L'aventure des peintres de l'Expédition d'Alger en juin 1830
Marion Vidal-Bué

extraits du numéro 106, juin 2004, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 18-8-2010

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L'aventure des peintres de l'Expédition d'Alger en juin 1830
Marion Vidal-Bué


Lorsque les Français prennent pied sur la terre d'Afrique, en juin 1830, ils ouvrent certes une page de l'histoire de France, mais aussi, accessoirement, une page de l'histoire de la peinture. Cette conquête qui se terminera bien douloureusement aura eu au moins une conséquence bénéfique dans le domaine artistique : elle aura contribué à donner un nouveau souffle à un nombre très important de peintres français et même étrangers dont l'oeuvre s'enrichit d'un exotisme et d'une lumière incomparables; elle aura de plus permis l'éclosion, sur le sol de cette contrée qui deviendra l'Algérie, de multiples talents voués à en célébrer toutes les beautés. Enfin, les fruits de cette période sont encore manifestes aujourd'hui dans un pays où, auparavant, la tradition islamique prohibait le développement d'un art pictural qui s'y exprime désormais avec force.

En cette première moitié du xixe siècle, en pleine époque romantique, le désir de l'Orient était plus que jamais présent dans les esprits français, amplement motivés depuis les fastueuses réceptions d'ambassadeurs orientaux par Louis XIV, par le goût des turqueries développé sous Louis XV et, surtout, par la campagne d'Égypte de Bonaparte et la guerre d'indépendance de la Grèce.

Le nom d'Alger ne quittait guère le devant de la scène depuis des lustres, les histoires de corsaires et de batailles navales en répression de leurs méfaits se répétaient sans arrêt, provoquant des rêves de rivages mystérieux et de palais enfermant des harems voluptueux.

Aussi, lorsque fut décidée l'Expédition d'Alger, les candidats artistes pour l'aventure ne manquèrent-ils pas, et certains durent-ils intriguer pour en faire partie. Désireux d'immortaliser cet événement important de son règne, dans la pleine tradition française qui conservait par la peinture le souvenir des grandes batailles, Charles X avait fait engager plusieurs professionnels dans les navires de l'expédition, dont le commandement en chef était, comme on le sait, assuré par le général comte de Bourmont, futur maréchal de France et alors ministre de la Guerre, le commandement de la flotte revenant au vice-amiral Duperré.

Pierre-Julien Gilbert (1783-1860), unBrestois spécialiste de marines qui était professeur de dessin à l'École de la Marine royale, avait été nommé peintre officiel de l'expédition. Il avait pris place tout naturellement à bord du vaisseau amiral, la " Provence " et avait commencé ses travaux par un " reportage extraordinaire et précis des préparatifs de la flotte dans le port de Toulon "(BARON (Cristina), L'Algérie et les peintres de la Marine, in catalogue du 38' Salon de la Marine, Musée national de la Marine, Paris, mai - septembre 2003).

Ainsi que le rappelait récemment le conservateur-adjoint du musée national de la Marine de Toulon, il y avait vraiment de quoi s'enflammer, à la vue des 600 navires qui couvraient littéralement la rade de Toulon, et devant l'embarquement des 17000 hommes et 3800 chevaux qui devait durer une semaine entière, du 11 au 25 mai, date de l'appareillage sous " les regards émerveillés des Toulonnais venus assister au spectacle " (BARON (Cristina), op. cit. p. 8.).

Gilbert devait exposer, dès son retour, au Salon de 1831 à Paris, deux sépias acquises par l'amiral Duperré: " Débarquement de l'Armée française à Sidi-Ferruch " et " Attaque des forts et batteries d'Alger par l'année navale ". Le musée de Brest reçut en dépôt une "Attaque du môle d'Alger " et une " Vue du port et du môle pendant le bombardement ", tableaux appréciés pour " leur exactitude et leur exécution consciencieuse ", tandis que le musée de Nancy accueillait un " Débarquement ".

