L'aventure des
peintres de l'Expédition d'Alger en juin 1830
Marion Vidal-Bué
Lorsque les Français prennent pied sur la terre d'Afrique, en
juin 1830, ils ouvrent certes une page de l'histoire de France, mais
aussi, accessoirement, une page de l'histoire de la peinture. Cette
conquête qui se terminera bien douloureusement aura eu au moins
une conséquence bénéfique dans le domaine artistique
: elle aura contribué à donner un nouveau souffle à
un nombre très important de peintres français et même
étrangers dont l'oeuvre s'enrichit d'un exotisme et d'une lumière
incomparables; elle aura de plus permis l'éclosion, sur le sol
de cette contrée qui deviendra l'Algérie, de multiples
talents voués à en célébrer toutes les beautés.
Enfin, les fruits de cette période sont encore manifestes aujourd'hui
dans un pays où, auparavant, la tradition islamique prohibait
le développement d'un art pictural qui s'y exprime désormais
avec force.
En cette première moitié du xixe siècle, en pleine
époque romantique, le désir de l'Orient était plus
que jamais présent dans les esprits français, amplement
motivés depuis les fastueuses réceptions d'ambassadeurs
orientaux par Louis XIV, par le goût des turqueries développé
sous Louis XV et, surtout, par la campagne d'Égypte de Bonaparte
et la guerre d'indépendance de la Grèce.
Le nom d'Alger ne quittait guère le devant de la scène
depuis des lustres, les histoires de corsaires et de batailles navales
en répression de leurs méfaits se répétaient
sans arrêt, provoquant des rêves de rivages mystérieux
et de palais enfermant des harems voluptueux.
Aussi, lorsque fut décidée l'Expédition d'Alger,
les candidats artistes pour l'aventure ne manquèrent-ils pas,
et certains durent-ils intriguer pour en faire partie. Désireux
d'immortaliser cet événement important de son règne,
dans la pleine tradition française qui conservait par la peinture
le souvenir des grandes batailles, Charles X avait fait engager plusieurs
professionnels dans les navires de l'expédition, dont le commandement
en chef était, comme on le sait, assuré par le général
comte de Bourmont, futur maréchal de France et alors ministre
de la Guerre, le commandement de la flotte revenant au vice-amiral Duperré.
Pierre-Julien Gilbert (1783-1860),
unBrestois spécialiste de marines qui était professeur
de dessin à l'École de la Marine royale, avait été
nommé peintre officiel de l'expédition. Il avait pris
place tout naturellement à bord du vaisseau amiral, la "
Provence " et avait commencé ses travaux par un " reportage
extraordinaire et précis des préparatifs de la flotte
dans le port de Toulon "(BARON
(Cristina), L'Algérie et les peintres de la Marine, in catalogue
du 38' Salon de la Marine, Musée national de la Marine, Paris,
mai - septembre 2003).
Ainsi que le rappelait récemment le conservateur-adjoint du musée
national de la Marine de Toulon, il y avait vraiment de quoi s'enflammer,
à la vue des 600 navires qui couvraient littéralement
la rade de Toulon, et devant l'embarquement des 17000 hommes et 3800
chevaux qui devait durer une semaine entière, du 11 au 25 mai,
date de l'appareillage sous " les regards émerveillés
des Toulonnais venus assister au spectacle " (BARON
(Cristina), op. cit. p. 8.).
Gilbert devait exposer, dès son retour, au Salon de 1831 à
Paris, deux sépias acquises par l'amiral Duperré: "
Débarquement de l'Armée française à Sidi-Ferruch
" et " Attaque des forts et batteries d'Alger par l'année
navale ". Le musée de Brest reçut en dépôt
une "Attaque du môle d'Alger " et une " Vue du
port et du môle pendant le bombardement ", tableaux appréciés
pour " leur exactitude et leur exécution consciencieuse
", tandis que le musée de Nancy accueillait un " Débarquement
".
