Le contexte artistique
à Alger dans les années 1840-1850
Marion Vidal-Bué
Nous sommes à Alger dans la première
moitié du xixe siècle, entre dix et vingt ans après
la prise de possession de la ville par les Français. Laissant la
ville ancienne de la Casbah à ses habitants historiques, ceux-
ci ont établi le centre de leurs activités autour de ce
qui deviendra la place du Gouvernement après 1848 et qui est
d'abord pour eux la place Royale, gagnée sur un terrain vague dominant
la mer, devant l'ancien palais turc de la Djenina et le long de la mosquée
de la Pêcherie. L'imposante statue équestre du duc d'Orléans
y est érigée en 1845, elle restera en place après
la chute de la monarchie de Juillet, devenant un symbole pour les uns,
un point de ralliement pour les autres (" la place du cheval! ").
Dans un " indissoluble mélange de la vie occidentale et
de la vie arabe ", toutes les populations s'y mêlent, depuis
les paysans en burnous venus du bled jusqu'aux militaires français,
les petits yaouleds portant la chéchia rouge offrant leurs services
à tous les passants. Selon la plaisante description de Gabriel
Esquer (ESQUER (Gabriel), Alger et sa
région, Guide Arthaud, 1957, p. 45.) " Le chapska
des chasseurs d'Afrique voisinait avec le bicorne des gendarmes. On y
voyait des Espagnols, des Maltais, des Napolitains, des Juifs, des Mahonnais,
des fashionables à la culotte de nankin, et au chapeau tromblon.
L'aprèsmidi, on y rencontrait des Italiennes aux robes de couleurs
crues, des Espagnoles avec la mantille, des Juives coiffées du
sharmah pyramidal, des Mauresques dans des tissus immaculés, quelques
lorettes aussi, mises à la mode de Paris ".
Tout naturellement, ces Européens d'origine si diverses reproduisent
dans la capitale de la " Province d'Afrique " leur mode
de vie traditionnel et ils construisent, en bordure de cette place appelée
à constituer le coeur de leur vie sociale, les premiers beaux immeubles
de style Louis-Philippe. En tout premier lieu celui du capitaine marquis
de La Tour du Pin, où les autorités organisent jusqu'en
1848 leurs réceptions mondaines et qui devient par la suite l'hôtel
de la Régence avec son célèbre café, très
apprécié pour les rendez-vous de la société
la plus huppée qui s'y retrouve pour converser et traiter des affaires,
comme un peu plus tard le très sélect café d'Apollon,
ou la librairie Bastide (La librairie
Bastide devient ensuite Bastide-Jourdan. Dubos s'installe quelque temps
après, rue Bab-Azoun.), première ouverte à
Alger et sorte de cercle intellectuel où l'on peut s'entretenir
du mouvement littéraire parisien.
Bien des témoignages écrits nous permettent d'imaginer cette
époque, mais si l'on connaît généralement bien
l'abondante littérature des écrivains romantiques, l'on
découvre avec infiniment de plaisir les uvres picturales
nous restituant visuellement des scènes de la vie algéroise
peu de temps après la conquête, d'autant plus passionnantes
qui elles sont rares.
Remarquons à ce propos que si la littérature joua un grand
rôle dans le devenir artistique d'Alger, les écrivains qui
mirent la ville à la mode étaient souvent liés à
des peintres, lorsqu'ils ne dessinaient pas eux-mêmes. L'on sait
avec quel talent Théophile Gautier assura dans ses chroniques la
promotion des artistes " africains ", après son voyage
de l'été 1845, et à quel point ses souvenirs de voyages
furent rédigés comme autant de tableaux littéraires.
On admire les récits algériens d'Eugène Fromentin,
arrivé pour son premier séjour en 1846, autant que ses célèbres
scènes de chasseurs, de cavaliers ou de bédouins dans le
Sud. Mais l'on se souviendra également que la même année
1846 vit débarquer Alexandre Dumas père et fils, parachevant
un voyage en Espagne par une croisière le long des côtes
africaines sur le " Véloce ", invités à
résider à Alger dans la villa du colonel Yusuf, et qu'ils
étaient accompagnés de plusieurs peintres, dont Eugène
Giraud qui composa notamment, d'après ses croquis de voyage, les
" Femmes d'Alger, intérieur de cour ", du musée
des Beaux- Arts de Tours, et Louis Boulanger dont certains dessins exécutés
à Constantine au cours de leur périple figurent dans les
collections du musée des Beaux-Arts d'Alger (Ces
dessins furent offerts au musée en 1919 par le baron Arthur Chassériau,
neveu et légataire de Théodore Chassériau.