Un autre artiste, beaucoup plus jeune mais déjà bien en vue depuis une première exposition remarquée au Salon de 1822, Théodore Gudin (1802-1879), avait été nommé " Peintre attaché au département de la Marine " pour la circonstance. Il rapportera d'Alger de quoi enthousiasmer ses contemporains et conquérir une réputation qui fera de lui " l'ami des princes et des rois ", l'un des artistes préférés de Louis-Philippe: celui-ci le nommera baron et le chargera de commémorer les épisodes glorieux de l'histoire navale française pour son musée historique de Versailles. Également dans ses bagages, des " Souvenirs ", dont l'un des plus marquants sera, le jour de l'abordage, " l'épouvantable tempête qui avait éclaté tout d'un coup " (Souvenirs du baron Gudin, peintre de la Marine (1820-1870), publiés par Edmond Béraud, Paris, 1921.).

En parfait artiste romantique attaché au culte des passions, Gudin aima par-dessus tout représenter les tempêtes et les naufrages; ainsi parmi ses tableaux les plus remarqués de cette campagne d'Afrique venait en bonne place le " Coup de vent du 16 juin à Sidi El Ferruch " (Musée national de la Marine), " poétique et réel, un vrai tableau d'histoire " selon le critique Jal dans son compte-rendu du Salon de 1831 ( JAL, Salon de 1831, p. 212, cité par Esquer, p. 10.). Dans une lumière d'orage et de soleil couchant exceptionnellement bien rendue et contrastée, les bâtiments blancs de la Torre Chica (5L'algérianiste a publié un article sur cette Torre Chica qui se détachait sur la presqu'île, et fut remplacée après sa destruction par le Nouveau fort, abritant une importante caserne.) s'y détachaient sur la baie battue par un vent violent, qui courbait les grandes agaves et les silhouettes des soldats, et faisait danser les navires de l'escadre sur la mer argentée. Il devait récidiver dans cette veine dramatique avec notamment un " Coup de vent du 7 janvier 1831 dans la rade d'Alger " (musée de l'Armée, Hôtel national des Invalides, Paris), un " Naufrage d'un brick français sur la côte d'Afrique ", 1830, et l'" Explosion du Fort-l'Empereur (4 juillet 1830) ".

Les spectateurs de son fameux tableau, " Camp de Staouéli le jour du débarquement de l'Armée française, 14 juin 1830 (tente de l'agha Ibrahim) ", furent saisis par " cette terre d'un jaune si éclatant, cette végétation singulière, cet air si embrasé ". Ils y découvraient pour la première fois les couleurs fauves des côtes africaines, les palmiers et les dromadaires.

Fils d'un miniaturiste et peintre de portraits, fort apprécié et bien en cour, Eugène Isabey (1803-1886) encore à ses débuts, dut sans doute à la célébrité de son père sa nomination de " dessinateur de l'Expédition d'Alger ". Il y réalisera des dessins panoramiques et des aquarelles d'une grande finesse technique qu'il développera par la suite excellemment et avec grand succès d'estime. Dans son irremplaçable Iconographie historique de l'Algérie, Gabriel Esquer, qui eut accès à un maximum de documents de par ses fonctions d'archiviste bibliothécaire du Gouvernement général et d'administrateur de la Bibliothèque nationale d'Alger, rapportait qu'Isabey, " servi par l'influence paternelle I... I s'efforça de tirer le plus rapidement possible parti de ses croquis de campagne ", offrant au Dauphin une " Vue générale de la ville de Toulon et de la flotte française ", qui fut aussitôt lithographiée, puis exposant dès la fin de juillet au Musée Colbert d'autres dessins sous le titre général de " Panorama d'Afrique " ( ESQUER (Gabriel), Iconographie historique de l'Algérie depuis le xvi' siècle jusqu'en 1871, Plon, Paris, 1929 (trois volumes, planches noir et couleur), p. 10 - Réédition en fac-similé sous le titre L'Algérie en images, Bibliothèque des Introuvables, Paris, 2002.).

Toujours selon Esquer, Isabey avait réalisé un autre panorama de la campagne comprise entre Torre Chica à Sidi- Ferruch et Sidi Khalef. Ses dessins d'Alger conservés en collections privées privilégient les aspects extérieurs de la ville depuis la mer, ses remparts, ses bastions et ses faubourgs, nous léguant des témoignages aussi précis qu'artistiques sur les lieux qu'il explorait avec l'armée. Gudin et Isabey furent compagnons de voyage sur le " Duquesne ".

