizootie décima le bétail de la ferme, Ruiné et malade, Louis Mouillard fut contraint de retourner à Lyon, dont les frimas lui faisaient regretter le soleil d'Algérie.

(Dessin de L. Mouillard.)extraits du numéro 127, septembre 2009 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"

LA FIN EGYPTIENNE

En 1866, avec l'appui d'Alphonse Daudet, Louis Mouillard fut nommé professeur de dessin à l'Ecole polytechnique du Caire, où il logea au 15, rue de l'Eglise-Catholique. Le ciel d'Egypte se révéla un véritable paradis pour l'observateur d'oiseaux. Ses heures de loisirs furent employées à contempler sur la monti.gne de Mokattam le vol sans battements du grand vautour fauve, celui qu'il appelera son " grand maître ".

Il est alors repris par sa passion et ses économies passent dans l'achat des oiseaux qu'il étudie. Sa femme, pour lui venir en aide, tente (le tenir une mercerie rue de l'Hôtel-du-Nil. Mais elle n'a, pas plus que lui, le sens (les affaires. A force d'observer, d'analyser et de disséquer les oiseaux, Mouillard sent qu'il tient le secret du vol mécanique et il rassemble ses notes dans un ouvrage intitulé ; L'Empire de l'air, essai d'ornithologie appliquée à l'aviation avec en épigraphe " OSER ", qui paraîtra chez Masson en 1881. Mais ce travail ne suffit pas au chercheur qui, une fois de plus, veut obtenir un résultat concret et met en chantier un quatrième appareil, après avoir testé plusieurs modèles réduits.

Cependant, le malheur le poursuit et, à quarante-quatre ans, il est frappé d'hémiplégie, Son surnom de " fou français " (magnoun el fraçaoui) est pleinement mérité quand il adapte son appareil à son infirmité en y mettant un siège et des roues et en essayant de le faire voler.

Sa situation matérielle se dégrade, un de ses parents du Caire, Edmond Camoin, le prend, sans succés, comme comptable. La boutique de mercerie ferme ses portes, sa femme meurt en décembre 1886 malgré les soins dévoués des Borelli, leurs voisins. Mais le cerveau de Mouillard reste vaillant et, la publication de son ouvrage lui ayant attiré un certain renom, il entre en relation avec le professeur Marey, spécialiste du vol des oiseaux, Albert Bazin, grand amateur d'oiseaux, Octave Chanute, ingénieur français émigré aux Etats-Unis et l'ingénieur russe Drzewiecki, qui lui écrivent ou lui rendent visite en Egypte.

Chanute qui avait fait profiter les frères Wright des expériences de Mouillard, offrit à celui-ci de faire breveter le planeur-voilier n° 4 aux Etats-Unis à compte à deux. Il envoya un chèque de 2.000 dollars à Mouillard, c'est certainement le seul argent que celui-ci reçut pour tous les travaux aéronautiques qu'il effectua. Cet argent fut aussitôt englouti dans le planeur n° 4.

Après 1890, des expériences suprêmes furent entreprises au Mokattam. Mais Mouillard ne pouvait vraiment plus persister à essayer son engin lui même et aucun aide n'osa prendre la place de l'expérimentateur. La machine fut alors démontée et les derniers espoirs de Louis Mouillard s'évanouirent. Complètement paralysé, il cessa toutes relations avec le monde extérieur. Le croyant mort, ses correspondants cessèrent de lui écrire. Il eut une dernière attaque le ler novembre 1896, ses amis Borelli le soignèrent. Il mourut le 20 septembre 1897. Le docteur Fouquet qui fut pour lui un ami dévoué prit soin de fixer ses traits dans la cire (2 Portrait illustrant cet article.)

Les documents et l'appareil de Louis Mouillard furent entreposés dans une cave au consulat de France. En 1910, à l'occasion du meeting aérien d'Héliopolis, tout le lot fut acquis pour 32 francs par la Ligue nationale aéronautique et prit le chemin du Musée de l'aéronautique.
L'année suivante, M. Henry-Couannier découvrit clans les papiers de notre héros le manuscrit inédit du Vol sans battements qui sera publié en 1912. Cette même année, la colonie française du Caire fit élever un monument à Louis Mouillard, monument qui fut inauguré en présence de
M. Defrance, ministre de la République française en Egypte, de René Quinton représentant la Ligue nationale aéronautique, de Saïd Pacha et du prince Fouad.

Mais le plus bel hommage qui ait été rendu à ce précurseur ode l'aviation est peut-être celui que lui décerna le célèbre aviateur américain Wilbur Wright en ces termes :

" L'Empire de l'Air est bien un des morceaux les plus remarquables que l'on ait jamais écrit... Ses observations sur les habitudes des oiseaux l'ont amené à conclure que le vol à voile était possible à l'homme, et, cette idée, il l'a présentée à ses lecteurs avec un enthousiasme si exaltant et si persuasif que son livre a produit les résultats les plus importants dans l'histoire de la conquête de l'air. A l'exception, peut-être de Lilienthal, aucun de ceux qui écrivirent au XIX° siècle n'a possédé un pouvoir pareil de faire des adeptes à la croyance en la possibilité du vol à voile humain."

Pierre JARRIGE.