Un autre artiste, beaucoup plus jeune mais déjà bien en
vue depuis une première exposition remarquée au Salon
de 1822, Théodore Gudin (1802-1879),
avait été nommé " Peintre attaché au
département de la Marine " pour la circonstance. Il rapportera
d'Alger de quoi enthousiasmer ses contemporains et conquérir
une réputation qui fera de lui " l'ami des princes et des
rois ", l'un des artistes préférés de Louis-Philippe:
celui-ci le nommera baron et le chargera de commémorer les épisodes
glorieux de l'histoire navale française pour son musée
historique de Versailles. Également dans ses bagages, des "
Souvenirs ", dont l'un des plus marquants sera, le jour de l'abordage,
" l'épouvantable tempête qui avait éclaté
tout d'un coup " (Souvenirs du
baron Gudin, peintre de la Marine (1820-1870), publiés par Edmond
Béraud, Paris, 1921.).
En parfait artiste romantique attaché au culte des passions,
Gudin aima par-dessus tout représenter les tempêtes et
les naufrages; ainsi parmi ses tableaux les plus remarqués de
cette campagne d'Afrique venait en bonne place le " Coup de vent
du 16 juin à Sidi El Ferruch " (Musée national de
la Marine), " poétique et réel, un vrai tableau d'histoire
" selon le critique Jal dans son compte-rendu du Salon de 1831
( JAL, Salon de 1831, p. 212, cité
par Esquer, p. 10.). Dans une lumière d'orage et de
soleil couchant exceptionnellement bien rendue et contrastée,
les bâtiments blancs de la Torre Chica (5L'algérianiste
a publié un article sur cette Torre Chica qui se détachait
sur la presqu'île, et fut remplacée après sa destruction
par le Nouveau fort, abritant une importante caserne.) s'y
détachaient sur la baie battue par un vent violent, qui courbait
les grandes agaves et les silhouettes des soldats, et faisait danser
les navires de l'escadre sur la mer argentée. Il devait récidiver
dans cette veine dramatique avec notamment un " Coup de vent du
7 janvier 1831 dans la rade d'Alger " (musée de l'Armée,
Hôtel national des Invalides, Paris), un " Naufrage d'un
brick français sur la côte d'Afrique ", 1830, et l'"
Explosion du Fort-l'Empereur (4 juillet 1830) ".
Les spectateurs de son fameux tableau, " Camp de Staouéli
le jour du débarquement de l'Armée française, 14
juin 1830 (tente de l'agha Ibrahim) ", furent saisis par "
cette terre d'un jaune si éclatant, cette végétation
singulière, cet air si embrasé ". Ils y découvraient
pour la première fois les couleurs fauves des côtes africaines,
les palmiers et les dromadaires.
Fils d'un miniaturiste et peintre de portraits, fort apprécié
et bien en cour, Eugène Isabey (1803-1886)
encore à ses débuts, dut sans doute à
la célébrité de son père sa nomination de
" dessinateur de l'Expédition d'Alger ". Il y réalisera
des dessins panoramiques et des aquarelles d'une grande finesse technique
qu'il développera par la suite excellemment et avec grand succès
d'estime. Dans son irremplaçable Iconographie historique de l'Algérie,
Gabriel Esquer, qui eut accès à un maximum de documents
de par ses fonctions d'archiviste bibliothécaire du Gouvernement
général et d'administrateur de la Bibliothèque
nationale d'Alger, rapportait qu'Isabey, " servi par l'influence
paternelle I... I s'efforça de tirer le plus rapidement possible
parti de ses croquis de campagne ", offrant au Dauphin une "
Vue générale de la ville de Toulon et de la flotte française
", qui fut aussitôt lithographiée, puis exposant dès
la fin de juillet au Musée Colbert d'autres dessins sous le titre
général de " Panorama d'Afrique " (
ESQUER (Gabriel), Iconographie historique de l'Algérie depuis
le xvi' siècle jusqu'en 1871, Plon, Paris, 1929 (trois volumes,
planches noir et couleur), p. 10 - Réédition en fac-similé
sous le titre L'Algérie en images, Bibliothèque des Introuvables,
Paris, 2002.).
Toujours selon Esquer, Isabey avait réalisé un autre panorama
de la campagne comprise entre Torre Chica à Sidi- Ferruch et
Sidi Khalef. Ses dessins d'Alger conservés en collections privées
privilégient les aspects extérieurs de la ville depuis
la mer, ses remparts, ses bastions et ses faubourgs, nous léguant
des témoignages aussi précis qu'artistiques sur les lieux
qu'il explorait avec l'armée. Gudin et Isabey furent compagnons
de voyage sur le " Duquesne ".