Leur confrère Antoine-Léon Morel-Fatio, (1810-1871), un Havrais qui deviendra le représentant le plus connu de l'école de peintres de marines de Gudin, sera nommé peintre officiel de la Marine en 1854, et à la fin de sa carrière, premier conservateur du musée de marine installé au Louvre. Il n'avait que vingt ans en 1830: se trouvait-il à bord de l'un des navires de la flotte, ou bien se rendit- il à Alger par la suite? Plusieurs de ses oeuvres de chevalet appartenant à des collections particulières sont datées de 1833, une " Rue de la Casbah ", toile de grandes dimensions passée en vente publique en 1997, entre autres. En tout cas, après une toile de facture classique, " Bourmont et Duperré sur le vaisseau amiral en vue d'Alger, 1830 ", il peignit de façon magistrale et exposa au Salon de 1837: " Vue d'Alger pendant l'attaque de l'amiral Duperré le 3 juillet 1830 " (Musée historique de Versailles).

Comme Gudin, son maître, Morel-Fatio s'illustrera particulièrement dans le genre dramatique, avec des oeuvres comme " Naufrage des bricks " le Silène " et " l'Aventure " (1830) ou " Tempête dans le port d'Alger ", une toile importante acquise par l'État au Salon de 1856 et offerte par Napoléon III au musée municipal d'Alger à l'occasion de son deuxième voyage en 1865. Elle y demeura jusqu'en 1927, selon Fernand Arnaudiès, avant d'aller orner le cabinet du gouverneur général de l'Algérie (ARNAUDIÈS (Fernand), Esquisses anecdotiques et historiques du Vieil Alger, éd. A. Barthélémy, Avignon, 1990, p. 163.).

Mais de cet artiste comme des autres, les sensibles aquarelles nous renseignent et nous touchent aujourd'hui bien davantage que les tableaux officiels. En effet, ces grandes toiles peintes en atelier, au retour, restaient conventionnelles malgré leurs effets dramatiques, tandis que les croquis pris dans la fièvre de la découverte ou dans le tumulte de l'action, les aquarelles qui conservent la fraîcheur de l'impression immédiate, constituent pour nous des témoignages autrement passionnants.

Ainsi, pour Morel-Fatio, la gouache représentant " Le Marché Bab-Azoun " datée 1833, ou bien la " Mosquée des Koulougli à Alger " et la " Rue Babazoun " qu'il exposa au Salon de 1834, ou encore pour Gudin, la précieuse aquarelle immortalisant l'aspect de la ville des corsaires vue de la mer en 1830, posée " comme une aile de mouette " sur la colline et dominée par le Fort- l'Empereur (Voir reproduction in Alger et ses peintres, 1830-1960, Marion Vidal-Bué, éd. Paris-Méditerranée, 2000, p. 91.).

Ils étaient jeunes, ils se dépensaient sans compter, enthousiasmés par l'exotisme d'une contrée qui hantait depuis longtemps leur imagination et qui ne les déçut pas.
" Bien que des caricatures malicieuses les représentent en ancêtres de Tartarin, affolés par les lions et les serpents, ces jeunes gens, " favoris de tous les bivouacs, bienvenus de toutes les tentes ", se faisaient remarquer, au contraire, par leur intrépidité insouciante: " Partout où il y avait un paysage à saisir, une scène militaire à retracer, un effet de lumière à surprendre, on était sûr de les rencontrer ", racontait Nettement, l'un des premiers historiens de cette aventure (NETTEMENT (Alfred-François), Histoire de la conquête d'Alger, écrite sur des documents inédits et authentiques, Lecoffre, Paris, 1856 - Réédition en 1867 et en 1870.).

Gabriel Esquer mentionnait les rivalités personnelles qui ne tardèrent pas à mettre la discorde dans le petit groupe, mais rappelait-il : " Ces artistes s'adaptèrent fort bien à leur existence nouvelle.