).
Les frères Goncourt, alors tout jeunes hommes, séjournèrent
à Alger durant un mois, fin 1849. Hésitant encore entre
peinture et littérature, Jules de Goncourt y fit une série
de dessins et d'aquarelles. Dans une lettre " débordant
de juvénile enthousiasme " citée par Georges Marçais,
il affirmait à son ami Paul Passy : " Décidément,
mon cher, il y a deux villes au monde: Paris et Alger; Paris, la ville
de tout le monde; Alger, la ville de l'artiste " (MARÇAIS
(Georges), Pages retrouvées, les Goncourt à Alger, cité
par Émile Gaudissard, in Alger Barbaresque, Alger, imprimerie Baconnier.).
C'était bien l'avis de Gautier, lui qui proclamait en louant les
artistes algérois " Alger est l'Athènes de l'Afrique;
c'est la ville du goût barbare, et les modes y reçoivent
leur consécration " (GAUTIER
(Théophile), Voyage en Algérie, Paris, La Boîte à
Documents, 1997, p. 5 1.). La vocation littéraire des
futurs arbitres de la vie intellectuelle et artistique parisienne s'affirma
avec le récit de leur expérience algéroise, ainsi
que le remarquait Charles Taillard : " Les vingt pages de souvenirs
des frères Goncourt sur leur séjour à Alger sont
toutes en tableaux. Tous les détails sont exacts, ils sont même
précis. Ils admirent volontiers " (
Charles Taillart, vice-recteur de l'Académie d'Alger publie L'Algérie
dans la littérature française, Paris, Librairie ancienne
Édouard Champion, 1925. Les Goncourt font paraître leurs
Notes d'art à leur retour d'Alger.).
Les premiers artistes installés dans la ville puisent en partie
leur matière au contact de la bonne société d'origine
européenne, qui n'a de cesse de recréer les usages de la
vie métropolitaine et organise rapidement une vie sociale, principalement
orchestrée par les autorités civiles et militaires. Il s'agit
parfois d'évènements mondains, tels les réceptions
privées ou officielles, les soirées au théâtre
et les bals donnés par le gouverneur ou le maire, qui rassemblent
" fonctionnaires civils et bourgeoisie d'affaires ",
officiers " venus entre deux campagnes goûter le charme
de la ville " (Lire à
ce propos Marc Baroli, La vie quotidienne des Français en Algérie,
Paris, Hachette, 1967 - Réédité par L'Harmattan,
1992, sous le titre Algérie, terre d'espérance, Colons et
immigrants (1830-1914).), membres éminents du clergé,
et ces " colons en gants jaunes et chapeau de soie " (
Lire Balzac et l'Algérie, Documents Algériens n° 52,
mars 1951, publiés par le Gouvernement général de
l'Algérie.) dont tout un chacun connaît l'importance.
Les peintres reçoivent à l'occasion des commandes de portraits,
dans ces réceptions où les épouses françaises
et les femmes juives des familles en vue se mêlent aux chefs arabes
ralliés à la France, en grande tenue. Ces derniers, selon
les récits de l'époque, participent fort peu aux divertissements,
mais rehaussent l'éclat des soirées " ajoutant à
l'aisance élégante de l'Europe ", " la magnificence
orientale " ( Journal de l'Expédition
des Portes de Fer, Paris, Imprimerie Royale, 1844, p. 72).
On découvre un exemple très parlant de l'un de ces bals,
avec l'une des gravures exécutées par Auguste Raffet, pour
le Journal de l'Expédition des Portes de Fer, destiné à
immortaliser une célèbre campagne du duc d'Orléans
aux côtés du maréchal Valée en 1839. En appréciant
le très documentaire portrait d'un jeune dandy français
en veste puce et cravate noire, posant vers 1848 pour Augustin Régis
devant la mosquée de la Pêcherie, l'on se figure volontiers
qu'il eût pu côtoyer dans une circonstance officielle l'un
des " Huit notables arabes en grande tenue " représentés
sur une même toile par Emmanuel-Joseph Lauret en 1854, ou encore
ce fier " Cheikh bédouin " campé sur fond de minaret
( Voir reproduction in L'Algérie
des Peintres, 1830-1960, Marion Vidal-Bué, p. 26.) par
Antoine Joinville, auteur par ailleurs d'une vue d'Alger très évocatrice,
exposée au Salon de 1848.
