Arts divers en Alger et en Algérie

Léon Carré (1878-1942)
peintre de l'Algérie et des Mille et Une Nuits

par Marion Vidal-Bué
extraits du numéro 141 ,mars 2013, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site aout 2021

Léon-Georges Carré naquit à Granville, le 23 juin 1878, dans une famille de petits commerçants. Grâce à un long article dans la revue L'art et les Artistes publié en mars 1914 par son neveu, Jean-Marie Carré, nous apprenons qu'il adorait dès l'enfance la nature et les longues courses dans les dunes normandes, où il prit sans doute le goût des " grands sables " qu'il rechercha plus tard en Algérie.

Son premier apprentissage du métier de peintre se fit aux Beaux-Arts de Rennes, auprès du maître qui fut aussi celui de Mathurin Méheut, artiste aujourd'hui très prisé pour ses scènes de la vie bretonne. Paris suivit très logiquement, il fut admis en 1897 aux Beaux-Arts dans l'atelier de Léon Bonnat et fréquenta également celui du peintre d'histoire Luc-Olivier Merson. Quoiqu'il se fût révélé d'emblée peu attiré par les sujets acadé-miques et qu'il délaissât quelque peu l'enseignement classique au profit de l'expérience sur le vif, le jeune homme reçut par deux fois le prix Paul Chenavard, attribué par l'Ecole nationale des Beaux-Arts.

 


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Léon Carré (1878-1942)
peintre de l'Algérie et des Mille et Une Nuits
par Marion Vidal-Bué

Léon-Georges Carré naquit à Granville, le 23 juin 1878, dans une famille de petits commerçants. Grâce à un long article dans la revue L'art et les Artistes publié en mars 1914 par son neveu, Jean-Marie Carré, nous apprenons qu'il adorait dès l'enfance la nature et les longues courses dans les dunes normandes, où il prit sans doute le goût des " grands sables " qu'il rechercha plus tard en Algérie.

Son premier apprentissage du métier de peintre se fit aux Beaux-Arts de Rennes, auprès du maître qui fut aussi celui de Mathurin Méheut, artiste aujourd'hui très prisé pour ses scènes de la vie bretonne. Paris suivit très logiquement, il fut admis en 1897 aux Beaux-Arts dans l'atelier de Léon Bonnat et fréquenta également celui du peintre d'histoire Luc-Olivier Merson. Quoiqu'il se fût révélé d'emblée peu attiré par les sujets acadé-miques et qu'il délaissât quelque peu l'enseignement classique au profit de l'expérience sur le vif, le jeune homme reçut par deux fois le prix Paul Chenavard, attribué par l'Ecole nationale des Beaux-Arts.

Ketty et Léon Carré
Ketty et Léon Carré



Comme tout provincial curieux découvrant la capitale, Léon Carré préféra se mêler à la vie parisienne, côtoyer la foule des boulevards, musarder aux terrasses de cafés, pénétrer dans les restaurants et les cabarets, attendre la sortie des théâtres, tous lieux où quantité de personnages s'offraient à son crayon, ou bien encore passer des après-midi au champ de courses, au Bois de Boulogne ou au Parc Monceau, bref, observer ses contemporains. De cette époque datent des séries de croquis ou de peintures à l'huile représentant aussi bien des cochers de fiacres et des gens du peuple que des élégantes
et des mondains, tous caractérisés avec beaucoup de perspicacité.

Par ailleurs, l'étude des animaux le passionnait, et comme pas mal d'autres artistes de l'époque, il passait des heures à les dessiner dans le zoo du Jardin des Plantes. Durant ses vacances en Ardennes, les lourds chevaux du pays lui fournissaient des modèles, tout autant que les paysans. A l'issue du concours international de 1904, ce fut son projet que la Société protectrice des animaux choisit pour éditer une affiche. Tout au long de sa vie, il pratiqua son art très sûr de peintre ani-malier, considérablement enrichi en Algérie.