Leur confrère Antoine-Léon Morel-Fatio,
(1810-1871), un Havrais qui deviendra le représentant
le plus connu de l'école de peintres de marines de Gudin, sera
nommé peintre officiel de la Marine en 1854, et à la fin
de sa carrière, premier conservateur du musée de marine
installé au Louvre. Il n'avait que vingt ans en 1830: se trouvait-il
à bord de l'un des navires de la flotte, ou bien se rendit- il
à Alger par la suite? Plusieurs de ses oeuvres de chevalet appartenant
à des collections particulières sont datées de
1833, une " Rue de la Casbah ", toile de grandes dimensions
passée en vente publique en 1997, entre autres. En tout cas,
après une toile de facture classique, " Bourmont et Duperré
sur le vaisseau amiral en vue d'Alger, 1830 ", il peignit de façon
magistrale et exposa au Salon de 1837: " Vue d'Alger pendant l'attaque
de l'amiral Duperré le 3 juillet 1830 " (Musée historique
de Versailles).
Comme Gudin, son maître, Morel-Fatio s'illustrera particulièrement
dans le genre dramatique, avec des oeuvres comme " Naufrage des
bricks " le Silène " et " l'Aventure " (1830)
ou " Tempête dans le port d'Alger ", une toile importante
acquise par l'État au Salon de 1856 et offerte par Napoléon
III au musée municipal d'Alger à l'occasion de son deuxième
voyage en 1865. Elle y demeura jusqu'en 1927, selon Fernand Arnaudiès,
avant d'aller orner le cabinet du gouverneur général de
l'Algérie (ARNAUDIÈS
(Fernand), Esquisses anecdotiques et historiques du Vieil Alger, éd.
A. Barthélémy, Avignon, 1990, p. 163.).
Mais de cet artiste comme des autres, les sensibles aquarelles nous
renseignent et nous touchent aujourd'hui bien davantage que les tableaux
officiels. En effet, ces grandes toiles peintes en atelier, au retour,
restaient conventionnelles malgré leurs effets dramatiques, tandis
que les croquis pris dans la fièvre de la découverte ou
dans le tumulte de l'action, les aquarelles qui conservent la fraîcheur
de l'impression immédiate, constituent pour nous des témoignages
autrement passionnants.
Ainsi, pour Morel-Fatio, la gouache représentant " Le Marché
Bab-Azoun " datée 1833, ou bien la " Mosquée
des Koulougli à Alger " et la " Rue Babazoun "
qu'il exposa au Salon de 1834, ou encore pour Gudin, la précieuse
aquarelle immortalisant l'aspect de la ville des corsaires vue de la
mer en 1830, posée " comme une aile de mouette " sur
la colline et dominée par le Fort- l'Empereur (Voir
reproduction in Alger et ses peintres, 1830-1960, Marion Vidal-Bué,
éd. Paris-Méditerranée, 2000, p. 91.).
Ils étaient jeunes, ils se dépensaient sans compter, enthousiasmés
par l'exotisme d'une contrée qui hantait depuis longtemps leur
imagination et qui ne les déçut pas.
" Bien que des caricatures malicieuses les représentent
en ancêtres de Tartarin, affolés par les lions et les serpents,
ces jeunes gens, " favoris de tous les bivouacs, bienvenus de toutes
les tentes ", se faisaient remarquer, au contraire, par leur intrépidité
insouciante: " Partout où il y avait un paysage à
saisir, une scène militaire à retracer, un effet de lumière
à surprendre, on était sûr de les rencontrer ",
racontait Nettement, l'un des premiers historiens de cette aventure
(NETTEMENT (Alfred-François),
Histoire de la conquête d'Alger, écrite sur des documents
inédits et authentiques, Lecoffre, Paris, 1856 - Réédition
en 1867 et en 1870.).
Gabriel Esquer mentionnait les rivalités personnelles qui ne
tardèrent pas à mettre la discorde dans le petit groupe,
mais rappelait-il : " Ces artistes s'adaptèrent fort bien
à leur existence nouvelle.