La vie européenne de la cité est ponctuée de temps
à autre de grandes célébrations religieuses ou militaires,
qui revêtent un faste particulier dans la colonie. Celles-ci fournissent
des commandes officielles aux peintres aptes à traiter les tableaux
commémoratifs.
Ainsi Ernest-Francis Vacherot, collaborateur d'Horace Vernet, ayant délaissé
sa résidence de l'île Saint-Louis à Paris, qui est
sans doute le premier à ouvrir son atelier vers 1836-1837, peut-il
peindre alternativement des sujets historiques comme " La bénédiction
de la ville d'Alger par le clergé en 1836 ", ou "
L'Arrivée du maréchal Randon à Alger en 1857"
(Tableau appartenant aux collections
du Musée national de la Marine, provenant du Musée Franchet
d'Esperey, Alger, qui a été exposé en juin 2003 au
Musée de la Marine à Toulon. Fernand Amaudiès mentionne
Vacherot aîné et Vacherot jeune dans ses Esquisses anecdotiques
et historiques du Vieil Alger (éd. A. Barthélemy, Avignon,
1990, pp. 150, 151 et 152). Nous manquons de précisions sur le
second.), ou bien un thème allégorique comme
" La France conduisant par la main un soldat colon ",
tout en proposant aux amateurs privés des scènes tout à
fait orientalistes, par exemple un " Marché d'esclaves
au Faubourg Bab-Azoun avant la présence française "
(Voir reproduction in Alger et ses Peintres,
1830-1960, Marion Vidal-Bué, p. 172.) Vacherot
dévoile ces deux dernières toiles au public en 1842 dans
le Palais de la Djenina, inaugurant ce que Fernand Arnaudiès considérait
comme " la première exposition particulière à
Alger " . L'artiste fera souche dans le pays et son fils, né
à Alger et peintre d'histoire également, représentera
entre autres sujets " L'Accueil de la population à Leurs
Majestés ", lors de la visite de Napoléon III et
Eugénie en 1860.
De même, Augustin Régis qui réside sans doute de façon
suivie à Alger et se trouve bien introduit auprès des autorités
ecclésiastiques, est-il tour à tour portraitiste mondain
et auteur de toiles évoquant la vie de la cité avec une
précision qui leur confère un grand intérêt
documentaire. Elles retracent des scènes de rue typiques, comme
celle située " Devant le palais épiscopal à
Alger " (Francis Ernest Vacherot,
" Bénédiction de la ville d'Alger par le clergé
en 1836 ",(coll. particulière), cliché G. Parisot.),
ou de grandes manifestations officielles comme cette " Cérémonie
de la Fête-Dieu à Alger en 1848 ", tableau initialement
placé dans la cathédrale d'Alger et que nous avons eu le
bonheur de découvrir conservé dans la collection de l'Archevêché
(Le père archiviste de la cathédrale
d'Alger ayant contacté l'auteur de ces lignes à la lecture
de sa mention du tableau dans Alger et ses Peintres (p. 172), l'oeuvre
a pu être photographiée pour l'album L'Algérie des
Peintres (p. 58), puis exposée au Fort Saint-Jean à Marseille,
en novembre 2003 (Exposition " Parlez-moi d'Alger ").
La célébration de la fête religieuse,
le 14 juin de chaque année, revêtait un éclat particulier,
l'évêque y accomplissant l'office sous un dais écarlate
dressé au centre de la place du Gouvernement, entouré du
chapitre ecclésiastique, d'une foule de prêtres et de moines
agenouillés, de dignitaires et de magistrats, d'officiers et de
cavaliers rendant les honneurs, avant d'aller bénir la mer toute
proche.
La toile scrupuleuse du peintre biterrois montre en outre les grappes
de spectateurs juchés sur les toits des immeubles environnants
et même de la mosquée, pour mieux contempler la scène.
Également peintre d'histoire fidèle, Régis est encore
l'auteur d'une " Reddition d'Abd-el-Kader le 24 décembre
1847 " ayant appartenu au duc d'Aumale et visible dans les collections
du Musée Condé à Chantilly.
Ainsi, le travail ne manque-t-il pas à ces quelques peintres professionnels
venus s'établir à Alger dès les premiers temps: ils
doivent se montrer suffisamment polyvalents pour traiter les sujets relatifs
aux épisodes de la conquête, fixer le souvenir des évènements
publics, exécuter les portraits des civils comme des militaires,
et surtout pour exploiter la couleur locale en représentant scènes
de moeurs et paysages descriptifs qui leur assurent des ventes aux particuliers
et le succès lorsqu'ils exposent au Salon de Paris.