A Paris, il s'est exercé en outre à la technique méticuleuse de l'eau-forte, qui lui permit de donner un rendu des plus vigoureux à ses sujets réalistes, et de participer à une importante exposition à la galerie Georges Petit avec plusieurs de ses planches.

Carré s'est montré sensible au japonisme, on en trouve bien des exemples dans son oeuvre, mais alors qu'en 1905 explosait le fauvisme et que bientôt se profilait le cubisme, il resta en dehors de ces mouvements car sa per-sonnalité discrète et mesurée refusait tout excès. Ceci ne l'empêcha pas de nouer une amitié avec son aîné Albert Besnard, personnalité très en vue de la scène parisienne et artiste amoureux de l'Orient, qui lui-même était parti visiter l'Algérie en 1892, et qui a peut-être influé sur les choix du jeune Normand.

Vers la fin de 1905, en effet, Léon Carré décide de se rendre en Algérie, afin d'explorer d'autres directions pour sa peinture. Il séjourne à Alger, naturellement et, depuis sa chambre de l'hôtel de l'Oasis ou depuis les hauteurs d'El-Biar, il peint à plusieurs reprises le port, nous laissant un témoignage des plus précieux sur l'ancien tracé et sur les abords de la ville alors très peu construits. Et déjà, il s'éprend de la douceur des collines du Sahel, dont la riche nature répond on ne peut mieux à son vécu personnel.

Cependant, il entend découvrir le Sud, et aller pour cela le plus loin possible, c'est-à-dire à l'époque, jusque dans le M'Zab. Il arrive à Ghardaïa encore peu fréquentée, visite les autres villes de la pentapole, dont Berriane, se rend également à Touggourt au printemps 1906, et par la même occasion à Ouargla. Partout, il dessine à tour de bras, mais davantage les scènes humaines que les paysages pittoresques. Les marchés, avec leurs foules de personnages tellement nouveaux pour lui, les étalages de denrées exotiques et surtout les animaux qu'il n'a pas encore étudiés, tels les dromadaires et les gazelles, le ravissent particulièrement. Dans le quartier réservé ou dans les cafés maures, il a l'occasion de relever quelques portraits de femmes, telle cette " Meryem à Ouargla ", assise sur un seuil de porte.

On peut parler de reportage graphique pour l'ensemble de dessins et de croquis qu'il accumule sur des carnets ou sur de grandes feuilles enjolivées à l'aquarelle, lors de ces voyages. Ils sont tous réalistes et sincères, autant que techniquement très aboutis. Avec leur cadrage serré, ils visent avant tout à refléter l'âme des gens et leurs comportements, à restituer l'entasse-ment des bestiaux et leurs attitudes apeurées ou résignées, bref, à traduire la vie.
Ces dessins suscitent l'intérêt de Léonce Bénédite, responsable du musée du Luxembourg (musée des artistes vivants, à l'époque), qui en fait acquérir une quinzaine par l'Etat. De retour à Paris, Léon Carré utilise ses notes pour réaliser plusieurs toiles, notamment un très beau " Marché à Ouargla " qu'il expose au Salon de 1907.

Sa rencontre avec Anne-Marie Lederer, elle-même peintre dans un style volontairement naïf et coloré, admise comme lui à la Société nationale des beaux-arts, aboutira à une union solide et heureuse, fertile pour leurs talents respectifs. Ils se marient en 1908, elle prend le nom de Ketty Carré et produit à ses côtés de ravissants tableaux et miniatures qu'elle exposera désormais en même temps que ceux de son époux. Jean-Marie Carré devait reconnaître qu'elle avait exercé sur lui " une influence discrète autant que sûre ". " Grâce à elle, il a trouvé plus de joie aux valeurs neuves, aux chocs de clarté, aux tons francs et bien plaqués, durs comme des émaux, glacés comme des faïences " (1- J.-M. Carré, L'Art et les Artistes, mars 1914, p. 266,).