Ils ajoutèrent même parfois au pittoresque de la vie des camps, celui des charges d'atelier. Un témoin nous montre Gudin parcourant le plateau de Staouéli après le combat du 17 juin, juché sur un gros et lourd cheval, armé d'un sabre, d'un pistolet d'arçon et d'une lance de dix pieds. Quoique privés de ce stimulant que la bataille procure au soldat, ils firent bonne contenance On les vit partager les fatigues et la soupe du troupier, accompagner les colonnes en quête d'un effet, d'une pose, d'un sujet de tableau à saisir " (ESQUER (Gabriel), op. cit., p. 9.). Esquer rapportait aussi ces phrases d'un témoin des événements, J.-T. Merle, secrétaire du général de Bourmont: " Que de peines et de soins a coûté à Isabey son panorama de la presqu'île de Sidi-Ferruch! J'ai vu Gudin, sous des torrents de pluie, prendre l'esquisse de la tempête " (MERLE (1.-T.), Anecdotes pour servir à l'histoire de la conquête d'Alger, Paris, 1831, p. 161.).

Tournié de Belville et Ferdinand Wachsmuth (1802-1869) se joignirent au groupe. Le second, peintre et graveur formé auprès du baron Gros, âgé de 28 ans à son arrivée, demeura plusieurs mois ou années en Algérie, et y continua ses études si l'on en croit la notice du Comité du Vieil Alger à l'occasion de l'importante " Exposition iconographique rétrospective du Vieil Alger " qui eut lieu en 1942 et où l'une de ses lithographies en couleurs, " Le Jardin du Sérail ", appartenant au grand collectionneur algérois Eugène Robe, était exposée (Exposition organisée à Alger à l'occasion du Congrès des maires de France. La rubrique " chercheurs " de l'algérianiste nous a transmis une copie manuscrite du catalogue par Amaudiès.). Esquer confirmait d'ailleurs dans son Iconographie que Wachsmuth " était resté bien après ses camarades ".

Wachsmuth, que Merle décrivit comme esquissant avec passion ses croquis " à l'ardeur du soleil et souvent sous les balles des Arabes aux avant-postes " (Merle, cité par Jean Adhémar in La France romantique: les lithographies de paysages au xix' siècle, Somogy Éditions d'Art, 1997 (réédition illustrée du texte de 1937), p. 42-43.), exposa deux tableaux au Salon de 1833: une " Vue prise à Staouéli, Arabes près d'une fontaine ", et un " Épisode de l'expédition d'Alger ". Le catalogue du Salon que cite Esquer décrit ainsi cette dernière toile: " Le 4 juillet 1830, jour de la prise du Fort-l'Empereur, un officier français s'étant écarté fut pris par les Bédouins qui se disposaient à lui trancher la tête, lorsque l'explosion du Fort les mit en fuite. Le moment représenté est celui où les Arabes, avant de lui porter le coup mortel, frappés de sa contenance impassible, lui adressent les dernières insultes " ( ESQUER (Gabriel), op. cit., p. 11.).

Cette description pourrait semble-t-il s'appliquer au tableau daté 1833 nous reproduit page 86, intitulé sur le catalogue de la vente publique où il fut proposé: " Militaire français interrogé par un dignitaire algérien ".

Sur place, Wachsmuth s'attacha à peindre la vie des camps militaires pendant les campagnes d'Afrique: ainsi présenta-t-il au Salon de Paris en 1841 " La vivandière en Afrique ", " Une cantinière ", ou " Le Camp français ". Il fut également l'auteur de scènes plus typiquement algériennes qui témoignaient de sa vision du pays avec, par exemple " Un caravansérail " proposé en 1844, ou encore de lithographies bien diffusées par les journaux de l'époque, comme cette " Famille arabe " assez pittoresque: dans une scène destinée à toucher, le père assis devant un rocher surmonlilté de palmiers nains s'entretient avec son jeune fils et la mère de celui-ci jolir-7)aent habillée, une corbeille de fleurs Posée devant eux. L'artiste alsacien fut nor-_-lamé par la suite professeur de dessin à 1'b École de Saint-Cyr.