Tous les aspects de la vie quotidienne des Algérois retiennent
alors leur attention, et comme il est très difficile de pénétrer
dans les demeures privées musulmanes ou de faire poser des individus,
les scènes de rue leur fournissent l'essentiel du répertoire.
Parmi les thèmes habituels, vite devenus répétitifs,
les architectures typiques de la ville arabe, avec les maisons blanches
à encorbellements soutenus par des rondins de bois, les passages
couverts et les cours intérieures à galeries décorées
de colonnes et de faïences, les ruelles pentues gravies par de petits
ânes et parfois par des dromadaires, mais aussi les porteurs d'eau
et les musiciens ambulants, les cafés maures où les hommes
fument le chibouk et le narguilé, jouent aux échecs ou au
jacquet, les échoppes des artisans et des barbiers, les étalages
d'oranges, de légumes et d'épices colorés.
Très représentatif de cette veine " orientaliste ",
Emmanuel Lauret est un Toulonnais d'origine, qui va enseigner le dessin
au Collège d'Alger. L'année même de son arrivée,
1849, il expose ses tableaux chez le libraire Dubos, rue BabAzoun, et
ses sujets nous renseignent sur les centres d'intérêt de
l'époque: portraits, études de " types humains ",
paysages, et même, vues des ruines romaines de la région
de Lambèse dans le Constantinois. Dessinateur fécond, il
laisse quantité d'études de personnages arabes ou juifs
au crayon et à l'aquarelle, nombre de tableaux de genre et de scènes
de vie quotidienne mettant en valeur avec beaucoup de charme et d'imagination
les beautés algéroises sur leur terrasse, dans leur intérieur,
ou dans les ruelles de la Casbah. Son frère cadet, François
Lauret, le rejoint bientôt pour peindre, comme lui, moeurs et paysages.
Tous deux résident longuement à Alger. Plusieurs autres
peintres dont les noms nous sont conservés viennent, comme Lauret,
professer le dessin au Collège d'Alger, ainsi Célestin Liogier,
artiste d'inspiration classique, Gustave-Désiré Bournichon,
architecte et peintre nantais, ou André Durand, qui participa comme
dessinateur à la publication de L'Exploration scientifique de l'Algérie.
Ces artistes éprouvèrent bientôt le besoin de se regrouper
avec les élites locales pour développer l'enseignement artistique
dans la ville et créer des collections susceptibles " d'éveiller
et de développer chez les Algériens le goût du vrai
et du beau ". Ainsi naquit la Société algérienne
des Beaux-Arts, qui devait fonder un embryon de musée et offrir
des cours libres d'accès.
Lauret, Bournichon, Liogier et Vacherot, ainsi que le très actif
sculpteur Victor Fulconis, auteur de maints bustes de personnalités
et décors de monuments publics, sont à l'origine de cette
fondation qui joue un rôle tout à fait déterminant
dans le développement de la vie artistique à Alger. La Société
ceuvre pour la constitution de collections et leur présentation
au public, pour l'éducation de celui-ci, comme pour la conservation
du patrimoine algérois en général. Une exposition
conjointe à la Djenina en août 1851 constituera son Salon
inaugural (ARNAUDIÈS (Femand),
Esquisses anecdotiques du Vieil Alger, op. cit., p. 152.).
Quelques années plus tard, Hippolyte Lazerges que l'on peut considérer
comme l'un des pères de l'École d'Alger, se fera le porte-parole
zélé d'une Société des Beaux-arts ayant acquis
notoriété et pignon sur rue. Durant des années, c'est
dans ses locaux, rue du Marché, que les Algérois trouvent
à la fois enseignement artistique et collections publiques, avant
que ne soit organisé, en 1908, le Musée municipal.
