sur site le 11/10/2002
-Les Spahis de 1834 à 1954
-Quoique désignée à ses débuts sous différents vocables tels que "Corps naturels du pays", "Cavalerie Arabe", "Mameluks" , "Guides" , "Escadrons Turcs", "Zouaves
à cheval", "Chasseurs-Spahis", "Chasseurs Algériens", "Gendarmes Maures" etc, la cavalerie indigène au service de la France existait effectivement depuis août 1830. Une loi du 9 mars 1831 devait consacrer son existence. D'autres décisions allaient suivre en 1832, 1834, 1835 et 1836, mais les escadrons puis régiments de spahis réguliers ne se sont constitués qu'à partir de 1841 et 1845 à Alger, Oran, Bône et Constantine.

pnha n°65, février 1996

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-----Quoique désignée à ses débuts sous différents vocables tels que "Corps naturels du pays", "Cavalerie Arabe", "Mameluks" , "Guides" , "Escadrons Turcs", "Zouaves
à cheval", "Chasseurs-Spahis", "Chasseurs Algériens", "Gendarmes Maures" etc, la cavalerie indigène au service de la France existait effectivement depuis août 1830. Une loi du 9 mars 1831 devait consacrer son existence. D'autres décisions allaient suivre en 1832, 1834, 1835 et 1836, mais les escadrons puis régiments de spahis réguliers ne se sont constitués qu'à partir de 1841 et 1845 à Alger, Oran, Bône et Constantine.
-----Malgré les cent trente ans d'histoire militaire que possèdent ces vieux corps de l'Armée d'Afrique, il n'existe pas à ce jour d'ouvrage d'ensemble pour les unités à recrutement dit "indigène", autrefois montées, de cette armée. Les documents et journaux de marche qui existent ne visent que certains régiments, certaines périodes, certaines campagnes des spahis.
ORIGINES DES SPAHIS
-----L'appelation "Armée d'Afrique" est employée officiellement pour la première fois dans une ordonnance du roi du 6 juin 1830, avant même le débarquement de notre corps expéditionnaire à Sidi-Ferruch, mais à l'époque, cette armée n'était constituée, bien entendu, que de troupes métropolitaines. Dès les premiers temps de l'occupation d'Alger, on reconnut l'utilité de créer des troupes indigènes afin de diminuer les fatigues imposées aux Corps Français très éprouvés par le climat. En utilisant les instincts guerriers des populations indigènes, on ne faisait du reste, que s'inspirer des errements de nos prédécesseurs en Algérie. Les " Maghzen" des princes barbaresques recrutés parmi les populations locales avaient été le plus ferme soutien de la domination turque. Ainsi, le général Clauzel, qui venait de remplacer comme gouverneur le maréchal de Bourmont - pour combler les vides qu'allait produire dans son armée le rappel par le gouvernement de juillet d'une notable fraction du corps expéditionnaire- prend à la solde de la France les mêmes hommes qui avaient servi le dey Hussein.
-----Parmi ces hommes, il y avait des spahis ou cipahis, troupes montées turques ou mercenaires venus de tous les points de l'empire ottoman, qui après le licenciement de leur corps, viennent se ranger sous le commandement d'un brillant cavalier arrivé de Tunisie le 15 juin 1830 et brûlant de se distinguer dans les rangs de l'Armée d'Afrique: Yusuf.
-----Le maréchal de Bourmont, avant son départ, avait déjà accepté le concours de cette cavalerie improvisée, de la valeur de deux escadrons, si désireuse de s'employer. Ce sera le général Clauzel, cependant, qui lui fera donner un statut légal.
-----C'est son rapport au ministre de la Guerre du 8 octobre 1830 qui devait inspirer la loi du 9 mars 1831, autorisant les généraux en chef commandant hors du territoire continental à former des corps militaires composés d'indigènes et d'étrangers.
-----De cette loi, consacrant une situation de fait, découleront les ordonnances, décrets et arrêtés qui concernent par la suite l'organisation des différents corps de "l'Armée d'Afrique".
-----Alors que l'ordonnance d'application concernant la Légion Etrangère est du 10 mars, celle qui vise l'organisation des corps indigènes est du 21 mars 1831.
-----Il s'avère qu'en dehors des quelques cavaliers "turcs" de Yusuf et Marey, les premiers indigènes qui viennent offrir leurs services aux Français en Algérie sont des Kabyles du Djurdjura de la tribu des Zouaoua, employés également jusque-là à la solde des deys. Le général Clauzel réalisera l'oeuvre entamée par son prédécesseur en créant, par arrêté du ler octobre 1830, un corps de "Zouaves" qui comprend un ou plusieurs bataillons (encadrés par des officiers et sous-officiers français volontaires) recrutés, non seulement parmi les Kabyles, mais parmi les Arabes, les Turcs, les Coulouglis et les ouvriers des villes et des campagnes.
