Naissance d'un village de colonisation :
Ameur-El-Aïn

par Jean Verchin

extraits du numéro 118, juin 2007, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 21-2-2012

128 Ko
retour
 

Naissance d'un village de colonisation :
Ameur-El-Aïn
par Jean Verchin

C'est en 1842 que la région d'Ameur-El-Aïn fut pacifiée mais nous ne posséderons de documents précis que huit ans plus tard. Nous les devons à l'amabilité du maire, M. Marquaire; ils ont trait à des rapports adressés au général Biangini qui commandait la place de Blida, par le capitaine Blanc, lequel avait la charge d'Ameur-El-Aïn et de ses environs. Ils se suffisent à eux-mêmes et dans leur style militaire et dépouillé revit le grand drame algérien du Second Empire.

Cinquante familles suisses originaires du Valais arrivèrent en janvier 1851 dans le plus complet dénuement: " Ils n'avaient même pas de cuillère pour manger leur soupe " écrit le capitaine Blanc qui leur distribua marmite, gamelle, seau, couperet, pelle et pioche, afin qu'ils puissent travailler; et leur donna aussi de vieux effets militaires et des sacs hors de service pour se faire des couvertures.

Ils étaient arrivés harassés d'Alger, ayant mis cinq heures pour faire les quatre derniers kilomètres tant les pistes étaient défoncées, il fallut leur allouer une allocation journalière de 0,50 F par adulte et 0,25 F pour les enfants. Malgré ce " pactole ", l'essai d'implantation fut décevant et en décembre de la même année une grande partie du contingent helvétique fut rapatriée dans son pays. Seuls quelques éléments adaptés demeurèrent et firent souche.

Les maisons étaient construites par le Génie de façon d'ailleurs sommaire puisque nous lisons un rapport où les habitants demandent que les façades soient peintes en jaune. La réponse est nette: " Ça coûterait trop cher, contentez-vous du blanc de chaux ". Comme aux saisons pluvieuses, les toits laissent passer les eaux du ciel et qu'il est demandé au Génie d'intervenir, celui-ci répond qu'il n'a pas de crédit pour cela et recommande l'occlusion des fenêtres par des morceaux d'étoffes ou de vieux sacs. En juillet 1851, le désarroi règne dans Ameur. Les maisons sont encombrées de malades et les valides ne sortent pas du fait de la chaleur et du sirocco. Le capitaine Blanc a épuisé sa réserve de planches " à usage funéraire " et réclame à Blida un supplément qui lui est accordé. L'hiver permet un redressement et en janvier arrivent des familles alsaciennes et franc-comtoises. Une soeur ouvre une école bientôt fréquentée par cinquante élèves qui apprennent le syllabaire et le catéchisme sur les planches de démolition. Le curé d'El-Affroun vient tous les quinze jours célébrer la messe dans la maison qui a été aménagée en chapelle. Dès lors les rapports sont plus optimistes, on s'est mis au travail productif, mais on voit quand même une note demandant qu'un crédit de 400 F soit alloué pour arracher le doum qui se trouve dans les rues du village. En mars 1852, Ameur compte 51 familles en bon état sanitaire, soit 255 habitants. Certains ont réussi, d'autres moins, mais une grande fraternité règne dans le village et les impécunieux sont aidés par les plus heureux. Pourtant une chose est réclamée avec insistance depuis que la situation s'améliore. Ameur, qui était rattaché à Marengo, veut devenir commune mais ce n'est qu'en janvier 1869 que le gouverneur accède à un désir si souvent exprimé. Les lots de colonisation à bâtir étaient de 16 ha au lieu de 10 ha dans les autres régions du fait de l'insalubrité d'Ameur, entretenue par les marais du lac Halloula tout proche. Des lots pour fermes isolées furent distribués, ils étaient de 50 ha environ et nous lisons que 2 planches et 2 chevrons pour faire un lit, un secours de 40 F, ainsi que " quelques grains pour subsister jusqu'à la saison nouvelle " sont alloués à l'ancêtre d'une des plus riches familles foncières vivant actuellement en Algérie.

Le tremblement de terre démolit les maisonnettes. On rebâtit. Un incendie en septembre 1853 ravage l'agglomération et le capitaine Blanc évalue le sinistre à 32 678 F, demandant une aide au gouverneur qui " se fait tirer l'oreille ". Un commerçant israélite de Blida ayant fourni 100 paillasses pour les habitants, un constat effectué par le capitaine Blanc en présence de trois témoins suisses révèle un manque de 15 cm sur les deux dimensions. Le commerçant argue d'un rétrécissement au lavage. En 1856 le budget d'Ameur est de 8365,28 F. Les affaires tournent rond, l'essor est donné et, cahin-caha, notre village suivra le sort des communes voisines se hissant péniblement mais par une lutte opiniâtre contre les éléments contraires, jusqu'à sa destinée de coquet village jumelé à Saint-Émilion qui, malgré les vicissitudes présentes, va de l'avant, sûr de son destin. Il reste encore quelques familles descendantes de celles qui participèrent au pénible enfantement: Bachelot, Nourry, Pastoureau...

Les autres dorment sous cette terre dont elles avaient deviné la future splendeur. Certains ont encore pour les signaler une croix vétuste sur un tertre affaissé. De la majorité il ne reste plus rien que l'affirmation qu'Ameur, comme le reste du monde, est fait de plus de morts que de vivants.