L'ouverture en 1907 de la villa Abd-el-Tif en tant que résidence pour artistes métropolitains donne à Carré l'opportunité de revenir vivre dans cette Algérie qu'il a tant appréciée. Il se présente au concours et obtient la bourse de séjour en même temps que son ami l'excellent portraitiste Jules Migonney. Arrivés à Alger en 1909, ils suivent donc de près les tout premiers pensionnaires, Léon Cauvy et Paul Jouve.

Au bout d'un an, en 1910, Carré expose conjointement avec Migonney dans le cadre de la Villa: en majorité des scènes de vie, parfois intimes comme les charmantes représentations de sa femme Ketty ramassant des fleurs dans le jardin, attablée devant une coupe de fruits ou caressant son fox-terrier (2 Le pastel " Femme et fox-terrier " fut acquis par l'Etat et déposé à la présidence du Sénat.), mais surtout, des scènes du quotidien algérois, et des " types humains " représentatifs du pays. Se remarquent notamment des " Chargeurs de sable " sur la plage du Hamma, des " Muletiers " espagnols au feutre cabossé, entourés de mules harnachées de clochettes, des " Goumiers ", des " Méharistes ", un " Homme au sloughi ", un " Marché dans la rue ". Dès ces débuts, les grands collectionneurs algérois, en particulier Louis Meley et Frédéric Lung qui suivront de près le parcours des artistes de la villa Abd-el-Tif, apprécient son talent dédié à l'Algérie, et lui achètent des oeuvres. Frédéric Lung avait acquis une quarantaine de dessins exécutés dans le Sud, dont sa famille a fait donation à l'Etat. Ils font actuellement partie des collections du Musée national d'Art moderne de Paris. Venus pour deux ans, Léon et Ketty Carré resteront ancrés à Alger. Certes, ils conservent leur atelier à Montmartre, ils passent autant que pos-sible des vacances en Alsace dont les villages et la campagne bien ordonnés leur offre un délicieux dépaysement, ils entreprennent des voyages à l'étranger et partent régulièrement à la découverte du vaste territoire algérien, mais toujours, ils reviennent dans la ville blanche. Ils vont désormais participer activement à la vie artistique algéroise, et exposer régulièrement dans les Salons de la Société des Artistes algériens et orientalistes, souvent côte à côte. Comme ils aiment à se faire photographier ensemble, leurs por-traits très sympathiques sont nombreux, dans la rue, dans leur appartement ou sur les collines au-dessus d'Alger.

Léon Carré, " Birkadem " (coll. part.).
Léon Carré, " Birkadem " (coll. part.).

En 1911, Léon Carré séjourne longuement en Andalousie, à Grenade notamment, où il exécute quantité de portraits de gitanes et autres person-nages folkloriques, dessine les villages blancs de la sierra, Ronda en parti-culier, et se révèle un véritable aficionado des courses de taureaux. Celles-ci lui suggèrent une toile très réussie, " La Corrida de toros ", qu'il expose à la Nationale des Beaux-Arts. Ce tableau solidement charpenté, synthétique et savamment coloré, retient l'attention du grand peintre espagnol Zuloaga, et rencontre un certain succès au Salon de Paris de 1911. Grâce à lui et à une huile intimiste peinte à la villa Abd-el-Tif, " Le Thé dans le jardin " (3), il reçoit le titre de Sociétaire à " la Nationale ".

A la suite de l'Espagne, Carré visite le nord du Maroc, où son penchant pour l'humain le pousse à s'intéresser aux communautés juives. Il couche sur le papier d'innombrables études, telle celle qu'il intitule sobrement " Les Juifs du Maroc ".

Autre expérience productive pour lui, celle de la Grande Kabylie, dont il explore les hauts sommets en 1913. Il en retient surtout la vie pastorale, et la vision des troupeaux et de leurs bergers dans une nature inviolée restera gravée dans sa mémoire pour inspirer toute son oeuvre à venir. " Le muletier kabyle ", " La halte au Djurdjura ", comptent parmi les meilleurs tableaux qu'il réalise alors.

