Édouard Verschaffelt " l'autre peintre " de Bou Saada
par Marion Vidal-Bué

extraits du numéro 132, décembre 2010, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site : janvier 2015

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Édouard Verschaffelt " l'autre peintre " de Bou Saada
par Marion Vidal-Bué

Le Flamand Edouard Verschaffelt, né à Gand en 1874, a fait partie de ces artistes européens pour lesquels la découverte de l'Algérie a suscité un changement de vie total.
Grâce à ses études aux Beaux-arts d'Anvers, il acquiert la technique sans faille de la tradition flamande et s'oriente en débutant dans la carrière de peintre vers les sujets historiques ou religieux. Les grandes compositions ne lui font pas peur, il brosse notamment " La chute des Titans ", " Saturnale romaine ", ou encore " Néron chantant pendant que Rome brûle " et " Saint François de Pouilles chez Louis XI ".

  1. " Scène familiale ", in L'Algérie du Sud et ses peintres, de Marion Vidal-Bué,
    " Scène familiale ", in L'Algérie du Sud et ses peintres, de Marion Vidal-Bué,
    éd. Paris-Méditerranée.

De ses voyages de formation, dans les Ardennes belges et françaises, il rapporte d'importantes toiles dont les sujets sont empruntés à la vie quotidienne des paysans, telles " Le Rosaire " (fin de journée dans une ferme), " Le Moribond " (pathétique personnage au visage émacié), " Les fileuses ", " Les carriers ", " Le moulin de Wocha ". Comme beaucoup de ses contemporains, il se rend en Bretagne, où il compose un grand nombre de portraits, mais aussi des intérieurs en clair-obscur qui resteront une de ses spécialités.

Toute cette partie européenne de l'oeuvre, appréciée de collectionneurs de son pays natal, est connue comme la " période blanche " de l'artiste.

En 1919, ayant souffert comme tous ses compatriotes des quatre années d'occupation allemande, Verschaffelt décide de partir vers le soleil de l'Algérie, et arrive jusqu'à Bou Saada avec sa femme, qui fut aussi l'un de ses plus beaux modèles. Malheureusement, celle-ci meurt sur place d'une maladie implacable, et doit être enterrée dans le petit cimetière européen de la ville.
" L'aveugle ", in L'Algérie des peintres, de Marion Vidal-Bué,éd. Paris-Méditerranée.

" L'aveugle ", in L'Algérie despeintres, de Marion Vidal-Bué,éd. Paris-Méditerranée.
" L'aveugle ", in L'Algérie des peintres, de Marion Vidal-Bué,éd. Paris-Méditerranée.

Cinq ans plus tard, donc en 1924, il revient sur les lieux, se trouve de plus en plus séduit par la petite ville et les beautés de son environnement pré- saharien, ainsi que par le mode de vie sans contraintes qui y prévaut. Surtout, il a rencontré Fatima, une très belle jeune femme de la tribu notable des Ouled Sidi Brahim, dont il s'est sincèrement épris et qu'il va épouser. Tournant le dos à son passé, ce peintre, qui n'a jamais été attiré par une carrière mondaine, s'installe définitivement à Bou Saada et adopte le mode de vie local. Deux enfants, une fille et un garçon, tout aussi beaux que leur mère, naîtront de cette union, et la belle-famille de l'artiste fera également partie de son cadre de vie désormais des plus paisibles.

Tout naturellement, il rend visite à Étienne Dinet, le maître qui, depuis 1904, a voué tout son art à la peinture du désert et à l'apologie de l'islam. Les deux hommes ne sympathisent pas vraiment et chacun poursuivra son chemin, parallèle mais bien différent : ni leur conception de la peinture, ni leur approche de la vie musulmane ne concordent. Dinet s'est converti, Verschaffelt reste profondément catholique, même s'il a épousé une musulmane d'une famille aux origines maraboutiques. Verschaffelt a adopté assez vite la liberté de touche née de l'impressionnisme français, qui convient parfaitement à son goût de coloriste raffiné. Il se définit lui même comme un post-impressionniste, et non comme un "orientaliste". Dans toutes ses œuvres algériennes, on retrouve ce côté brillant et fluide, cette alliance d'une matière riche et souple et d'une gamme chromatique tout en subtilité. Contrairement à ce que l'on voit chez Dinet, le trait pourtant très sûr, qui dessine personnages et décor, disparaît chez le Flamand dans le moelleux de la peinture.