Ils ajoutèrent même parfois au pittoresque de la vie des
camps, celui des charges d'atelier. Un témoin nous montre Gudin
parcourant le plateau de Staouéli après le combat du 17
juin, juché sur un gros et lourd cheval, armé d'un sabre,
d'un pistolet d'arçon et d'une lance de dix pieds. Quoique privés
de ce stimulant que la bataille procure au soldat, ils firent bonne
contenance On les vit partager les fatigues et la soupe du troupier,
accompagner les colonnes en quête d'un effet, d'une pose, d'un
sujet de tableau à saisir " (ESQUER
(Gabriel), op. cit., p. 9.). Esquer rapportait aussi ces
phrases d'un témoin des événements, J.-T. Merle,
secrétaire du général de Bourmont: " Que de
peines et de soins a coûté à Isabey son panorama
de la presqu'île de Sidi-Ferruch! J'ai vu Gudin, sous des torrents
de pluie, prendre l'esquisse de la tempête " (MERLE
(1.-T.), Anecdotes pour servir à l'histoire de la conquête
d'Alger, Paris, 1831, p. 161.).
Tournié de Belville et Ferdinand Wachsmuth
(1802-1869) se joignirent au groupe. Le second, peintre et
graveur formé auprès du baron Gros, âgé de
28 ans à son arrivée, demeura plusieurs mois ou années
en Algérie, et y continua ses études si l'on en croit
la notice du Comité du Vieil Alger à l'occasion de l'importante
" Exposition iconographique rétrospective du Vieil Alger
" qui eut lieu en 1942 et où l'une de ses lithographies
en couleurs, " Le Jardin du Sérail ", appartenant au
grand collectionneur algérois Eugène Robe, était
exposée (Exposition organisée
à Alger à l'occasion du Congrès des maires de France.
La rubrique " chercheurs " de l'algérianiste nous a
transmis une copie manuscrite du catalogue par Amaudiès.).
Esquer confirmait d'ailleurs dans son Iconographie que Wachsmuth "
était resté bien après ses camarades ".
Wachsmuth, que Merle décrivit comme esquissant avec passion ses
croquis " à l'ardeur du soleil et souvent sous les balles
des Arabes aux avant-postes " (Merle,
cité par Jean Adhémar in La France romantique: les lithographies
de paysages au xix' siècle, Somogy Éditions d'Art, 1997
(réédition illustrée du texte de 1937), p. 42-43.),
exposa deux tableaux au Salon de 1833: une " Vue prise à
Staouéli, Arabes près d'une fontaine ", et un "
Épisode de l'expédition d'Alger ". Le catalogue du
Salon que cite Esquer décrit ainsi cette dernière toile:
" Le 4 juillet 1830, jour de la prise du Fort-l'Empereur, un officier
français s'étant écarté fut pris par les
Bédouins qui se disposaient à lui trancher la tête,
lorsque l'explosion du Fort les mit en fuite. Le moment représenté
est celui où les Arabes, avant de lui porter le coup mortel,
frappés de sa contenance impassible, lui adressent les dernières
insultes " ( ESQUER (Gabriel),
op. cit., p. 11.).
Cette description pourrait semble-t-il s'appliquer au tableau daté
1833 nous reproduit page 86, intitulé sur le catalogue de la
vente publique où il fut proposé: " Militaire français
interrogé par un dignitaire algérien ".
Sur place, Wachsmuth s'attacha à peindre la vie des camps militaires
pendant les campagnes d'Afrique: ainsi présenta-t-il au Salon
de Paris en 1841 " La vivandière en Afrique ", "
Une cantinière ", ou " Le Camp français ".
Il fut également l'auteur de scènes plus typiquement algériennes
qui témoignaient de sa vision du pays avec, par exemple "
Un caravansérail " proposé en 1844, ou encore de
lithographies bien diffusées par les journaux de l'époque,
comme cette " Famille arabe " assez pittoresque: dans une
scène destinée à toucher, le père assis
devant un rocher surmonlilté de palmiers nains s'entretient avec
son jeune fils et la mère de celui-ci jolir-7)aent habillée,
une corbeille de fleurs Posée devant eux. L'artiste alsacien
fut nor-_-lamé par la suite professeur de dessin à 1'b
École de Saint-Cyr.
Mais là ne s'arrête pas la liste, Plusâteurs autres
artistes professionnels ayant . également pu vivre l'aventure.