Entre temps, Léon Carré a commencé une carrière que l'on peut considérer comme parallèle à celle de peintre, celle d'illustrateur, on pourrait presque dire de poète, tant ses créations vont de pair avec les textes qu'elles accom-pagnent. Un bibliophile parisien lui commande des gravures en couleurs pour une édition des Poèmes barbares de Leconte de Lisle publiée en 1909; ses images saisissantes, notamment " Le Jaguar ", " Les Eléphants ", " Le Condor ", sont remarquées par l'éditeur d'art Henri Piazza, et ce sera le départ d'une fertile collaboration.

La première publication avec Piazza est Le Jardin des caresses de Franz Toussaint, paru en 1914, un ensemble de textes poétiques sur le sentiment amoureux inspirés par la tradition orientale. Carré présente les dix planches originales qu'il a composées dans le style de la miniature au Salon de la Société des peintres orientalistes français en mars 1913 (4 Illustrations hors texte du Jardin des Caresses: L'Heure tranquille - La Danseuse nue - Le Souvenir - L'Adieu - Le Bain - Le Voyage nocturne - Le Jaloux - La Voluptueuse - La Fontaine des Gazelles - Le Bonheur.).

" Elles ont retenu plus d'un visiteur par leur étrange charme et leur précise poésie ", notait Jean-Marie Carré (5 J.-M. Carré, L'Art et les Artistes, mars 1914, pp. 261, 266 et 267.), en commentant ce coup de maître.

" Synthèses scrupuleuses et visions éblouies, elles marquent à la fois la fin de recherches passionnées et la découverte d'un nouveau pays. Un style original s'y élabore, mais toute la réalité l'étoffe et le soutient. Nous sommes en plein rêve, et pourtant la nature nous conduit par la main. C'est une vision de fantaisie et de liberté, un royaume subtil, aérien, et jamais décor merveilleux ne fut tendu sur de plus solides charpentes. Les jeux de la pure couleur, inattendus, francs et légers, s'enroulent autour d'un incisif dessin; la vérité nourrit et fortifie le songe ".

" Il avait à éviter un double écueil: imiter les Persans, démarquer sans le vouloir leurs miniatures, et d'autre part, apporter dans l'illustration de ces fragiles histoires, délicates ainsi qu'un mirage, un métier nerveux, âpre, formé à l'école réaliste. Entre la douceur des vieux orientaux et la manière acérée de ses eaux-fortes, Léon Carré sut trouver un style pur et solide. Il y a [...] une atmosphère de subtilité, une limpidité qui révèle le poète ".

Ce qui nous touche le plus aujourd'hui, c'est que l'artiste puisait dans sa connaissance intime des paysages et des moeurs de l'Algérie pour créer ces illustrations : " Le peintre de la vie algérienne n'abandonne jamais le poète du rêve islamique ", écrivait encore J.-M. Carré, tandis que Charles Hagel s'enthou-siasmait dans un long article consacré au peintre en 1925: " Tout le paysage, tout le fond sur lequel se meuvent les héros et se dessinent leurs gestes, s'inspirent de l'Algérie, fleurs, arbres, le ciel et la mer, les architectures et leurs détails ornementaux, le costume et le plan des terres ". Tout ceci " magnifié, conduit jusqu'à l'expression de splendeur inouïe qu'exige la légende " (6 Léon Carré, Un peintre, par Ch. Hagel, L'Afrique du Nord illustrée, Pâques 1925, p. 1-19.).

La fontaine aux gazelles
(coll. part.).
La fontaine aux gazelles


Cette création et celles qu'il entreprend à la suite requièrent un travail intense, que Léon Carré évoque dans une lettre à son mécène et ami Louis Meley (7Lettre à Louis Meley datée janvier 1916, illustrée de dessins, aimablement communiquée par la famille de ce grand collectionneur des artistes de l'Algérie.) : " L'illustration, travail minutieux de bureau, m'avait amené à un état de santé précaire. rai repris avec joie mes études de paysages L..1 ". Nous sommes en janvier 1916, le couple Carré a été invité à résider à Gouraya, sur la côte algéroise non loin de Cherchel, dans la villa du gouverneur général. En plein temps de guerre, ils mènent dans ce " château aux pièces somptueuses, aux tapis rares ", " la vie des pauvres ". " Nous avons les joies de l'esprit pour parer aux faiblesses de la table ", écrit encore Léon, qui connaît là des " heures de vrai repos et d'émotions pures. Quelques chants de bergers, quelques cris de femmes, la grande voix des houles et c'est tout ".