Les scènes dans l'intérieur du foyer foisonnent dans son œuvre bou saadienne : elles représentent les femmes occupées devant l'âtre, cuisinant autour du kanoun, ou bien en train de filer ou de tisser, en compagnie de leurs enfants. Le goût flamand du clair-obscur se satisfait pleinement de ce cadre de pénombre et de lueurs indécises, où quelques couleurs intenses viennent poser une touche éclatante. Une fois de plus, la vie quotidienne à Bou Saada aura inspiré un grand artiste.

Sa femme, sa belle-sœur ou sa propre fille, toutes des beautés aux yeux noirs, lui ont suggéré d'innombrables et magnifiques portraits, pour lesquels il se délectait à les parer d'étoffes chatoyantes et de lourds bijoux. Souvent, aussi, il a peint le minois rieur de son solide petit garçon en burnous.

Un thème universel revient souvent dans son œuvre, celui de la maternité, où il représente souvent la femme à l'enfant comme une madone en contemplation devant son nourrisson. Il traite encore, sous quantité de versions différentes, un autre thème, qui révèle parfois un certain goût pour le pathétique, celui du vieil aveugle accompagné d'une fillette ou d'un jeune garçon qui l'assiste pour quêter sa subsistance. Allégories des âges de la vie, ces tableaux sont souvent titrés " Printemps et hiver ". Les musulmans en prière font également l'objet de nombreuses et belles études où l'expression ardente des visages est remarquable.

Le peintre formé aux grandes compositions manifeste ses capacités dans des scènes de fantasias, de razzias ou de mariages dans l'oasis, avec grand concours de personnages, de chevaux, de dromadaires... A l'instar de Dinet qui a consacré quelques toiles spectaculaires au héros légendaire Antar, il s'attaque à son tour au sujet de " La mort d'Antar ". La maestria du mouvement qu'il confère aux protagonistes, hommes et animaux, le traitement magistral de la lumière, révèlent alors toute l'étendue de son talent. Les coloris tendres, les roses, les bleus, les verts, les blancs, se fondent dans les tons de sable, dans la plus pure tradition de l'impressionnisme.

" Mariage dans l'oued ", in L'Algérie du Sud et ses peintres, de Marion Vidal-Bué,

" Mariage dans l'oued ", in L'Algérie du Sud et ses peintres, de Marion Vidal-Bué,
éd. Paris-Méditerranée.

Parfois, mais rarement, Verschaffelt sacrifie aux nécessités de sa carrière et se rend à Alger à l'occasion de ses expositions dans les galeries les plus en vue ou dans les salons des Orientalistes algériens. Il brosse alors quelques vues des ruelles de la Casbah, quelques paysages. Et pour satisfaire à la mode orientaliste, il apporte à ses amateurs de séduisantes odalisques, des femmes languissantes allongées sur un sofa pour prendre le thé ou pour se faire lire les lignes de la main par une ghizane. Dans ce genre d'exercice, son style brillant fait toujours merveille.

Selon le journaliste Pierre Fontaine qui lui a consacré un bel article dans Algéria, il recevait plus volontiers les amateurs qui savaient apprécier sa peinture qu'il n'allait à leur recherche, et ce " léger rempart de misanthropie " lui a permis de conserver sans compromission son intégrité d'artiste. " Verschaffelt possède l'art d'être réel sans sombrer dans le réalisme, l'art d'être lumineux, sans nager dans un perpétuel soleil qui finit par fatiguer la vue, l'art de respecter l'harmonie sans tomber dans le conformisme ".
Il meurt en 1955, à plus de 80 ans, ayant conservé toute sa verdeur et sa vigueur physique, et continuant de peindre jusqu'au bout.

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- Le Musée national des Beaux-Arts d'Alger conserve dans ses collections: une " Caravane " et un " Intérieur de Bou Saada ".
- Bibliographie : Algéria, octobre 1952.