Leur dclyen était sans doute Louis-Philippe
Crépin, (1772-1851), considéré comme
l'un, des meilleurs spécialistes de marines en son temps, qui
s'était formé auprès de Joseph Vernet, et avait
à son tour été le maître, entre autres, de
Pierre-Julien Gilbert. Crépin, dont plusieurs ceumuvres figurent
dans les collections du musée historique de Versailles, se joignit
à titre privé au convoi et revint en France . avec les
sujets de cinq toiles illustrant le débarquement à Sidi-Ferruch
et les combats navals qu'il exposa au Salon de 1934.
Le peintre de marines et lithographe marseillais Philippe
Tanneur (1796-1873), un élève d'Horace Vernet
qui avait tavaillé auprès d'Isabey, obtint l'autorisation
de s'embarquer avec ce dernier (ADHÉMAR
-op .. cit., p. 42-43 et Guiral (Pierre) Marseille et l'Algérie,
1848 à 1870, in Revue Africaine,). On constate avec
ces exemples à quel point ces artistes spécialisés
formaient une confrérie dont les éléments évoluaient
dans un même circuit, au fil des générations.
litait
S'était en outre joint au convoi, selon Cristina Baron,
Louis Garneray, (1783-1857) titulaire du titre de "
Peintre pour les marines du Grand amiral de France " depuis 1817
(BARON (Cristina), Les peintres officiels
et l'AIgérie, in catalogue de l'exposition " Lumineuse Algérie
sous le regard des peintres de marines ", Musée national
de la Marine, Toulon, juin - décembre 2003, p. 7.):
" Sa présence au sein du corps expéditionnaire d'Algérie
semble pourtant avoir été officieuse, et due à
des intrigues ", remarquait François Bellec dans une récente
étude sur les Carnets de rayages des Peintres de la Marine (BELLEC
(F.), Carnets de voyages des Peintres de
la Marine,d. Marine Nationale - Sirpa Marine/Ouest-France,).-,
Rennes, 2002, p. 37.) La curiosité
de Garneray, auteur renommé d'innombrables
tableaux d'histoire et de marine inspirés par des voyages sur
toutes les mers du globe, montre à quel point cette Expédition
d'Alger mobilisait les esprits, toutes générations confondues.
Enfin, venaient dans les rangs de l'armée et de la flotte les
artistes militaires, les uns dûment mandatés par le ministère
de la Guerre, comme le lieutenant Alexandre Genet, les autres partis
à titre personnel, comme le colonel d'état- major Jean-Charles
Langlois, deux personnalités dont l'oeuvre en Algérie
compte à coup sûr parmi les plus passionnantes de l'époque.
Gabriel Esquer avait également recensé les peintres militaire.
Officier d'état- major également, et peintre professionnel,
Antoine de Gazeau dit Tancrède de Labouère
(né en 1801), qui envoya au Salon différentes " Études
" et un tableau, " Alger, vue prise de la route de Blida ",
avec cette légende: " Après un siège meurtrier,
le dey ayant capitulé et le drapeau blanc ayant été
arboré sur la ville et les forts, les troupes des principautés
se retirent. Celles du bey d'Oran suivent la route de Blida, emportant
le neveu de ce chef, blessé grièvement dans un des combats
que la division Des Cars eut à soutenir pendant cinq jours contre
la presque totalité de l'Armée algérienne, avant
l'investissement de la ville " (
ESQUER (Gabriel), op. cit., p. 10 et 11.). Le Musée
d'Angers conservait cinq de ses toiles sur l'Algérie, l'Égypte
et l'Espagne.
Artistes amateurs : " le lieutenant Letouzé
de Longuemar, du 1e régiment de marche; le lieutenant
Dumoulin, du génie; le capitaine
de vaisseau de Villeneuve-Bargemont,
commandant la " Didon " et vraisemblablement d'autres que
nous ignorons ". Letouzé de Longuemar fit comme volontaire
la campagne d'Afrique et, blessé au combat, resta sur place jusqu'au
12 août 1831, date de sa nomination comme capitaine. " Il
dessinait vite, avec bieaucoup d'adresse et de sincérité,
ses nombreux croquis nous ont conservé l'aspect de l'Alger turc
en 1830 et celui che monuments qui ont pour la plupart disparu ".