Le gouverneur général Charles Jonnart manifesta l'estime en laquelle il tenait l'artiste en lui confiant en 1921 l'un des plus importants décors du Palais d'été à Alger, celui des panneaux du salon d'attente présidentiel. Il avait fait également appel à Louis Ferdinand Antoni, chef de file des peintres d'Alger, mais aussi à Marius de Buzon et à Paul Jouve, anciens pensionnaires de la Villa Abd-el-Tif dont il avait porté l'institution. Carré conçoit cinq grandes fresques, " Les corsaires ", " Les cavaliers ", " Les gazelles ", " Pastorale ", et surtout, " La vie musulmane " qui occupe le grand panneau de droite du salon. Résumant les caractères essentiels de la nature et de la vie algéroises, cette scène patriarcale représente une famille arabe entourée d'animaux, d'arbres et de fleurs devant une grande villa blanche du Sahel (8- Voir au sujet de ce décor Art & Décoration, tome XLIV, juil.-déc 1923.).

Après avoir fait ses choix parmi les différents thèmes qu'il avait explorés en Algérie, Carré, qui aimait à la fois l'humain et la nature, s'était en effet affirmé comme le peintre de la pastorale algérienne. Celle du Sahel d'Alger, tout d'abord, avec le charme souriant de ses villas blanches perdues dans un fouillis de verdure, au creux des vallons ou sur la crête des collines, mais aussi celle de la campagne kabyle, qui lui a inspiré des scènes bucoliques, hommes et bêtes en harmonie avec les arbres, les fleurs et les sources jaillissantes.

Victor Barrucand l'a souligné en 1930 dans son livre de référence : " Certains matins d'El-Biar dans le bonheur de la lumière, la vibration des montagnes kabyles, tentèrent le pinceau de Léon Carré qui découvrit l'élégance et la finesse du paysage algérien. Ses études précieuses resteront comme des merveilles d'observation et d'harmonie. C'est sans doute à l'Algérie qu'il doit la flore de sa fantaisie d'imagier, poussée jusqu'à la luxuriance indienne et à la minutie persane dans notre " Chariot de terre cuite " et dans les " Mille Nuits et Une Nuit " du docteur J.-C. Mardrus " (9- V. Barrucand, L'Algérie et les peintres orientalistes, B. Arthaud, Grenoble, 1930. Voir p. 13 de la réédition en fac-similé par les éditions du Tell, Blida, 2003.).

Léon Carré illustra en effet de vingt merveilleuses planches hors textes la pièce de théâtre indien attribuée au roi Soudraka et adaptée en cinq actes par Barrucand, publiée en 1921 paf. Henri Piazza (10 V. Barrucand, Le Chariot de terre cuite, première édition en 1895, et éditions d'Art H. Piazza, 1921, pour la version illustrée par Carré.). Suivit un autre livre de bibliophilie édité par Piazza en 1924, Au Jardin des Gemmes de Léonard Rosenthal, une célébration des pierres précieuses mettant en scène princes et princesses, animaux légendaires et génies fabuleux, rehaussée de douze illustrations tout aussi fantastiques de Carré. Ce n'étaient que l'avant-goût de son grand oeuvre, l'illustration des douze volumes qui allaient être publiés par Piazza entre 1926 et 1932, pour Le Livre des Mille et une Nuit dans la libre traduction du Dr J.-C. Mardrus. Pour ce chef-d'oeuvre de la littérature orientale, Léon Carré exécuta 144 miniatures en couleurs, tandis que Mohammed Racim, réinventant l'art traditionnel musulman de l'enluminure, en assurait l'ornementation avec 85 compositions et éléments décoratifs. Ces illustrations sont tellement prisées des amateurs qu'il n'est pas rare de les trouver découpées et encadrées pièce par pièce.