Mais là ne s'arrête pas la liste, Plusâteurs autres artistes professionnels ayant . également pu vivre l'aventure. Leur dclyen était sans doute Louis-Philippe Crépin, (1772-1851), considéré comme l'un, des meilleurs spécialistes de marines en son temps, qui s'était formé auprès de Joseph Vernet, et avait à son tour été le maître, entre autres, de Pierre-Julien Gilbert. Crépin, dont plusieurs ceumuvres figurent dans les collections du musée historique de Versailles, se joignit à titre privé au convoi et revint en France . avec les sujets de cinq toiles illustrant le débarquement à Sidi-Ferruch et les combats navals qu'il exposa au Salon de 1934.

Le peintre de marines et lithographe marseillais Philippe Tanneur (1796-1873), un élève d'Horace Vernet qui avait tavaillé auprès d'Isabey, obtint l'autorisation de s'embarquer avec ce dernier (ADHÉMAR -op .. cit., p. 42-43 et Guiral (Pierre) Marseille et l'Algérie, 1848 à 1870, in Revue Africaine,). On constate avec ces exemples à quel point ces artistes spécialisés formaient une confrérie dont les éléments évoluaient dans un même circuit, au fil des générations.
litait
S'était en outre joint au convoi, selon Cristina Baron, Louis Garneray, (1783-1857) titulaire du titre de " Peintre pour les marines du Grand amiral de France " depuis 1817 (BARON (Cristina), Les peintres officiels et l'AIgérie, in catalogue de l'exposition " Lumineuse Algérie sous le regard des peintres de marines ", Musée national de la Marine, Toulon, juin - décembre 2003, p. 7.): " Sa présence au sein du corps expéditionnaire d'Algérie semble pourtant avoir été officieuse, et due à des intrigues ", remarquait François Bellec dans une récente étude sur les Carnets de rayages des Peintres de la Marine (BELLEC (F.), Carnets de voyages des Peintres de la Marine,d. Marine Nationale - Sirpa Marine/Ouest-France,).-,
Rennes, 2002, p. 37.)
La curiosité de Garneray, auteur renommé
d'innombrables tableaux d'histoire et de marine inspirés par des voyages sur toutes les mers du globe, montre à quel point cette Expédition d'Alger mobilisait les esprits, toutes générations confondues.

Enfin, venaient dans les rangs de l'armée et de la flotte les artistes militaires, les uns dûment mandatés par le ministère de la Guerre, comme le lieutenant Alexandre Genet, les autres partis à titre personnel, comme le colonel d'état- major Jean-Charles Langlois, deux personnalités dont l'oeuvre en Algérie compte à coup sûr parmi les plus passionnantes de l'époque.

Gabriel Esquer avait également recensé les peintres militaire. Officier d'état- major également, et peintre professionnel, Antoine de Gazeau dit Tancrède de Labouère (né en 1801), qui envoya au Salon différentes " Études " et un tableau, " Alger, vue prise de la route de Blida ", avec cette légende: " Après un siège meurtrier, le dey ayant capitulé et le drapeau blanc ayant été arboré sur la ville et les forts, les troupes des principautés se retirent. Celles du bey d'Oran suivent la route de Blida, emportant le neveu de ce chef, blessé grièvement dans un des combats que la division Des Cars eut à soutenir pendant cinq jours contre la presque totalité de l'Armée algérienne, avant l'investissement de la ville " ( ESQUER (Gabriel), op. cit., p. 10 et 11.). Le Musée d'Angers conservait cinq de ses toiles sur l'Algérie, l'Égypte et l'Espagne.

Artistes amateurs : " le lieutenant Letouzé de Longuemar, du 1e régiment de marche; le lieutenant Dumoulin, du génie; le capitaine de vaisseau de Villeneuve-Bargemont, commandant la " Didon " et vraisemblablement d'autres que nous ignorons ". Letouzé de Longuemar fit comme volontaire la campagne d'Afrique et, blessé au combat, resta sur place jusqu'au 12 août 1831, date de sa nomination comme capitaine. " Il dessinait vite, avec bieaucoup d'adresse et de sincérité, ses nombreux croquis nous ont conservé l'aspect de l'Alger turc en 1830 et celui che monuments qui ont pour la plupart disparu ". Du lieutenant Dumoulin, il existait dans la collection du Dr Lucien Raynaud, rapporte encore Esquer, " sept carnets couverts de croquis lestement enlevés, faits pendant la traversée et la campagne ". Le capitaine de vaisseau de ViLleneuveBargemont avait appris quant à lui la peinture avec le Toulonnais Vincent Courdouan, " Ses deux vues de Sidi- Ferruch, son croquis d'Alger constituent par leur fidélité et les dates auxquelles ils furent exécutés (juin-juillet 1830) de précieux documents " ( ESQUER (Gabriel), op. cit., p. 12.).

