Naissance d'un village de colonisation
:
Ameur-El-Aïn
par Jean Verchin
C'est en 1842 que la région d'Ameur-El-Aïn
fut pacifiée mais nous ne posséderons de documents précis
que huit ans plus tard. Nous les devons à l'amabilité du
maire, M. Marquaire; ils ont trait à des rapports adressés
au général Biangini qui commandait la place de Blida, par
le capitaine Blanc, lequel avait la charge d'Ameur-El-Aïn et de ses
environs. Ils se suffisent à eux-mêmes et dans leur style
militaire et dépouillé revit le grand drame algérien
du Second Empire.
Cinquante familles suisses originaires du Valais arrivèrent en
janvier 1851 dans le plus complet dénuement: " Ils n'avaient
même pas de cuillère pour manger leur soupe " écrit
le capitaine Blanc qui leur distribua marmite, gamelle, seau, couperet,
pelle et pioche, afin qu'ils puissent travailler; et leur donna aussi
de vieux effets militaires et des sacs hors de service pour se faire des
couvertures.
Ils étaient arrivés harassés d'Alger, ayant mis cinq
heures pour faire les quatre derniers kilomètres tant les pistes
étaient défoncées, il fallut leur allouer une allocation
journalière de 0,50 F par adulte et 0,25 F pour les enfants. Malgré
ce " pactole ", l'essai d'implantation fut décevant et
en décembre de la même année une grande partie du
contingent helvétique fut rapatriée dans son pays. Seuls
quelques éléments adaptés demeurèrent et firent
souche.
Les maisons étaient construites par le Génie de façon
d'ailleurs sommaire puisque nous lisons un rapport où les habitants
demandent que les façades soient peintes en jaune. La réponse
est nette: " Ça coûterait trop cher, contentez-vous
du blanc de chaux ". Comme aux saisons pluvieuses, les toits laissent
passer les eaux du ciel et qu'il est demandé au Génie d'intervenir,
celui-ci répond qu'il n'a pas de crédit pour cela et recommande
l'occlusion des fenêtres par des morceaux d'étoffes ou de
vieux sacs. En juillet 1851, le désarroi règne dans Ameur.
Les maisons sont encombrées de malades et les valides ne sortent
pas du fait de la chaleur et du sirocco. Le capitaine Blanc a épuisé
sa réserve de planches " à usage funéraire "
et réclame à Blida un supplément qui lui est accordé.
L'hiver permet un redressement et en janvier arrivent des familles alsaciennes
et franc-comtoises. Une soeur ouvre une école bientôt fréquentée
par cinquante élèves qui apprennent le syllabaire et le
catéchisme sur les planches de démolition. Le curé
d'El-Affroun vient tous les quinze jours célébrer la messe
dans la maison qui a été aménagée en chapelle.
Dès lors les rapports sont plus optimistes, on s'est mis au travail
productif, mais on voit quand même une note demandant qu'un crédit
de 400 F soit alloué pour arracher le doum qui se trouve dans les
rues du village. En mars 1852, Ameur compte 51 familles en bon état
sanitaire, soit 255 habitants. Certains ont réussi, d'autres moins,
mais une grande fraternité règne dans le village et les
impécunieux sont aidés par les plus heureux. Pourtant une
chose est réclamée avec insistance depuis que la situation
s'améliore. Ameur, qui était rattaché à Marengo,
veut devenir commune mais ce n'est qu'en janvier 1869 que le gouverneur
accède à un désir si souvent exprimé. Les
lots de colonisation à bâtir étaient de 16 ha au lieu
de 10 ha dans les autres régions du fait de l'insalubrité
d'Ameur, entretenue par les marais du lac Halloula tout proche. Des lots
pour fermes isolées furent distribués, ils étaient
de 50 ha environ et nous lisons que 2 planches et 2 chevrons pour faire
un lit, un secours de 40 F, ainsi que " quelques grains pour subsister
jusqu'à la saison nouvelle " sont alloués à
l'ancêtre d'une des plus riches familles foncières vivant
actuellement en Algérie.
Le tremblement de terre démolit les maisonnettes. On rebâtit.
Un incendie en septembre 1853 ravage l'agglomération et le capitaine
Blanc évalue le sinistre à 32 678 F, demandant une aide
au gouverneur qui " se fait tirer l'oreille ". Un commerçant
israélite de Blida ayant fourni 100 paillasses pour les habitants,
un constat effectué par le capitaine Blanc en présence de
trois témoins suisses révèle un manque de 15 cm sur
les deux dimensions. Le commerçant argue d'un rétrécissement
au lavage. En 1856 le budget d'Ameur est de 8365,28 F. Les affaires tournent
rond, l'essor est donné et, cahin-caha, notre village suivra le
sort des communes voisines se hissant péniblement mais par une
lutte opiniâtre contre les éléments contraires, jusqu'à
sa destinée de coquet village jumelé à Saint-Émilion
qui, malgré les vicissitudes présentes, va de l'avant, sûr
de son destin. Il reste encore quelques familles descendantes de celles
qui participèrent au pénible enfantement: Bachelot, Nourry,
Pastoureau...
Les autres dorment sous cette terre dont elles avaient deviné la
future splendeur. Certains ont encore pour les signaler une croix vétuste
sur un tertre affaissé. De la majorité il ne reste plus
rien que l'affirmation qu'Ameur, comme le reste du monde, est fait de
plus de morts que de vivants.
|