Entre temps, l'artiste avait créé, toujours pour l'éditeur Piazza, douze com-positions d'une finesse absolue pour illustrer Aucassin et Nicolette, une " chante-fable du xne siècle " publié en 1929.

Collaborateur de la revue L'Illustration dans plusieurs numéros spéciaux (" Dont le numéro spécial sur L'Alsace, dont il composa la couverture, et celui de Noël 1935.), Carré fut également appelé en 1927 par la Compagnie générale transat-lantique pour contribuer à la décoration du luxueux paquebot " Ile-de France ".

Motivée par ces réussites, la compagnie du P.L.M. lui confia la conception de plusieurs affiches touristiques, dont l'imprimerie algéroise Baconnier (12 - Voir L'Algérie en affiches, 1900-1960, par Béatrix Baconnier, Editions Baconnier-Copagic, 2004.) assura l'édition: Hivernage en Algérie, Kabylie, Tlemcen (deux versions), Hamman-Righa et Boufarik. L'administration des P.T.T. lui commanda les maquettes de plusieurs timbres poste, et la Banque de l'Algérie, celles des billets de 50 et 1000 F. Pour le monumental Foyer Civique d'Alger, qui devait être inauguré en 1933, le maire M. Brunel lui demanda, comme à d'autres artistes de l'Ecole d'Alger, quatre panneaux décoratifs, qui ne purent toutefois être mis en place. Les thèmes de Carré, pleins de fraîcheur, traitaient L'Initiation à la parole, à la musique, au chant et à la danse.

Léon Carré a mené de front cette brillante carrière d'illustrateur, et celle de peintre de l'Algérie. Il a exposé régulièrement dans les Salons de la Société des Artistes algériens et orientalistes, il a participé à plusieurs expositions de l'Afrique française organisées par le gouvernement, et il a constitué en 1935 avec un groupe d'amis, le Syndicat professionnel des artistes peintres et sculpteurs d'Algérie, dont il fut le premier président (13Le premier bureau se composait ainsi : vice-présidents Jean-Désiré Bascoulès et Marius de Buzon - secrétaire général M. Second-Weber - trésorier M. Casabone - secrétaire adjoint M. Nicolaï - trésorier adjoint M. Halbout - Assesseurs MM. Bouviolle, Brouty et Mohammed Racim.
). Cependant, il n'a fait que peu d'expositions personnelles, trop modeste pour se mettre en avant. " Il se plaisait, expliquait Louis-Eugène Angéli, à ne montrer que quelques toiles et dessins dont il était pleinement satisfait et partageait souvent les cimaises avec Mme Ketty Carré, autre peintre de talent " Les maîtres de la peinture algérienne, Léon-Georges Carré, par L.-E. Angéli, Algéria, Noël 1955, p. 31-36. La couverture du numéro reproduit une illustration de Carré.)

Léon Carré s'est éteint dans l'appartement-atelier de la rue Dumont-d'Urville (15 Selon David Damon Olivencia, cf l'algérianiste n° ? , de ?
) où il vivait depuis le début de la guerre, au matin du 2 décembre 1942, peu de temps après le débarquement des Alliés. Quelques amis seulement, dont Albert Marquet, purent suivre ses funérailles. Sa veuve, Ketty Carré, demeura à Alger jusqu'à sa propre mort en 1964.

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Œuvres de Léon Carré dans les musées :
MNAM, Centre Georges Pompidou, Donation Lung : une quarantaine de dessins à la mine de plomb exécutés dans le Sud.
Musée d'Orsay: " Le thé dans le jardin ", huile- Musée du Luxembourg: cadre de 28 dessins.
Musée de l'Histoire de l'Algérie, Montpellier: " Ketty Carré dans le jardin de la Villa Abd-el-Tif - Villas mauresques dans le Sahel ".
MNBA Alger: " Sahel, Nature morte ". Un " Paysage du Sahel ", et une " Halte de muletiers " anciennemént acquis ont disparu des collections.