Les manifestations publiques des artistes restent longtemps bien limitées,
faute d'installations adéquates. Ce sont les cafés à
la mode qui se chargent d'accueillir sur leurs murs quelques accrochages,
les librairies, ainsi que certains photographes, et même des commerces
d'antiquités ou des bazars orientaux, qui offrent des vitrines
très prisées. Quelques édifices publics se prêtent
heureusement à de plus amples démonstrations. Ce sont d'abord
les grandes bâtisses construites au temps de la Régence turque,
telle la Djenina, ancienne résidence des Deys détruite en
1856, puis le Palais d'Hiver, ancien palais Hassan Pacha où Alexandre
Dumas assiste le 1e janvier 1847 à l'investiture du chef kabyle
El Mokrani. C'est dans la Djenina, on l'a vu, que Vacherot père
organise sa première exposition particulière et que la Société
algérienne des Beaux-Arts tient son premier Salon. Le Musée-Bibliothèque,
fondé en 1835 par le maréchal Clauzel, accueille notamment
des collections de peintures religieuses. Un temps installé dans
l'ancienne caserne des Janissaires, transféré dans le palais
Dar Aziza, il devient Bibliothèque Nationale sous la conduite de
son premier et remarquable conservateur, Adrien Berbrugger auquel nous
sommes redevables de L'Iconographique historique de l'Algérie.
Par la suite, le luxueux théâtre conçu par les architectes
Ponsard et Frédéric Chassériau, inauguré avec
pompe en 1853, permet de mettre en valeur des oeuvres de dimensions importantes.
Son grand Foyer donna ainsi asile après 1866 à une immense
toile offerte par Napoléon III, une scène de bataille d'un
élève de Vernet, Alfred Couverchel (ARNAUDIÈS
(Femand), Esquisses anecdotiques du Vieil Alger, op. cit., p. 15 1.).
Il ne faudrait pas omettre, dans ce rapide panorama, les amateurs de talent
qui apportent leur contribution sincère à l'élaboration
d'une iconographie authentiquement algéroise.
Dès les années 1830, Frances Kenney Bowen, fille du médecin
du consulat britannique en poste bien avant l'arrivée des Français
(Le docteur Bowen dirigea l'hôpital Maillot
à Alger. Frances Kenney Schultze et son époux furent enterrés
dans le carré des consuls à Saint-Eugène (cf. Feuillets
d'El Djezaïr, septembre 1942)), et membre de cette toute
petite communauté européenne composée des représentants
des puissances étrangères et de négociants admis
à commercer avec la Régence, s'adonnait avec une grande
efficacité à la peinture des moeurs et des sites de son
environnement immédiat. Elle se fit davantage connaître sous
le nom de son mari, M. Schultze, consul de Suède et de Norvège,
et le grand collectionneur que fut Eugène Robe (Eugène
Robe (1890-1970), juriste, avocat et journaliste, dirige la Dépêche
algérienne jusqu'en 1945. Érudit et collectionneur de peintures
représentant l'Algérie, il est également président
du Comité du Vieil Alger qui oeuvre pour la conservation de la
ville ancienne.) sut apprécier, au xxe siècle,
dans le cadre de son action au sein du Comité du Vieil Alger, ses
aquarelies commémorant fidèlement le passé. Lizinka
Guibal-Poirel, fille d'un artiste nancéen et épouse de l'ingénieur
Victor Poirel chargé des aménagements du port d'Alger (18),
réside entre 1834 et 1846,
dans cette ville pour laquelle elle se passionne, apprend l'arabe, fréquente
tous ceux qui s'intéressent comme elle à l'art, peint à
l'aquarelle les personnages bariolés qu'elle aperçoit dans
la rue et surtout, pour notre plus grand plaisir, la vie domestique algéroise
et les intérieurs des demeures musulmanes ou juives où elle
est reçue à certaines occasions, privilège que seule
une femme pouvait obtenir. Dépositaire de la mémoire de
son ami Théodore Leblanc, peintre militaire tué lors du
siège de Constantine en 1837, elle réunit ses aquarelles
avec les siennes et celles de divers autres amis peintres, dans le précieux
Album d'Afrique qu'elle lègue au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque
nationale.
Et pour terminer sur une note " exotique ", nous évoquerons
une femme artiste assez extraordinaire, l'Anglaise Barbara Leigh Smith,
très représentative de la vogue que connut Alger auprès
de ces " hiverneurs " , en majorité anglo- saxons, férus
de peinture tout autant que de soleil et vivant des saisons très
animées dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Venue comme beaucoup de ses compatriotes goûter la douceur du climat
avec ses parents durant l'hiver de 1857, elle est vite conquise puis mariée
à un médecin français exerçant à Alger,
Eugène Bodichonet partage alors son temps, au rythme des saisons,
entre Londres et Alger, où elle entremêle activités
artistiques, mondaines et bienfaisantes. Reconnue à présent
comme membre intéressant du mouvement artistique anglais de son
époque, elle laisse une série de paysages algérois
peints à l'aquarelle qui comptent parmi les plus sensibles témoignages
sur la physionomie de la ville et du Sahel.
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