Du lieutenant Dumoulin, il existait dans la collection du Dr Lucien
Raynaud, rapporte encore Esquer, " sept carnets couverts de croquis
lestement enlevés, faits pendant la traversée et la campagne
". Le capitaine de vaisseau de ViLleneuveBargemont avait appris
quant à lui la peinture avec le Toulonnais Vincent Courdouan,
" Ses deux vues de Sidi- Ferruch, son croquis d'Alger constituent
par leur fidélité et les dates auxquelles ils furent exécutés
(juin-juillet 1830) de précieux documents " (
ESQUER (Gabriel), op. cit., p. 12.).
Le colonel Langlois, (1789-1870)
pour revenir à lui, était devenu p(eintre de batailles
par passion et par expérience: ayant fréquenté
les ateliers de Girodet, Gros et Horace Vernet, il s'était d'abord
consacré à la glorification des. batailles de Napoléon
dont il avait brossé de vastes panoramas après y avoir
participé, puis avait exposé avec grarnd succès
un " Panorama de Navarin ", résultat de sa présence
à la campagne de Grèce en 1828. Il se fit mettre hors
solde pour venir à ses frais " se joindre à ses jeunes
camarades de la campagne d'Afrique " et " apprécier
dans toute sa valeur l'expédition ", ayant déjà
dans l'idée son projet sur Alger, de " faire revivre, de
faire sentir, de restituer l'ambiance, de créer l'émotion
" ( B. d'Ymouville, conservateur
des Archives de la ville de Caen, " Le musée Langlois, Jean-Clueirles
Langlois, colonel et peintre d'histoire militaire du Premier et du Second
Empire ".). Ayant pris quantité de croquis et
d'études lors de son premier débarquement, il sollicita
la permission de revenir deux ans plus tard, pour un séjour prolongé
qui lui permit de mettre au point un spectaculaire " Panorama d'Alger
". Il n'en reste malheureusement que peu d'éléments,
mais l'ensemble dut véritablement créer un événement
frappant lorsqu'il l'ouvrit au public, le 17 février 1833. "
D'une façon à laquelle personne, jusque-là, n'avait
pensé ", Langlois avait juxtaposé circulairement
dans une vaste rotonde aménagée à cet effet, une
série de toiles représentant tous les aspects caractéristiques
de la ville, à l'intérieur comme à l'extérieur,
afin de reconstituer avec le maximum de fidélité à
l'intention de ses contemporains la cité telle que la trouvèrent
les conquérants de 1830. " L'écran panoramique du
cinéma de nos jours n'est que la redécouverte de Langlois,
dont les " Panoramas " d'il y a plus de cent cinquante ans
eurent un succès mondial ", écrivait à ce
sujet le conservateur des Archives de la ville de Caen où sont
conservées ses oeuvres .
Les oeuvres d'Alexandre Genet de Belloc (1799-1850)
constituent de nos jours la mine la plus féconde de renseignements
artistiques sur le pays dont il parcourut différentes régions.
Attaché comme peintre-dessinateur au cabinet du ministre de la
Guerre, adjoint à la brigade topographique, il était notamment
chargé de préparer les actions des troupes en dessinant
les vues des principaux points à occuper. Genet prit part à
la campagne d'Alger comme lieutenant au 30e de ligne, et livra un nombre
considérable de dessins et d'aquarelles, dont beaucoup furent
lithographiés, sur les sites de la ville et des environs. L'intérêt
de son art vient de ce qu'il ne se limitait pas aux seuls besoins militaires
et à la sèche description des lieux: aussi sensible par
nature que précis par nécessité, il animait ses
lavis et ses aquarelles de personnages fort bien campés, faisant
apprécier une vision personnelle originale, attachante, d'une
civilisation arabe qu'il observait avec bienveillance. Capitaine à
la Légion étrangère, puis au 51e de ligne, il a
séjourné en Algérie du 14 juin 1830 au 30 octobre
1831, et refait deux autres campagnes de 1833 à juin 1835 et
de novembre 1835 à mai 1837, se déplaçant à
Bône, Mascara, Tlemcen et Constantine, exécutant partout
ses petits tableaux irremplaçables. Durant l'expédition
de Mascara, nous dit Gabriel Esquer en citant les lignes du futur maréchal
Canrobert, on vit Genet " par n'importe quel temps, accroupi sur
une pierre et prenant des notes sur un grand album. Il était
toujours accompagné d'un affreux moricaud monté sur un
mulet et dont les longues jambes, maigres et velues, pendaient négligemment
à terre. Il tenait le cheval du capitaine lors de ses arrêts
et
lui servait de guide " .