-----Clauzel crée également à côté des bataillons quelques escadrons de zouaves montés. La formation de ces unités d'infanterie et de cavalerie est consacrée et autorisée, comme il a été dit plus haut, par la loi du 9 mars 1931 et l'ordonnance du 21 mars.
-----Les escadrons du "Corps des Zouaves" sont placés sous le commandement du chef d'escadrons Marey sous la dénomination de "Chasseurs Algériens". Ils seront versés cependant au 1" régiment de Chasseurs d'Afrique lors de la création de ce Corps, prescrite par ordonnance du 17 novembre 1831.
-----Les 1er et 2ème régiments de Chasseurs d'Afrique, constitués par cette ordonnance (le 1er à Alger, le 2ème à Oran) sont des régiments de cavalerie légère, comprenant à l'origine des enrôlés français et indigènes et des cavaliers tirés des régiments de métropole. Ils pouvaient recevoir par escdron jusqu'à 40 cavaliers indigènes pourvoyant eux-mêmes à leur subsistance, habillement, remonte, équipement, armement, moyenant une première mise et une prime journalière.
-----Selon la formule du général Paul Azan, dans son livre l'Armée d'Afrique, "Les Chasseurs d'Afrique, issus eux-mêmes des zouaves à cheval sont bien les ancêtres des spahis". Ce n'est pas inexact, mais il est cependant équitable de compléter cette formule en disant que les spahis avaient eu d'autres ancêtres, plus anciens, comme nous l'avons évoqué plus haut.
-----SPAHIS RÉGULIERS ET IRRÉGULIERS
-----Par ordonnance royale du 10 septembre 1834, est créé à Alger, sous le nom de spahis réguliers d'Alger un corps de cavalerie à 4 escadrons composé de 200 cavaliers indigènes retirés du 1er Chasseurs d'Afrique et de 500 volontaires. En effet, d'après un rapport du chef de corps, "les moeurs, les usages, la religion, l'habillement et la manière de vivre des indigènes, s'opposent à ce que des cavaliers arabes soient répartis dans les escadrons français du régiment des Chasseurs d'Afrique..." .
-----Ce régiment, placé sous les ordres du Lieutenant-colonel Marey, sera porté à 6 escadrons par ordonnance du 12 août 1836.
-----Les spahis réguliers de Bône et d'Oran sont également créés à 4 escadrons par ordonnances royales, respectivement du 10 juin 1835 et du 12 août 1836, ceux de Bône ont pour premier chef de corps le chef d'escadrons Yusuf Le Lieutenant-colonel de Thorigny commande le régiment d'Oran.
-----Quant aux spahis irréguliers, les plus anciens étaient ceux de Bône créés en mars 1832 avec 80 cavaliers turcs, après la prise de la citadelle de cette ville par Yusuf. Deux mois après la prise de Constantine, en décembre 1837, est formé un nouveau corps auxilliaire qui comprend 200 cavaliers et 800 hommes à pied appelés respectivement "Spahis de Constantine" et "Tirailleurs de Constantine".
 

-----Le Maréchal Valée, nouveau Gouverneur Général qui n'était pas partisan de la constitution d'unités indigènes régulières prend, par contre, une série d'autres arrêtés organisant les troupes irrégulières d'infanterie et de cavalerie indigènes. En septembre 1840, c'est la création d'un escadron de spahis irréguliers à Alger, un à Sétif et un au service de chacun des trois khalifats de la province de Constantine, ainsi qu'à Philippeville, La Calle et Guelma.
Enfin, les gendarmes maures sont également réorganisés à la même époque : dans la province d'Alger, où ils comprennent deux escadrons répartis à Alger, Koléa et Blida, et dans celle de Constantine, où ils ont un peloton dans cette ville de même qu'à Philippeville et à Bône.
-----Bien que le corps des spahis réguliers soit définitivement formé en 1836, son utilité et ses institutions sont souvent discutées par nos chefs militaires successifs en Algérie. Tour à tour, les maréchaux Valée, Clauzel, Bugeaud même, tentent de le dissoudre ou d'en modifier l'organisation. C'est ainsi que l'ordonnance royale du 31 août 1839 devait curieusement contredire, partiellement, ce qui avait été acquis trois ans plus tôt en licenciant les spahis réguliers d'Alger et en reversant leurs escadrons dans les chasseurs d'Afrique (dont les régiments sont de nouveau mixtes à 5 ou 6 escadrons de chasseurs français et 1 ou 2 escadrons de spahis, composés d'indigènes et de français, par régiment). Heureusement, les spahis réguliers d'Oran et de Bône sont conservés "jusqu'à ce que l'expérience eut démontré les avantages, ou inconvénients, de la nouvelle organisation des régiments de chasseurs d'Afrique".