Le colonel Langlois, (1789-1870) pour revenir à lui, était devenu p(eintre de batailles par passion et par expérience: ayant fréquenté les ateliers de Girodet, Gros et Horace Vernet, il s'était d'abord consacré à la glorification des. batailles de Napoléon dont il avait brossé de vastes panoramas après y avoir participé, puis avait exposé avec grarnd succès un " Panorama de Navarin ", résultat de sa présence à la campagne de Grèce en 1828. Il se fit mettre hors solde pour venir à ses frais " se joindre à ses jeunes camarades de la campagne d'Afrique " et " apprécier dans toute sa valeur l'expédition ", ayant déjà dans l'idée son projet sur Alger, de " faire revivre, de faire sentir, de restituer l'ambiance, de créer l'émotion " ( B. d'Ymouville, conservateur des Archives de la ville de Caen, " Le musée Langlois, Jean-Clueirles Langlois, colonel et peintre d'histoire militaire du Premier et du Second Empire ".). Ayant pris quantité de croquis et d'études lors de son premier débarquement, il sollicita la permission de revenir deux ans plus tard, pour un séjour prolongé qui lui permit de mettre au point un spectaculaire " Panorama d'Alger ". Il n'en reste malheureusement que peu d'éléments, mais l'ensemble dut véritablement créer un événement frappant lorsqu'il l'ouvrit au public, le 17 février 1833. " D'une façon à laquelle personne, jusque-là, n'avait pensé ", Langlois avait juxtaposé circulairement dans une vaste rotonde aménagée à cet effet, une série de toiles représentant tous les aspects caractéristiques de la ville, à l'intérieur comme à l'extérieur, afin de reconstituer avec le maximum de fidélité à l'intention de ses contemporains la cité telle que la trouvèrent les conquérants de 1830. " L'écran panoramique du cinéma de nos jours n'est que la redécouverte de Langlois, dont les " Panoramas " d'il y a plus de cent cinquante ans eurent un succès mondial ", écrivait à ce sujet le conservateur des Archives de la ville de Caen où sont conservées ses oeuvres .

Les oeuvres d'Alexandre Genet de Belloc (1799-1850) constituent de nos jours la mine la plus féconde de renseignements artistiques sur le pays dont il parcourut différentes régions. Attaché comme peintre-dessinateur au cabinet du ministre de la Guerre, adjoint à la brigade topographique, il était notamment chargé de préparer les actions des troupes en dessinant les vues des principaux points à occuper. Genet prit part à la campagne d'Alger comme lieutenant au 30e de ligne, et livra un nombre considérable de dessins et d'aquarelles, dont beaucoup furent lithographiés, sur les sites de la ville et des environs. L'intérêt de son art vient de ce qu'il ne se limitait pas aux seuls besoins militaires et à la sèche description des lieux: aussi sensible par nature que précis par nécessité, il animait ses lavis et ses aquarelles de personnages fort bien campés, faisant apprécier une vision personnelle originale, attachante, d'une civilisation arabe qu'il observait avec bienveillance. Capitaine à la Légion étrangère, puis au 51e de ligne, il a séjourné en Algérie du 14 juin 1830 au 30 octobre 1831, et refait deux autres campagnes de 1833 à juin 1835 et de novembre 1835 à mai 1837, se déplaçant à Bône, Mascara, Tlemcen et Constantine, exécutant partout ses petits tableaux irremplaçables. Durant l'expédition de Mascara, nous dit Gabriel Esquer en citant les lignes du futur maréchal Canrobert, on vit Genet " par n'importe quel temps, accroupi sur une pierre et prenant des notes sur un grand album. Il était toujours accompagné d'un affreux moricaud monté sur un mulet et dont les longues jambes, maigres et velues, pendaient négligemment à terre. Il tenait le cheval du capitaine lors de ses arrêts et
lui servait de guide " .