Très apprécié pour son talent par le responsable
du Dépôt de la Guerre, le général Pelet,
Genet fut chargé en août 1839 de composer pour le Roi un
certain nombre d'aquarelles des batailles de 1814 et de quelques-unes
des campagnes de la République.
En conclusion, nous regretterons avec Gabriel Esquer que les oeuvres
de tant d'artistes professionnels n'aient pas connu une fortune plus
importante. Celles qui ont subsisté sont fort peu accessibles
au public. " On est frappé de leur petit nombre. Il semble
bien que la moindre partie des croquis pris entre le 25 mai, date du
départ, et la fin juillet, ait été utilisée
par leurs auteurs. D'autre part, des projets formés ne furent
pas réalisés. Le tableau sur la prise d'Alger que Charles
X avait demandé au baron Gérard ne vit jamais le jour,
de même, la relation de la campagne que Jal se proposait de publier
avec des dessins de Gudin. La révolution de Juillet, en ouvrant
un champ nouveau aux préoccupations et à la curiosité
du public, détourna les artistes de tirer de leurs études
d'Afrique des uvres qui auraient paru être la glorification
d'un régime dont ils n'avaient plus rien à attendre "
(ESQUER (Gabriel), op. cit., p. 11.).
o
Bibliographie:
Nous signalons que dans son n° 10 de mai 1980, l'algérianiste
a publié une bonne partie de la bibliographie établie
par Charles Taillard sur les ouvrages se rapportant à la conquête
de l'Algérie.
Lire également L'Algérie romantique des officiers de l'armée
française, 1830-1837, d'Isabelle Bruller, dessins de la collection
du ministre de la Défense, SHAT, 1994, et les ouvrages de Marion
Vidal-Bué comportant de nombreuses reproductions de tableaux:
Alger et ses Peintres, 1830-1960, et L'Algérie des Peintres,1830-1960,
éd. Paris-
Méditerranée.
Liste des oeuvres reproduites
dans L'iconographie historique de l'Algérie, deGabriel
Esquer:
- Alexandre Genet: très nombreuses
planches, à Alger, Bône, Mascara, etc..
- .Pierre-Julien Gilbert:
- " Débarquement de l'Armée française
devant la baie de Sidi-Ferruch, côte d'Alger, 14 juin 1830
" (pl. LXXXVII). La lithographie comporte en légende:
" Le 14 juin 1830, le vice-amiral Duperré ordonne
le débarquement de l'Armée expéditionnaire
sur la plage de Sidi-Ferruch. L'opération commencée
à quatre heures et demie est complètement terminée
à midi ".
- " Attaque des forts et des batteries d'Alger (3 juillet
1830) " et " Attaque du môle d'Alger (3 juillet
1830) ", huiles, (pl. CV).
- " Le môle d'Alger pendant le bombardement ",
(pl. CVII).
- " Le port d'Alger " (un navire en construction devant
les bâtiments de l'Amirauté), (pl. CXXXIX).
- Théodore Gudin:
- " Naufrage d'un brick français sur la côte
d'Afrique, 1830 ", (pl. LXX)
- " Attaque d'Alger par mer ", (pl. CX).
- " Explosion du Fort-l'Empereur " (pl. CXII).- Eugène
Isabey:
- " Vue de la rade de Toulon " et " Panorama du
camp de Sidi-Ferruch " (six feuilles mises bout à
bout), (pl. LXXII).
- " Camp des Arabes à Staouéli " (pl.
XCVIII).
- Antoine-Léon Morel-Fatio:
- " Bourmont et Duperré sur le vaisseau amiral en
vue d'Alger " (pl. LXXXV1).
- " Naufrage des bricks le " Silène " et
" l'Aventure " (1830) " (pl. LXX).
- " Oran, route du Figuier " (pl. CLXX).
- Ferdinand Wachsmuth:
- " Défense d'une batterie turque à Sidi Kalef
le 24 juin " (pl. XCV).
- " Le camp français devant Alger " et "
Scène du camp français " représentant
un officier français recevant un chef arabe (pl. XCIX).
- " La famille arabe " (pl. CXXXIX).
- " Porte Bab-el-Oued, 1830 " (pl. CXLII).
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