-----En définitive, les spahis réguliers arrivent à s'imposer, "ayant rendu des services considérables pendant la conquête par leur connaissance exacte du pays, leur résistance à la fatigue, leur témérité et leur bravoure, etc.". Aussi, le roi Louis-Philippe décide-t-il enfin, par son ordonnance du 7 décembre 1841, d'entériner l'existence des spahis réguliers, de porter leur effectif à vingt escadrons, de réglementer leurs organisations, armement, et habillement, et de donner un véritable statut à leurs cadres et cavaliers (recrutement, avancement, hiérarchie). Bref, il crée un corps unique de spahis, ce qui fait perdre leur autonomie aux spahis de Bône et d'Oran.
-----L'état-major du corps de spahis, fixé par l'ordonnance, comprend 29 officiers, 28 sous-officiers et hommes et 89 chevaux. Le tableau d'effectifs d'un escadron est de 4 officiers français, 3 officiers indigènes, 20 sous-officiers, brigadiers et cavaliers français, 173 sous-officiers, brigadiers et cavaliers indigènes. L'ensemble des vingt escadrons représente donc un effectif global de plus de 4 000 hommes ; le commandement en est confié au lieutenantcolonel Yusuf (toujours lui) avec sous ses ordres sept chefs d'escadrons réputés dont les futurs généraux Favas et d'Allonville.
Le recrutement des spahis parmi les indigènes, assez limité au début, s'accroît peu à peu ; les fils de "grandes tentes" briguent bientôt aussi l'honneur de servir la France dans ce corps.
-----L'organisation des neuf escadrons de spahis de la province de Constantine ne sera terminée qu'en septembre 1842. Dans la province d'Alger, deux escadrons sont créés à la date du 1°, avril 1842, le troisième à Médéa le 15 août de la même année, le quatrième en 1843 et le cinquième à Orléansville seulement en 1844. La constitution des escadrons de la province d'Oran s'effectue dans des conditions analogues.
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CRÉATION DES RÉGIMENTS
-----La dernière étape de l'organisation définitive du corps des spahis était en vue. Elle a fait l'objet d'une autre ordonnance royale (celle du 21 juillet 1845) qui spécifie que les escadrons des trois provinces d'Algérie qui composent le corps des spahis serviront à former trois régiments de cavalerie indigènes,dénommés
---ler régiment de spahis d'Alger ;
---2ème régiment de spahis d'Oran ;
---3ème régiment de spahis de Constantine ;
-----Chacun des trois régiments compte un état-major, un peloton hors rang et six escadrons. Un escadron, détaché du régiment de spahis d'Alger, devait être mis à disposition du Département de la Marine pour être employé au Sénégal. Ce sera l'origine des spahis sénégalais.
-----Ce sont ces trois régiments qui allaient exister sans interruption aucune dans leur historique de 1845 à 1962 et combattre dans presque toutes les campagnes de la monarchie de Juillet, du Second Empire et des républiques successives. Les généraux de cavalerie qui, plus tard, allaient acquérir une solide réputation en Crimée, en Italie, en Chine, au Mexique et même en 1870, tels que : du Barail, Cousin-Montauban, Desvaux, Fleury, Michel, Legrand, Margueritte, Sonis, Nansouty, Bonnemains, Gallifet, Forton et Abdellal avaient tous servi dans ces régiments de spahis.
Mais il ne faut surtout pas oublier Yusuf, l'homme de la première époque, des heures difficiles de la conquête, celui quia été, avec Marey-Monge, le père et la personnalité la plus éclatante des spahis.
-----MARCHES ET OPÉRATIONS
-----Écrire l'historique et les faits d'armes des spahis, c'est raconter d'abord dans tous ses détails la conquête de l'Algérie ; au cours de ces longues et pénibles campagnes qui ont fini par étendre la domination française jusqu'aux extrêmes limites du désert, il n'est pas un combat, pas une expédition de quelque importance où les spahis n'aient eu à jouer leur rôle.
-----On verra des spahis engagés presque partout où l'on se bat. Quelque vingt corps de troupe portant ce titre : régiments, groupes d'escadrons, escadrons autonomes, seront engagés dans différentes campagnes, sur trois continents, sous tous les climats, portant une variété de tenues, combattant à cheval, à pied ou en véhicules blindés, pendant plus d'un siecle.
-----Mais ce dernier quart du 20ème siècle sera marqué par la disparition progressive des unités montées, par l'abandon de notre ancien empire colonial et des territoires d'Afrique du Nord sous notre contrôle. Ce boulversement irréversible devait mener inévitablement à la dissolution de tous les corps de l'Armée d'Afrique, à l'exception de la Légion Etrangère et d'un régiment blindé de spahis.

Colonel Willing