Très apprécié pour son talent par le responsable du Dépôt de la Guerre, le général Pelet, Genet fut chargé en août 1839 de composer pour le Roi un certain nombre d'aquarelles des batailles de 1814 et de quelques-unes des campagnes de la République.

En conclusion, nous regretterons avec Gabriel Esquer que les oeuvres de tant d'artistes professionnels n'aient pas connu une fortune plus importante. Celles qui ont subsisté sont fort peu accessibles au public. " On est frappé de leur petit nombre. Il semble bien que la moindre partie des croquis pris entre le 25 mai, date du départ, et la fin juillet, ait été utilisée par leurs auteurs. D'autre part, des projets formés ne furent pas réalisés. Le tableau sur la prise d'Alger que Charles X avait demandé au baron Gérard ne vit jamais le jour, de même, la relation de la campagne que Jal se proposait de publier avec des dessins de Gudin. La révolution de Juillet, en ouvrant un champ nouveau aux préoccupations et à la curiosité du public, détourna les artistes de tirer de leurs études d'Afrique des œuvres qui auraient paru être la glorification d'un régime dont ils n'avaient plus rien à attendre " (ESQUER (Gabriel), op. cit., p. 11.).
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Bibliographie:
Nous signalons que dans son n° 10 de mai 1980, l'algérianiste a publié une bonne partie de la bibliographie établie par Charles Taillard sur les ouvrages se rapportant à la conquête de l'Algérie.

Lire également L'Algérie romantique des officiers de l'armée française, 1830-1837, d'Isabelle Bruller, dessins de la collection du ministre de la Défense, SHAT, 1994, et les ouvrages de Marion Vidal-Bué comportant de nombreuses reproductions de tableaux: Alger et ses Peintres, 1830-1960, et L'Algérie des Peintres,1830-1960, éd. Paris-
Méditerranée.

Liste des oeuvres reproduites dans L'iconographie historique de l'Algérie, deGabriel Esquer:

- Alexandre Genet: très nombreuses planches, à Alger, Bône, Mascara, etc..

- .Pierre-Julien Gilbert:
- " Débarquement de l'Armée française devant la baie de Sidi-Ferruch, côte d'Alger, 14 juin 1830 " (pl. LXXXVII). La lithographie comporte en légende: " Le 14 juin 1830, le vice-amiral Duperré ordonne le débarquement de l'Armée expéditionnaire sur la plage de Sidi-Ferruch. L'opération commencée à quatre heures et demie est complètement terminée à midi ".
- " Attaque des forts et des batteries d'Alger (3 juillet 1830) " et " Attaque du môle d'Alger (3 juillet 1830) ", huiles, (pl. CV).
- " Le môle d'Alger pendant le bombardement ", (pl. CVII).
- " Le port d'Alger " (un navire en construction devant les bâtiments de l'Amirauté), (pl. CXXXIX).

- Théodore Gudin:
- " Naufrage d'un brick français sur la côte d'Afrique, 1830 ", (pl. LXX)
- " Attaque d'Alger par mer ", (pl. CX).
- " Explosion du Fort-l'Empereur " (pl. CXII).- Eugène Isabey:
- " Vue de la rade de Toulon " et " Panorama du camp de Sidi-Ferruch " (six feuilles mises bout à bout), (pl. LXXII).
- " Camp des Arabes à Staouéli " (pl. XCVIII).

- Antoine-Léon Morel-Fatio:
- " Bourmont et Duperré sur le vaisseau amiral en vue d'Alger " (pl. LXXXV1).
- " Naufrage des bricks le " Silène " et " l'Aventure " (1830) " (pl. LXX).
- " Oran, route du Figuier " (pl. CLXX).

- Ferdinand Wachsmuth:
- " Défense d'une batterie turque à Sidi Kalef le 24 juin " (pl. XCV).
- " Le camp français devant Alger " et " Scène du camp français " représentant un officier français recevant un chef arabe (pl. XCIX).
- " La famille arabe " (pl. CXXXIX).
- " Porte Bab-el-Oued, 1830 " (pl. CXLII).